Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Poitiers d'annuler la décision du 19 décembre 2019 par laquelle la préfète de la Vienne a refusé de lui délivrer un titre de séjour.
Par un jugement n° 2000498 du 24 juin 2021, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés le 24 août 2021 et le 17 février 2022, M. A..., représenté par Me Lelong, demande à la cour :
1°) de lui accorder le bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire :
2°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Poitiers du 24 juin 2021 ;
3°) d'annuler la décision du 19 décembre 2019 de la préfète de la Vienne susmentionnée ;
4°) d'enjoindre à la préfète de la Vienne de délivrer un titre de séjour à M. A... dans un délai de quinze jours suivant le jugement à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ou, à défaut, lui enjoindre de procéder au réexamen de sa demande en lui délivrant dans l'attente une autorisation provisoire de séjour et, ce, sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter de l'arrêt à intervenir ;
5°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros à verser à son conseil en application des dispositions des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- la décision a été prise par une autorité incompétente faute de délégation de signature régulièrement publiée ;
- c'est à tort que les premiers juges ont estimé que la préfète n'avait pas méconnu les dispositions de l'article L. 313-11 (11°) du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; il aurait au moins dû lui être délivré une autorisation provisoire de séjour pour raison médicale ;
- c'est à tort que la préfète a estimé que sa carte nationale d'identité était contrefaite et son état-civil non établi ; il n'a pas fraudé concernant son identité mais a produit les documents que son épouse lui a transmis ; l'échange avec le consulat de France en Guinée porte sur une autre personne de sorte que la préfète a fondé sa décision sur des faits erronés ;
- le caractère frauduleux du document d'identité produit ne justifie pas le rejet d'une demande de titre de séjour pour soins, alors en particulier que sa nationalité guinéenne n'est pas critiquée ; les jugements supplétifs sont régis exclusivement par l'article 193 du code civil lequel prévoit la transcription dans le registre de l'Etat civil ;
- le tribunal ne vise pas les dispositions du code civil guinéen sur lesquelles il se fonde pour considérer que le jugement supplétif n'est pas authentique au motif qu'il ne mentionne pas la date de naissance de ses parents ;
- la décision fixant le pays de renvoi méconnaît en outre les dispositions de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ainsi que les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Par un mémoire en défense, enregistré le 31 décembre 2021, la préfète de la Vienne conclut au rejet de la requête de M. A.... Elle fait valoir que les moyens invoqués par le requérant ne sont pas fondés.
M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 14 octobre 2021.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code civil ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 modifiée ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme Agnès Bourjol a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. A..., ressortissant guinéen né en 1959, est entré irrégulièrement en France en juillet 2018 selon ses déclarations. Le 24 avril 2019, il a déposé une demande de titre de séjour en raison de son état de santé sur le fondement du 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, auprès de la préfecture de la Vienne. Par un arrêté du 19 décembre 2019, la préfète de la Vienne a refusé de lui délivrer le titre de séjour sollicité. M. A... relève appel du jugement du 24 juin 2021 par lequel le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur la demande d'admission provisoire au bénéfice de l'aide juridictionnelle :
2. Par une décision du bureau d'aide juridictionnelle du 14 octobre 2021, M. A... a été admis à l'aide juridictionnelle totale. Par suite, ses conclusions tendant au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire sont devenues sans objet. Il s'ensuit qu'il n'y a plus lieu d'y statuer.
Sur les conclusions aux fins d'annulation :
3. Aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction alors en vigueur : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit : (...) 11° A l'étranger résidant habituellement en France, si son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié. La condition prévue à l'article L. 313-2 n'est pas exigée. La décision de délivrer la carte de séjour est prise par l'autorité administrative après avis d'un collège de médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, dans des conditions définies par décret en Conseil d'Etat (...) Si le collège de médecins estime dans son avis que les conditions précitées sont réunies, l'autorité administrative ne peut refuser la délivrance du titre de séjour que par une décision spécialement motivée (...) ".
4. Aux termes de l'article R. 311-2-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger qui demande la délivrance ou le renouvellement d'un titre de séjour présente les documents justifiant de son état civil et de sa nationalité (...) ". Aux termes de l'article L. 111-6 du même code : " La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil (...) ". Aux termes de ce dernier article : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ".
5. La délivrance d'un titre de séjour sur le fondement du 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile n'est pas seulement subordonnée au respect des conditions de fond qu'il prévoit, mais également à la recevabilité de la demande et, plus particulièrement, à l'obligation pour le demandeur, énoncée à l'article R. 311-2-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, de justifier de son état civil et de sa nationalité. A cet égard, la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties. Pour juger qu'un acte d'état civil produit devant lui est dépourvu de force probante, qu'il soit irrégulier, falsifié ou inexact, le juge doit en conséquence se fonder sur tous les éléments versés au dossier dans le cadre de l'instruction du litige qui lui est soumis. Ce faisant, il lui appartient d'apprécier les conséquences à tirer de la production par l'étranger d'une carte consulaire ou d'un passeport dont l'authenticité est établie ou n'est pas contestée, sans qu'une force probante particulière puisse être attribuée ou refusée par principe à de tels documents.
6. A l'appui de sa demande de titre de séjour, M. A... a fourni une carte d'identité de la République de Guinée délivrée le 24 janvier 2019 et valable jusqu'au 24 janvier 2024. Pour écarter ce document au motif de son caractère non authentique, la préfète s'est fondée sur le rapport de la direction zonale de la police aux frontières établi le 10 mai 2019 selon lequel ce document d'identité présente les caractéristiques techniques d'un document contrefait, du fait notamment des prédécoupes imitées, de l'impression au jet d'encre non conforme, de ce que le film de sécurité est dépourvu de relief, de ce que le timbre fiscal est contrefait, et de l'absence de réaction sous exposition UV. En application des dispositions de l'article 1er du décret du 24 décembre 2015, la préfète de la Vienne a procédé aux vérifications utiles en saisissant l'ambassade de France en Guinée qui a indiqué, le 28 novembre 2019, que l'identité du requérant était inconnue du système d'enregistrement des entrées et sorties de l'aéroport international de Guinée ainsi que du fichier des passeports biométriques guinéens, sans qu'il soit avéré qu'elle ait effectué ces recherches en commettant une erreur dans la retranscription du prénom de l'intéressé.
7. En cours d'instance, M. A... a produit un jugement supplétif d'acte de naissance du tribunal de grande instance de Conakry du 11 février 2019, ainsi qu'un extrait d'acte de naissance daté du 26 février 2019, issu de la transcription de ce jugement au registre d'état civil de la ville de Conakry. La préfète de la Vienne a fait valoir en première instance, dans son mémoire en défense, que l'acte de naissance et le jugement supplétif ne sont pas conformes aux règles de forme édictées par l'article 196 du code civil guinéen ainsi qu'aux règles de transcription définies par le droit guinéen en matière d'état-civil dès lors que le jugement supplétif a été rendu le jour même de l'introduction de la requête tendant à son établissement et que le jugement supplétif ne comporte pas les dates de naissance du père et de la mère de l'intéressé, alors qu'une telle mention est obligatoire et qu'il prévoit, en contradiction avec l'article 180 du code civil guinéen, sa transcription dans le registre d'état civil de l'année de naissance.
8. Toutefois, ces motifs ne sont pas invoqués dans l'arrêté attaqué et la préfète de la Vienne n'a pas sollicité qu'ils soient substitués à ceux qui y figurent. En tout état de cause, il ne résulte pas des dispositions de l'article 196 du code civil guinéen que la mention de l'heure et du lieu de naissance, du sexe de l'enfant, des prénoms qui lui seront donnés ainsi que, des prénoms, dates de naissance, professions et domiciles des père et mère, imposée sur les actes de naissance, soient obligatoires pour les jugements suppléant à un tel acte, qui relèvent exclusivement des dispositions de l'article 193 du même code, dont les dispositions sont invoquées par le requérant. En outre, l'article 899 du code de procédure civile guinéen dispose que " (...) le dispositif de la décision est transmis au dépositaire des registres de l'état civil. Les transcription et mention du dispositif sont aussitôt opérées ", de telle sorte que l'inobservation du délai de transcription ne démontre pas l'absence de caractère authentique du jugement supplétif et de l'extrait du registre d'état civil.
9. En l'absence de tout élément sur la qualité des supports des actes d'état civil guinéens et les sécurités qu'ils doivent comporter selon la règlementation guinéenne, la circonstance que la carte d'identité consulaire présentée par M. A... à l'appui de sa demande de titre de séjour est établie sur un support ordinaire sans sécurité documentaire, n'est pas de nature à établir que les mentions relatives à son identité et à sa filiation sont irrégulières, falsifiées ou inexactes.
10. Il résulte de ce qui précède qu'en application de l'article L. 111-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et de l'article 47 du code civil auquel il renvoie, il n'est pas établi que les actes d'état civil fournis par M. A... sont dépourvus de valeur probante.
11. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué du 24 juin 2021, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté lui refusant le séjour et qu'il y a lieu, par conséquence, d'annuler ce jugement ainsi que l'arrêté du 19 décembre 2019.
Sur les conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte :
12. Aux termes de l'article L. 911-2 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne à nouveau une décision après une nouvelle instruction, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision juridictionnelle, que cette nouvelle décision doit intervenir dans un délai déterminé ".
13. Eu égard au motif pour lequel elle est prononcée, l'annulation prononcée par le présent arrêt implique seulement que la préfète de la Vienne réexamine la situation de M. A... dans un délai de deux mois à compter de sa notification. Il y a lieu de le lui enjoindre. Il n'y a pas lieu, en revanche, d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais d'instance :
14. M. A... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me Lelong renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État à sa mission d'aide juridictionnelle, de mettre à la charge de l'État le versement à cet avocat de la somme de 1 500 euros.
DECIDE :
Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur la demande présentée par M. A... tendant à son admission au bénéfice de l'aide juridictionnelle à titre provisoire.
Article 2 : Le jugement n° 2000498 du 24 juin 2021 du tribunal administratif de Poitiers et la décision du 19 décembre 2019 de la préfète de la Vienne sont annulés.
Article 3 : Il est enjoint à la préfète de la Vienne de procéder à un nouvel examen de la situation de M. A... dans un délai de deux mois suivant notification du présent arrêt.
Article 4 : L'Etat versera au conseil de M. A... la somme de 1 500 euros sous réserve que Me Lelong renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État à sa mission d'aide juridictionnelle.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête de M. A... est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... et au ministre de l'intérieur. Une copie en sera adressée à la préfète de la Vienne.
Délibéré après l'audience du 28 février 2022, à laquelle siégeaient :
M. Didier Artus, président,
M. Frédéric Faïck, président-assesseur,
Mme Agnès Bourjol, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 23 mars 2022.
La rapporteure,
Agnès BOURJOLLe président,
Didier ARTUSLa greffière,
Sylvie HAYET La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 21BX03498