Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... C... a demandé au tribunal administratif de Montpellier de condamner la société La Poste à lui verser une indemnité de 392 000 euros assortie des intérêts au taux légal à compter du 21 octobre 2014 et de leur capitalisation, en réparation des préjudices résultant de l'illégalité de la décision du 6 août 1999 prononçant sa radiation des cadres et de mettre à la charge de la société La Poste une somme de 2 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991.
Par un jugement n° 1703438 du 20 septembre 2019, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 8 avril 2020 et un mémoire enregistré le 11 août 2021, sous le n°20MA01585 au greffe de la cour administrative d'appel de Marseille, puis le 11 avril 2022 au greffe de la cour administrative d'appel de Toulouse sous le n°20TL01585, M. B... C..., représenté par la SCP David Gaschignard, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 20 septembre 2019 du tribunal administratif de Montpellier ;
2°) de condamner la société La Poste à lui verser une indemnité de 392 000 euros, sauf à parfaire, avec intérêts de droit à compter du 21 octobre 2014 et leur capitalisation à la date de l'enregistrement de la requête devant le tribunal administratif puis à chaque échéance annuelle, en réparation des préjudices résultant de l'illégalité de la décision du 6 août 1999 prononçant sa radiation des cadres pour abandon de poste ;
3°) de mettre à la charge de la société La Poste une somme de 4 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991 à verser à son conseil qui donne acte qu'il renonce à percevoir de l'Etat la contribution correspondant à la mission d'aide juridictionnelle qui lui a été confiée.
Il soutient que :
- sa requête de première instance n'était pas tardive, aucun délai n'a commencé à courir à compter de la date de parution du décret du 2 novembre 2016 dit A... contrairement à ce qu'a retenu le Conseil d'Etat dans son avis du 30 janvier 2019 n° 420797 Fernandez ;
- l'application des nouvelles dispositions de l'article R. 421-3 issues du décret n° 2016-1480 du 2 novembre 2016 combinées à celles des dispositions des articles L.112-2, L.112-3 et L.112-6 du code des relations entre le public et l'administration est contraire au principe selon lequel le droit de former un recours contre une décision d'une juridiction est fixé définitivement au jour où cette décision est rendue à moins qu'une disposition expresse y fasse obstacle ;
- le décret A... ne contient aucune disposition expresse visant à modifier les délais de recours applicables aux décisions prises avant son entrée en vigueur ;
- elle est également contraire au principe de sécurité juridique en introduisant une nouvelle norme inaccessible au citoyen et une différence de régime juridique entre décisions explicites et implicites et une discrimination entre les agents publics et les autres justiciables ;
- le principe de sécurité juridique implique que son recours ne peut qu'être enfermé dans un délai raisonnable d'un an à compter de l'entrée en vigueur du décret du 2 novembre 2016 ;
- elle est contraire à l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- La Poste a été transformée en société anonyme par la loi du 9 février 2010 et ne prend plus de décision administrative au sens de l'article R.421-1 du code de justice administrative, de sorte qu'aucune décision préalable n'a pu naître de la demande dont La Poste a été saisie ;
- il était bénéficiaire de l'aide juridictionnelle, demandée en temps utile, et ne peut être pénalisé à raison de la carence de son avocat, à supposer qu'elle soit établie ;
- en l'absence de notification de la décision du 20 janvier 2015 lui accordant l'aide juridictionnelle rendant cette décision définitive, sa requête n'était pas tardive ;
- son action n'était pas prescrite quand il a saisi le tribunal administratif de Montpellier le 18 juillet 2017 après sa demande d'aide juridictionnelle ;
- l'illégalité de sa décision de radiation des cadres, reconnue par l'arrêt du 13 février 2015 de la cour administrative de Marseille, lequel est revêtu sur ce point de l'autorité de la chose jugée, constitue une faute de nature à engager la responsabilité de La Poste ;
- il a été privé de traitement du mois de mai 1999 au mois de décembre 2009 ;
- il a droit au versement de la somme de 112 000 euros, laquelle correspond à la différence entre le traitement de 178 969,91 euros qu'il aurait dû percevoir du mois de mai 1999 au mois de décembre 2009, et les revenus de remplacement de 66 650,41 euros qu'il a perçus ;
- il a été dans l'obligation de céder aux enchères en 2001 la maison dont il était propriétaire pour un montant de 68 000 euros, alors que celle-ci était évaluée entre 230 000 et 240 0000 euros en 2013, soit une perte financière de 160 000 euros ;
- il a vécu avec sa famille durant dix ans dans une grande précarité en raison de cette décision qui a généré d'importantes difficultés financières et a conduit à une saisie immobilière ; ses troubles dans les conditions d'existence et son préjudice du fait de cette situation s'établissent à 120 000 euros.
Par des mémoires en défense enregistrés le 9 avril 2021 et le 13 septembre 2021, la société La Poste, représentée par Me Bellanger, conclut au rejet de la requête.
Elle fait valoir que :
- la requête de première instance est tardive ;
- un délai de deux mois court à compter du 1er janvier 2017 contre toute décision implicite relevant du plein contentieux qui serait née antérieurement à cette date ;
- la légalité du décret n°2016-1480 dit A... a été confirmée par la Haute-juridiction ;
- la différence de situation entre les particuliers et les agents publics ne résulte pas du décret A... mais des dispositions des articles L.112-2 et L.112-6 du code des relations entre l'administration et le public ;
- le délai de recours contentieux de deux mois court depuis le 1er janvier 2017 contre toutes les décisions implicites prises dans le cadre des relations entre l'administration et ses agents ;
- si les voies de recours ainsi que les délais de leur exercice continuent à être régis par les textes en vigueur à la date où la décision susceptible d'être attaquée est attaquée à moins qu'une disposition expresse y fasse obstacle, le décret A... n'a pas fait courir le nouveau délai à compter de la date à laquelle ces décisions sont nées, mais de la date à compter de laquelle le décret est entré en vigueur ;
- la solution n'est pas contraire à l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- l'attribution de l'aide juridictionnelle n'a pas pour effet de lever l'obligation de saisir la juridiction d'un recours dans le délai qui recommence à courir et n'a pas pour effet d'écarter la forclusion ;
- l'action de M. C... était prescrite dans le délai de 5 ans du code civil, soit le 19 juin 2013 ; ce délai de prescription est applicable depuis la transformation de La Poste en établissement public ; le fait générateur de la créance de M. C... est constitué par l'illégalité de la décision de radiation des cadres pour abandon de poste du 6 août 1999, en saisissant La Poste d'une demande indemnitaire le 21 octobre 2014, M. C... a dépassé le délai de prescription de 5 ans ;
- le recours pour excès de pouvoir dirigé contre la décision de radiation des cadres n'a pas eu un effet interruptif sur le recours de plein contentieux au sens de l'article 2241 du code civil ;
- l'avis contentieux du 27 avril 2021 n° 448467 n'est pas applicable à l'espèce dès lors que La Poste est assimilable à une autorité administrative à l'égard de ses agents fonctionnaires ;
- à supposer que les conditions d'engagement de la responsabilité de La Poste soient satisfaites, la période de responsabilité est comprise entre le 6 août 1999 et le 27 novembre 2009 ; la période allant du 3 mai au 6 août 1999 a été totalement réglée ;
- le droit à indemnisation de M. C... est limité à la période du 6 août 1999 au 27 novembre 2009, ses revenus de remplacement et son aptitude au travail devront être pris en compte ;
- le préjudice matériel lié à la dépréciation de la valeur vénale de l'ancienne maison est surévalué et doit être ramenée à de plus justes proportions ;
- le préjudice moral et les troubles dans les conditions d'existence de M. C... doivent être ramenés à de plus justes proportion, la situation de précarité dans laquelle il s'est trouvé a été prolongée par sa propre inaction.
M. C... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle partielle au taux de 55% par une décision du 13 décembre 2019.
Par une ordonnance du 20 août 2021, la clôture de l'instruction a été fixée au 20 septembre 2021 à 12h.
Par une ordonnance en date du 11 avril 2022, le président de la section du contentieux du Conseil d'Etat a attribué à la cour administrative d'appel de Toulouse le jugement de la requête de M. C....
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code civil ;
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;
- la loi n° 90-568 du 2 juillet 1990 ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- loi n° 2010-123 du 9 février 2010 ;
- le décret n°91-1266 du 19 décembre 1991 ;
- le décret n° 2010-191 du 26 février 2010 ;
- le décret n° 2015-1145 du 15 septembre 2015 ;
- le décret n° 2016-1480 du 2 novembre 2016 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Céline Arquié, première conseillère,
- les conclusions de Mme Michèle Torelli, rapporteure publique,
- et les observations de Me Bellanger représentant la société La Poste.
Considérant ce qui suit :
1. M. C..., fonctionnaire de La Poste depuis 1979, a exercé des fonctions de facteur au bureau de poste de ... (Hérault). Par décision du 29 janvier 1996, il a été placé en congé de maladie pour une durée d'un an. Ce congé a été prolongé jusqu'au 26 janvier 1998, date à laquelle il a été affecté sur un emploi aménagé de distribution du courrier dans la commune où il résidait. Le comité médical et le comité médical supérieur, saisis à la suite d'un nouvel arrêt de travail, ont estimé que M. C... était apte à exercer ses fonctions de préposé avec un véhicule automobile. Par une décision du 6 août 1999, M. C... a été radié des cadres pour abandon de poste à compter du 3 mai 1999. Cette décision a été annulée par un jugement n°0700497 du 15 décembre 2009 du tribunal administratif de Montpellier, qui a enjoint à La Poste de le réintégrer juridiquement dans ses fonctions à compter du 3 mai 1999. Par un arrêt n°10MA00852 du 5 juin 2012, la cour administrative de Marseille a annulé ce jugement et a rejeté les conclusions de M. C... à fin d'annulation de la décision du 6 août 1999 ainsi que ses conclusions aux fins d'injonction et d'indemnisation. Saisie par renvoi du Conseil d'Etat, la cour administrative d'appel de Marseille a, par un arrêt n° 13MA04458 du 13 février 2015, annulé le jugement du tribunal administratif de Montpellier ainsi que la décision du directeur de la Poste du 6 août 1999 portant radiation des cadres et enjoint à La Poste de réintégrer M. C... à compter du 3 mai 1999 et de reconstituer sa carrière. Par réclamation du 20 octobre 2014, M. C... a sollicité le versement d'une indemnité de 490 000 euros en réparation des préjudices résultant de l'illégalité de la décision du 6 août 1999. M. C... relève appel du jugement du 20 septembre 2019, par lequel le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande comme étant tardive.
Sur la régularité du jugement de première instance :
2. D'une part, aux termes de l'article R. 421-1 du code de justice administrative: " La juridiction ne peut être saisie que par voie de recours formé contre une décision, et ce, dans les deux mois à partir de la notification ou de la publication de la décision attaquée. Lorsque la requête tend au paiement d'une somme d'argent, elle n'est recevable qu'après l'intervention de la décision prise par l'administration sur une demande préalablement formée devant elle. ". Aux termes de l'article R. 421-2 du même code : " Sauf disposition législative ou réglementaire contraire, dans les cas où le silence gardé par l'autorité administrative sur une demande vaut décision de rejet, l'intéressé dispose, pour former un recours, d'un délai de deux mois à compter de la date à laquelle est née une décision implicite de rejet (...) ". L'article R. 421-3 du même code, dans sa rédaction applicable antérieurement à l'entrée en vigueur du décret du 2 novembre 2016 portant modification du code de justice administrative, disposait que : " l'intéressé n'est forclos qu'après un délai de deux mois à compter du jour de la notification d'une décision expresse de rejet : / 1° En matière de plein contentieux (...) ". Il résultait de la combinaison de ces dispositions que lorsqu'une personne s'était vu tacitement opposer un refus susceptible d'être contesté dans le cadre d'un recours de plein contentieux, ce recours n'était enfermé dans aucun délai, sauf à ce que cette décision de refus soit, sous forme expresse, régulièrement notifiée à cette personne. Un délai de recours de deux mois courrait alors à compter de la date de cette notification.
3. Le décret du 2 novembre 2016 a supprimé le 1° de l'article R. 421-3 du code de justice administrative à compter du 1er janvier 2017 et a prévu que les nouvelles dispositions de cet article s'appliqueraient aux requêtes enregistrées à partir de cette date. Il en résulte que, s'agissant des décisions implicites relevant du plein contentieux, la nouvelle règle selon laquelle, sauf dispositions législatives ou réglementaires qui leur seraient propres, le délai de recours de deux mois court à compter de la date à laquelle elles sont nées, est applicable aux décisions nées à compter du 1er janvier 2017. S'agissant des décisions nées avant le 1er janvier 2017, les dispositions de l'article 35 de ce décret, qui fixe les conditions de son entrée en vigueur, n'ont pas pour objet et n'auraient pu légalement avoir pour effet de déroger au principe général du droit selon lequel, en matière de délai de procédure, il ne peut être rétroactivement porté atteinte aux droits acquis par les parties sous l'empire des textes en vigueur à la date à laquelle le délai a commencé à courir. Il s'ensuit que, s'agissant des refus implicites nés avant le 1er janvier 2017 relevant du plein contentieux, le décret du 2 novembre 2016 n'a pas fait courir le délai de recours contre ces décisions à compter de la date à laquelle elles sont nées mais a fait courir un délai franc de recours de deux mois à compter du 1er janvier 2017, soit jusqu'au 2 mars 2017.
4. D'autre part, aux termes de l'article 38 du décret du 19 décembre 1991 portant application de la loi n°91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique alors applicable : " Lorsqu'une action en justice doit être intentée avant l'expiration d'un délai devant la juridiction du premier degré, (...), l'action est réputée avoir été intentée dans le délai si la demande d'aide juridictionnelle s'y rapportant est adressée au bureau d'aide juridictionnelle avant l'expiration dudit délai et si la demande en justice est introduite dans un nouveau délai de même durée à compter : a) De la notification de la décision d'admission provisoire ; (...) ; c) De la date à laquelle la décision d'admission ou de rejet de la demande est devenue définitive ; d) Ou, en cas d'admission, de la date, si elle est plus tardive, à laquelle un auxiliaire de justice a été désigné ".
5. En raison de l'objet même de l'aide juridictionnelle, qui est de faciliter l'exercice du droit à un recours juridictionnel effectif, les dispositions citées au point précédent selon lesquelles le délai de recours contentieux recommence à courir soit à compter du jour où la décision du bureau d'aide juridictionnelle devient définitive, soit, si elle est plus tardive, à compter de la date de désignation de l'auxiliaire de justice, ne sauraient avoir pour effet de rendre ce délai opposable au demandeur tant que cette décision ne lui a pas été notifiée.
6. M. C... a sollicité, par réclamation du 20 octobre 2014, notifiée le 21 octobre 2014, l'indemnisation des préjudices résultant de la décision du 6 août 1999 le radiant des cadres pour abandon de poste. En application des dispositions de l'article R 421-3 du code de justice administrative alors applicables citées au point 2, le recours de plein contentieux contre le refus tacite opposé à sa demande n'était enfermé dans aucun délai. M. C... a sollicité, le 5 janvier 2015, le bénéfice de l'aide juridictionnelle près du bureau d'aide juridictionnelle du tribunal de grande instance de Montpellier, dans les délais de recours contentieux alors applicables. S'il résulte de l'instruction que l'intéressé a été admis le 20 janvier 2015 à l'aide juridictionnelle partielle au taux de 55%, aucun élément du dossier ne permet d'établir la date à laquelle cette décision lui a été notifiée. En l'absence d'une telle notification, aucun délai de recours contentieux n'a recommencé à courir. Par suite, la demande enregistrée le 18 juillet 2017 au greffe du tribunal administratif de Montpellier n'était pas tardive, nonobstant les délais applicables depuis l'entrée en vigueur du décret du 2 novembre 2016 portant modification du code de justice administrative tels qu'indiqués aux points 2 et 3. Il s'ensuit que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté comme tardive et par suite irrecevable la demande de M. C....
7. Il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par M. C... devant le tribunal administratif de Montpellier.
Sur la responsabilité de La Poste :
8. La décision du 6 août 1999 prononçant la radiation des cadres de M. C... pour abandon de poste à compter du 3 mai 1999 a été annulée pour erreur de droit par un arrêt n° 15MA04458 du 13 février 2015 de la cour administrative d'appel de Marseille devenu définitif au motif que l'intéressé ne pouvait être regardé comme ayant manifesté une volonté de rompre le lien l'unissant au service. L'illégalité de cette décision constitue une faute de nature à engager la responsabilité de La Poste à raison des préjudices directs et certains qu'elle a pu causer à l'intéressé.
Sur l'exception de prescription quinquennale prévue à l'article 2270-1 du code civil opposée par La Poste :
9. Aux termes de l'article 2270-1 du code civil dans sa version en vigueur jusqu'au 19 juin 2008 : " Les actions en responsabilité civile extracontractuelle se prescrivent par dix ans à compter de la manifestation du dommage ou de son aggravation. ". Aux termes de l'article 2224 du code civil, dans sa rédaction issue de la loi du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile : " Les actions personnelles (...) se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer ". Le second alinéa de l'article 2222 du même code, issu de cette même loi, dispose que : " En cas de réduction de la durée du délai de prescription (...), ce nouveau délai court à compter du jour de l'entrée en vigueur de la loi nouvelle, sans que la durée totale puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure ".
10. Lorsqu'est demandée l'indemnisation du préjudice résultant de l'illégalité d'une décision administrative, le fait générateur de la créance doit être rattaché non à l'exercice au cours duquel la décision a été prise mais à celui au cours duquel elle a été valablement notifiée.
11. Le fait générateur de la créance dont M. C... entend obtenir le paiement est la décision illégale du 6 août 1999 par laquelle La Poste a prononcé sa radiation des cadres pour abandon de poste. Le recours pour excès de pouvoir contre cette décision, enregistré au greffe du tribunal administratif de Montpellier le 2 février 2007 dans le délai de prescription alors applicable, qui avait trait au fait générateur de la créance, a interrompu le délai de prescription qui n'a recommencé à courir qu'à compter de l'arrêt du 13 février 2015 de la cour administrative de Marseille passé en force de chose jugée. Ainsi qu'il a été dit, M. C... a en outre sollicité le bénéfice de l'aide juridictionnelle dès le 5 janvier 2015. Ainsi la demande de M. C... sollicitant l'indemnisation de ses préjudices, enregistrée le 18 juillet 2017 au greffe du tribunal administratif de Montpellier, a été introduite avant l'expiration du délai de prescription. L'exception de prescription quinquennale opposée par La Poste doit ainsi être écartée.
Sur l'indemnisation des préjudices :
12. En vertu des principes généraux qui régissent la responsabilité de la puissance publique, un agent public irrégulièrement évincé a droit à la réparation intégrale du préjudice qu'il a effectivement subi du fait de la mesure illégalement prise à son encontre. Sont ainsi indemnisables les préjudices de toute nature avec lesquels l'illégalité commise présente, compte tenu de l'importance respective de cette illégalité et des fautes relevées à l'encontre de l'intéressé, un lien direct de causalité. Pour l'évaluation du montant de l'indemnité due, doit être prise en compte la perte du traitement ainsi que celle des primes et indemnités dont l'intéressé avait, pour la période en cause, une chance sérieuse de bénéficier, à l'exception de celles qui, eu égard à leur nature, à leur objet et aux conditions dans lesquelles elles sont versées, sont seulement destinées à compenser des frais, charges ou contraintes liés à l'exercice effectif des fonctions. Enfin, il y a lieu de déduire, le cas échéant, le montant des rémunérations que l'agent a pu se procurer par son travail ou les diverses allocations ou indemnités versées du fait de son inactivité au cours de la période d'éviction.
En ce qui concerne la perte de revenus :
13. La décision du 6 août 1999, à l'origine du préjudice de M. C..., a procédé à sa radiation des cadres à compter du 3 mai 1999. Si La Poste fait valoir qu'elle a versé à l'intéressé des traitements et indemnités accessoires pour la période courant du 3 mai au 6 août 1999 en exécution d'un précédent jugement n°992248 du 2 octobre 2002 du tribunal administratif de Montpellier, elle n'apporte aucun élément de nature à le justifier alors que la matérialité de ce versement est contestée. Il résulte par ailleurs de l'instruction que le traitement de M. C... lui a été versé du 27 novembre 2009 au 26 octobre 2010 période au cours de laquelle il a été placé en congé de maladie. La réparation de la perte de revenus doit ainsi couvrir une période courant du 3 mai 1999 au 27 novembre 2009.
14. Il résulte de l'instruction que M. C... a subi une perte de traitement de 176 805,63 euros sur la période d'indemnisation mentionnée au point précédent et que le montant des revenus de remplacement qu'il a perçus au cours de cette période s'élève à 66 036,94 euros. L'indemnité due à M. C... au titre de sa perte de revenus s'établit ainsi à la somme de 110 768,68 euros.
En ce qui concerne le préjudice financier :
15. Ainsi qu'il a été dit au point 12, l'ouverture du droit à indemnisation est subordonnée au caractère direct et certain des préjudices invoqués. Si M. C... demande l'indemnisation d'un préjudice financier correspondant à la différence entre la valeur de son habitation en 2001 lorsqu'il a été contraint de la vendre en raison de la diminution de ses revenus du fait de son éviction du service, et sa valeur au mois de décembre 2013, celui-ci ne présente pas de caractère certain et ne peut dès lors ouvrir droit à indemnisation.
En ce qui concerne le préjudice moral et les troubles dans les conditions d'existence :
16. Il résulte de l'instruction que du fait de la diminution très importante de ses revenus et de l'impossibilité dans laquelle il s'est alors trouvé de rembourser ses échéances d'emprunt, l'habitation dont M. C... avait fait l'acquisition à crédit a fait l'objet d'une saisie immobilière. Sa famille, composée de cinq personnes dont son épouse et ses enfants, en a été expulsée au mois de septembre 2003. Si M. C... invoque par ailleurs la durée de 10 ans durant laquelle sa famille a été amenée à vivre dans une situation de grande précarité, cette situation étant aggravée par son invalidité, l'intéressé a attendu plus de six années pour saisir la juridiction administrative afin que soit prononcée l'annulation de la décision procédant à sa radiation des cadres. Compte-tenu de ce qui précède, il sera fait une juste appréciation de son préjudice moral et de ses troubles dans les conditions d'existence en les évaluant à la somme de 30 000 euros.
17. Il résulte de tout ce qui ce qui précède que La Poste doit être condamnée à verser à M. C... une somme totale de 140 768,68 euros.
Sur les intérêts et leur capitalisation :
18. Lorsqu'ils sont demandés, les intérêts au taux légal sur le montant de l'indemnité allouée sont dus, quelle que soit la date de la demande préalable, à compter du jour où cette demande est parvenue à l'autorité compétente ou, en l'absence d'une telle demande préalablement à la saisine du juge, à compter du jour de cette saisine. Par suite, M. C... a droit aux intérêts sur l'indemnité mentionnée au point 17, à compter du 21 octobre 2014, date de réception par La Poste de sa réclamation indemnitaire.
19. La capitalisation des intérêts a été demandée le 18 juillet 2017, date de l'introduction de la requête devant le tribunal administratif de Montpellier. Il y a lieu de faire droit à cette demande à compter de cette date où était due une année d'intérêts, ainsi qu'à chaque échéance annuelle à compter de cette date.
Sur les frais liés au litige :
20. M. C... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle partielle au taux de 55 %. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions de l'article 37 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de La Poste le versement à Me Gaschinard de la somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions combinées de l'article 37 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 1703438 du 20 septembre 2019 du tribunal administratif de Montpellier est annulé.
Article 2 : La société La Poste est condamnée à verser à M. C... une somme de 140 768,68 euros, assortie des intérêts aux taux légal à compter du 21 octobre 2014 et de leur capitalisation à compter du 18 juillet 2017 puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date.
Article 3 : La société La Poste versera à Me Gaschinard, avocat de M. C..., la somme de 1 500 euros en application des dispositions combinées de l'article 37 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... C..., à la société La Poste et à Me Gaschinard.
Délibéré après l'audience du 28 mars à laquelle siégeaient :
Mme Geslan-Demaret, présidente de chambre,
M. Teulière, premier conseiller,
Mme Arquié, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 11 avril 2023.
La rapporteure,
C. Arquié
La présidente,
A. Geslan-Demaret
La greffière,
M-M. Maillat
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 20TL01585