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24/06/2021 | FRANCE | N°20PA01842

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 8ème chambre, 24 juin 2021, 20PA01842


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... C... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du 16 mai 2019 par laquelle la ministre du travail a annulé la décision de l'inspectrice du travail du 11 février 2019 et a autorisé son licenciement.

Par un jugement n° 1912534/3-2 du 26 juin 2020, le tribunal administratif de Paris a annulé la décision du 16 mai 2019 de la ministre du travail.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 23 juillet 2020 et 5 mai 2021, la

société Transavia France, représentée par Me D..., demande à la Cour :

1°) d'annuler le jug...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... C... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du 16 mai 2019 par laquelle la ministre du travail a annulé la décision de l'inspectrice du travail du 11 février 2019 et a autorisé son licenciement.

Par un jugement n° 1912534/3-2 du 26 juin 2020, le tribunal administratif de Paris a annulé la décision du 16 mai 2019 de la ministre du travail.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 23 juillet 2020 et 5 mai 2021, la société Transavia France, représentée par Me D..., demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1912534/3-2 du 26 juin 2020 du tribunal administratif de Paris ;

2°) de rejeter la demande de M. C... présentée devant le tribunal administratif de Paris ;

3°) de mettre à la charge de M. C... la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement attaqué est insuffisamment motivé ;

- il est entaché de contradictions dès lors que les premiers juges ne pouvaient relever le caractère grossier, insultant et outrancier des propos de M. C... sans en tirer les conséquences au regard de ses obligations contractuelles et de l'exécution normale du contrat ;

- les propos insultants, grossiers, dégradants tenus par M. C... à l'égard d'une autre déléguée du personnel, accompagnés d'un déchainement de violence sont établis ; M. C... a méconnu ses obligations contractuelles notamment celle de ne pas porter atteinte à la santé et à la sécurité d'autres membres du personnel même si ces derniers sont d'autres délégués du personnel ; ces agissements constituent également un exercice anormal de son mandat de représentant du personnel ; la mesure de licenciement est par suite justifiée ;

- la décision du 25 octobre 2018 de la ministre du travail s'est substituée à la décision implicite du 5 septembre 2018 et le motif de procédure retenu pour annuler la procédure de licenciement était régularisable ;

- les dispositions de l'article L. 1332-4 du code du travail n'ont pas été méconnues ;

- elle pouvait légalement renouveler et régulariser la procédure de licenciement dès lors que la première procédure était entachée d'une erreur substantielle de procédure ;

- il n'y a pas de lien entre la demande d'autorisation de licenciement et les mandats exercés par le salarié ;

- aucun motif d'intérêt général ne justifie que l'autorisation de licenciement soit refusée.

Par un mémoire, enregistré le 10 mars 2021, la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion s'associe aux conclusions de la société Transavia France tendant à l'annulation du jugement du 26 juin 2020 du tribunal administratif de Paris et au rejet de la demande présentée par M. C... devant ce tribunal.

La ministre du travail déclare reprendre les observations produites devant les premiers juges.

Elle soutient en outre que :

- l'employeur a fait le choix de se placer sur le terrain du motif disciplinaire pour demander l'autorisation de licencier M. C... ;

- l'attitude du salarié constituait un manquement à l'obligation d'adopter un comportement correct, intrinsèquement attachée à tous les contrats de travail et plus particulièrement à celui d'un chef de cabine dont le métier requiert des obligations spécifiques de courtoisie, de civilité et de maitrise de soi ;

- le tribunal n'a pas pris en considération les propos outrageants tenus par ce salarié envers la direction de la société et qui ont été considérés comme étant matériellement établis et fautifs par l'autorité ministérielle ;

- les faits reprochés à M. C... relèvent du terrain disciplinaire et qu'ils étaient établis et suffisamment graves pour justifier son licenciement.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 23 mars et 25 mai 2021, M. C..., représenté par Me de la Ferté-Sénectère, conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 3 000 euros soit mise à la charge de l'Etat sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- les moyens soulevés par la société Transavia France ne sont pas fondés ;

- la seconde procédure d'autorisation de licenciement est irrecevable dès lors que la décision de l'inspecteur du travail du 23 avril 2018 était devenue définitive à la date de la décision de la ministre du travail du 25 octobre 2018 ; la société Transavia France était forclose quand elle a saisi le tribunal ; en outre, la nouvelle demande d'autorisation de licenciement a méconnu les dispositions de l'article L. 1332-4 du code du travail ; par ailleurs, elle ne reposait sur aucun élément de droit ou de fait nouveau ;

- la décision du 16 mai 2019, en ce qu'elle n'analyse pas le motif d'intérêt général, est insuffisamment motivée ;

- la mesure de licenciement est en lien avec son activité syndicale ;

- il existe un motif d'intérêt général justifiant le refus d'autorisation de licenciement.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code du travail ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme E...,

- les conclusions de Mme Bernard, rapporteure publique,

- et les observations de Me D..., avocat de la société Transavia France et Me de la Ferté-Sénectère, avocat de M. C....

Une note en délibéré a été présentée le 7 juin 2021 pour la société Transavia France.

Considérant ce qui suit :

1. La société Transavia France, qui exerce une activité de transport aérien de passagers, a recruté M. C... en qualité de steward le 8 novembre 2007. A compter du 27 octobre 2013, ce dernier a exercé les fonctions de chef de cabine ainsi que celles d'instructeur à compter du 1er avril 2014. Par ailleurs, il détenait les mandats de délégué du personnel, de représentant de section syndicale CGT et de défenseur syndical. Le 23 février 2018, la société Transavia France a sollicité de l'inspecteur du travail l'autorisation de licencier M. C... pour motif disciplinaire. Par une décision du 23 avril 2018, l'inspecteur du travail a refusé d'accorder cette autorisation au motif que les faits reprochés au salarié n'étaient pas suffisamment graves pour justifier un licenciement et que le lien entre la mesure de licenciement et ses mandats ne pouvait être exclu. Saisie le 4 mai 2018 d'un recours hiérarchique formé par la société Transavia France, la ministre du travail a, par une décision du 25 octobre 2018 qui s'est substituée à la décision implicite née le 5 septembre 2018, confirmé la décision de l'inspecteur du travail au motif que la procédure suivie par l'employeur était irrégulière pour méconnaissance du délai de convocation à l'entretien préalable au licenciement fixé par les articles L. 1232-2 et R. 1231-1 du code du travail. Le 12 décembre 2018, la société Transavia France a de nouveau sollicité de l'inspecteur du travail l'autorisation de licencier M. C... pour motif disciplinaire. Par une décision du 11 février 2019, l'inspecteur du travail a refusé d'accorder cette autorisation. Par une décision du 16 mai 2019, la ministre du travail a, sur recours hiérarchique de la société Transavia France, annulé la décision de l'inspectrice du travail du 11 février 2019 et a accordé l'autorisation de licencier M. C.... Par un jugement du 26 juin 2020, le tribunal administratif de Paris a annulé cette décision. La société Transavia France relève appel de ce jugement.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Il ressort des termes du jugement attaqué que les premiers juges ont exposé de manière suffisamment précise les motifs pour lesquels ils ont considéré que la ministre du travail ne pouvait légalement estimer que les faits reprochés au salarié constituaient une faute de nature à justifier un licenciement pour motif disciplinaire et qu'elle ne pouvait ainsi légalement annuler la décision de l'inspectrice du travail du 11 février 2019. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisante motivation du jugement attaqué doit être écarté.

Sur la décision du 16 mai 2019 de la ministre du travail :

En ce qui concerne le moyen d'annulation retenu par le tribunal :

3. En vertu des dispositions du code du travail, le licenciement des salariés légalement investis de fonctions représentatives, qui bénéficient d'une protection exceptionnelle dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent, ne peut intervenir que sur autorisation de l'inspecteur du travail. Lorsque leur licenciement est envisagé, celui-ci ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou avec leur appartenance syndicale. Dans le cas où la demande de licenciement est motivée par un comportement fautif, il appartient à l'inspecteur du travail saisi et, le cas échéant, au ministre compétent, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si les faits reprochés au salarié sont d'une gravité suffisante pour justifier le licenciement, compte tenu de l'ensemble des règles applicables au contrat de travail de l'intéressé et des exigences propres à l'exécution normale du mandat dont il est investi. Un agissement du salarié intervenu en-dehors de l'exécution de son contrat de travail ne peut motiver un licenciement pour faute, sauf s'il traduit la méconnaissance par l'intéressé d'une obligation découlant de ce contrat.

4. Il ressort des pièces du dossier que le 8 février 2018, lors de la réunion mensuelle organisée par la direction de la société Transavia France avec les délégués du personnel afin de débattre sur les questions posées par les salariés par l'intermédiaire de leurs représentants, M. C... a tenu des propos grossièrement sexistes, obscènes et délibérément humiliants à l'égard d'une déléguée du personnel appartenant à un syndicat concurrent, Mme P., puis a tenté d'avancer en sa direction après que celle-ci lui ait jeté un petit projectile en réaction aux insultes proférées et lui a renvoyé ce projectile. Les agissements de M. C..., délibérément commis à l'encontre d'une déléguée du personnel sur le lieu de travail, quand bien même ils faisaient suite à une discorde ayant impliqué des provocations de celle-ci et dont il n'est pas justifié que les représentants de la direction auraient tenté d'y mettre un terme alors que cette personne et M. C... étaient notoirement en conflit syndical et personnel, doivent être regardés comme constituant une méconnaissance par M. C... de son obligation, découlant de son contrat de travail. Il s'ensuit que la société Transavia France est fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal a annulé la décision de la ministre du travail du 16 mai 2019 au motif que les faits commis par M. C... ne traduisaient pas une méconnaissance d'une obligation découlant de son contrat de travail et qu'ils ne constituaient pas une faute de nature à justifier un licenciement pour motif disciplinaire.

5. Il appartient toutefois à la Cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. C... devant le tribunal administratif de Paris.

Sur le moyen tiré de la prescription soulevé par M. C... devant le tribunal, sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres moyens :

6. L'article L. 1332-4 du code du travail dispose que : " Aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l'engagement de poursuites disciplinaires au-delà d'un délai de deux mois à compter du jour où l'employeur en a eu connaissance, à moins que ce fait ait donné lieu dans le même délai à l'exercice de poursuites pénales. ". Aux termes de l'article R. 2422-1 du même code : " Le ministre chargé du travail peut annuler ou réformer la décision de l'inspecteur du travail sur le recours de l'employeur, du salarié ou du syndicat que ce salarié représente ou auquel il a donné mandat à cet effet. Ce recours est introduit dans un délai de deux mois à compter de la notification de la décision de l'inspecteur. Le silence gardé pendant plus de quatre mois sur ce recours vaut décision de rejet. ".

7. Lorsqu'il est saisi d'un recours hiérarchique contre une décision d'un inspecteur du travail statuant sur une demande d'autorisation de licenciement d'un salarié protégé, le ministre compétent doit, soit confirmer cette décision, soit, si celle-ci est illégale, l'annuler, puis se prononcer de nouveau sur la demande d'autorisation de licenciement compte tenu des circonstances de droit et de fait à la date à laquelle il prend sa propre décision.

8. Il ressort des pièces du dossier, comme il a déjà été dit, que saisi le 23 février 2018 par la société Transavia France, l'inspecteur du travail a, par une décision du 23 avril 2018, refusé d'accorder l'autorisation de licencier M. C... pour motif disciplinaire au motif que " les fautes reprochées à M. C... ne sont pas suffisamment graves pour justifier un licenciement et que le lien avec ses fonctions de délégué du personnel titulaire, représentant de section syndicale CGT et défenseur syndical ne saurait être exclu ". Le 4 mai 2018, la société Transavia France a formé auprès de la ministre du travail un recours hiérarchique contre la décision de l'inspecteur du travail. Une décision implicite de rejet de ce recours hiérarchique est née le 5 septembre 2018. Par une décision du 25 octobre 2018, qui s'est substituée à la décision implicite, la ministre du travail a, en se fondant sur l'unique motif tiré de l'irrégularité de la procédure interne à l'entreprise, confirmé la décision de l'inspecteur du travail du 23 avril 2018. L'article 1er de la décision de la ministre du travail se bornant à confirmer, comme il vient d'être dit, la décision de l'inspecteur du travail en date du 23 avril 2018, les motifs de cette dernière décision, qui s'était prononcée sur le motif de la demande de licenciement en considérant notamment que " les fautes reprochées à M. C... ne sont pas suffisamment graves pour justifier un licenciement " étaient devenus définitifs lorsque, par un courrier du 8 novembre 2018 la société Transavia France, reprenant la procédure de licenciement, a convoqué M. C... à un nouvel entretien préalable fixé au 27 novembre 2018, la circonstance que la décision de la ministre du travail mentionnait les voies et délais de recours étant sans incidence à cet égard. Il suit de là que M. C... est fondé à soutenir que les faits qui lui ont été reprochés ne pouvaient pas faire l'objet de la seconde procédure de licenciement, engagée le 8 novembre 2018, dès lors qu'ils étaient prescrits à cette date.

9. Il résulte de ce qui précède que la société Transavia France n'est pas fondée à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a annulé la décision de la ministre du travail du 16 mai 2019.

Sur les frais liés à l'instance :

10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de M. C..., qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que demande la société Transavia France au titre des frais liés à l'instance. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme que demande M. C... sur le fondement des mêmes dispositions.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de la société Transavia France est rejetée.

Article 2 : Les conclusions présentées par M. C... tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société Transavia France, à M. A... C... et à la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion.

Délibéré après l'audience du 3 juin 2021, à laquelle siégeaient :

- Mme Vinot, présidente de chambre,

- Mme B..., première conseillère,

- Mme E..., première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 24 juin 2021.

La rapporteure,

V. E...

La présidente,

H. VINOT

La greffière,

Y. HERBERLa République mande et ordonne à la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion en ce qui la concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 20PA01842


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 8ème chambre
Numéro d'arrêt : 20PA01842
Date de la décision : 24/06/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

66-07-01 Travail et emploi. Licenciements. Autorisation administrative - Salariés protégés.


Composition du Tribunal
Président : Mme VINOT
Rapporteur ?: Mme Virginie LARSONNIER
Rapporteur public ?: Mme BERNARD
Avocat(s) : AARPI GIDE-LOYRETTE-NOUEL

Origine de la décision
Date de l'import : 27/07/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2021-06-24;20pa01842 ?
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