Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
L'association " Eau et rivières de Bretagne " a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler l'arrêté en date du 6 novembre 2017 par lequel le préfet des
Côtes d'Armor a autorisé la SCEA de Kerfos à exploiter un élevage porcin d'une capacité maximale de 7 170 animaux équivalents sur le territoire de la commune de Minihy-Tréguier.
Par un jugement n° 1802232 du 10 juillet 2020, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 9 septembre 2020 et 18 mars 2022, l'association " Eau et rivières de Bretagne ", représentée par Me Delalande, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 10 juillet 2020 du tribunal administratif de Rennes ;
2°) d'annuler l'arrêté en date du 6 novembre 2017 du préfet des Côtes d'Armor ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- sa requête est recevable eu égard à la date de notification du jugement ; elle dispose d'un intérêt à agir eu égard à son objet statutaire, à la portée de l'arrêté contesté, et à son agrément délivré au titre de l'article L. 141-1 du code de l'environnement ; son président dispose d'un mandat régulier ; sa demande de première instance n'était pas tardive eu égard au courrier du préfet des Côtes d'Armor lui accordant un délai supplémentaire de deux mois à compter de son recours gracieux du 31 janvier 2018 ;
- le jugement est irrégulier en l'absence de réponse aux moyens tirés du caractère insuffisant de l'étude d'impact au regard de l'article R. 122-5 du code de l'environnement et, au regard du plan d'épandage, de la violation de l'arrêté du 19 décembre 2011 relatif au programme d'action national à mettre en œuvre dans les zones vulnérables afin de réduire la pollution des eaux par les nitrates d'origine agricole ;
- les dispositions de l'article 6 de la directive 2011/92/UE ont été méconnues dès lors que l'autorité environnementale qui s'est prononcée est le préfet de région, après instruction par la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement du territoire et du logement, laquelle dépend directement du préfet de région ; ce vice est insusceptible d'être régularisé ;
- la demande n'a pas été instruite par l'autorité environnementale alors que cela s'imposait au regard des articles L. 122-11 et R. 122-7 du code de l'environnement ;
- en méconnaissance de l'article R. 122-5 du code de l'environnement, le contenu de l'étude d'impact, inadapté, est insuffisant concernant la présentation de l'état initial du site ; l'information de la population a été incomplète et cela a influé sur la décision préfectorale ;
- la décision méconnait les dispositions des articles L. 1321-2 et R. 1321-13 du code de la santé publique en l'absence de réalisation de la note prévue à l'article 4.1.A de l'arrêté préfectoral du 26 avril 1990 déclarant d'utilité publique l'instauration de périmètres de protection autour de la prise d'eau du Guindy de Pont Scoul et de disposition recensant les mesures prises pour éviter les pollutions de l'eau dans les études d'impact et de dangers ; l'étude de dangers n'examine pas le risque de débordement des fosses ni le risque de fuite accidentelle ;
- la décision est entachée d'une erreur d'appréciation dès lors que le projet contrevient aux dispositions de l'article 27-1 de l'arrêté ministériel du 27 décembre 2013 relatif aux prescriptions d'exploitation ; le plan d'épandage ne respecte pas l'équilibre de la fertilisation des sols agricoles ; les bilans sont excédentaires pour l'azote pour les cinq exploitations et pour les apports de potasse ; le plan méconnait l'arrêté du 19 décembre 2011 relatif au programme d'actions national à mettre en œuvre dans les zones vulnérables afin de réduire la pollution des eaux par les nitrates d'origine agricole dès lors que l'équilibre de fertilisation n'est pas respecté ; alors que le respect de la limitation d'azote se fait pour chaque exploitation, le pétitionnaire ne démontre pas le respect de cet équilibre à l'échelle de la parcelle ou de l'ilot d'épandage ; trois exploitations sur cinq du plan d'épandage présentent des pressions azotées dépassant les 170 kg/ha fixés par l'arrêté du 19 décembre 2011.
Par un mémoire en défense, enregistré le 13 avril 2021, la ministre de la transition écologique conclut au rejet de la requête.
Elle soutient que les moyens soulevés par l'association " Eau et rivières de Bretagne " ne sont pas fondés.
Par des mémoires enregistrés les 5 février et 29 octobre 2021 et le 4 avril 2022, la SCEA de Kerfos, représentée par Me Barbier, demande à la cour :
1°) de rejeter la requête ;
2°) subsidiairement, en tant que de besoin, s'agissant de la consultation de l'autorité environnementale, de faire procéder à la régularisation de l'arrêté dans les conditions fixées par l'article L. 181-18 du code de l'environnement, sans qu'il y ait lieu de suspendre tout ou partie de l'autorisation ;
3°) de mettre à la charge de l'association " Eau et rivières de Bretagne " la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la demande de première instance était irrecevable ; l'auteur de la demande ne pouvait être identifié ; elle était tardive dès lors que le recours gracieux de l'association, signé par une personne dont le mandat n'est pas établi, n'a pas conservé les délais de recours contentieux puisqu'il a été reçu en préfecture plus de deux mois après que la décision contestée avait fait l'objet de la mesure de publicité requise ;
- le moyen d'appel relatif à l'insuffisance de l'étude d'impact est irrecevable en l'absence de motivation ;
- le moyen tiré de la méconnaissance des articles L. 1321-1 et R. 1321-3 du code de la santé publique est inopérant s'agissant d'une législation distincte ;
- les moyens soulevés par l'association " Eau et rivières de Bretagne " ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier. 91/676
Vu :
- la directive 2011/92/UE du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011 concernant l'évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l'environnement ;
- le code de l'environnement ;
- le code de la santé publique ;
- l'ordonnance n° 2017-80 du 26 janvier 2017 ;
- l'arrêté du 19 décembre 2011 relatif au programme d'actions national à mettre en œuvre dans les zones vulnérables afin de réduire la pollution des eaux par les nitrates d'origine agricole ;
- l'arrêté du 27 décembre 2013 relatif aux prescriptions générales applicables aux installations relevant du régime de l'autorisation au titre des rubriques n° 2101, n° 2102, n° 2111 et n° 3660 de la nomenclature des installations classées pour la protection de l'environnement ;
- les arrêtés du préfet de la région Bretagne des 14 mars 2014 et 2 août 2018 établissant le programme d'actions régional en vue de la protection des eaux contre la pollution par
les nitrates d'origine agricole ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. A...,
- les conclusions de M. Mas, rapporteur public,
- et les observations de Me Barbier, représentant la SCEA de Kerfos.
Une note en délibéré présentée pour la SCEA de Kerfos a été enregistrée le 7 octobre 2022.
Considérant ce qui suit :
1. La SCEA de Kerfos, qui exploite au lieu-dit " Kerfos " sur le territoire de la commune de Minihy-Tréguier (Côtes d'Armor) un élevage porcin, a déposé le 17 août 2016 auprès des services préfectoraux une demande afin d'être autorisée à porter son cheptel de 3 701 à 7 170 animaux équivalents. Par arrêté du 6 novembre 2017 le préfet des Côtes d'Armor a autorisé la SCEA de Kerfos à procéder à cette extension. L'association " Eau et rivières de Bretagne " relève appel du jugement du 10 juillet 2020 par lequel le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté préfectoral.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
En ce qui concerne le cadre juridique applicable au litige :
2. Il appartient au juge du plein contentieux des installations classées pour la protection de l'environnement d'apprécier le respect des règles de procédure régissant la demande d'autorisation au regard des circonstances de fait et de droit en vigueur à la date de la délivrance de l'autorisation, et celui des règles de fond relatives à la protection de l'environnement régissant l'installation au regard des circonstances de fait et de droit en vigueur à la date à laquelle il se prononce.
3. Aux termes de l'article 15 de l'ordonnance du 26 janvier 2017 relative à l'autorisation environnementale : " Les dispositions de la présente ordonnance entrent en vigueur le 1er mars 2017, sous réserve des dispositions suivantes : (...) / 2° Les demandes d'autorisation au titre du chapitre IV du titre Ier du livre II ou du chapitre II du titre Ier du livre V du code de l'environnement, ou de l'ordonnance n° 2014-355 du 20 mars 2014 ou de l'ordonnance n° 2014-619 du 12 juin 2014 régulièrement déposées avant le 1er mars 2017 sont instruites et délivrées selon les dispositions législatives et réglementaires dans leur rédaction antérieure à l'entrée en vigueur de la présente ordonnance ; après leur délivrance, le régime prévu par le 1° leur est applicable ; / (...). ".
4. Il résulte de ces dispositions que les demandes d'autorisation au titre du chapitre II du titre Ier du livre V du code de l'environnement, régulièrement déposées avant le 1er mars 2017, sont instruites et délivrées selon les dispositions législatives et réglementaires dans leur rédaction antérieure à l'entrée en vigueur de l'ordonnance du 26 janvier 2017, intervenue le 1er mars 2017.
5. En l'espèce, il est constant que la demande d'autorisation à l'origine de l'arrêté contesté a été déposée par la SCEA de Kerfos le 17 août 2016 et complétée le 2 novembre suivant. Dès lors, en application des dispositions précitées du 2° de l'article 15 de l'ordonnance du 26 janvier 2017, les règles de procédure régissant la demande d'autorisation sont constituées par les dispositions législatives et réglementaires dans leur rédaction antérieure à l'entrée en vigueur de cette ordonnance, intervenue le 1er mars 2017.
En ce qui concerne les fins de non-recevoir opposées à la demande de première instance :
6. Aux termes de l'article R. 181-50 du code de l'environnement dans sa rédaction applicable au présent litige, par application des principes rappelés au point 2 : " Les décisions mentionnées aux articles L. 181-12 à L. 181-15 peuvent être déférées à la juridiction administrative (...) 2° Par les tiers intéressés en raison des inconvénients ou des dangers pour les intérêts mentionnés à l'article L. 181-3, dans un délai de quatre mois à compter de :/ a) L'affichage en mairie dans les conditions prévues au 2° de l'article R. 181-44 ; / b) La publication de la décision sur le site internet de la préfecture prévue au 4° du même article. / Le délai court à compter de la dernière formalité accomplie. Si l'affichage constitue cette dernière formalité, le délai court à compter du premier jour d'affichage de la décision. / Les décisions mentionnées au premier alinéa peuvent faire l'objet d'un recours gracieux ou hiérarchique dans le délai de deux mois. Ce recours administratif prolonge de deux mois les délais mentionnés aux 1° et 2°. ".
7. Lorsque les mentions relatives au délai de recours contre une décision administrative figurant dans la notification de cette décision sont erronées, elles doivent être regardées comme seules opposables au destinataire de la décision lorsqu'elles conduisent à indiquer un délai plus long que celui qui résulterait des dispositions normalement applicables. Par conséquent, une erreur sur le délai de naissance d'une décision implicite a pour effet de prolonger le délai de recours contentieux, mais sans faire obstacle à ce que ce délai coure.
8. Il résulte de l'instruction que l'arrêté contesté du préfet des Côtes d'Armor du 6 novembre 2017, portant mention des voies et délais de recours, a fait l'objet d'un affichage en mairie de Minihy-Tréguier du 16 novembre au 17 décembre 2017 et a été publié sur le site internet de la préfecture de ce département le 29 novembre 2017. Cette dernière date constituant la dernière mesure de publicité requise par les dispositions précitées de l'article R. 181-50 du code de l'environnement, elle constituait le point de départ des délais de recours prévus par ce même article. Or l'association " Eau et rivières de Bretagne " n'a formé un recours gracieux contre cet arrêté que le 31 janvier 2018, reçu en préfecture le 5 février suivant, soit après le terme des deux mois requis par le dernier alinéa de l'article R. 181-50 précité, mais dans le délai de quatre mois lui permettant d'introduire un recours contentieux. Toutefois, avant l'issue de ce dernier terme, et par un courrier du 12 mars 2018, le préfet des Côtes d'Armor a rejeté le recours gracieux de l'association, en lui indiquant qu'elle pouvait " introduire une requête contentieuse près le tribunal administratif de Rennes dans un délai de 4 mois " et que son " recours gracieux du 31 janvier 2018, reçu en préfecture le 5 février suivant, prolonge de deux mois les délais mentionnés ". Dès lors le recours formé devant le tribunal administratif de Rennes par l'association " Eau et rivières de Bretagne " contre l'arrêté du 6 novembre 2017, présenté le 12 mai 2018 dans les délais ainsi indiqués, n'était pas tardif.
9. Il résulte par ailleurs de l'instruction que la requête de première instance, tout comme le recours gracieux, ont été signés par " le chargé de mission juridique " de l'association " Eau et rivières de Bretagne ", alors même qu'en première page de la requête il avait été indiqué " l'association " Eau et rivières de Bretagne " agissant sous la signature de son président en exercice ". A cette requête avaient été joints une copie de ses statuts et un extrait des délibérations de son conseil d'administration du 10 janvier 2018 donnant notamment mandat et pouvoir, dans le respect des statuts, à son chargé de mission juridique pour engager un recours contre l'arrêté préfectoral du 6 novembre 2017 et représenter l'association.
10. Par suite, la SCEA de Kerfos n'est pas fondée à soutenir que la demande de première instance de l'association " Eau et rivières de Bretagne " serait irrecevable en raison de sa tardiveté et du défaut d'identification et de mandat, pour représenter l'association, du signataire du recours gracieux et de la requête.
En ce qui concerne la légalité de l'autorisation contestée :
11. Il résulte de l'instruction que l'accroissement de 3 701 à 7 170 animaux du cheptel de le SCEA de Kerfos entrainera une augmentation significative de l'azote produit. Le rapport du 10 octobre 2017 de l'inspecteur des installations classées présenté au Conseil départemental de l'environnement et des risques sanitaires et technologiques (CODERST) des Côtes d'Armor mentionne ainsi une hausse de cette production de 25 508 uN à 49 603 uN. L'exploitant a prévu en conséquence un enlèvement par une coopérative, un épandage chez quatre exploitants tiers des lisiers correspondants et une gestion directe d'une partie des effluents, sous forme notamment d'épandage, l'ensemble donnant lieu à la production d'un plan d'épandage dont la régularité conditionne la légalité de l'autorisation ici en cause.
12. D'une part, aux termes de l'article L. 511-1 du code de l'environnement : " Sont soumis aux dispositions du présent titre (...) les installations exploitées ou détenues par toute personne physique ou morale, publique ou privée, qui peuvent présenter des dangers ou des inconvénients soit pour la commodité du voisinage, soit pour la santé, la sécurité, la salubrité publiques, soit pour l'agriculture, soit pour la protection de la nature, de l'environnement et des paysages, soit pour l'utilisation économe des sols naturels, agricoles ou forestiers, soit pour l'utilisation rationnelle de l'énergie, soit pour la conservation des sites et des monuments ainsi que des éléments du patrimoine archéologique. ". Et aux termes de l'article 26 de l'arrêté ministériel du 27 décembre 2013 relatif aux prescriptions générales applicables aux installations relevant du régime de l'autorisation au titre des rubriques n° 2101, n° 2102, n° 2111 et n° 3660 de la nomenclature des installations classées pour la protection de l'environnement, l'autorisation en débat relevant de la rubrique 3660 : " (...) L'épandage sur des terres agricoles des effluents d'élevage, bruts ou traités, est soumis à la production d'un plan d'épandage, dans les conditions prévues aux articles 27-1 à 27-5. (...) ". Aux termes de l'article 27-1 du même arrêté : " Les effluents d'élevage bruts ou traités peuvent être épandus afin d'être soumis à une épuration naturelle par le sol et d'être valorisés par le couvert végétal. / Les quantités épandues d'effluents d'élevage bruts ou traités sont adaptées de manière à assurer l'apport des éléments utiles aux sols et aux cultures sans excéder leurs besoins et leurs capacités exportatrices compte tenu des apports de toute nature qu'ils peuvent recevoir par ailleurs. / En zone vulnérable aux pollutions par les nitrates, la dose d'azote épandue est déterminée conformément aux règles définies par les programmes d'actions nitrates en matière notamment d'équilibre prévisionnel de la fertilisation azotée. / Les quantités épandues et les périodes d'épandage des effluents d'élevage et des matières issues de leur traitement sont adaptées de manière à prévenir : / - la stagnation prolongée sur les sols ;/ - le ruissellement en dehors des parcelles d'épandage ;/ - une percolation rapide vers les nappes souterraines. ". Et aux termes de l'article 27-4 du même arrêté : " La superficie du plan d'épandage est réputée suffisante lorsque la quantité d'azote épandable issue des animaux de l'installation et destinée à être épandue mécaniquement ou par les animaux eux-mêmes n'excède pas les capacités d'exportation en azote des cultures et des prairies exploitées en propre et/ou mises à disposition. La superficie est calculée sur la base des informations figurant dans les conventions d'épandage compte tenu des quantités d'azote épandable produites ou reçues par ailleurs par le prêteur de terres (...). "
13. D'autre part, aux termes de l'article R. 211-80 du code de l'environnement : " I. L'utilisation des fertilisants organiques et minéraux, naturels et de synthèse contenant des composés azotés, ci-après dénommés fertilisants azotés, ainsi que les pratiques agricoles associées font l'objet de programmes d'actions dans les zones vulnérables délimitées conformément aux dispositions de l'article R. 211-77. / II. - Ces programmes comportent les mesures et actions nécessaires à une bonne maîtrise des fertilisants azotés et à une gestion adaptée des terres agricoles dans ces zones, en vue de limiter les fuites de nitrates à un niveau compatible avec les objectifs de restauration et de préservation de la qualité des eaux souterraines, des eaux douces superficielles et des eaux des estuaires, des eaux côtières et marines. / (...) IV.- Ces programmes d'actions comprennent : / 1° Un programme d'actions national constitué de mesures nationales communes à l'ensemble des zones vulnérables ; / 2° Des programmes d'actions régionaux constitués de mesures spécifiques à chaque zone ou partie de zone vulnérable. (...) ". Aux termes de l'article R. 211-81 du même code : " I.- Les mesures du programme d'actions national comprennent : / (...) 3° Les modalités de limitation de l'épandage des fertilisants azotés fondée sur un équilibre, pour chaque parcelle, entre les besoins prévisibles en azote des cultures et les apports en azote de toute nature, y compris l'azote de l'eau d'irrigation ;/ (...) 5° La limitation de la quantité maximale d'azote contenu dans les effluents d'élevage pouvant être épandue annuellement par chaque exploitation, y compris les déjections des animaux eux-mêmes, ainsi que les modalités de calcul associées ; cette quantité ne peut être supérieure à 170 kg d'azote par hectare de surface agricole utile. (...). ".
14. Il résulte des dispositions de l'article 27-1 de l'arrêté ministériel du 27 décembre 2013 citées au point 12, qu'indépendamment de la réglementation applicable en zone vulnérable aux pollutions par les nitrates telle qu'elle résulte des dispositions précitées des articles R. 211-80 et suivants du code de l'environnement, lorsqu'une demande d'autorisation relative à un élevage de porcs comporte un plan d'épandage, les quantités épandues d'effluents d'élevage ne peuvent excéder les besoins et les capacités exportatrices des sols et des plantes les recevant, compte tenu des apports de toute nature qu'ils peuvent recevoir par ailleurs.
15. Or, la SCEA de Kerfos a produit, dans l'étude d'impact réalisée à l'appui de sa demande d'autorisation, un bilan de fertilisation par exploitation intégrée au plan d'épandage, dont il résulte que chacune de ces exploitations présentera un solde excédentaire variant de 8 à 37 kg d'azote par hectare de surface agricole utile (SAU), contraire à l'obligation d'équilibre rappelée au point précédent.
16. La circonstance que ce solde excédentaire soit inférieur à celui préexistant au projet d'extension de l'installation classée, ainsi que le relève le commissaire enquêteur dans son rapport, est sans incidence sur l'appréciation de la situation au regard de la réglementation citée au point 12.
17. La SCEA fait par ailleurs valoir que son plan d'épandage a été modifié par des avenants des 2 et 18 août 2017, conduisant alors l'inspecteur des installations classées rapporteur auprès du CODERST à conclure au fait que la gestion proposée répondait " aux consignes et exigences réglementaires ". Toutefois, ces avenants ne sont pas mentionnés par l'arrêté préfectoral contesté, qui se borne à viser la demande d'autorisation du 17 août 2016 complétée le 2 novembre 2016, alors que cet arrêté fixe le cadre réglementaire autorisant l'exploitation de l'élevage, dont les conditions d'épandage sont un élément substantiel soumis à enquête publique. Aussi ces avenants, dont il n'est au demeurant pas même soutenu qu'ils répondraient à l'objectif d'équilibre entre les apports et les besoins des sols et des plantes, sont sans incidence sur l'autorisation en litige.
18. La SCEA et le ministre de la transition écologique font également valoir que le plan d'épandage entériné respecte le maximum de 170 kg d'apport de nitrate par hectare de surface utile tel que fixé au 5° de l'article R. 211-81 du code de l'environnement. Une telle limite est bien applicable dès lors que la région Bretagne est classée en totalité en zone vulnérable aux pollutions par les nitrates au sens de l'article R. 211-80 du code de l'environnement, et a donné lieu à des arrêtés du préfet de la région Bretagne des 14 mars 2014 et 2 août 2018 établissant respectivement le 5ème et le 6ème programme d'actions régional en vue de la protection des eaux contre la pollution par les nitrates d'origine agricole, pris en application de l'article R. 211-80 du code de l'environnement. Toutefois, ainsi qu'il a été dit au point 14 du présent arrêt, le respect de ce plafond de 170 kg/ha ne dispense pas du respect du principe d'équilibre entre les apports et les besoins des sols et des plantes posées par l'article 27-1 de l'arrêté ministériel du 27 décembre 2013.
19. La SCEA de Kerfos fait enfin valoir que les éléments chiffrés qu'elle a présentés à l'appui de sa demande d'autorisation ne seraient pas pertinents en ce qu'ils ont été calculés afin d'assurer la conformité de son plan d'épandage global aux dispositions de l'arrêté préfectoral du 14 mars 2014 mentionné ci-dessus, ce qui nécessitait d'intégrer aux calculs, outre les apports d'azote organique épandus, ceux d'azote minéral. Cependant, outre que cet arrêté préfectoral n'est plus en vigueur, il ne résulte pas de l'instruction que, pour apprécier l'adaptation des quantités épandues d'effluents aux besoins et capacités des sols et des cultures en application de l'article 27-1 de l'arrêté ministériel du 27 décembre 2013 cité au point 12, il n'y aurait pas lieu de prendre en compte les apports d'azote minéral épandu ou présent dans le sol. Au surplus, la SCEA n'établit pas qu'un calcul alternatif permettrait de satisfaire au respect des obligations d'équilibre lui incombant en matière d'apport d'azote.
20. Il résulte de tout ce qui précède que l'arrêté du 6 novembre 2017 par lequel le préfet des Côtes d'Armor a autorisé la SCEA de Kerfos à exploiter un élevage porcin d'une capacité maximale de 7 170 animaux équivalents est intervenu en méconnaissance des dispositions de l'article 27-1 de l'arrêté ministériel du 27 décembre 2013.
Sur l'application de l'article L. 181-18 du code de l'environnement :
21. Aux termes de l'article L. 181-18 du code de l'environnement : " I. - Le juge administratif qui, saisi de conclusions dirigées contre une autorisation environnementale, estime, après avoir constaté que les autres moyens ne sont pas fondés : (...) 2° Qu'un vice entraînant l'illégalité de cet acte est susceptible d'être régularisé par une autorisation modificative peut, après avoir invité les parties à présenter leurs observations, surseoir à statuer jusqu'à l'expiration du délai qu'il fixe pour cette régularisation. Si une telle autorisation modificative est notifiée dans ce délai au juge, celui-ci statue après avoir invité les parties à présenter leurs observations. / II. - En cas d'annulation ou de sursis à statuer affectant une partie seulement de l'autorisation environnementale, le juge détermine s'il y a lieu de suspendre l'exécution des parties de l'autorisation non viciées. ".
22. Le vice relevé au point 20, tiré de l'irrégularité du plan d'épandage présenté, lequel constitue un élément substantiel de la demande, implique que le projet soit revu dans des conditions à définir par l'exploitant, avant de faire l'objet d'une nouvelle instruction. La décision contestée est par suite insusceptible d'être régularisée par une autorisation modificative.
23. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner la régularité du jugement attaqué ni les autres moyens de la requête, que l'association " Eau et rivières de Bretagne " est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande.
Sur les frais d'instance :
24. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à l'octroi d'une somme au titre des frais exposés et non compris dans les dépens à la partie perdante. Il y a lieu, dès lors, de rejeter les conclusions présentées à ce titre par la SCEA de Kerfos. En revanche, il convient, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat, sur le fondement des mêmes dispositions, une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés pour l'instance par l'association " Eau et rivières de Bretagne ".
D E C I D E :
Article 1er : L'arrêté du 6 novembre 2017 par lequel le préfet des Côtes d'Armor a autorisé la SCEA de Kerfos à exploiter un élevage porcin d'une capacité maximale de 7 170 animaux équivalents sur le territoire de la commune de Minihy-Tréguier est annulé.
Article 2 : l'Etat versera à l'association " Eau et rivières de Bretagne " la somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Les conclusions présentées par la SCEA de Kerfos sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à l'association " Eau et rivières de Bretagne ", au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires et à la SCEA de Kerfos.
Copie en sera adressée, pour information, au préfet des Côtes d'Armor.
Délibéré après l'audience du 30 septembre 2022, à laquelle siégeaient :
- M. Francfort, président de chambre,
- M. Rivas, président assesseur,
- M. Frank, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 18 octobre 2022.
Le rapporteur,
C. A...
Le président,
J. FRANCFORT
Le greffier,
C. GOY
La République mande et ordonne au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 20NT02853