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09/11/2021 | FRANCE | N°20NT01535

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 6ème chambre, 09 novembre 2021, 20NT01535


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... A... a demandé au tribunal administratif de Caen d'annuler la décision du 20 avril 2018 par laquelle la ministre des armées a décidé de présenter son dossier devant la commission de réforme des militaires et la décision implicite rejetant son recours administratif préalable obligatoire. Il a également demandé au tribunal d'enjoindre à la ministre de reconnaître l'imputabilité au service de sa pathologie liée aux évènements du 19 février 2018.

Par une deuxième requête, M. A... a de

mandé au tribunal administratif d'annuler l'arrêté du 13 juin 2018 par lequel la ministr...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... A... a demandé au tribunal administratif de Caen d'annuler la décision du 20 avril 2018 par laquelle la ministre des armées a décidé de présenter son dossier devant la commission de réforme des militaires et la décision implicite rejetant son recours administratif préalable obligatoire. Il a également demandé au tribunal d'enjoindre à la ministre de reconnaître l'imputabilité au service de sa pathologie liée aux évènements du 19 février 2018.

Par une deuxième requête, M. A... a demandé au tribunal administratif d'annuler l'arrêté du 13 juin 2018 par lequel la ministre des armées l'a radié des contrôles d'office à compter du 20 juin 2018 pour inaptitude physique et la décision implicite rejetant son recours administratif préalable obligatoire.

Par une troisième requête, M. A... a demandé au tribunal administratif d'annuler l'arrêté du 4 juin 2019 par lequel la ministre des armées a expressément rejeté ses recours administratifs préalables obligatoires.

Par un jugement n° 1802916, 1900040, 1901587 du 24 mars 2020, le tribunal administratif de Caen a rejeté ces trois requêtes.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire enregistrés les 22 mai 2020 et 17 mars 2021, M. A..., représenté par Me Maumont, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Caen du 24 mars 2020 ;

2°) d'annuler les décisions des 20 avril 2018, 13 juin 2018 et 4 juin 2019 ;

3°) d'enjoindre, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, à la ministre des armées de le rétablir dans sa situation antérieure à la décision du 13 juin 2018 dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 7 000 euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le jugement attaqué, qui affirme que les décisions de présentation devant la commission de réforme et de radiation des contrôles ne sont pas soumises au respect du contradictoire, est insuffisamment motivé ;

- seule la ministre des armées était compétente pour prendre l'arrêté du 13 juin 2018 en vertu des dispositions de l'article R. 4139-60 du code de la défense ; le tribunal administratif aurait dû soulevé d'office ce moyen d'ordre public ;

- cette décision ne répond pas aux exigences de l'article L. 212-1 du code des relations entre le public et l'administration ;

- cette décision aurait dû être soumise à une procédure préalable contradictoire en vertu des dispositions de l'article L. 121-1 code des relations entre le public et l'administration ; il n'a pas davantage pu formuler d'observations orales devant la commission de réforme et n'avait pas été informé en amont de la possibilité de se faire assister d'un conseil en méconnaissance des dispositions de l'article 11 de l'arrêté du 20 septembre 2006 pris en application de l'article 6 du décret n° 2006-1166 du 20 septembre 2006 et de l'article R. 4139-58 du code de la défense ;

- son inaptitude n'a pas été constatée par un médecin spécialisé en psychiatrie contrairement aux dispositions de l'article 8 de l'instruction n° 2100/DEF/DCSSA/AST/AME relative à la détermination de l'aptitude médicale à servir ; un tel vice l'a privé d'une garantie et a nécessairement influencé la décision contestée ;

- il n'est pas établi qu'un expert psychiatre aurait été présent lors de la commission de réforme du 18 mai 2018 ayant statué sur son inaptitude définitive ;

- la décision contestée est entachée d'une erreur de droit dans la mesure où il n'est pas établi qu'il ne nécessitait pas l'attribution d'un congé de maladie ainsi que le prévoit l'article 6 de l'arrêté du 20 septembre 2006 ;

- l'administration n'était pas tenue de suivre l'avis de la commission de réforme de sorte qu'elle a entaché sa décision d'une erreur de droit ;

- la décision contestée est entachée d'une erreur de fait et d'une erreur manifeste d'appréciation dès lors qu'il n'est pas établi qu'il était définitivement inapte à toute fonction, notamment en dehors de son unité ;

- cette décision est entachée d'un détournement de pouvoir et de procédure et révèle la volonté de le sanctionner dans un contexte de harcèlement moral.

Par un mémoire en défense, enregistré le 16 février 2021, la ministre des armées, conclut au rejet de la requête.

Elle soutient que les moyens soulevés par M. A... ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- l'arrêté du 20 septembre 2006 pris en application de l'article 6 du décret n°2006-1166 du 20 septembre 2006 ;

- le code de la défense ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Gélard,

- les conclusions de M. Lemoine, rapporteur public,

- et les observations de Me Di Stephano, substituant Me Maumont, représentant M. A....

Considérant ce qui suit :

1. M A... a intégré la marine nationale le 10 octobre 2016 en qualité de volontaire aspirant sous contrat pour une durée d'un an, qui a été renouvelé une fois. Il a été incorporé au sein du groupement de plongeurs-démineurs (GPD) de la Manche à Cherbourg. A compter du 18 janvier 2018, l'intéressé a été placé en arrêt de travail. Par une décision du 20 avril 2018, la ministre des armées a saisi la commission de réforme des militaires pour examiner l'inaptitude définitive de M. A.... Suivant l'avis de cette instance, la ministre des armées l'a, par un arrêté du 13 juin 2018, radié des contrôles d'office à compter du 20 juin 2018. Par un arrêté du 4 juin 2019, la ministre a rejeté les recours administratifs préalables obligatoires introduits par ce dernier contre les décisions précitées. M. A... relève appel du jugement n° 1802916, 1900040, 1901587 du 24 mars 2020, par lequel le tribunal administratif de Caen a rejeté ses requêtes.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

2. Aux termes de l'article R. 4125-1 du code de la défense : " Tout recours contentieux formé par un militaire à l'encontre d'actes relatifs à sa situation personnelle est précédé d'un recours administratif préalable, à peine d'irrecevabilité du recours contentieux. (...) ". Aux termes de l'article R. 4125-10 du même code : " Dans un délai de quatre mois à compter de sa saisine, la commission notifie à l'intéressé la décision du ministre compétent, ou le cas échéant, des ministres conjointement compétents. La décision prise sur son recours, qui est motivée en cas de rejet, se substitue à la décision initiale. (...) L'absence de décision notifiée à l'expiration du délai de quatre mois vaut décision de rejet du recours formé devant la commission. ".

3. D'une part, il résulte de ces dispositions que la décision prise à la suite du recours préalable obligatoire formé par un militaire se substitue à la décision initiale. D'autre part, si le silence gardé par l'administration sur le recours administratif préalable prévu à l'article R. 4125-1 du code de la défense fait naître, à l'issue d'un délai de quatre mois, une décision implicite de rejet qui peut être déférée au juge de l'excès de pouvoir, une décision explicite intervenue postérieurement se substitue à la première décision. La décision du 4 juin 2019 s'est ainsi substituée aux décisions des 20 avril et 13 juin 2018 ainsi qu'aux décisions implicites de rejet nées à la suite des recours administratifs préalables présentés par M. A... à l'encontre de ces décisions. Les conclusions du requérant tendant à l'annulation de ces décisions doivent être regardées comme tendant à l'annulation de la décision du 4 juin 2019.

4. Il ressort des pièces du dossier et notamment du certificat établi le 10 janvier 2018 par le docteur B..., médecin des armées, que M. A... présentait un état dépressif. Le 12 février alors qu'il avait repris le travail, l'intéressé a été victime de crises d'angoisse associées, selon lui, à un contexte professionnel difficile. Hospitalisé au service des urgences du centre hospitalier public du Cotentin le 19 février 2018, alors qu'il venait de se lacérer les poignets sur son lieu de travail, M. A... s'est plaint d'un harcèlement au travail tout en évoquant également une agression sexuelle qui se serait produite au mois d'août 2017 lors d'une permission. Selon un certificat établi le 22 février 2018, alors qu'il était placé en arrêt de travail, son état s'est amélioré. Le 28 février 2018, le centre médico-psychologique " Henry-Hecaen " qui a vu en consultation le requérant les 30 janvier, 20 février, 21 février et 26 février 2018, confirme une asthénie généralisée évoluant sur un état dépressif d'intensité moyenne qui, selon l'intéressé, s'améliorerait par le simple fait de ne plus être au travail sur la base. Le 27 mars 2018, le médecin en chef de l'hôpital d'instruction des armées décrit une anxiété généralisée avec des signes fonctionnels somatiques accompagnés d'idées suicidaires tout en ajoutant que, lorsque le patient a été placé pour emploi dans une autre unité pendant trois mois, ses symptômes anxieux ont disparu. Si ce médecin a évoqué un état de décompensation psychique avec des symptômes anxio-dépressifs accompagnés des troubles des conduites et du comportement émaillés d'éléments psychotiques le conduisant à déclarer l'intéressé inapte à la poursuite de son contrat, il a cependant souligné une cristallisation de ses problèmes relationnels au sein de son unité, évoquant un sentiment d'exclusion et de harcèlement. Par ailleurs, M. A..., dont il n'est pas établi qu'il présentait un état antérieur pathologique, se prévaut d'un certificat établi le 4 mai 2018 par le psychiatre qui le suit dans le département de la Haute-Garonne à proximité du domicile de ses parents et qui mentionne l'absence, à cette date, d'éléments dépressifs. Enfin, lors de sa séance du 12 février 2019, la commission de réforme, saisie par l'intéressé qui a contesté l'avis émis le 18 mai 2018, a estimé nécessaire de faire procéder à des examens supplémentaires avant de se prononcer sur l'inaptitude définitive de M. A.... Dans ces conditions, le requérant est fondé à soutenir que la ministre des armées a commis une erreur d'appréciation en estimant qu'il ne présentait pas l'aptitude physique nécessaire à l'exercice effectif de ses fonctions et en le radiant des contrôles pour ce motif. La décision du 4 juin 2019 doit par suite être annulée.

5. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de prononcer sur la régularité du jugement attaqué et les autres moyens de la requête, que M. A... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Caen a rejeté ses requêtes.

Sur les conclusions à fin d'injonction sous astreinte :

6. L'annulation de la décision du 4 juin 2019 impose à l'autorité compétente de réintégrer M. A... en procédant à la reconstitution de sa carrière et en le rétablissant dans ses droits à pension et dans ses droits sociaux. Il est toutefois constant que l'intéressé n'est pas apte, en l'état du dossier, à reprendre ses anciennes fonctions, de sorte que seule sa réintégration juridique reste possible. Il y a lieu en conséquence d'enjoindre à la ministre des armées de prononcer, dans un délai qui sera fixé à un mois, la réintégration juridique de M. A... à la date de prise d'effet de la décision de radiation des contrôles pour inaptitude jusqu'à ce que, après une nouvelle saisine de la commission de réforme, l'autorité compétente prenne une nouvelle décision statuant sur son éventuelle inaptitude à l'exercice de toute fonction dans les armées. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'assortir cette injonction d'une astreinte.

Sur les frais liés au litige :

7. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat le versement à M. A... d'une somme de 1 800 euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n°1802916, 1900040, 1901587 du tribunal administratif de Caen en date du 24 mars 2020 ainsi que la décision du 4 juin 2019 de la ministre des armées portant radiation des contrôles de M. A... pour inaptitude définitive sont annulés.

Article 2 : Il est enjoint à la ministre des armées de prononcer, dans un délai d'un mois, la réintégration juridique de M. A... à la date de prise d'effet de la décision de radiation des contrôles pour inaptitude jusqu'à ce que, après une nouvelle saisine de la commission de réforme, l'autorité compétente prenne une nouvelle décision statuant sur son éventuelle inaptitude à l'exercice de toute fonction dans les armées.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 4 : L'Etat versera à M. A... la somme de 1 800 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... A... et à la ministre des armées.

Délibéré après l'audience du 15 octobre 2021, à laquelle siégeaient :

- M. Gaspon, président de chambre,

- M. Coiffet, président-assesseur,

- Mme Gélard, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 9 novembre 2021.

La rapporteure,

V. GELARDLe président,

O. GASPON

La greffière,

I. PETTON

La République mande et ordonne à la ministre des armées en ce qui la concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

6

N° 20NT01535


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 20NT01535
Date de la décision : 09/11/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. GASPON
Rapporteur ?: Mme Valérie GELARD
Rapporteur public ?: M. LEMOINE
Avocat(s) : CABINET MDMH

Origine de la décision
Date de l'import : 23/11/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2021-11-09;20nt01535 ?
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