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23/11/2021 | FRANCE | N°20NT01073

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 6ème chambre, 23 novembre 2021, 20NT01073


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... C... a demandé au tribunal administratif d'Orléans, d'une part, d'annuler la décision du 29 octobre 2018 par laquelle la ministre du travail a annulé la décision du 7 juin 2018 de l'inspecteur du travail ayant refusé son licenciement pour motif disciplinaire et autorisé son licenciement, et d'autre part, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1600 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 1804612 du 19 février 2020, le tribunal

administratif d'Orléans a annulé la décision de la ministre du travail du 29 ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... C... a demandé au tribunal administratif d'Orléans, d'une part, d'annuler la décision du 29 octobre 2018 par laquelle la ministre du travail a annulé la décision du 7 juin 2018 de l'inspecteur du travail ayant refusé son licenciement pour motif disciplinaire et autorisé son licenciement, et d'autre part, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1600 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 1804612 du 19 février 2020, le tribunal administratif d'Orléans a annulé la décision de la ministre du travail du 29 octobre 2018.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés les 23 mars 2020, 25 novembre 2020 et 11 janvier 2021, l'Association régionale pour la promotion de la métallurgie (Prometa), représentée par Me Petit, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 19 février 2020 ;

2°) de rejeter la demande présentée par M. C... devant le tribunal administratif d'Orléans ;

3°) de mettre à la charge de M. C... la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ainsi que les entiers dépens.

Elle soutient que :

- les faits reprochés à M. C... à l'origine de la demande de licenciement disciplinaire qui ont été mal appréciés par les premiers juges quant à leur matérialité sont suffisamment graves pour fonder celui-ci ;

- la violence des faits est avérée et est également démontrée par ses conséquences. M. C... s'est emporté et a pris à la gorge et au thorax M. A... qui a eu des ecchymoses.

Par un mémoire en défense, enregistré le 26 octobre 2020, et un mémoire enregistré le 16 décembre 2020, M. C..., représenté par Me Marsault conclut au rejet de la requête et demande que soit mise à la charge de l'Association régionale pour la promotion de la métallurgie le versement de la somme de 2000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un mémoire, enregistré le 7 octobre 2021, la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion conclut au rejet de la requête.

Elle fait valoir qu'elle s'en remet à ses écritures de première instance présentées le 20 novembre 2018.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code du travail ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Coiffet,

- les conclusions de M. Lemoine, rapporteur public,

- et les observations de Me Lucas, représentant l'association régionale pour la promotion de la métallurgie (Prometa).

Considérant ce qui suit :

1. M. C..., employé depuis le 1er juillet 1993 par l'association régionale pour la promotion de la métallurgie (Prometa) en qualité de formateur, bénéficiant du statut de cadre depuis le 1er mars 2001, et a été affecté au centre de formation des apprentis de l'industrie d'Amboise (Indre-et-Loire), géré par l'association. Il était élu membre suppléant de la délégation du personnel du comité social et économique depuis le 17 avril 2018. Après un incident survenu le 16 avril 2018 mettant en cause ce formateur et un de ses élèves en classe de terminale filière Bac Pro Melec, qui utilisait son téléphone portable pendant le cours, M. C... a été mis à pied le 17 avril 2018. Ce salarié a été convoqué, le même jour, à un entretien préalable à son licenciement fixé le 26 avril 2018. Après que la délégation du personnel du comité social et économique, réunie le 3 mai 2018, a donné un avis défavorable à son licenciement, son employeur a demandé à l'inspecteur du travail territorialement compétent, par une lettre du 4 mai 2018 reçue le 17 mai suivant, l'autorisation de le licencier pour motif disciplinaire. Par une décision du 7 juin 2018, l'inspecteur du travail a refusé l'autorisation de licenciement. L'employeur de M. C... a alors formé un recours hiérarchique à l'encontre de cette décision. La ministre du travail a, par une décision du 29 octobre 2018, annulé la décision de l'inspecteur du travail et accordé l'autorisation de licencier M. C....

2. M. C..., qui a été licencié pour faute grave par lettre datée du 6 novembre 2018, a le 29 octobre 2018, saisi le tribunal administratif d'Orléans, d'une demande tendant à l'annulation de la décision ministérielle du 29 octobre 2018. L'association régionale pour la promotion de la métallurgie (Prometa) relève appel du jugement du 19 février 2020 par lequel ce tribunal a annulé décision de la ministre du travail du 29 octobre 2018.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

3. En vertu des dispositions du code du travail, les salariés légalement investis de fonctions représentatives bénéficient, dans l'intérêt de l'ensemble des salariés qu'ils représentent, d'une protection exceptionnelle. Lorsque le licenciement d'un de ces salariés est envisagé, ce licenciement ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou l'appartenance syndicale de l'intéressé. Dans le cas où la demande de licenciement est motivée par un comportement fautif, il appartient à l'inspecteur du travail, et le cas échéant au ministre, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si les faits reprochés au salarié sont d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement, compte tenu de l'ensemble des règles applicables au contrat de travail de l'intéressé et des exigences propres à l'exécution normale du mandat dont il est investi.

4. Il ressort des pièces du dossier que, le 16 avril 2018, M. C..., enseignant-formateur en sciences physiques dans une classe de terminale au centre de formation des apprentis de l'industrie d'Amboise, a eu un geste de violence physique envers M. G., élève apprenti, né le 20 septembre 2000, qui avait fait usage à plusieurs reprises de son téléphone portable pendant le cours qu'il dispensait, et avait persisté à le faire en dépit des dispositions du règlement intérieur et d'un rappel à l'ordre de M. C... en début de cours.

5. En premier lieu, l'association régionale pour la promotion de la métallurgie met tout d'abord en cause en appel la description des faits de violence commis par M. C... en relevant, selon trois rapports d'incidents auxquels elle se réfère, que " ce formateur a pris M. A... par le cou en l'étranglant " ou qu'il a dit à cet apprenti " donne-moi ton portable ou je te dépouille ", " tout en le tenant à la gorge avec ses deux mains ". Toutefois, il ressort, d'une part, des termes mêmes de la décision ministérielle accordant l'autorisation de licenciement que, se prononçant expressément sur la matérialité des faits, cette autorité administrative a retenu que M. C... avait reconnu " avoir donné une claque sur le thorax de l'apprenti avec la main à plat en dessous du cou et avoir employé le terme dépouillé en s'adressant à lui ", d'autre part, des pièces du dossier que les différents rapports d'incident - soit sept au total - que l'employeur avait versés en totalité en première instance aux débats, caractérisaient diversement -voire de façon divergente- les faits reprochés, enfin, que M. A... lui-même avait indiqué après l'incident en cause que " M. C... l'avait agrippé avec ses deux mains en exerçant une forte pression sur sa cage thoracique ". Lors de l'enquête contradictoire, l'administration avait également relevé, ce que le ministre du travail n'a pas remis en cause et n'est pas infirmé par les éléments du dossier, que selon les photographies fournies par l'élève, " l'emplacement des ecchymoses sur le torse n'apparaissait pas [compatible] avec la tentative d'étranglement telle que décrite par certains témoins ". Dans ces conditions, l'association requérante n'est pas fondée à se prévaloir d'une méprise sur la matérialité des faits reprochés à M. C..., consistant " à avoir donné devant toute la classe, une claque sur le thorax de M. G., élève apprenti, en ayant accompagné ce geste de violence de l'avertissement qu'il allait le " dépouiller ". Ces faits constituent bien cependant un manquement à ses obligations professionnelles constitutif d'une faute, que M. C... ne conteste d'ailleurs pas, susceptible d'être sanctionné à titre disciplinaire.

6. En second lieu, l'association régionale pour la promotion de la métallurgie soutient à cet égard que les faits reprochés à M. C... sont suffisamment graves pour fonder un licenciement disciplinaire.

7. Dans la décision contestée du 29 octobre 2018, la ministre du travail, après avoir annulé au motif de la violation du principe du contradictoire, la décision de l'inspecteur du travail du 7 juin 2018 ayant refusé d'autoriser le licenciement de M. C..., a estimé que le fait reproché était, " compte tenu du niveau de responsabilité et du devoir d'exemplarité inhérents à la fonction d'enseignant, lesquels interdisent, notamment, toute violence dans la relation pédagogique avec un élève, de surcroît mineur, d'une gravité suffisante " pour justifier le licenciement de l'intéressé.

8. Toutefois, il ressort des pièces du dossier, d'une part, que le geste inapproprié commis par M. C... à l'encontre de M. G. est survenu après que ce dernier, décrit " comme pouvant être provocateur et insolent ", s'était déjà vu signifier en début de cours par le formateur, l'interdiction de faire usage de son téléphone portable pendant le cours. D'autre part, il est également constant que suite à l'incident, l'apprenti a poursuivi ses cours durant le reste de la matinée et de la journée du 16 avril 2018 ainsi que durant la matinée du lendemain. Il ressort également des éléments versés au dossier que le contexte de travail au sein du CFA était caractérisé par l'existence de difficultés croissantes rencontrées par les formateurs dans l'exercice de leur métier et ce, au regard du rapport problématique au travail et à l'autorité des apprentis. A cet égard, il y a lieu de constater que M. C... avait demandé, lors des deux entretiens d'évaluation des 10 décembre 2014 et 21 avril 2016, à bénéficier d'une formation pédagogique pour " l'aider à mieux gérer les rapports de conflictualité pouvant surgir entre formateurs et apprentis ". Un procès-verbal de la réunion du 15 septembre 2017 du comité d'entreprise de l'association permet effectivement d'établir que des difficultés de cet ordre existaient entre formateurs et apprentis au sein du centre de formation en question. Or, la demande de M. C..., à laquelle il était prévu de répondre par une formation en mai 2018, n'avait pas été satisfaite à la date du 16 avril 2018 à laquelle les faits litigieux sont survenus. Il n'est, pas davantage établi en appel qu'en première instance, que la formation-action organisée en 2016-2017 par le conseil régional dans le but de former des formateurs expérimentés pour qu'ils deviennent des tuteurs de formateurs débutants, à laquelle a participé M. C..., aurait comporté un ou des modules spécifiques sur la gestion de publics difficiles. Enfin, M. C..., qui disposait, à la date de la décision litigieuse, d'une ancienneté de vingt-cinq ans dans son emploi au CFA de l'industrie d'Amboise, n'a fait l'objet, sur toute cette période, d'aucune procédure disciplinaire ni ne s'est vu reprocher dans le cadre professionnel des faits de même nature que ceux en litige. Par ailleurs, les synthèses des entretiens annuels professionnels évoqués ci-dessus, produites à l'instance, attestent, pour les années scolaires concernées, des évaluations globalement positives portées à son endroit en ce qui concerne ses " savoir-être " et " savoir-faire ", étant notamment précisé qu'il est considéré comme un bon formateur et reconnu comme exigeant avec ses élèves. Enfin, il y a lieu également de relever que la plainte déposée par les parents de M. A... a été classée sans suite.

9. Au vu de l'ensemble des éléments qui viennent d'être rappelés, il y a lieu de considérer, comme l'ont justement estimé les premiers juges, que la faute commise par M. C... ne revêt pas, dans les circonstances de l'espèce, un caractère d'une suffisante gravité pour justifier le licenciement de M. C... pour motif disciplinaire.

10. Il résulte de ce qui précède que l'association régionale pour la promotion de la métallurgie (Prometa) n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal a annulé la décision du 29 octobre 2018 par laquelle le ministre du travail lui a accordé l'autorisation de licencier M. C... pour motif disciplinaire.

Sur les frais liés au litige :

11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de M. C..., qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement à l'association régionale pour la promotion de la métallurgie (Prometa) de la somme qu'elle demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge l'association régionale pour la promotion de la métallurgie (Prometa) la somme de 1500 euros au titre des mêmes frais.

DECIDE :

Article 1er : La requête de l'association régionale pour la promotion de la métallurgie (Prometa) est rejetée.

Article 2 : L'association régionale pour la promotion de la métallurgie (Prometa) versera à M. C... la somme de 1500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à l'association régionale pour la promotion de la métallurgie (Prometa), à la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion et à M. B... C....

Délibéré après l'audience du 5 novembre 2021, à laquelle siégeaient :

- M. Gaspon, président,

- M. Coiffet, président-assesseur,

- Mme Gélard, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 23 novembre 2021.

Le rapporteur,

O.COIFFETLe président,

O. GASPON

La rapporteure,

F. MALINGUELe président,

O. COIFFET

La greffière,

P. CHAVEROUX

La greffière,

P. CHAVEROUX

La République mande et ordonne à la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion en ce qui la concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

1

N° 20NT01073 6

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Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 20NT01073
Date de la décision : 23/11/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. GASPON
Rapporteur ?: M. Olivier COIFFET
Rapporteur public ?: M. LEMOINE
Avocat(s) : SCP LE METAYER ET ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 30/11/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2021-11-23;20nt01073 ?
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