Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La caisse primaire d'assurance maladie de la Côte-d'Or a demandé au tribunal administratif de Besançon de condamner le centre hospitalier régional universitaire (CHRU) de Besançon à lui verser la somme de 158 368,80 euros au titre des prestations versées pour le compte de son assuré, M. C..., à la suite de la prise en charge fautive de l'accident médical dont il a été victime.
Par un jugement n° 1800790 du 16 juin 2020, le tribunal administratif de Besançon a condamné le centre hospitalier régional universitaire de Besançon à verser à la caisse primaire d'assurance maladie de la Côte-d'Or la somme de 158 368,80 euros.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 6 juillet 2020, et un mémoire complémentaire, enregistré 9 septembre 2021, le centre hospitalier régional universitaire de Besançon, représenté par Me Carriou, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Besançon du 16 juin 2020 ;
2°) à titre principal : de rejeter la demande de la caisse primaire d'assurance maladie de la Côte-d'Or;
3°) à titre subsidiaire : de limiter l'indemnité due à la caisse primaire d'assurance maladie de la Côte-d'Or à la somme de 65 835,84 euros ;
4°) de mettre à la charge de la caisse primaire d'assurance maladie de la Côte-d'Or une somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- c'est à tort que le tribunal administratif de Besançon a retenu un lien de causalité entre les débours présentés par la caisse primaire d'assurance maladie de la Côte-d'Or et le manquement retenu à son encontre ;
- la caisse primaire d'assurance maladie de la Côte-d'Or n'établit pas que ses débours sont en lien avec le manquement fautif ; les sommes dont le remboursement est sollicité correspondent en réalité à des sommes engagées pour la prise en charge de la lourde pathologie initiale de M. C... ;
- la caisse primaire d'assurance maladie ne détaille aucunement les différents actes médicaux, la nature des hospitalisations, pas plus que leur lien de causalité avec le fait litigieux ; l'attestation d'imputabilité produite n'est pas détaillée et est contredite par les éléments du dossier ;
- la caisse primaire d'assurance maladie reconnait, en appel, que le montant des débours qu'elle a eu à verser est inférieur à la somme qui lui a été allouée par le tribunal administratif et ne s'élèvent qu'à 131 671,68 euros ;
- en tout état de cause, il conviendra d'appliquer à cette somme le pourcentage de perte de chance de 50 % retenu par la commission de conciliation et d'indemnisation ;
- aucune somme ne pourra être mise à la charge du CHU de Besançon au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
Par un mémoire, enregistré le 30 avril 2021, la caisse primaire d'assurance maladie de la Côte-d'Or, représentée par Me Philip de Laborie, conclut, à titre principal, au rejet de la requête et, à titre subsidiaire, à ce que l'indemnité due par le centre hospitalier soit fixée à 131 671,68 euros. Elle demande également à la cour de mettre à la charge du centre hospitalier universitaire de Besançon une somme de 1 098 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion et une somme de 2 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle valoir que :
- les moyens du centre hospitalier ne sont pas fondés ; les débours dont le remboursement est demandé sont en lien avec la faute commise ;
- à titre subsidiaire, elle justifie de dépenses en lien avec le manquement retenu à l'encontre du CHRU à hauteur de 131 671, 68 euros.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de la sécurité sociale ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme B...,
- les conclusions de M. Barteaux, rapporteur public,
- et les observations de Me Michelou pour le centre hospitalier régional universitaire de Besançon.
Considérant ce qui suit :
1. M. A... C..., alors âgé de 73 ans, a été suivi à compter du mois de janvier 2011 au centre hospitalier régional universitaire (CHRU) de Besançon pour un lymphome B diffus à grandes cellules, avec atteinte ganglionnaire sus et sous diaphragmatique, cervicale, médiastinale et du hile rénal droit, dont le pronostic était dès l'origine mauvais. Le traitement par chimiothérapie a débuté le 25 février 2011. Alors que la perfusion avait débuté à 14 heures, une extravasation d'Adriamycine est survenue à 18 heures. Dans les suites de cette extravasation, le patient a présenté une nécrose de l'avant-bras gauche sur laquelle une infection s'est développée et qui a justifié la réalisation d'une greffe cutanée le 8 août 2011. La chimiothérapie a dû être interrompue pendant près de trois mois. M. C... est finalement décédé le 10 février 2012 de l'évolution de ce lymphome. L'épouse de M. C... a saisi la commission régionale de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux de Franche-Comté, laquelle a, dans un avis du 19 mars 2013, retenu que la prise en charge de M. C... suite à l'extravasation d'Adriamycine qui s'est produite le 25 février 2011 n'avait pas été conforme aux règles de l'art et a estimé que les manquements fautifs du centre hospitalier régional universitaire de Besançon dans la prise en charge initiale de l'extravasation avaient fait perdre à M. C... une chance de survie à cinq ans de 25 % et étaient de nature à engager la responsabilité du centre hospitalier à hauteur de 50 %. Par un protocole transactionnel d'indemnisation conclu entre l'établissement hospitalier, son assureur et Mme C..., cette dernière a été indemnisée au titre des préjudices subis par elle et son époux du fait des manquements retenus par la commission régionale de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux de Franche-Comté. Il ressort des termes de ce protocole, auquel la caisse primaire d'assurance maladie de la Côte-d'Or, organisme de sécurité sociale de M. C... n'était pas partie, que Mme C... n'a fait état d'aucune dépense de santé laissée à la charge de son époux et qu'elle ne dispose plus d'une action contre l'établissement. La caisse primaire d'assurance maladie de la Côte-d'Or a sollicité du tribunal administratif de Besançon la condamnation du centre hospitalier régional universitaire de Besançon à lui rembourser les frais qu'elle a exposés dans l'intérêt de M. C.... Par un jugement du 16 juin 2020, le tribunal administratif de Besançon a condamné le centre hospitalier à verser à la caisse primaire d'assurance maladie la somme de 158 368,80 euros, assortie des intérêts et de la capitalisation des intérêts. Elle a également condamné le centre hospitalier à lui verser la somme de 1 091 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion.
Sur les droits de la caisse primaire d'assurance maladie de la Côte-d'Or :
2. En premier lieu, aux termes du I de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute. (...) ".
3. Il résulte de l'instruction et notamment du rapport de l'expertise ordonnée par la commission régionale de conciliation et d'indemnisation qu'en raison de la présence d'adénopathies médiastinales volumineuses qui rendaient difficile la mise en place d'un cathéter veineux central, la chimiothérapie, préconisée par l'état du patient, a été administrée à ce dernier par voie veineuse périphérique. Ainsi qu'il a été indiqué, une extravasation d'Adriamycine s'est produite au cours de la perfusion réalisée le 25 février 2011. Cette extravasation n'a toutefois pas été identifiée. Elle n'a pas donné lieu à l'appel d'un médecin et le protocole de prise en charge d'une extravasation existant dans le service n'a pas été suivi. Seul des pansements alcoolisés ont été posés. Ce n'est que le 2 mars 2011 que M. C... a été vu par un chirurgien. Le centre hospitalier, qui ne conteste pas que la prise en charge de M. C... n'a pas été conforme aux règles de l'art, est tenu d'indemniser les conséquences dommageables des fautes ainsi commises.
4. En deuxième lieu, il résulte de l'instruction que, dans les suites de l'extravasation, M. C... a présenté une nécrose et une infection de la plaie qui ont nécessité des soins et des traitements. Une greffe cutanée a notamment dû être réalisée le 8 août 2011. Il résulte par ailleurs de l'instruction qu'en raison de l'extravasation et de ses suites, la chimiothérapie a dû être interrompue près de trois mois et que, à la suite de cette interruption, la maladie avait progressé, nécessitant une chimiothérapie de deuxième ligne. L'expert estime ainsi que l'extravasation et ses suites ont interféré avec le traitement optimal du lymphome et ont fait perdre à M. C... une perte de survie. La commission régionale de conciliation et d'indemnisation a considéré que M. C... avait subi une perte de chance de 25 % de vivre 5 années supplémentaires, imputable pour moitié aux manquements du CHRU de Besançon et que, par conséquent, il avait été victime de fautes susceptibles d'engager la responsabilité du centre hospitalier à hauteur de 50 %. Toutefois, il ne résulte pas de l'instruction que la nécrose et l'infection dont a été victime M. C... seraient survenues en l'absence de faute. Dans ces conditions, la caisse primaire d'assurance maladie de la Côte-d'Or est fondée à solliciter le remboursement de l'intégralité de ses débours en lien avec les fautes commises.
5. En troisième lieu, il résulte de l'instruction que la prise en charge de la nécrose et de l'infection développées par M. C... a nécessité plusieurs hospitalisations du 18 au 25 mai 2011, du 18 juin au 5 juillet 2011 et, enfin, du 7 au 9 août 2011, notamment pour un syndrome septique et la réalisation d'une greffe cutanée, ainsi que des traitements spécifiques et des soins à domicile. Par ailleurs une partie des hospitalisations du 10 au 24 mars 2011 et du 5 au 13 avril 2011 sont en lien avec la prise en charge de M. C... du fait de la faute commise. Au vu des conclusions de l'expertise et des éléments produits par l'organisme de sécurité sociale, il doit ainsi être regardé comme établi que l'hospitalisation de M. C... entre le 10 et le 17 mars 2011 et entre le 5 et le 10 avril 2011 est liée à la prise en charge de la nécrose et de l'infection. Par les éléments qu'elle produit, notamment les relevés de débours et de prestations ainsi qu'une attestation du médecin conseil, la caisse primaire d'assurance maladie de la Côte-d'Or justifie avoir déboursé une somme de 119 122,38 euros au titre des hospitalisations rendues nécessaires par la nécrose et l'infection présentées par M. C.... Elle justifie par ailleurs de frais médicaux, de frais d'appareillage, de frais de transports et de frais pharmaceutiques en lien avec la faute commise pour un montant total de 12 549,30 euros.
6. Il résulte de ce qui précède que le centre hospitalier régional universitaire de Besançon est seulement fondé à demander que la somme de 158 368,80 euros qu'il a été condamné à verser à la caisse primaire d'assurance maladie de la Côte-d'Or par les premiers juges soit ramenée à 131 671,68 euros. Il y a lieu par suite de réformer en ce sens le jugement attaqué du tribunal administratif de Besançon.
Sur l'indemnité forfaitaire de gestion :
7. Il résulte des dispositions du neuvième alinéa de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale que le montant de l'indemnité forfaitaire qu'elles instituent est égal au tiers des sommes dont le remboursement a été obtenu, dans les limites d'un plafond dont le montant est révisé chaque année par arrêté des ministres chargés de la sécurité sociale et du budget.
8. Par son jugement du 16 juin 2020, le tribunal administratif de Besançon a condamné le centre hospitalier régional universitaire de Besançon à verser à la caisse primaire d'assurance maladie de la Côte-d'Or, au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion, une somme de 1 091 euros correspondant au plafond fixé par l'arrêté du 27 décembre 2019 alors en vigueur. Si le plafond a été réévalué par la suite, la caisse ne peut prétendre à une augmentation du montant de l'indemnité forfaitaire de gestion, dès lors que le présent arrêt n'augmente pas les sommes qui lui sont dues au titre des prestations versées.
Sur les frais liés au litige :
9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de la caisse primaire d'assurance maladie de la Côte-d'Or qui n'est pas la partie principalement perdante dans la présente instance, la somme que le CHRU de Besançon demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens. Par ailleurs, il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions de la caisse primaire d'assurance maladie de la Côte-d'Or présentées sur le fondement des mêmes dispositions.
D E C I D E :
Article 1er : La somme de 158 368,80 euros que le CHRU de Besançon a été condamné à verser à la caisse primaire d'assurance maladie de la Côte-d'Or par le jugement du 16 juin 2020 est ramenée à 131 671,68 euros.
Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Besançon du 16 juin 2020 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête du CHRU de Besançon est rejeté.
Article 4 : Les conclusions de la caisse primaire d'assurance maladie de la Côte-d'Or présentées sur le fondement des dispositions du neuvième alinéa de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale et des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié au centre hospitalier universitaire de Besançon et à la caisse primaire d'assurance maladie de la Côte-d'Or.
Délibéré après l'audience du 6 décembre 2022, à laquelle siégeaient :
- M. Wurtz, président,
- Mme Haudier, présidente assesseure,
- M. Meisse, premier conseiller.
Rendu publique par mise à disposition au greffe le 29 décembre 2022.
La rapporteure,
Signé : G. B...
Le président,
Signé : Ch. WURTZ
Le greffier,
Signé : F. LORRAIN
La République mande et ordonne au ministre de la santé et de la prévention en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
Le greffier :
F. LORRAIN
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N° 20NC01460