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29/03/2022 | FRANCE | N°20NC00302

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 3ème chambre, 29 mars 2022, 20NC00302


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C... G..., M. A... G..., Mme E... G... et Mme F... G... ont demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne de condamner le centre hospitalier universitaire de Reims à leur verser une indemnité totale de 71 359 euros en raison des préjudices résultant de la prise en charge de M. B... G... par cet établissement à compter du 7 mai 2013.

Par un jugement n° 1802413 du 9 juillet 2019, le tribunal administratif de

Châlons-en-Champagne a rejeté leur demande.

Procédure dev

ant la cour :

Par une requête enregistrée le 4 février 2020, Mme C... G..., M. A... G..., ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C... G..., M. A... G..., Mme E... G... et Mme F... G... ont demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne de condamner le centre hospitalier universitaire de Reims à leur verser une indemnité totale de 71 359 euros en raison des préjudices résultant de la prise en charge de M. B... G... par cet établissement à compter du 7 mai 2013.

Par un jugement n° 1802413 du 9 juillet 2019, le tribunal administratif de

Châlons-en-Champagne a rejeté leur demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 4 février 2020, Mme C... G..., M. A... G..., Mme E... G... et Mme F... G..., représentés par Me Sellamna, demandent à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne ;

2°) de condamner le centre hospitalier universitaire de Reims à leur verser, en qualité d'ayants-droit de M. B... G..., la somme de 30 539 euros ;

3°) de condamner le centre hospitalier universitaire de Reims à verser à Mme C... G... la somme de 20 000 euros ;

4°) de condamner le centre hospitalier universitaire de Reims à verser à M. A... G..., à Mme E... G... et à Mme F... G... la somme de 7 000 euros chacun ;

5°) de mettre à la charge du centre hospitalier universitaire de Reims la somme de 6 000 euros sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, ainsi que les entiers dépens.

Ils font valoir que :

- le dossier médical de M. B... G... est incomplet quant au raison de sa chute dans la nuit du 7 mai 2013, ce qui est constitutif, ainsi que l'a retenu l'expert mandaté par le tribunal administratif, d'une faute ; un défaut de surveillance et un manquement dans l'obligation de service sont également imputables au centre hospitalier ; le centre hospitalier a également commis une faute en ne les informant pas des circonstances de ses chutes successives, ainsi que des diligences opérées à la suite de ces chutes ; enfin, le centre hospitalier a commis une faute ayant conduit au déplacement du clou gamma diaphysaire posé dans le fémur droit de M. B... G... ;

- a minima, il doit être retenu un cas de présomption de faute ;

- ils ont droit d'obtenir l'indemnisation de l'ensemble des préjudices résultant des différentes chutes de M. B... G... et sont ainsi fondés à demander à ce que le centre hospitalier universitaire de Reims leur verse, en leur qualité d'ayants droit de M. B... G..., la somme de 7 339 euros au titre des frais d'assistance par tierce personne, la somme de 4 400 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire, la somme de 10 000 euros au titre de la souffrance endurée, la somme de 8 000 euros au titre du déficit fonctionnel permanent et la somme de 800 euros au titre du préjudice esthétique ;

- le centre hospitalier universitaire de Reims devra également verser à Mme C... G... la somme de 20 000 euros au titre de son préjudice moral :

- le centre hospitalier universitaire de Reims devra également verser à M. A... G..., Mme E... G... et Mme F... G... la somme de 7 000 euros chacun au titre de leurs préjudices moraux.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 20 juillet 2021, le 20 septembre 2021 et le 11 février 2022, le centre hospitalier universitaire de Reims, représenté par Me Le Prado, conclut au rejet de la requête des consorts G... et des conclusions de la caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Marne.

Il fait valoir que :

- aucun défaut de surveillance ne peut être retenu dans la prise en charge de M. G... ; l'expert a certes retenu un défaut de surveillance dans le cadre de la chute du 18 juin 2013, mais il n'a relevé aucun élément permettant d'établir un tel défaut alors que le patient était agité et n'a pas respecté les prescriptions du personnel ; le seul fait que les circonstances de cette chute n'aient pas été reportées dans le dossier médical ne saurait caractériser un défaut de surveillance ;

- aucun manquement au devoir d'information ne saurait non plus être retenu ; même s'il n'est pas mentionné de chute dans le dossier médical, il apparaît que le patient et sa famille avaient bien été informés de la nécessité de respecter les consignes de calme et de conservation des contentions mises en place ; les consorts G... invoquent uniquement un défaut d'information de la famille du patient, et non du patient lui-même, sans justifier de circonstances imposant l'information de la famille en lieu et place du patient ;

- subsidiairement, les préjudices invoqués sont soit infondés, soit surévalués ;

- les débours exposés par la CPAM ne sont pas imputables à une faute médicale commise par le centre hospitalier universitaire de Reims.

Par deux mémoires, enregistrés le 2 septembre 2021 et le 9 février 2022, la caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Marne, représentée par Me Vaucois, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne ;

2°) de condamner le centre hospitalier à lui verser la somme de 146 416,03 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 5 février 2019 et de leur capitalisation, au titre du remboursement de ses débours et la somme de 1 098 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion ;

3°) de mettre à la charge du centre hospitalier la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ainsi que les entiers dépens.

Elle fait valoir que :

- les appelants sont fondés à soutenir que la responsabilité du centre hospitalier doit être engagée pour faute en raison d'un défaut de surveillance et d'un manquement dans l'organisation du service en raison de l'absence de traçabilité ;

- elle a droit non seulement au remboursement des débours exposés soit la somme de 146 468,12 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 5 février 2019 et de leur capitalisation, mais aussi à l'indemnité forfaitaire de gestion, soit 1 098 euros.

Les parties ont été informées, par un courrier du 1er mars 2022, que l'arrêt à intervenir était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office tiré de l'irrecevabilité des conclusions indemnitaires fondées sur la faute qu'aurait commise le centre hospitalier universitaire de Reims ayant causé le déplacement du clou gamma diaphysaire posé dans le fémur droit de M. G..., dès lors qu'elles n'ont pas été précédées d'une demande indemnitaire préalable.

Le centre hospitalier universitaire de Reims a répondu à cette lettre le 2 mars 2022.

Les consorts G... ont répondu à cette lettre le 4 mars 2022.

Mme C... G... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 5 décembre 2019.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de la sécurité sociale ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Marchal,

- et les conclusions de M. Barteaux, rapporteur public.

Une note en délibéré, enregistrée le 10 mars 2022, a été présentée pour la CPAM de

la Haute-Marne.

Considérant ce qui suit :

1. M. B... G..., alors âgé de 85 ans, a été pris en charge au sein du service de médecine polyvalente du centre hospitalier universitaire (CHU) de Reims à compter du 7 mai 2013 pour une altération de son état général. Lors de son hospitalisation, il a chuté à plusieurs reprises se causant ainsi une fracture de l'omoplate droite et une fracture comminutive affectant le grand trochanter et la zone basi-cervicale du membre inférieur droit. M. G... a été opéré une première fois par la pose d'un clou gamma diaphysaire dans le fémur droit avec verrouillage distal pour ostéosynthèse de la fracture mais, finalement, en raison d'une récidive de la fracture per trochantérienne du fait d'un déplacement de ce clou, une prothèse de hanche avec cerclage et plaque vissée a été mise en place le 25 septembre 2013. Mme C... G..., veuve de M. G... décédé le 31 mai 2015, ainsi que M. A... G..., Mme E... G... et Mme F... G..., leurs trois enfants, ont demandé au tribunal administratif de

Châlons-en-Champagne de condamner le CHU de Reims à les indemniser des préjudices résultant de la prise en charge de M. B... G... par cet établissement. Les consorts G... font appel du jugement du 9 juillet 2019 par lequel le tribunal administratif de

Châlons-en-Champagne a rejeté leurs demandes.

Sur la recevabilité des conclusions indemnitaires fondées sur la faute qu'aurait commise le CHU de Reims ayant causé le déplacement du clou gamma :

2. Les consorts G... soutiennent que le CHU de Reims aurait commis une faute ayant causé le déplacement du clou gamma diaphysaire posé dans le fémur droit de M. G.... Toutefois, il ne résulte pas de l'instruction et notamment pas du courrier du 21 août 2014 adressé par les consorts G... à l'assureur du CHU que les requérants aient présenté une demande indemnitaire auprès du CHU de Reims pour obtenir l'indemnisation des préjudices liés à une telle faute. Par suite, ces conclusions indemnitaires doivent être rejetées.

Sur la responsabilité du centre hospitalier universitaire de Reims :

3. Aux termes du I de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute. (...) ".

4. En premier lieu, dès son arrivée au CHU de Reims, M. B... G... a été installé dans un lit à barrières en raison des risques de chute qu'il présentait. En dépit de cette mesure de protection, M. G... a chuté une première fois, dans la nuit du 9 au 10 mai 2013, après être passé au-dessus des barrières de protection. Le service a, en conséquence, pris de nouvelles mesures de protection et M. G... a ainsi été placé dans un lit bas avec barrières. Dans la nuit du 14 au 15 mai 2013, M. G... s'est, en dépit des préconisations des soignants, levé seul et est à nouveau passé au-dessus des barrières. Il a chuté après avoir glissé et s'est ainsi fracturé l'omoplate droite. Pour autant, l'expertise du docteur D... précise qu'aucune faute ne peut être retenue à l'encontre du centre hospitalier en raison de ces deux chutes, dès lors que le CHU de Reims a pris les mesures de prévention adaptées. L'expert relève notamment qu'il n'était pas acceptable d'imposer des contentions au patient pour l'empêcher de se lever dans la nuit, de sorte que la mise en place de mesures plus contraignantes n'étaient pas possible. Il ne résulte ni de l'expertise du docteur D..., ni plus généralement de l'instruction que les mesures protectrices mises en place au sein du service auraient, à la suite de ce deuxième accident et du transfert temporaire de M. G... au sein d'un autre service, été levées. Par suite, s'il résulte de l'instruction que M. G..., qui a été retrouvé le 18 juin 2013 assis au sol sur un drap plié et qui s'est vu diagnostiquer une fracture du fémur droit le 19 juin 2013, a chuté dans la nuit du 17 au 18 juin 2013 sans qu'ait été établie une déclaration relative à cet évènement, cette chute, en dépit du fait que ces circonstances ne soient pas reportées au dossier médical du patient, n'est pas de nature à révéler une faute de surveillance ou d'organisation de l'établissement, qui avait mis en œuvre les mesures de prévention adaptées pour la prévenir. Dans ces conditions et alors que, de plus, contrairement à ce que soutiennent les requérants, aucune présomption de faute du CHU de Reims ne peut être retenue en l'espèce, les consorts G... ne sont donc pas fondés à demander à ce que le CHU de Reims les indemnise des conséquences dommageables des différentes chutes de M. B... G....

5. En deuxième lieu, à supposer que M. B... G... n'ait pas eu un discernement suffisant, il ne résulte en tout état de cause pas de l'instruction que les consorts G... n'auraient pas été avertis des chutes de M. B... G... et des diligences alors adoptées par le centre hospitalier.

6. En troisième lieu, en revanche, les consorts G... sont fondés à soutenir que le CHU de Reims a commis une faute de nature à engager sa responsabilité en n'établissant pas une déclaration de chute à la suite de l'accident subi par M. B... G... dans la nuit du 17 au 18 juin 2013. Cette faute est cependant sans lien avec la survenance de cette chute et avec le déplacement du clou gamma. Les conclusions indemnitaires des consorts G..., qui tendent à ce qu'ils soient indemnisés des préjudices découlant de cette chute et du déplacement du clou gamma, ne peuvent ainsi qu'être rejetées.

7. Il résulte de tout ce qui précède que les consorts G... ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement contesté, le tribunal administratif de

Châlons-en-Champagne a rejeté leurs demandes indemnitaires.

Sur les conclusions présentées par la CPAM de la Haute-Marne :

8. Les débours engagés par la caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Marne à la suite de la chute de M. G... dans la nuit du 9 mai au 10 mai 2013 ne sont pas en lien avec la faute commise par le CHU de Reims. Par suite, les conclusions présentées par la caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Marne tendant au remboursement par l'hôpital des débours exposés pour M. G..., ainsi que ses conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 376-1 du code de sécurité sociales, ne peuvent qu'être rejetées.

Sur les frais d'expertise :

9. L'article R. 761-1 du code de justice administrative dispose que : " Les dépens comprennent les frais d'expertise, d'enquête et de toute autre mesure d'instruction dont les frais ne sont pas à la charge de l'Etat. / Sous réserve de dispositions particulières, ils sont mis à la charge de toute partie perdante sauf si les circonstances particulières de l'affaire justifient qu'ils soient mis à la charge d'une autre partie ou partagés entre les parties. / L'Etat peut être condamné aux dépens ".

10. Par une ordonnance du 6 septembre 2018 du président du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne, les frais de l'expertise ont été liquidés et taxés à la somme de 1 200 euros. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'infirmer le jugement du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne sur ce point et de mettre la moitié de ces frais à la charge du centre hospitalier universitaire de Reims et l'autre moitié à la charge des consorts G....

Sur les frais liés à l'instance :

11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge du centre hospitalier universitaire de Reims, qui n'a pas la qualité de partie perdante dans la présente instance, la somme demandée par les consorts G..., ainsi que par la CPAM de la Haute-Marne, au titre de ces dispositions.

D E C I D E :

Article 1er : Les frais d'expertise, liquidés et taxés à la somme de 1 200 euros, sont mis pour moitié à la charge du centre hospitalier universitaire de Reims et pour l'autre moitié à la charge des consorts G....

Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne du 9 juillet 2019 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête des consorts G... est rejeté.

Article 4 : Les conclusions présentées par la caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Marne sont rejetées.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... G... en application des dispositions de l'article R. 751-3 du code de justice administrative, au centre hospitalier universitaire de Reims et à la caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Marne.

Délibéré après l'audience du 8 mars 2022, à laquelle siégeaient :

- M. Wurtz, président de chambre,

- Mme Samson-Dye, présidente assesseure,

- M. Marchal, conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 29 mars 2022.

Le rapporteur,

Signé : S. MARCHALLe président,

Signé : Ch. WURTZ

Le greffier,

Signé : F. LORRAIN La République mande et ordonne au ministre des solidarités et de la santé, en ce qui le concerne, ou à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

Le greffier :

F. LORRAIN

N° 20NC00302 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 20NC00302
Date de la décision : 29/03/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

60-02-01-01-01-02 Responsabilité de la puissance publique. - Responsabilité en raison des différentes activités des services publics. - Service public de santé. - Établissements publics d'hospitalisation. - Responsabilité pour faute simple : organisation et fonctionnement du service hospitalier. - Absence de faute.


Composition du Tribunal
Président : M. WURTZ
Rapporteur ?: M. Swann MARCHAL
Rapporteur public ?: M. BARTEAUX
Avocat(s) : SARL LE PRADO - GILBERT

Origine de la décision
Date de l'import : 12/04/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2022-03-29;20nc00302 ?
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