Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
La société CGI France a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler la décision du 4 octobre 2017 par laquelle le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi Auvergne-Rhône-Alpes lui a infligé 314 amendes d'un montant unitaire de 300 euros, représentant un montant total de 94 200 euros, subsidiairement, d'annuler la décision du 4 octobre 2017 en tant qu'elle concerne les 281 salariés en modalité Réalisation de Missions et à titre très subsidiaire, de réduire le montant de l'amende;
Par jugement n° 1706807 lu le 24 juillet 2020, le tribunal administratif de Grenoble a ramené le montant de l'amende à 47 100 euros.
Procédure devant la cour
Par requête enregistrée le 28 septembre 2020 la société CGI France, représentée par Me Vuidard, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Grenoble en tant qu'il n'a pas fait droit à ses conclusions d'annulation de la décision du 4 octobre 2017 et d'annuler ladite décision du 4 octobre 2017, à titre subsidiaire, de diminuer le montant de l'amende restant à sa charge ;
2°) de mettre à la charge de l'État le versement de la somme de 5 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le tribunal a méconnu le principe du contradictoire ;
- la décision du 4 octobre 2017 est insuffisamment motivée en méconnaissance des dispositions de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public ;
- la sanction en litige est entachée d'une erreur dans ses motifs en ce qu'il est produit la preuve de la notification du message d'information concernant la modification du rythme de saisie des temps décidée le 6 mars 2017 ;
- son outil de décompte du temps de travail " PSA Time " est conforme aux exigences du code du travail en matière de décompte et d'enregistrement du temps de travail des salariés ; le prétendu manque de fiabilité de l'outil PSA Time n'est pas démontré ;
- les salariés travaillant selon la modalité de temps de travail " réalisation de mission " auraient dû être exclus du champ de la décision de sanction.
La requête a été communiquée à la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion qui n'a pas présenté d'observations.
Par ordonnance du 12 janvier 2021 la clôture de l'instruction a été fixée au 11 mars 2021.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code du travail ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Burnichon, première conseillère ;
- les conclusions de M. Chassagne, rapporteur public ;
- et les observations de Me Charrier substituant Me Vuidard pour la société CGI France ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 24 juin 2022, présentée par le ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion ;
Vu les notes en délibéré, enregistrées le 4 juillet 2022, présentées pour la société CGI France ;
Considérant ce qui suit :
Sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de la requête :
1. La société CGI France, spécialisée dans les services et le conseil en technologie de l'information, a été sanctionnée, suite à un contrôle de l'inspection du travail effectué le 20 septembre 2016 au sein de son établissement de Grenoble, de 314 amendes d'un montant unitaire de 300 euros, représentant un montant total de 94 200 euros en raison des irrégularités qui entacheraient les documents de décompte de la durée du travail non collective de ses salariés. La société CGI France relève appel du jugement lu le 24 juillet 2020 par lequel le tribunal administratif de Grenoble n'a réduit qu'à 47 100 euros les sommes mises à sa charge.
2. D'une part, aux termes de l'article L. 3171-2 du code du travail dans sa version alors applicable : " Lorsque tous les salariés occupés dans un service (...) ne travaillent pas selon le même horaire collectif, l'employeur établit les documents nécessaires au décompte de la durée de travail, des repos compensateurs acquis et de leur prise effective, pour chacun des salariés concernés. / Les délégués du personnel peuvent consulter ces documents ". Aux termes de l'article D. 3171-8 du même code : " Lorsque les salariés (...) d'un service (...), au sens de l'article D. 3171-7, ne travaillent pas selon le même horaire collectif de travail affiché, la durée du travail de chaque salarié concerné est décomptée selon les modalités suivantes : 1° Quotidiennement, par enregistrement, selon tous moyens, des heures de début et de fin de chaque période de travail ou par le relevé du nombre d'heures de travail accomplies ;2° Chaque semaine, par récapitulation selon tous moyens du nombre d'heures de travail accomplies par chaque salarié ".
3. D'autre part, aux termes de l'article L. 8115-1 du même code : " L'autorité administrative compétente peut, sur rapport de l'agent de contrôle de l'inspection du travail (...) et sous réserve de l'absence de poursuites pénales, prononcer à l'encontre de l'employeur une amende en cas de manquement : (...) 3° A l'article L. 3171-2 relatif à l'établissement d'un décompte de la durée de travail et aux dispositions réglementaires prises pour son application (...) ". Aux termes de l'article L. 8115-3 du même code, dans sa rédaction applicable au litige : " Le montant maximal de l'amende est de 2 000 euros et peut être appliqué autant de fois qu'il y a de travailleurs concernés par le manquement (...) ".
4. Il résulte de ces dispositions combinées que les modalités de décompte de la durée quotidienne et hebdomadaire du travail sont laissées au libre choix de l'employeur, pourvu que la méthode choisie permette de retranscrire les horaires de début et de fin de chaque période travaillée ou bien le nombre d'heures de travail accomplies, journellement et hebdomadairement. L'amende administrative ne peut, en conséquence, sanctionner qu'un manquement à cette obligation de résultat, ainsi déclinée. L'implémentation anticipée des décomptes individuels ne lui est pas contraire, à la condition qu'elle s'accompagne de la faculté donnée à chaque salarié de rectifier a posteriori et à brefs délais les heures de travail effectivement accomplies, la version consolidée du décompte faisant seule foi pour la liquidation des droits des salariés et étant communicable aux délégués du personnel comme à l'inspection du travail pour la vérification du respect de la durée légale du travail, des règles de repos et de rémunération.
5. Il résulte de l'instruction que les salariés de l'établissement Grenoblois de la société CGI France travaillent selon l'une des trois modalités d'horaires individualisés définies par l'accord d'entreprise, à savoir la modalité standard, la modalité de réalisation de missions et la modalité d'autonomie complète. Pour prononcer les amendes en litige, le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi Auvergne-Rhône-Alpes, se fondant exclusivement sur les extractions de décomptes individuels provisoires des salariés assujettis à la modalité standard et des salariés assujettis à la réalisation de missions, a regardé comme contraire aux dispositions précitées la pratique consistant, d'une part, à renseigner par anticipation, le jeudi midi, les horaires de travail accomplis jusqu'au samedi soir, échéance de la semaine en cours et, d'autre part, à valider a posteriori, le cas échéant en les rectifiant, les horaires inscrits à titre prévisionnel sur les deux journées et demi de la fin de la semaine précédente.
6. Toutefois, ce procédé laisse à chaque salarié la maîtrise des rectifications à porter sur son décompte et permet de connaître, dès la semaine suivante, le volume horaire journalier et hebdomadaire de travail effectivement réalisé, le décompte consolidé étant seul exploité par l'employeur pour la liquidation des droits et l'administration, dans ses opérations de contrôle, pouvant s'y référer ce dont elle s'est abstenue en n'exploitant que des versions qu'elle savait provisoires. En ce qu'il répond aux conditions énoncées au point 4, ce procédé d'enregistrement ne méconnaît pas les obligations instituées par l'article D. 3171-8 du code du travail et, partant, ne pouvait fonder le prononcé d'amendes prévues par les articles L. 8115-1 et L. 8115-3 précités du même code.
7. Il résulte de ce qui précède que la société CGI France est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande tendant à l'annulation totale de la décision du 4 octobre 2017 lui ayant infligé 314 amendes au tarif unitaire de 300 euros. Ledit jugement doit être annulé en ce qu'il limite à 47 100 euros la somme laissée à la charge de la société CGI France et celle-ci doit être déchargée de payer ladite somme.
8. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'État, partie perdante, le paiement à la société CGI France d'une somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1706807 lu le 24 juillet 2020 du tribunal administratif de Grenoble est annulé en ce qu'il limité à 47 100 euros la somme laissée à la charge de la société CGI France.
Article 2 : La décision réformée du 4 octobre 2017 du directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi Auvergne-Rhône-Alpes, en ce qu'elle met à la charge de la société CGI France une amende dont le montant total a été ramené à 47 100 euros est annulée.
Article 3 : L'État versera à la société CGI France une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la société CGI France et au ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion.
Copie sera adressée à la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi Auvergne-Rhône-Alpes.
Délibéré après l'audience du 23 juin 2022 à laquelle siégeaient :
M. Arbarétaz, président de chambre ;
M. Seillet, président assesseur ;
Mme Burnichon, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 13 juillet 2022.
La rapporteure,
C. BurnichonLe président,
Ph. Arbarétaz
La greffière,
A. Le Colleter
La République mande et ordonne au ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion, en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition,
La greffière,
N° 20LY02810
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