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25/09/2024 | CANADA | N°2024CSC29

Canada | Canada, Cour suprême, 25 septembre 2024, R. c. Charles, 2024 CSC 29


COUR SUPRÊME DU CANADA


 
Référence : R. c. Charles, 2024 CSC 29

 

 
Appel entendu : 18 janvier 2024
Jugement rendu : 25 septembre 2024
Dossier : 40319


 
Entre :
 
Yves Caleb Jr. Charles
Appelant
 
et
 
Sa Majesté le Roi
Intimé
 
 
 
Coram : Les juges Karakatsanis, Côté, Rowe, Martin, Kasirer, Jamal et Moreau
 


Motifs de jugement :
(par. 1 à 80)

La juge Moreau (avec l’accord des juges Karakatsanis, Martin et Jamal)


 

 


Motifs c

onjoints dissidents :
(par. 81 à 109)

Les juges Côté et Kasirer (avec l’accord du juge Rowe)







 
 
 
Note : Ce document fera l’objet de retouches de forme avant la parution de sa version définitive...

COUR SUPRÊME DU CANADA

 
Référence : R. c. Charles, 2024 CSC 29

 

 
Appel entendu : 18 janvier 2024
Jugement rendu : 25 septembre 2024
Dossier : 40319

 
Entre :
 
Yves Caleb Jr. Charles
Appelant
 
et
 
Sa Majesté le Roi
Intimé
 
 
 
Coram : Les juges Karakatsanis, Côté, Rowe, Martin, Kasirer, Jamal et Moreau
 

Motifs de jugement :
(par. 1 à 80)

La juge Moreau (avec l’accord des juges Karakatsanis, Martin et Jamal)

 

 

Motifs conjoints dissidents :
(par. 81 à 109)

Les juges Côté et Kasirer (avec l’accord du juge Rowe)

 
 
 
Note : Ce document fera l’objet de retouches de forme avant la parution de sa version définitive dans le Recueil des arrêts de la Cour suprême du Canada.
 

 

 

 

 
Yves Caleb Jr. Charles                                                                                    Appelant
c.
Sa Majesté le Roi                                                                                                Intimé
Répertorié : R. c. Charles
2024 CSC 29
No du greffe : 40319.
2024 : 18 janvier; 2024 : 25 septembre.
Présents : Les juges Karakatsanis, Côté, Rowe, Martin, Kasirer, Jamal et Moreau.
en appel de la cour d’appel du québec
                    Droit criminel — Preuve — Admissibilité — Ouï-dire — Exception raisonnée à la règle du ouï-dire — Déclaration extrajudiciaire d’un témoin admise en preuve par le juge du procès — La déclaration pouvait-elle être admise en preuve en vertu de l’exception raisonnée à la règle d’exclusion du ouï-dire?
                    Suivant un incident impliquant l’accusé et le plaignant à l’école qu’ils fréquentaient, l’accusé a été inculpé d’avoir commis des voies de fait armées, d’avoir utilisé une fausse arme à feu lors de la perpétration de voies de fait et d’avoir proféré des menaces. Au procès, le plaignant a témoigné être entré dans une salle de toilettes de l’école et avoir senti quelque chose sur sa hanche pendant qu’il se lavait les mains. En se tournant, il a vu qu’il s’agissait d’un pistolet tenu par l’accusé, utilisé pour le menacer. Deux autres étudiants étaient alors présents. L’un d’eux, appelé par la Couronne comme témoin au procès de l’accusé, a affirmé au cours de son interrogatoire n’avoir aucun souvenir des événements. La Couronne a donc demandé l’ouverture d’un voir-dire en vue de faire admettre en preuve une déclaration extrajudiciaire qui avait été faite par ce témoin aux policiers enquêteurs le lendemain des événements. Alors accompagné par sa mère, le témoin, qui avait été arrêté et mis en détention en lien avec le même incident, a été interrogé pendant environ une heure par les policiers enquêteurs et a fourni une déclaration écrite. Le témoin a notamment admis dans sa déclaration avoir été en possession de deux pistolets à plomb. Les policiers ont procédé à une perquisition et récupéré les pistolets chez le témoin, à l’endroit indiqué dans sa déclaration.
                    Le juge du procès a admis en preuve la déclaration extrajudiciaire du témoin. Il a conclu que la seule explication plausible de la déclaration était sa véracité quant à ses aspects importants, compte tenu des circonstances dans lesquelles la déclaration a été faite et de la saisie de pistolets, considérée par le juge du procès comme une preuve corroborante. Au terme du procès, l’accusé a été déclaré coupable des trois chefs d’accusation. Le juge du procès a retenu la version du plaignant, essentiellement étayée par une vidéo de surveillance et la déclaration du témoin. La Cour d’appel a confirmé, à la majorité, la décision du juge du procès d’admettre en preuve la déclaration et a rejeté l’appel interjeté par l’accusé de ses condamnations. En plus d’être d’avis que la conclusion du juge du procès était justifiée, les juges majoritaires ont noté la similitude frappante entre le témoignage du plaignant et la déclaration du témoin, ce qui tendait à confirmer, selon eux, que la déclaration était suffisamment fiable.
                    Arrêt (les juges Côté, Rowe et Kasirer sont dissidents) : Le pourvoi est accueilli, les condamnations sont annulées et la tenue d’un nouveau procès est ordonnée.
                    Les juges Karakatsanis, Martin, Jamal et Moreau : Le juge du procès a fait erreur en concluant que la déclaration extrajudiciaire du témoin possédait les indices de fiabilité requis et en l’admettant en preuve au procès. Le résultat de la perquisition effectuée ultérieurement à la résidence du témoin ne satisfait pas aux critères de l’arrêt R. c. Bradshaw, 2017 CSC 35, [2017] 1 R.C.S. 865, qui s’appliquent à la preuve corroborante. De plus, les circonstances entourant la déclaration ne permettent pas de conclure que le seuil de fiabilité est atteint. Enfin, les juges majoritaires de la Cour d’appel n’auraient pas dû s’appuyer sur le témoignage du plaignant, rendu hors du voir‑dire, pour statuer que la déclaration du témoin satisfaisait au seuil de fiabilité.
                    La preuve par ouï‑dire est présumée inadmissible. En vertu de l’exception raisonnée, le ouï‑dire peut exceptionnellement être admis en preuve lorsque la partie qui le produit démontre que le double critère de la nécessité et du seuil de fiabilité est respecté selon la prépondérance des probabilités. À l’étape du seuil de fiabilité, il n’est permis de se fonder sur la preuve corroborante que si celle-ci, considérée globalement dans les circonstances de l’espèce, démontre que la seule explication plausible de la déclaration relatée est la véracité du déclarant au sujet de ses aspects importants, ou l’exactitude de ceux‑ci. En l’absence d’un lien entre la preuve corroborante et l’aspect que l’on tente de prouver, la preuve n’est tout simplement pas utile à l’égard de la question de savoir si cet aspect spécifique est véridique ou exact; elle ne fait que corroborer la crédibilité de la personne ayant fait la déclaration, la culpabilité de l’accusé, ou la thèse d’une des parties, ce qui ne suffit pas. L’effet conjugué de la preuve corroborante et des circonstances de l’affaire, et non la preuve prise isolément, doit écarter les autres explications plausibles des aspects importants de la déclaration. L’absence de questions suggestives, de déclarations contradictoires, de promesses d’un avantage ou encore d’un mode de vie criminalisé ne révèle qu’une absence de facteurs qui, s’ils étaient présents, diminueraient la valeur d’une déclaration qui serait autrement fiable.
                    En l’espèce, la Couronne devait démontrer que le résultat de la perquisition confirmait le rôle de l’accusé dans les événements si elle voulait utiliser la déclaration du témoin pour établir le niveau d’implication de l’accusé en plus de l’utilisation de l’arme. Il n’existe aucun lien entre la découverte des pistolets et le niveau d’implication de l’accusé. Par conséquent, l’emplacement des pistolets ne peut pas servir à démontrer que ce volet de la déclaration satisfait à lui seul au seuil de fiabilité. Outre le fait qu’il établit la véracité de ce volet de la déclaration, cet élément de preuve ne permet pas d’écarter d’autres explications plausibles des événements.
                    Ensuite, la déclaration du témoin soulève des préoccupations particulières liées à la fiabilité. Puisque le témoin est un complice, il existe un danger bien réel qu’il ait tenté de transférer sa responsabilité à l’accusé dans sa déclaration. Il était avantageux pour le témoin d’offrir un récit limitant sa participation à la possession des armes, évitant les accusations qui impliquaient un degré de participation plus élevé. En l’absence d’une preuve externe confirmant que l’accusé a joué le rôle principal dans la salle de toilettes, les garanties circonstancielles ne permettent pas d’écarter les dangers présentés par la déclaration du témoin. En effet, il est loin d’être clair qu’il y a absence de mode de vie criminalisé. De plus, la présence de la mère du témoin n’est pas réellement un indice de fiabilité; il est en effet possible que le témoin n’ait pas voulu que sa mère soit au courant de son degré d’implication, ce qui aurait pu le motiver à mentir. La proximité temporelle entre la déclaration et les événements n’est pas non plus un facteur utile pour juger du danger spécifique posé par la déclaration, soit que le témoin ait menti. Enfin, la consultation avec l’avocat ne permet pas d’exclure le risque que le témoin tentait de minimiser sa responsabilité. Par ailleurs, les indices de fiabilité procédurale ne sont pas rassurants car les substituts usuels aux garanties traditionnelles sont absents : il n’y a aucun enregistrement de la déclaration ni de l’entrevue qui l’a précédée, le témoin n’a pas été assermenté et n’a pas reçu de mise en garde des enquêteurs concernant la nécessité de leur dire la vérité et les conséquences liées au fait de mentir et la défense a été privée de toute possibilité de contre-interroger le témoin. En somme, l’effet conjugué de la preuve corroborante et des circonstances n’écarte pas les dangers spécifiques du ouï‑dire que pose la déclaration extrajudiciaire.
                    En ce qui concerne le témoignage du plaignant, cette preuve ne peut être prise en compte dans l’analyse du seuil de fiabilité de la déclaration du témoin. Malgré le fait que le plaignant a témoigné avant que le juge du procès ait rendu sa décision sur le voir‑dire, son témoignage n’en faisait pas partie. En appel, le mécanisme approprié pour considérer le témoignage du plaignant qui n’a pas été formellement versé dans le cadre du voir-dire est la disposition réparatrice du sous‑al. 686(1)b)(iii) du Code criminel, qui ne peut être appliquée en l’espèce. En effet, l’admission de la déclaration par le juge du procès ne constitue pas une erreur inoffensive ou négligeable et il n’est pas clair que la preuve tendant à établir la culpabilité de l’accusé est à ce point accablante qu’il serait impossible d’obtenir un verdict autre qu’une déclaration de culpabilité.
                    Les juges Côté, Rowe et Kasirer (dissidents) : Le pourvoi devrait être rejeté. La décision du juge de première instance d’admettre en preuve la déclaration extrajudiciaire du témoin en vertu de l’exception raisonnée à la règle d’exclusion du ouï‑dire est exempte d’erreur révisable. Il y a toutefois accord avec les juges majoritaires pour dire que le mécanisme approprié en appel pour considérer le témoignage du plaignant est la disposition réparatrice.
                    Le juge du procès n’a commis aucune erreur révisable en tenant compte de la découverte des armes en tant que preuve corroborante dans l’évaluation du seuil de fiabilité. Compte tenu des accusations portées et du fardeau qu’elles entraînaient pour la poursuite, il y a effectivement un lien logique entre l’aspect de la déclaration portant sur la présence de l’arme dans la salle de toilettes, corroborée par la découverte de l’arme chez le témoin, et l’aspect de la déclaration portant sur la manipulation de cette même arme par l’accusé au même moment et au même endroit. Un tel lien logique permet, lors de l’évaluation du seuil de fiabilité, de tenir compte d’une preuve corroborante qui ne vise pas la totalité des aspects importants d’une déclaration. Le seuil de fiabilité pourra être atteint par le biais de l’effet conjugué de la preuve corroborante et des circonstances qui constituent des indices de fiabilité, celles‑ci permettant de remédier à l’insuffisance de la preuve corroborante.
                    Vu l’absence d’une erreur de principe ayant vicié l’analyse en première instance lors de la prise en compte de certaines circonstances dans l’évaluation du seuil de la fiabilité, la décision du juge du procès commandait la déférence de la Cour d’appel. La pertinence des circonstances se révèle au regard des dangers spécifiques associés au ouï-dire en question et, donc, au regard des faits de l’espèce. Il serait erroné de classifier, objectivement et de manière indépendante des faits de l’instance, les circonstances qui sont neutres ou secondaires et celles qui sont plus importantes. Il est vrai que des circonstances qui révèlent simplement une absence de facteurs qui, s’ils étaient présents, diminueraient la valeur d’une déclaration par ailleurs fiable n’offrent pas une garantie circonstancielle de fiabilité. Toutefois, ces circonstances sont pertinentes. Si de telles circonstances ne suffisent pas en elles-mêmes à établir le seuil de fiabilité, de telles circonstances considérées en conjonction avec d’autres (par exemple, la corroboration même insuffisante en soi), peuvent mener à la conclusion que la déclaration a tous les attributs requis pour atteindre un seuil de fiabilité acceptable. Le fait que le témoin ait parlé à un avocat, que sa mère l’ait accompagné au moment de sa déclaration et que sa mère ait été mise au courant de la teneur des droits du témoin sont des indices de fiabilité dont le juge du procès pouvait validement tenir compte.
Jurisprudence
Citée par la juge Moreau
                    Arrêt appliqué : R. c. Bradshaw, 2017 CSC 35, [2017] 1 R.C.S. 865; arrêts mentionnés : R. c. Khelawon, 2006 CSC 57, [2006] 2 R.C.S. 787; R. c. Conway (1997), 1997 CanLII 2726 (ON CA), 36 O.R. (3d) 579; R. c. Youvarajah, 2013 CSC 41, [2013] 2 R.C.S. 720; R. c. B. (K.G.), 1993 CanLII 116 (CSC), [1993] 1 R.C.S. 740; R. c. Starr, 2000 CSC 40, [2000] 2 R.C.S. 144; R. c. Mohamed, 2023 ONCA 104, 423 C.C.C. (3d) 308; R. c. Couture, 2007 CSC 28, [2007] 2 R.C.S. 517; R. c. L.T.H., 2008 CSC 49, [2008] 2 R.C.S. 739; R. c. Khan, 2001 CSC 86, [2001] 3 R.C.S. 823.
Citée par les juges Côté et Kasirer (dissidents)
                    R. c. Le, 2019 CSC 34, [2019] 2 R.C.S. 692; R. c. Youvarajah, 2013 CSC 41, [2013] 2 R.C.S. 720; R. c. Couture, 2007 CSC 28, [2007] 2 R.C.S. 517; R. c. Bradshaw, 2017 CSC 35, [2017] 1 R.C.S. 865; R. c. Hall, 2018 MBCA 122, [2019] 1 W.W.R. 612; R. c. Burns, 2016 SKCA 67, 337 C.C.C. (3d) 523; R. c. Allary, 2021 SKCA 110; R. c. U. (F.J.), 1995 CanLII 74 (CSC), [1995] 3 R.C.S. 764; R. c. Khelawon, 2006 CSC 57, [2006] 2 R.C.S. 787; R. c. Khan, 1990 CanLII 77 (CSC), [1990] 2 R.C.S. 531; R. c. Larue, 2018 YKCA 9, 434 D.L.R. (4th) 155, conf. par 2019 CSC 25, [2019] 2 R.C.S. 398; R. c. Bernard, 2018 ABCA 396, 80 Alta. L.R. (6th) 258; R. c. L.T.H., 2008 CSC 49, [2008] 2 R.C.S. 739.
Lois et règlements cités
Code criminel, L.R.C. 1985, c. C‑46, art. 686(1)b)(iii).
Loi sur la preuve au Canada, L.R.C. 1985, c. C‑5, art. 9(2).
Doctrine et autres documents cités
Lederman, Sidney N., Michelle K. Fuerst et Hamish C. Stewart. Sopinka, Lederman & Bryant : The Law of Evidence in Canada, 6e éd., Toronto, LexisNexis, 2022.
Paciocco, David M., Palma Paciocco et Lee Stuesser. The Law of Evidence, 8e éd., Toronto, Irwin Law, 2020.
                    POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel du Québec (les juges Doyon, Cournoyer et Bachand), 2022 QCCA 1013, 82 C.R. (7th) 373, [2022] AZ‑51869771, [2022] J.Q. no 7437 (Lexis), 2022 CarswellQue 9888 (WL), qui a confirmé les déclarations de culpabilité prononcées contre l’accusé pour voies de fait armées, utilisation d’une fausse arme à feu lors de la perpétration de voies de fait et profération de menaces. Pourvoi accueilli, les juges Côté, Rowe et Kasirer sont dissidents.
                    Emmanuelle Rheault, pour l’appelant.
                    Marianna Ferraro et Mathieu Locas, pour l’intimé.
                  Le jugement des juges Karakatsanis, Martin, Jamal et Moreau a été rendu par
                  La juge Moreau —
                                             TABLE DES MATIÈRES
 

Paragraphe

I.      Aperçu

1

II.   Faits

6

III.   Décisions des juridictions inférieures

18

A.   Cour du Québec (le juge Dupras)

18

(1)      Décision sur le voir-dire

18

(2)      Décision sur la culpabilité

23

B.   Cour d’appel du Québec, 2022 QCCA 1013, 82 C.R. (7th) 373

27

(1)      Le juge Bachand, dissident

28

(2)      Les juges Doyon et Cournoyer

33

IV.   Questions en litige

39

V.   Analyse

41

A.   Norme de contrôle

41

B.   Principes généraux concernant l’admissibilité de la preuve par ouï-dire

43

C.   Utilisation du résultat de la perquisition dans l’analyse du seuil de fiabilité

49

D.   Seuil de fiabilité

64

E.     Utilisation du témoignage du plaignant dans l’analyse du seuil de fiabilité

76

VI.   Conclusion

80

 
I.               Aperçu
[1]                             La présente affaire concerne l’admission en preuve, lors du procès de l’appelant, d’une déclaration extrajudiciaire écrite d’un témoin à charge, K.A., qui a affirmé au cours de son interrogatoire par la Couronne n’avoir aucun souvenir des événements faisant l’objet des accusations portées contre l’appelant. Selon ce dernier, le juge du procès a erré en décidant que cette déclaration extrajudiciaire présentait les indices de fiabilité requis par les arrêts R. c. Khelawon, 2006 CSC 57, [2006] 2 R.C.S. 787, et R. c. Bradshaw, 2017 CSC 35, [2017] 1 R.C.S. 865, pour être admise en preuve. La Cour d’appel du Québec a confirmé, à la majorité, la décision du juge du procès d’admettre en preuve la déclaration. Le juge dissident aurait pour sa part écarté la déclaration et ordonné la tenue d’un nouveau procès.
[2]                             La question centrale consiste à déterminer si le juge du procès a fait erreur en concluant que la déclaration extrajudiciaire du témoin possède les indices de fiabilité requis selon les enseignements de notre jurisprudence. Cette détermination nous donne l’occasion de réaffirmer les enseignements de l’arrêt Bradshaw.
[3]                              Je partage l’avis du juge dissident de la Cour d’appel selon lequel le juge du procès a eu tort d’admettre la déclaration écrite du témoin en preuve au procès. Le résultat de la perquisition effectuée ultérieurement à la résidence de ce dernier ne satisfait pas aux critères de l’arrêt Bradshaw qui s’appliquent à la preuve corroborante. Comme la Couronne voulait utiliser la déclaration du témoin pour établir le rôle de l’appelant dans les événements, elle devait démontrer que le résultat de la perquisition confirmait cet aspect de la déclaration. Quant aux circonstances entourant la déclaration, elles ne permettent pas de conclure que le seuil de fiabilité est atteint.
[4]                             Par ailleurs, les juges majoritaires de la Cour d’appel n’auraient pas dû s’appuyer sur le témoignage du plaignant, rendu hors du voir-dire, pour déterminer que le seuil de fiabilité de la déclaration de K.A. était atteint. En appel, le mécanisme approprié pour considérer le témoignage du plaignant est la disposition réparatrice du sous‑al. 686(1)b)(iii) du Code criminel, L.R.C. 1985, c. C-46. Or, cette disposition ne peut être appliquée en l’espèce. Il n’est donc pas nécessaire de trancher la question distincte de l’étanchéité du voir-dire au stade du procès, d’autant plus que le juge du procès a explicitement refusé de tenir compte de la preuve qui n’était pas versée dans le cadre du voir-dire, et ce, conformément à la volonté des parties.
[5]                              En conséquence, j’accueillerais l’appel, j’annulerais les condamnations et j’ordonnerais un nouveau procès.
II.            Faits
[6]                             L’appelant a été accusé d’avoir commis des voies de fait armées, d’avoir utilisé une fausse arme à feu lors de la perpétration de voies de fait et d’avoir proféré des menaces.
[7]                             Les circonstances au cœur de l’affaire se sont déroulées le 24 février 2016, à l’école que fréquentaient à l’époque l’appelant, K.A. et le plaignant. Au procès de l’appelant devant juge seul, la Couronne a assigné K.A., le plaignant, un policier et une conseillère en rééducation qui travaillait à l’école. L’appelant a témoigné pour sa défense.
[8]                             Le plaignant a témoigné qu’il avait demandé à l’appelant de cesser d’importuner sa copine. L’appelant se serait fâché initialement, mais calmé par la suite. Plus tard, le plaignant est entré dans une salle de toilettes de l’école. Pendant qu’il se lavait les mains, il a senti quelque chose sur sa hanche. Lorsqu’il s’est tourné, il a vu qu’il s’agissait d’un pistolet tenu par l’appelant. Deux autres étudiants, K.A. et un dénommé Fares, étaient également présents. À la question du plaignant lui demandant si le pistolet « était un vrai », l’appelant lui a répondu : « Veux-tu voir si c’est un vrai? Je pense qu’il me reste une balle à l’intérieur » (d.a., vol. II, p. 305-306). Plus tard, K.A. et Fares ont rejoint le plaignant et lui ont indiqué qu’il s’agissait d’une fausse arme à feu.
[9]                             Le lendemain des événements, K.A. a été arrêté et mis en détention pour possession d’une arme à feu dans un dessein dangereux, possession d’une fausse arme à feu, port d’une arme à feu dissimulée, menaces de mort et agression armée. K.A. a été informé de ses droits et a consulté un avocat.
[10]                        Accompagné par sa mère, K.A. a été interrogé pendant environ une heure par les policiers enquêteurs et a fourni une déclaration écrite. Dans son témoignage lors du voir‑dire relatif à l’admissibilité de la déclaration de K.A., le policier enquêteur qui prenait les notes lors de l’interrogatoire ne pouvait garantir qu’il avait noté l’entièreté des questions posées ou même des paroles prononcées durant l’entrevue. L’entrevue n’a pas été enregistrée (par vidéo ou audio) et la déclaration n’a pas été faite sous serment. Les policiers enquêteurs n’ont pas averti K.A. des conséquences que pouvait entraîner une fausse déclaration.
[11]                        K.A. a admis dans sa déclaration écrite avoir été en possession de deux pistolets à plomb appartenant à Fares. Selon les dires de K.A., lorsqu’il se trouvait avec Fares et l’appelant dans la salle de toilettes, on lui a demandé de remettre un de ces pistolets à l’appelant. K.A. n’était pas au courant des démêlés entre l’appelant et le plaignant. L’appelant a pointé l’arme vers le plaignant en lui proférant des paroles menaçantes, puis a tenté d’effacer ses empreintes sur l’arme avant de la remettre à K.A. Peu après, ce dernier et Fares ont retrouvé le plaignant et lui ont dit que l’appelant n’était pas sérieux et qu’il ne faisait que plaisanter.
[12]                          La déclaration de K.A. décrit également les pistolets et l’endroit où ils se trouvaient chez lui, c’est-à-dire dans un tiroir de sa commode. Les policiers ont ensuite procédé à une perquisition et récupéré les pistolets à l’endroit indiqué par K.A. Par la suite, K.A. a plaidé coupable à une accusation de port d’arme dans un dessein dangereux pour la paix publique.
[13]                          Appelé par la Couronne comme témoin au procès de l’appelant, K.A. a prétendu n’avoir aucun souvenir des événements. La Couronne a alors demandé l’ouverture d’un voir-dire en vue de faire admettre en preuve l’enregistrement du plaidoyer de culpabilité de K.A. devant la Chambre de la jeunesse de la Cour du Québec. Le plaignant ayant déjà perdu en partie une journée de travail, le juge du procès a décidé de suspendre le voir-dire pour lui permettre de témoigner. Lorsque le juge du procès a rouvert le voir-dire, la Couronne a précisé qu’elle avait également l’intention de déposer en preuve la déclaration extrajudiciaire faite par K.A. aux policiers enquêteurs le 25 février 2016. 
[14]                          Le juge du procès a demandé si toute la preuve du procès allait être produite dans le cadre du voir-dire. Les parties ont convenu que le juge du procès pourrait tenir compte de la conduite de K.A. lors de son témoignage, mais que les autres éléments de preuve du procès ne seraient pas produits au voir-dire.
[15]                          Le juge du procès a admis en preuve au procès la déclaration extrajudiciaire de K.A., mais non son plaidoyer de culpabilité.
[16]                          Au procès, l’appelant a témoigné que le 24 février 2016, K.A. — personne qu’il ne connaissait pas — a proposé de lui montrer une tablette électronique iPad. Par la suite, l’appelant a croisé K.A. et une autre personne dans la salle de toilettes. K.A. lui a montré le iPad et mentionné qu’il avait également quelque chose d’autre à lui montrer. K.A. a alors sorti une arme à feu. L’appelant a pris l’arme pendant quelques secondes avant de la remettre à K.A. Le plaignant, qui se trouvait également dans la salle de toilettes, a demandé si le pistolet était « un vrai ». L’appelant a répondu « non », mais l’individu qui accompagnait K.A. a indiqué qu’il restait une balle à l’intérieur.
[17]                          Au terme du procès, l’appelant a été déclaré coupable des trois chefs d’accusation.
III.         Décisions des juridictions inférieures
A.           Cour du Québec (le juge Dupras)
(1)         Décision sur le voir-dire
[18]                        Au début de ses motifs, le juge du procès souligne que la preuve présentée au procès n’a pas été produite dans le cadre du voir-dire, à l’exception des éléments de preuve concernant le comportement de K.A. au procès. Le juge du procès s’appuie sur l’arrêt R. c. Conway (1997), 1997 CanLII 2726 (ON CA), 36 O.R. (3d) 579, de la Cour d’appel de l’Ontario, ainsi que sur des commentaires semblables formulés dans Bradshaw, pour statuer qu’il doit se limiter à la preuve soumise durant le voir-dire.
[19]                        Le juge du procès conclut sans difficulté que le premier critère de recevabilité du ouï‑dire, soit la nécessité, est respecté en raison du fait que, au procès, K.A. prétendait n’avoir aucun souvenir des événements.
[20]                          Il conclut également que le critère de la fiabilité est lui aussi respecté, soulignant les circonstances suivantes :
•                        K.A. a été informé de ses droits au moyen d’un formulaire propre aux mineurs.
•                        La mère de K.A. était présente tout au long de l’interrogatoire et de la rédaction de la déclaration, et elle a reçu des explications concernant les droits de son fils.
•                        K.A. a consulté un avocat avant de fournir sa déclaration.
•                        K.A. a admis, sans hésitation, sa responsabilité relative aux événements.
•                        Les questions des policiers enquêteurs n’étaient pas suggestives.
•                        Il n’y avait aucune preuve de déclarations contradictoires.
•                        K.A. n’était pas un individu criminalisé et il n’y avait aucune preuve d’éléments de moralité, de mode de vie criminel, de malhonnêteté antérieure ou d’intérêt dans l’issue du procès.
•                        K.A. a fourni sa déclaration le lendemain des événements.
•                        K.A. n’avait pas tenté de diminuer sa responsabilité pénale, ayant même fait des affirmations qui atténuaient la responsabilité de l’appelant. Cela distinguait la situation en cause de celles où un complice tente de se dégager de sa responsabilité en la rejetant sur un autre.
•                        Le discours possédait une structure intrinsèque et K.A. semblait adhérer à une logique inhérente, particulièrement en minimisant l’intention qui pourrait s’inférer du comportement de l’appelant.
[21]                          Le juge du procès considère aussi la saisie de pistolets chez K.A. comme une preuve corroborante. Il note que c’est de consentement que ces objets ont été saisis, ce qui démontre la volonté de K.A. de collaborer entièrement avec les autorités, au risque de s’incriminer.
[22]                        Le juge du procès identifie le danger spécifique du ouï-dire en jeu comme étant l’honnêteté du déclarant. Toutefois, compte tenu des circonstances et de la preuve corroborante, il conclut que la seule explication plausible de la déclaration est sa véracité quant à ses aspects importants.
(2)         Décision sur la culpabilité
[23]                        Le juge du procès commence son analyse en évaluant la valeur probante de la déclaration de K.A. Il souligne qu’il existe certaines divergences entre cette déclaration et une vidéo de surveillance (« pièce P-6 ») qui a capté les individus concernés dans un corridor à côté de la salle de toilettes. Notant qu’il n’avait pas encore visionné la pièce P-6 au moment de l’évaluation du seuil de fiabilité, le juge du procès constate « qu’une fois placée dans le contexte général de l’ensemble de la preuve, il existe des éléments de [la déclaration] dont la valeur probante doit être modulée à la baisse » (par. 45, reproduit au d.a., vol. I, p. 49).
[24]                        Le juge du procès conclut qu’il ne croit pas la version de l’appelant et qu’elle ne soulève pas de doute raisonnable.
[25]                        S’appuyant sur la pièce P-6 et le témoignage du plaignant, ainsi que sur les portions du témoignage de l’appelant qui le confirment, le juge du procès considère que la Couronne a établi la culpabilité de l’appelant hors de tout doute raisonnable. La force probante de certains passages de la déclaration de K.A. est compromise, mais d’autres passages demeurent utiles. Notamment, la déclaration est vérifiée en ce qui concerne l’emplacement de l’arme ou des armes. Pour ce qui est du « nœud de notre affaire, l’utilisation criminelle de l’arme par l’accusé », le juge du procès indique que la déclaration de K.A. soutient de manière générale la description du plaignant (par. 68). Lorsque les propos tenus par K.A. sont bien situés dans le contexte de l’ensemble de la preuve, ceux-ci « commande[nt] la reconnaissance [de leur] valeur probante certaine » (par. 69). Le juge du procès retient la version du plaignant, qu’il considère comme essentiellement étayée par la pièce P-6 et la déclaration de K.A.
[26]                        En conséquence, le juge du procès déclare l’appelant coupable des trois chefs d’accusation et ordonne un arrêt conditionnel des procédures à l’égard du deuxième chef.
B.            Cour d’appel du Québec, 2022 QCCA 1013, 82 C.R. (7th) 373
[27]                        Devant la Cour d’appel, l’appelant reproche au juge du procès d’avoir considéré que l’emplacement des pistolets constitue une preuve corroborante et d’avoir conclu que les circonstances entourant la déclaration suffisent pour satisfaire au seuil de fiabilité. Le juge dissident aurait accueilli l’appel sur la base de ces arguments, alors que les juges majoritaires les ont écartés. La Cour d’appel rejette à l’unanimité un deuxième argument concernant le par. 9(2) de la Loi sur la preuve au Canada, L.R.C. 1985, c. C-5, que l’appelant n’a pas repris devant notre Cour.
(1)         Le juge Bachand, dissident
[28]                          Le juge Bachand conclut que le résultat de la perquisition n’était pas pertinent pour décider si la déclaration était admissible pour établir le rôle de l’appelant dans l’incident. Une preuve corroborante ne peut être utilisée dans l’analyse du seuil de fiabilité que lorsque cette preuve, considérée globalement dans les circonstances de l’espèce, démontre que la seule explication plausible de la déclaration est sa véracité ou son exactitude quant à ses aspects importants. Le juge Bachand cite entre autres les motifs majoritaires rédigés par la juge Karakatsanis dans Bradshaw, indiquant que la preuve corroborante doit atténuer le besoin d’un contre-interrogatoire sur le point que la déclaration vise à prouver. 
[29]                          Or, il n’existe aucun lien entre le résultat de la perquisition et la question de savoir si l’appelant a manipulé l’arme et l’a utilisée pour menacer le plaignant. Par conséquent, si la Couronne déposait la déclaration pour faire la preuve de ce fait, le résultat de la perquisition ne pourrait être utilisé pour établir l’admissibilité de la déclaration. Cela demeure vrai même si la Couronne désirait également déposer la déclaration pour démontrer qu’une arme avait été employée. Le résultat de la perquisition pourrait alors être utilisé pour établir la fiabilité de la déclaration à l’égard de ce deuxième aspect, mais non à l’égard du premier.
[30]                        Quant aux circonstances entourant la déclaration, le juge Bachand statue qu’elles ne présentent pas de garanties suffisantes. Le juge du procès s’est appuyé sur certaines circonstances qui, à la lumière de la jurisprudence, doivent être considérées d’une importance très relative. K.A. avait des raisons de mentir, étant soupçonné d’avoir commis des infractions en lien avec les événements du 24 février 2016. La déclaration « avait assurément pour effet d’atténuer son propre rôle tout en imputant la responsabilité des infractions principalement à l’appelant » (par. 45). Le juge du procès a accordé peu d’importance à l’intérêt de K.A. à ne pas être identifié comme étant la personne qui a utilisé le pistolet et menacé le plaignant. On ne peut raisonnablement affirmer que les circonstances de la déclaration permettaient de conclure « irrésistiblement » à l’inutilité du contre-interrogatoire de K.A. (par. 48).
[31]                        Pour ce qui est du témoignage du plaignant, le juge Bachand souligne (dans une note en bas de page) que celui-ci ne faisait pas partie de la preuve invoquée dans le cadre du voir-dire.
[32]                        Finalement, le juge Bachand conclut que la disposition réparatrice énoncée au sous-al. 686(1)b)(iii) ne peut s’appliquer. 
(2)         Les juges Doyon et Cournoyer
[33]                        Les juges majoritaires rejettent l’appel, estimant que le juge dissident « décortique indûment la preuve et la jurisprudence », ce qui occasionne « la négation du principe cardinal qui consiste à privilégier une approche souple, un examen effectué au cas par cas, en tenant compte de toutes les circonstances » (par. 53). Cet examen « relève d’abord et avant tout du juge du procès puisqu’il est le mieux placé pour déterminer dans quelle mesure les dangers d’une preuve par ouï-dire sont présents » (par. 53).
[34]                        La situation est différente de celle de l’affaire Bradshaw. Ici, K.A. n’avait pas fait de déclarations antérieures contradictoires et il avait participé à une entrevue avec les policiers dans les heures suivant l’incident. Sa crédibilité n’était pas entachée au moment de sa déclaration, et la preuve corroborait un de ses deux aspects importants. La preuve ne peut être scindée pour limiter la corroboration à un volet : « À ce stade du procès, la déclaration avait une portée beaucoup plus vaste que celle décrite par [le juge dissident] et la découverte d’une arme en corroborait l’entièreté selon le juge [du procès] » (par. 59), ce qui ne constituait pas une erreur. En outre, le juge du procès ne s’est pas basé principalement ou exclusivement sur la corroboration pour admettre la preuve. Même si chaque facteur était insuffisant en soi, il était loisible au juge du procès de considérer les facteurs dans leur ensemble afin de conclure que le seuil de fiabilité avait été atteint.
[35]                        Au paragraphe 64 de leurs motifs, les juges majoritaires résument ainsi la preuve relative aux circonstances :
Un adolescent, qui a consulté un avocat et comprend la gravité de la situation et son obligation de dire la vérité en raison de la mise en garde et de la présence d’un parent, donne une courte déclaration fort cohérente peu de temps après les événements. Il est accompagné de sa mère (conformément à la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents pour assurer l’intégrité de la déclaration et même sa fiabilité : R. c. L.T.H., 2008 CSC 49, [2008] 2 R.C.S. 739, par. 38) et fait une déclaration écrite qu’il donne et signe sans contrainte ni même question suggestive. Dans cette déclaration, il s’incrimine totalement. À cela s’ajoute son consentement à ce que les policiers se rendent chez lui pour y saisir les armes, consentement qui démontre un désir véritable de collaborer [avec] la police en disant la vérité.
[36]                        Considérés dans leur ensemble, ces facteurs pouvaient justifier la conclusion du juge du procès.
[37]                        D’ailleurs, selon les juges majoritaires, K.A. n’a pas transféré sa responsabilité sur les épaules de l’appelant. Rien ne permettait de croire que K.A. avait un intérêt à faire une déclaration qui lui éviterait d’être identifié comme étant la personne qui avait utilisé le pistolet et proféré des menaces.
[38]                        Enfin, les juges majoritaires notent la similitude frappante entre le témoignage du plaignant et la déclaration de K.A. Ils indiquent que ce dernier n’a pas discuté du contenu de sa déclaration avec le plaignant, ce qui tend à confirmer que la déclaration était suffisamment fiable.
IV.         Questions en litige
[39]                        L’appelant soulève une seule question : Est-ce que la Cour d’appel du Québec a erré en droit en confirmant la décision d’admettre en preuve la déclaration de K.A. en suivant les principes établis de l’exception raisonnée au ouï-dire? 
[40]                        Les motifs des juges majoritaires de la Cour d’appel soulèvent une deuxième question : Est-ce que les juges majoritaires de la Cour d’appel ont fait erreur en s’appuyant sur le témoignage du plaignant pour conclure que la déclaration de K.A. satisfait au seuil de fiabilité?
V.           Analyse
A.           Norme de contrôle
[41]                        Les deux questions en litige sont assujetties à la norme de la décision correcte. L’admissibilité d’une preuve par ouï-dire est une question de droit. Toutefois, comme l’ont à juste titre souligné mes collègues dissidents, une cour d’appel doit faire preuve de retenue en ce qui concerne les conclusions de fait qui sous-tendent la décision sur l’admissibilité. Il faut d’ailleurs tenir compte du fait que « le juge du procès est bien placé pour apprécier les dangers associés au ouï-dire dans une affaire donnée et l’efficacité des garanties permettant de les écarter » (R. c. Youvarajah, 2013 CSC 41, [2013] 2 R.C.S. 720, par. 31). Ainsi, « en l’absence d’une erreur de principe de la part du juge du procès, il faut faire preuve de retenue à l’égard de sa conclusion quant au seuil de fiabilité » (par. 31).
[42]                        La question de savoir s’il était loisible aux juges majoritaires de la Cour d’appel de s’appuyer sur le témoignage du plaignant pour conclure que la déclaration de K.A. satisfait au seuil de fiabilité est elle aussi une question de droit. En conséquence, la norme de la décision correcte s’applique également à cette question.
B.            Principes généraux concernant l’admissibilité de la preuve par ouï-dire
[43]                        La preuve par ouï-dire est présumée inadmissible (voir, p. ex., Bradshaw, par. 1 et 21). Son inadmissibilité présumée s’explique par le fait qu’il est souvent difficile d’évaluer la véracité d’une déclaration faite à l’extérieur du tribunal. Dans Bradshaw, la juge Karakatsanis a expliqué que, de manière générale, « le ouï-dire n’est pas fait sous serment, le juge des faits ne peut observer le comportement du déclarant au moment où il fait sa déclaration, et le déclarant n’est pas soumis à l’épreuve du contre-interrogatoire » (par. 20). Or, « [l]e processus de recherche de la vérité d’un procès repose sur la présentation de la preuve en cour » (Bradshaw, par. 19) et « notre système accusatoire repose sur l’hypothèse voulant que le contre-interrogatoire représente le meilleur moyen de révéler les causes d’inexactitude ou de manque de fiabilité » (Khelawon, par. 48). Le ouï-dire est présumé inadmissible « principalement en raison de l’incapacité de le vérifier de cette façon » (Khelawon, par. 48; voir aussi Bradshaw, par. 1).
[44]                        Par conséquent, l’admission du ouï-dire est susceptible de « compromettre l’équité du procès et le processus de recherche de la vérité » (Bradshaw, par. 20). Il est possible que la déclaration soit « rapportée de manière inexacte, et le juge des faits ne peut pas facilement mettre à l’épreuve la perception, la mémoire, la relation du fait ou la sincérité du déclarant » (Bradshaw, par. 20, se référant à Khelawon, par. 2). Il existe alors un risque que cette preuve « se voie accorder plus de poids qu’elle n’en mérite » (Bradshaw, par. 21, citant Khelawon, par. 35).
[45]                        Cela dit, dans certains cas, la preuve par ouï-dire « présente des dangers minimes et son exclusion au lieu de son admission gênerait la constatation exacte des faits » (Khelawon, par. 2 (en italique dans l’original), cité dans Bradshaw, par. 22). Ainsi, au fil du temps, la jurisprudence a développé des catégories d’exceptions à la règle d’exclusion et, finalement, une approche plus souple. En vertu de l’exception raisonnée, « le ouï-dire peut exceptionnellement être admis en preuve lorsque la partie qui le produit démontre que le double critère de la nécessité et du seuil de fiabilité est respecté selon la prépondérance des probabilités » (Bradshaw, par. 23, se référant à Khelawon, par. 47). Pour démontrer que le seuil de fiabilité d’une déclaration est atteint, une partie peut établir sa fiabilité d’ordre procédural ou sa fiabilité substantielle.
[46]                        La fiabilité d’ordre procédural est établie lorsqu’il existe d’autres façons adéquates de vérifier la véracité et l’exactitude de la déclaration « compte tenu du fait que le déclarant n’a pas témoigné “sous serment devant le tribunal, tout en [subissant] un contre-interrogatoire minutieux” » (Bradshaw, par. 28, citant Khelawon, par. 63) Les juges des faits doivent avoir « une base satisfaisante pour apprécier rationnellement la véracité et l’exactitude de la déclaration relatée » (Bradshaw, par. 28). Les substituts aux garanties traditionnelles incluent « notamment un enregistrement vidéo de la déclaration, l’existence d’un serment et un avertissement au sujet des conséquences liées au fait de mentir » (Bradshaw, par. 28, se référant à R. c. B. (K.G.), 1993 CanLII 116 (CSC), [1993] 1 R.C.S. 740, p. 795-796). Habituellement, une certaine forme de contre-interrogatoire du déclarant, comme son témoignage à l’enquête préliminaire, est nécessaire (Bradshaw, par. 28).
[47]                        La fiabilité substantielle est établie lorsque la déclaration est intrinsèquement fiable. Pour déterminer si c’est le cas, les juges présidant les procès peuvent considérer les circonstances dans lesquelles la déclaration a été faite ainsi que la preuve qui la corrobore ou la contredit. La norme est élevée (Bradshaw, par. 31). Cela dit, il n’est pas nécessaire d’établir la fiabilité de manière absolument certaine. Les juges doivent plutôt être convaincus que la déclaration est « si fiable qu’il aurait été peu ou pas utile de contre-interroger le déclarant au moment précis où il s’est exprimé » (Khelawon, par. 49, cité dans Bradshaw, par. 31). Autrement dit, la preuve doit être « suffisamment fiable pour écarter les dangers que comporte la difficulté de la vérifier » (Bradshaw, par. 26, citant Khelawon, par. 49). Comme l’a expliqué la juge Karakatsanis au par. 31 de l’arrêt Bradshaw :
La fiabilité substantielle est établie lorsque la déclaration « a été faite dans des circonstances qui écartent considérablement la possibilité que le déclarant ait menti ou commis une erreur » ([R. c. Smith, 1992 CanLII 79 (CSC), [1992] 2 R.C.S. 915], p. 933); « dans des circonstances où même un sceptique prudent la considérerait comme très probablement fiable » (Khelawon, par. 62, citant [J. H. Wigmore, Evidence in Trials at Common Law (2e éd. 1923), vol. III], p. 154); lorsque la déclaration est si fiable qu’elle « ne serait pas susceptible de changer lors d’un contre‑interrogatoire » (Khelawon, par. 107; Smith, p. 937); lorsqu’« il n’y a pas de préoccupation réelle quant au caractère véridique ou non de la déclaration, vu les circonstances dans lesquelles elle a été faite » (Khelawon, par. 62); lorsque la seule explication probable est que la déclaration est véridique ([R. c. U. (F.J.), 1995 CanLII 74 (CSC), [1995] 3 R.C.S. 764], par. 40).
[48]                        En contexte criminel, « l’appréciation du seuil de fiabilité comporte une dimension constitutionnelle, parce que la difficulté de vérifier la preuve par ouï-dire peut compromettre le droit de l’accusé à un procès équitable » (Bradshaw, par. 24). En s’assurant que seul le ouï-dire qui est nécessaire et fiable soit admis, « le juge du procès agit à titre de gardien de la preuve. Il protège l’équité du procès et l’intégrité du processus de recherche de la vérité » (par. 24). 
C.            Utilisation du résultat de la perquisition dans l’analyse du seuil de fiabilité
[49]                        Rappelons que, pour déterminer si une « preuve corroborante est utile lors de l’examen de la fiabilité substantielle », le juge du procès devrait :
1.                     cerner les aspects importants de la déclaration relatée qui sont présentés pour établir la véracité de leur contenu;
 
2.                     cerner les dangers spécifiques du ouï-dire que posent ces aspects de la déclaration dans les circonstances particulières de l’affaire;
 
3.                     en fonction des circonstances et de ces dangers, envisager d’autres explications de la déclaration, qui peuvent même être conjecturales;
 
4.                     décider si, compte tenu des circonstances de l’affaire, la preuve corroborante présentée au voir-dire a écarté ces autres explications, de sorte que la seule explication plausible de la déclaration est la véracité du déclarant au sujet de ses aspects importants, ou l’exactitude de ces aspects.
 
(Bradshaw, par. 57)
[50]                        La Couronne prétend que la saisie des pistolets à l’endroit indiqué dans la déclaration constitue une preuve corroborante extrinsèque pertinente pour établir la fiabilité substantielle de la déclaration. Elle soutient que la déclaration de K.A. sert à établir deux aspects importants : (1) l’utilisation de l’arme et (2) le niveau d’implication de l’appelant. Pour les besoins de l’analyse, présumons que c’est bien le cas. La Couronne nous invite à conclure que, comme le résultat de la perquisition corrobore le premier aspect, il peut servir à corroborer la déclaration dans son entièreté. En effet, selon elle, il n’est pas nécessaire qu’une preuve corrobore tous les aspects importants d’une déclaration : il suffit qu’elle en corrobore un seul.
[51]                        Pour sa part, l’appelant soutient que la découverte des pistolets lors de la perquisition n’est pas liée au volet de la déclaration portant sur son rôle dans les événements et qu’en conséquence cette preuve ne peut être utilisée pour établir la fiabilité de la déclaration.
[52]                        Avec égards pour l’opinion exprimée par mes collègues dissidents, il n’existe aucun lien entre la découverte des pistolets de K.A. et le niveau d’implication de l’appelant. Cette preuve ne permet aucunement de confirmer que c’est l’appelant qui a manipulé un pistolet dans la salle de toilettes, et non K.A. (et ce, malgré le fait que c’est ce dernier qui se trouvait en possession des armes le lendemain). Ce volet de la déclaration ne met pas simplement en question la manipulation d’une arme, mais plutôt la manipulation d’une arme par l’appelant. Par conséquent, il est nécessaire de déterminer comment les enseignements de Bradshaw s’appliquent lorsque plusieurs aspects importants d’une déclaration ne sont pas liés entre eux.
[53]                        Je rejette les prétentions de la Couronne sur ce point, puisqu’elles se heurtent à la logique qui sous-tend le cadre d’analyse établi dans Bradshaw. À mon avis, une preuve ne peut pas servir à corroborer les aspects d’une déclaration auxquels elle n’est pas liée, même lorsque cette preuve confirme un autre aspect important de la déclaration en question.
[54]                        À l’étape du seuil de fiabilité, « ce ne sont pas tous les éléments de preuve corroborant la crédibilité du déclarant, la culpabilité de l’accusé ou la thèse d’une des parties, qui seront utiles » (Bradshaw, par. 44). Il n’est donc permis de « se fonder sur la preuve corroborante que si celle-ci, considérée globalement dans les circonstances de l’espèce, démontre que la seule explication plausible de la déclaration relatée est la véracité du déclarant au sujet de ses aspects importants, ou l’exactitude de ceux-ci » (par. 44). Ainsi, la preuve corroborante doit « atténuer le besoin d’un contre-interrogatoire, non pas de façon générale, mais sur le point que la déclaration relatée vise à prouver » (par. 45 (en italique dans l’original)).
[55]                        Il est vrai que c’est l’effet conjugué de la preuve corroborante et des circonstances de l’affaire, et non la preuve prise isolément, qui doit écarter les autres explications plausibles des aspects importants de la déclaration (voir Bradshaw, par. 47). Toutefois, cela n’atténue pas le besoin d’un lien entre la preuve et l’aspect que l’on tente de prouver. En l’absence d’un tel lien, la preuve n’est tout simplement pas utile à l’égard de la question de savoir si cet aspect spécifique est véridique ou exact; elle ne fait que corroborer la crédibilité de la personne ayant fait la déclaration, la culpabilité de l’accusé, ou la thèse d’une des parties, ce qui ne suffit pas (voir Bradshaw, par. 44; voir aussi les par. 45-46 et 72). Une preuve qui n’est pas liée aux aspects importants de la déclaration n’a donc pas la capacité, même en conjonction avec les circonstances de l’affaire, d’écarter les autres explications plausibles de ces aspects. 
[56]                        Il s’ensuit qu’une preuve qui confirme un aspect important d’une déclaration n’est pas nécessairement admissible pour établir sa fiabilité à l’égard de ses autres aspects importants. Lorsqu’une preuve ne fait que confirmer un aspect important d’une déclaration, sans plus, l’appui qu’elle apporte à d’autres aspects importants provient entièrement du fait qu’elle rehausse la crédibilité du déclarant ou de la déclarante. Cela demeure vrai, peu importe l’importance de l’aspect de la déclaration qui est confirmé par la preuve. Comme l’arrêt Bradshaw nous l’enseigne, il ne suffit pas qu’une preuve étaye généralement la crédibilité de l’auteur de la déclaration et une telle preuve ne peut être utilisée pour évaluer l’admissibilité des autres aspects de la déclaration. 
[57]                        En revanche, il est possible d’imaginer des situations où plusieurs aspects d’une déclaration sont liés, de sorte qu’une preuve qui démontre la véracité ou l’exactitude d’un d’entre eux permet également d’écarter les possibles explications visant les autres. Dans un tel cas, la preuve est suffisamment — quoiqu’indirectement — liée à ces autres aspects. Elle peut alors être utile à l’analyse de l’admissibilité de la déclaration à l’égard de tous ces aspects.
[58]                        Contrairement à ce que suggèrent mes collègues, il n’est pas question d’ajouter à la démarche établie dans Bradshaw une étape impliquant la scission de la preuve. C’est plutôt que le lien entre la preuve et chaque aspect de la déclaration qu’elle est censée confirmer est requis par cette démarche et par sa logique sous-jacente. Le cadre d’analyse élaboré dans Bradshaw sert à assurer qu’une preuve corroborante ne soit utilisée que dans les cas où elle porte sur l’aspect que l’on tente de prouver en déposant la déclaration. La nécessité du lien entre la preuve corroborante et l’aspect en question découle du rôle que cette preuve doit jouer. La preuve corroborante doit permettre, compte tenu des circonstances de l’affaire, d’écarter les explications plausibles autres que la véracité ou l’exactitude des aspects importants de la déclaration (par. 57, point 4).
[59]                        S’il peut sembler à première vue pointilleux de traiter séparément chaque aspect important, il importe toutefois de souligner que les critères énoncés dans Bradshaw visent à parer aux dangers posés par la preuve corroborante. Lorsqu’une déclaration ne présente pas ses propres indices de fiabilité, [traduction] « elle ne peut alors contribuer quoi que ce soit à l’instance, mais elle peut sembler le faire si elle est compatible avec d’autres éléments de preuve. Admettre une déclaration relatée uniquement parce qu’elle est compatible avec d’autres éléments de preuve, c’est utiliser cette déclaration comme une tare, un complément de poids : la déclaration s’ajoute aux autres éléments de preuve même si son propre poids dépend dans les faits de celui des autres éléments » (D. M. Paciocco, P. Paciocco et L. Stuesser, The Law of Evidence (8e éd. 2020), p. 167). D’ailleurs, [traduction] « il peut s’avérer difficile de contrôler la durée et la complexité du voir-dire concernant l’admissibilité si la fiabilité de la déclaration constituant du ouï-dire découle d’autres éléments de preuve. Lorsque la recherche de compatibilité est poussée trop loin, le voir-dire concernant l’admissibilité peut facilement devenir un procès parallèle chronophage » (p. 167).
[60]                        La juge Karakatsanis a traité de ces enjeux en élaborant le cadre d’analyse dans Bradshaw. Elle a expliqué que, afin de maintenir « la distinction entre le seuil de fiabilité et la fiabilité en dernière analyse et pour empêcher le voir-dire d’occulter le procès », il faut qu’il soit possible de distinguer la preuve admissible pour établir le seuil de fiabilité de celle qui est admissible au procès principal (par. 42). D’ailleurs, « [l]e fait de limiter l’utilisation de la preuve corroborante comme base de l’admission du ouï-dire atténue également le risque qu’une déclaration relatée incriminante soit admise simplement parce que la preuve de la culpabilité de l’accusé est forte » (par. 42). En effet, « [p]lus la preuve contre l’accusé est forte, plus il serait facile d’admettre contre lui un ouï-dire entaché d’un vice et non fiable » (par. 42). Le rôle particulier de la preuve corroborante dans l’analyse du seuil de fiabilité explique les limites à son utilisation :
L’examen limité de la preuve corroborante découle du fait que, à l’étape du seuil de fiabilité, la preuve corroborante est utilisée d’une manière distincte, au plan qualitatif, de la manière dont le juge des faits l’utilise pour évaluer la fiabilité de la déclaration en dernière analyse. Comme l’expliquent Lederman, Bryant et Fuerst, à l’étape du seuil de fiabilité,
 
[traduction] [l]e recours à la preuve corroborante devrait viser la fiabilité du ouï‑dire. Certains éléments de preuve peuvent servir de preuve corroborante et appuyer la thèse du ministère public lorsqu’ils sont examinés dans le contexte de l’ensemble de la preuve. Ces éléments de preuve se rapportent au fond de l’affaire plutôt qu’au contexte restreint du voir‑dire en vue d’évaluer la crédibilité de la déclaration, et il vaut mieux en laisser l’appréciation au juge des faits.
 
(S. N. Lederman, A. W. Bryant et M. K. Fuerst, The Law of Evidence in Canada (4e éd. 2014), §6.140)
 
(Bradshaw, par. 42)
[61]                        La norme énoncée dans Bradshaw est le fruit d’une jurisprudence qui a fluctué entre diverses manières d’aborder la preuve corroborante à l’étape du seuil de fiabilité. À un certain moment, notre Cour avait même proscrit l’utilisation de cette preuve (voir R. c. Starr, 2000 CSC 40, [2000] 2 R.C.S. 144, par. 215 et 217), avant de statuer en 2006 qu’elle peut faire partie de l’analyse « dans les cas appropriés » (voir Khelawon, par. 4). Il faut donc veiller à préserver l’équilibre que l’arrêt Bradshaw a établi entre la flexibilité requise par l’exception raisonnée et la protection contre les risques posés par la preuve corroborante. La position de la Couronne minerait cet équilibre; elle affaiblirait un des fondements de l’approche énoncée dans Bradshaw, soit la nécessité de démontrer l’existence d’un lien entre la preuve corroborante et les aspects importants de la déclaration.
[62]                        En l’espèce, le juge du procès a fait erreur en concluant que la véracité de la déclaration en ce qui a trait à l’emplacement des pistolets corrobore la déclaration dans son entièreté. Il n’existe aucun lien, même indirect, entre cette preuve et le degré de participation de l’appelant. Par conséquent, l’emplacement des pistolets ne peut pas servir à démontrer que ce volet de la déclaration satisfait à lui seul au seuil de fiabilité. Outre le fait qu’il établit la véracité de ce volet de la déclaration, cet élément de preuve ne permet pas d’écarter d’autres explications plausibles des événements. Par exemple, il ne permet pas de confirmer que c’est bien l’appelant, et non K.A., qui a proféré des menaces à l’endroit du plaignant. Comme on le verra dans la section suivante, de telles possibles explications sont très plausibles, puisque K.A. avait intérêt à exagérer la responsabilité de l’appelant.
[63]                        Il reste à déterminer si, compte tenu du rôle limité de la preuve de l’emplacement des pistolets, la déclaration satisfait au seuil de fiabilité.
D.           Seuil de fiabilité
[64]                        Le juge du procès a commis une erreur de principe en considérant l’emplacement des pistolets comme une preuve corroborant l’entièreté de la déclaration. En conséquence, il n’y pas lieu de faire montre de déférence à l’égard de sa conclusion concernant le seuil de fiabilité (voir Youvarajah, par. 31; voir aussi R. c. Mohamed, 2023 ONCA 104, 423 C.C.C. (3d) 308, par. 37). La Cour peut donc effectuer sa propre analyse de cette question.
[65]                        La Couronne prétend que le juge du procès a dûment considéré l’intérêt que K.A. avait à ne pas être identifié comme la personne ayant utilisé l’arme et proféré des menaces au plaignant. L’effet combiné de la preuve corroborante et des circonstances écarte les dangers particuliers posés par la déclaration. Il s’agissait d’une déclaration contre l’intérêt de K.A. à plus d’un égard. Il a même consenti à une perquisition à sa résidence.
[66]                        Je ne suis pas d’accord. À mon avis, les juges majoritaires de la Cour d’appel ont erré en concluant que la déclaration satisfait au seuil de fiabilité. À l’instar du juge Bachand, j’estime que le juge du procès n’aurait pas dû admettre la déclaration.
[67]                        La déclaration de K.A. présente des dangers importants. Les juges majoritaires de la Cour d’appel ont fait erreur en écartant la possibilité que K.A. ait eu intérêt à minimiser son rôle dans les événements. Au moment de sa déclaration, il était avantageux pour K.A. d’offrir un récit limitant sa participation à la possession des armes. Un tel récit lui permettait d’expliquer la présence des armes chez lui, tout en évitant les accusations qui impliquaient un degré de participation plus élevé.
[68]                        L’appelant a raison de souligner que, puisque K.A. est un complice, sa déclaration soulève des préoccupations particulières liées à la fiabilité. Dans Youvarajah, la juge Karakatsanis a expliqué que « [l]e droit criminel se méfie généralement, et ce à juste titre, des déclarations accablantes contre un complice. Il est depuis longtemps reconnu que le témoignage d’un complice contre un autre risque d’être intéressé et qu’il est hasardeux de s’y fier en l’absence d’éléments corroborants » (par. 62). En effet, « la raison qui justifie l’admissibilité de la déclaration contre l’intérêt de son auteur ne tient plus lorsqu’il s’agit d’opposer cette déclaration à un tiers » (par. 59). D’autant plus lorsque la personne qui fait la déclaration s’attribue une responsabilité moindre que celle qu’elle attribue au tiers, risquant ainsi de subir des conséquences moins graves que celui-ci (voir Youvarajah, par. 60; voir aussi Bradshaw, par. 92).
[69]                        Le risque dont la juge Karakatsanis a fait état dans Youvarajah est clairement présent en l’espèce. Bien que K.A. s’incrimine dans une certaine mesure, il décrit sa propre conduite comme étant beaucoup moins grave que celle de l’appelant. Ainsi que le souligne la Couronne, il est vrai que K.A. qualifie l’incident de blague immature, ce qui tend à minimiser l’ampleur de la responsabilité de l’appelant. Ce faisant, toutefois, il n’augmente aucunement la responsabilité qu’il s’attribue; il se trouve plutôt à atténuer la gravité de l’incident en tant que tel. Le risque particulier en l’occurrence n’est pas que K.A. ait voulu exagérer l’implication de l’appelant dans l’abstrait, mais plutôt qu’il l’ait fait dans le but d’éluder sa propre responsabilité. En somme, il existe un danger bien réel que K.A. ait tenté de transférer sa responsabilité à l’appelant dans sa déclaration. En effet, comme l’appelant le note, la déclaration de K.A. fait reposer une grande partie de la responsabilité sur Fares et sur l’appelant.
[70]                        En absence d’une preuve externe confirmant que l’appelant a joué le rôle principal dans la salle de toilettes, les garanties circonstancielles ne permettent pas d’écarter les dangers présentés par la déclaration de K.A.
[71]                        Comme en ce qui a trait à l’absence de questions suggestives (voir R. c. Couture, 2007 CSC 28, [2007] 2 R.C.S. 517, par. 100-101), l’absence de déclarations contradictoires, de promesses d’un avantage ou encore d’un mode de vie criminalisé ne révèle qu’une absence de facteurs qui, s’ils étaient présents, auraient diminué la valeur d’une déclaration qui serait autrement fiable. Rien dans le contexte factuel de l’espèce ne suggère que ces circonstances présentent une mesure de fiabilité plus élevée à l’égard des dangers spécifiques qui découlent de la déclaration de K.A.
[72]                        D’ailleurs, il faut apporter quelques nuances à l’utilité des facteurs que le juge du procès a considérés dans le contexte factuel de l’espèce. Il est loin d’être clair qu’il y a absence de mode de vie criminalisé. Au contraire, K.A. a indiqué qu’il entendait vendre les pistolets sur le marché noir avec Fares. Quant à la présence de la mère de K.A., cette circonstance n’est pas réellement un indice de fiabilité; il est en effet possible que K.A. n’ait pas voulu que sa mère soit au courant de son degré d’implication, ce qui aurait pu le motiver à mentir. En conséquence, il s’agit plutôt d’un facteur neutre. La proximité temporelle entre la déclaration et les événements permet d’atténuer le risque que K.A. n’ait pas eu un souvenir exact de ceux-ci. Cependant, ce facteur n’est pas utile pour juger du danger spécifique posé par la déclaration, soit que K.A. avait intérêt à mentir.
[73]                        Mes collègues dissidents font mention du fait que K.A. a consulté un avocat avant de faire sa déclaration, et réfèrent au par. 38 de l’arrêt R. c. L.T.H., 2008 CSC 49, [2008] 2 R.C.S. 739. Or, puisqu’on ne peut pas spéculer sur le contenu des discussions entre K.A. et l’avocat, cette consultation ne permet pas d’exclure le risque que K.A. tentait de minimiser sa responsabilité. Ce risque est bien différent des enjeux de fiabilité discutés par notre Cour au par. 38 de L.T.H., à savoir « les fausses confessions de la part d’adolescents enclins à faire une déclaration pour mettre fin à l’interrogatoire ou pour plaire à une personne en autorité » et la nécessité « de garantir que toute déclaration résulte de l’exercice du libre arbitre de son auteur ». De plus, dans L.T.H., la Cour traitait de l’al. 146(2)b) de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents, L.C. 2002, c. 1, une disposition avec une portée plus vaste que la simple consultation avec un avocat ou une avocate.
[74]                        Par ailleurs, les indices de fiabilité procédurale ne sont pas rassurants. Les substituts usuels aux garanties traditionnelles sont absents. Il n’y a aucun enregistrement de la déclaration ni de l’entrevue qui l’a précédée (dont le policier enquêteur n’avait qu’un souvenir limité au voir-dire). K.A. n’a pas été assermenté, et bien qu’on lui ait lu ses droits, il n’a pas reçu de mise en garde des enquêteurs concernant la nécessité de leur dire la vérité et les conséquences liées au fait de mentir (voir B. (K.G.), p. 795-796). En outre, étant donné que K.A. prétendait n’avoir aucun souvenir des événements, la défense était privée de toute possibilité de le contre-interroger. Or, une certaine forme de contre-interrogatoire est habituellement nécessaire pour établir la fiabilité procédurale (Bradshaw, par. 28).
[75]                        En somme, les indices de fiabilité — que ce soit de fiabilité substantielle, de fiabilité procédurale, ou des deux— ne permettent pas de conclure à l’admissibilité de la déclaration extrajudiciaire de K.A. On ne saurait affirmer qu’il aurait été peu ou pas utile de contre-interroger K.A. au moment où il a fait sa déclaration aux policiers. Cette déclaration comporte de nombreux aspects qui, sans contre-interrogatoire, demeurent impossibles à vérifier. On ne peut pas vérifier, par exemple, que K.A. n’était pas au courant des démêlés entre l’appelant et le plaignant et du fait que les pistolets appartenaient à Fares. Il subsiste une préoccupation réelle quant à la véracité de la déclaration, en raison de l’opportunité que K.A. avait de minimiser sa responsabilité et d’exagérer celle de l’appelant. Les indices de fiabilité n’écartent pas cette possibilité. Ainsi, l’effet conjugué de la preuve corroborante et des circonstances n’écarte pas « les dangers spécifiques du ouï-dire que pose la déclaration » de K.A. de sorte que sa « seule explication plausible [. . .] est la véracité [de K.A.] au sujet de ses aspects importants, ou l’exactitude de ceux-ci » (Bradshaw, par. 47 (en italique dans l’original)).
E.            Utilisation du témoignage du plaignant dans l’analyse du seuil de fiabilité
[76]                        La Couronne prétend également que le témoignage du plaignant corrobore la déclaration de K.A. en ce qui concerne le rôle de l’appelant, de telle sorte que ce volet de la déclaration satisfait au seuil de fiabilité. Rappelons que, malgré le fait que le plaignant a témoigné avant que le juge du procès ait rendu sa décision sur le voir-dire, son témoignage n’en faisait pas partie. En effet, le juge du procès a explicitement demandé aux parties si toute la preuve du procès allait être versée dans le cadre du voir-dire et la défense a refusé de donner son consentement à cet égard. Les parties se sont entendues pour que seule la conduite de K.A. lors de son témoignage soit prise en compte. Ainsi, il était clair que le témoignage du plaignant ne ferait pas partie de l’analyse du seuil de fiabilité. Néanmoins, à la fin de leur analyse, les juges majoritaires de la Cour d’appel ont indiqué que la « similitude frappante » entre le témoignage du plaignant et la déclaration de K.A. tend à confirmer que cette déclaration est suffisamment fiable pour être admissible (par. 71). Selon la Couronne, notre Cour devrait également tenir compte de cette preuve dans l’analyse du seuil de fiabilité, malgré le fait qu’elle n’a pas été formellement versée dans le cadre du voir-dire.
[77]                        Cette position ne peut être retenue. 
[78]                        En appel, la seule avenue qui aurait permis de tenir compte du témoignage du plaignant est la disposition réparatrice. Cependant, la Couronne a choisi de ne pas invoquer cette disposition devant notre Cour. De toute manière, comme l’a souligné le juge dissident, le juge du procès s’est expressément référé à la déclaration de K.A. dans ses conclusions relatives à la culpabilité de l’appelant. L’on ne peut donc pas conclure que l’admission de la déclaration par le juge du procès a constitué une erreur inoffensive ou négligeable. Il n’est pas non plus « clair que la preuve tendant à établir la culpabilité de l’accusé est à ce point accablante qu’il serait impossible d’obtenir un verdict autre qu’une déclaration de culpabilité » (voir R. c. Khan, 2001 CSC 86, [2001] 3 R.C.S. 823, par. 31). 
[79]                        En conséquence, la Cour d’appel ne pouvait pas tenir compte du témoignage du plaignant pour décider l’appel, sauf dans le cadre de la disposition réparatrice. Par ailleurs, il n’est pas nécessaire de trancher la question soulevée par la Couronne relativement à l’étanchéité du voir-dire à l’étape du procès. Cette question soulève des préoccupations liées à la fonction particulière du voir-dire, notamment le principe voulant que le voir-dire ne doive pas « occulter le procès » (voir Bradshaw, par. 42) et l’équité procédurale. La Cour d’appel n’ayant abordé le témoignage du plaignant qu’en passant, et l’appelant n’ayant pas réellement abordé l’étanchéité du voir-dire dans son mémoire, je laisserai l’examen de cette question à une autre occasion.
VI.         Conclusion
[80]                        Pour ces motifs, je suis d’avis d’accueillir l’appel, d’annuler les condamnations et d’ordonner un nouveau procès.
                  Les motifs des juges Côté, Rowe et Kasirer ont été rendus par
                  Les juges Côté et Kasirer — 
I.               Survol
[81]                        Nous avons eu l’avantage de lire les motifs de notre collègue la juge Moreau. Avec égards, et essentiellement pour les motifs exposés par les juges majoritaires de la Cour d’appel, les juges Doyon et Cournoyer, nous sommes d’avis qu’il y a lieu de rejeter l’appel (2022 QCCA 1013, 82 C.R. (7th) 373). Tout comme les juges majoritaires en appel, nous estimons que la décision du juge de première instance d’admettre en preuve la déclaration extrajudiciaire de K.A. en vertu de l’exception raisonnée à la règle d’exclusion du ouï‑dire est exempte d’erreur révisable.
[82]                        Au soutien de son appel devant notre Cour, l’appelant nous invite à adopter la position du juge dissident de la Cour d’appel sur cette question. Ce dernier considère que le juge de première instance a erré en retenant, pour évaluer l’admissibilité de la déclaration dans son ensemble, un élément de preuve qui ne corroborait que partiellement les aspects importants de la déclaration de K.A. En outre, le juge de première instance aurait commis une erreur de principe en tenant compte de circonstances qui n’avaient qu’un poids très relatif.
[83]                        Quant à l’intimé, il fait siennes les explications données par les juges majoritaires de la Cour d’appel sur ces deux points. En plus, il prend note du commentaire suivant formulé par les juges majoritaires dans l’avant‑dernier paragraphe de leurs motifs : « Pour terminer, il est difficile de faire abstraction de la similitude frappante entre le témoignage de la victime et la déclaration de K.A., qui n’a évidemment pas discuté avec la victime du contenu de sa déclaration, ce qui est de nature à confirmer que la preuve par ouï‑dire était suffisamment fiable pour être admissible » (par. 71). Pour l’intimé, la Cour d’appel pouvait validement tenir compte du témoignage du plaignant au procès, qui a été rendu avant la clôture du voir‑dire mais n’y a pas été versé.
[84]                        Nous sommes d’accord avec l’intimé pour dire que les deux moyens présentés par l’appelant sont sans fondement. En revanche, pour ce qui est de la question de l’étanchéité du voir‑dire, nous souscrivons à la conclusion de notre collègue la juge Moreau. D’une part, la disposition réparatrice est le mécanisme approprié pour considérer, en appel, un élément de preuve admis au procès qui n’a pas été versé au voir‑dire, tel le témoignage du plaignant en l’espèce (par. 4). D’autre part, il n’est pas nécessaire pour notre Cour de trancher, dans le cadre du présent pourvoi, la question distincte de l’étanchéité du voir‑dire au stade du procès (par. 79). D’autant plus que l’appelant lui‑même reconnaît, à bon droit, que le commentaire des juges majoritaires est un obiter dictum, une remarque incidente, à l’égard d’une question qui n’a pas été soulevée en première instance.
II.            Analyse
[85]                        Avant de débuter l’analyse, il convient d’identifier la norme de contrôle applicable, point sur lequel les parties s’entendent. En soi, la question de savoir si une déclaration pouvait être introduite en preuve en vertu de l’exception raisonnée à la règle d’exclusion du ouï‑dire constitue une question de droit, qui est révisable en appel suivant la norme de la décision correcte (voir R. c. Le, 2019 CSC 34, [2019] 2 R.C.S. 692, par. 23; R. c. Youvarajah, 2013 CSC 41, [2013] 2 R.C.S. 720, par. 31). Toutefois, les conclusions de fait tirées par le juge de première instance commandent la déférence. De même, « en l’absence d’une erreur de principe de la part du juge du procès, il faut faire preuve de retenue à l’égard de sa conclusion quant au seuil de fiabilité » (Youvarajah, par. 31; voir aussi R. c. Couture, 2007 CSC 28, [2007] 2 R.C.S. 517, par. 81).
[86]                        La norme de contrôle applicable ayant été exposée, il y a lieu maintenant d’examiner tour à tour les moyens soulevés par les parties.
A.           La prise en compte du résultat de la perquisition dans l’évaluation du seuil de fiabilité
[87]                        S’appuyant notamment sur l’arrêt R. c. Bradshaw, 2017 CSC 35, [2017] 1 R.C.S. 865, l’appelant soutient que le résultat de la perquisition ne peut, en l’espèce, constituer une preuve utile à l’examen de la fiabilité substantielle. Il est d’accord avec le juge dissident que le juge du procès a commis une erreur en tenant compte du résultat de la perquisition dans l’évaluation du seuil de la fiabilité, car cet élément de preuve « était sans pertinence dans l’analyse du seuil de fiabilité quant à l’affirmation de K.A. sur le comportement et les paroles de l’appelant lors de l’incident de la salle de toilette » (motifs de la C.A., par. 35).
[88]                        Nous ne sommes pas de cet avis.
[89]                        L’appelant était accusé d’avoir perpétré des voies de fait armées, d’avoir utilisé une fausse arme à feu lors de la perpétration de voies de fait et d’avoir proféré des menaces. Les juges Doyon et Cournoyer rappellent à juste titre, que, au moment du voir‑dire portant sur l’admissibilité de la déclaration de K.A., l’appelant n’avait pas encore témoigné au fond et rien n’était admis. La Couronne devait donc prouver hors de tout doute raisonnable tous les éléments essentiels de chaque infraction.
[90]                        Les juges majoritaires de la Cour d’appel ont en conséquence raison de souligner qu’il « fallait [. . .] démontrer à la fois la participation de l’appelant et l’utilisation d’une arme » et que, « [e]n démontrant la présence d’une arme chez le témoin, la preuve confirmait son existence et corroborait la version du témoin qui relatait l’utilisation d’une arme par l’appelant, arme qu’il lui avait lui‑même remise » (par. 58). Autrement dit, puisque la manipulation d’une arme implique nécessairement la présence d’une arme, il s’ensuit que la preuve de la manipulation de l’arme par l’appelant nécessite la preuve de la présence de l’arme. Compte tenu des accusations portées et du fardeau qu’elles entraînaient pour la poursuite, il y a effectivement un lien logique entre l’aspect de la déclaration portant sur la présence de l’arme dans la salle de toilettes, corroborée par la découverte de l’arme chez K.A., et l’aspect de la déclaration portant sur la manipulation de cette même arme par l’appelant au même moment et au même endroit. Bien que la déclaration de K.A. comporte effectivement ces aspects importants mais distincts, ceux‑ci sont logiquement imbriqués.
[91]                        Un tel lien logique permet, lors de l’évaluation du seuil de fiabilité, de tenir compte d’une preuve corroborante qui ne vise pas la totalité des aspects importants d’une déclaration. Une preuve de cette nature ne pourra généralement pas suffire, en elle‑même, à établir le seuil de fiabilité. Notre Cour a déjà statué que ce seuil pourra alors être atteint par le biais de l’effet conjugué de la preuve corroborante et des circonstances qui constituent des indices de fiabilité (voir Bradshaw, par. 44, 47 et 57).
[92]                        Par conséquent, c’est à bon droit que la Cour d’appel du Manitoba a conclu dans l’arrêt R. c. Hall, 2018 MBCA 122, [2019] 1 W.W.R. 612, que [traduction] « l’argument [. . .] selon lequel la fiabilité substantielle requiert l’existence de preuve corroborante sur tous les aspects importants de la déclaration relatée doit être rejeté » (par. 85). Dans un tel cas, le seuil de fiabilité substantielle peut être atteint par l’effet conjugué de la preuve corroborante et des circonstances qui constituent des indices de fiabilité, celles‑ci permettant de remédier à l’insuffisance de la preuve corroborante (voir Hall, par. 82‑85; R. c. Burns, 2016 SKCA 67, 337 C.C.C. (3d) 523, par. 30; R. c. Allary, 2021 SKCA 110). Comme l’ont souligné les juges majoritaires de la Cour d’appel (au par. 53), cette approche reflète la flexibilité inhérente de l’exception raisonnée (voir notamment R. c. U. (F.J.), 1995 CanLII 74 (CSC), [1995] 3 R.C.S. 764, par. 35; R. c. Khelawon, 2006 CSC 57, [2006] 2 R.C.S. 787, par. 45).
[93]                        Dans ce contexte, et avec égards pour l’opinion du juge dissident, nous sommes d’accord avec les juges majoritaires pour dire que ce dernier se méprend en limitant la valeur de la preuve corroborante à un seul des deux aspects importants de la déclaration, alors que ces derniers sont pourtant logiquement imbriqués. Sur cette question, les juges majoritaires écrivent ceci :
Nous ne partageons pas l’avis de notre collègue qui estime que cette corroboration ne peut confirmer que le second aspect de la déclaration, et non le premier qui porte sur la participation de l’appelant. On ne peut, de la sorte, scinder une preuve pour en limiter la corroboration à un volet important, au préjudice de l’autre. À ce stade du procès, la déclaration avait une portée beaucoup plus vaste que celle décrite par notre collègue et la découverte d’une arme en corroborait l’entièreté selon le juge. Nous ne voyons aucune erreur dans ce raisonnement. [par. 59]
[94]                        Puisque la preuve corroborante en cause a un lien logique avec les deux aspects de la déclaration, il n’est pas nécessaire de trancher la question distincte de savoir si, lorsqu’une déclaration comporte plusieurs aspects importants qui ne sont pas liés entre eux, le juge du procès doit procéder à une analyse globale de la déclaration ou examiner séparément chacun de ses aspects importants (voir les motifs de la C.A., par. 30‑34, 56‑57 et 59).
[95]                        Comme nous n’avons pas à décider de cette question, nous nous contenterons de brèves observations sur ce point.
[96]                        D’une part, même si notre Cour avait à l’esprit le fait qu’une déclaration puisse comporter plusieurs aspects importants lorsqu’elle a rendu l’arrêt Bradshaw, elle n’a pas jugé bon d’inclure la scission de la déclaration parmi les étapes de la démarche que le juge du procès doit suivre au moment d’évaluer l’admissibilité d’une déclaration extrajudiciaire conformément à l’exception raisonnée à la règle d’exclusion du ouï‑dire (voir le par. 57). Cela suggère fortement qu’il n’appartient pas au juge du procès de scinder la preuve.
[97]                        D’autre part, nous sommes d’avis qu’il appartient au juge des faits d’accorder foi à certains des aspects de la déclaration et non à d’autres. Cela semble être la meilleure manière de respecter la séparation entre le rôle de juge du procès — chargé des questions de droit — et celui de juge des faits — maître des déterminations factuelles — qui repose sur la distinction essentielle entre le seuil de fiabilité et la fiabilité en dernière analyse (voir Bradshaw, par. 39; Khelawon, par. 50). Il revient uniquement au juge du procès de décider si la déclaration relatée est suffisamment fiable pour justifier son admissibilité. Dans l’affirmative, il doit laisser au juge des faits le soin d’en évaluer la valeur probante à la lumière de l’ensemble des éléments de preuve (S. N. Lederman, M. K. Fuerst et H. C. Stewart, Sopinka, Lederman & Bryant : The Law of Evidence in Canada (6e éd. 2022), ¶6.147).
[98]                        Compte tenu de ce qui précède, nous concluons que le juge du procès n’a commis aucune erreur révisable en tenant compte de la découverte des armes en tant que preuve corroborante. Avec égards, c’est plutôt l’analyse du juge dissident à la Cour d’appel qui est viciée par l’erreur l’ayant amené à exclure le résultat de la perquisition.
B.            La prise en compte de certaines circonstances dans l’évaluation du seuil de la fiabilité
[99]                        L’appelant prétend que le juge de première instance a commis une erreur de principe qui a entaché sa conclusion selon laquelle le seuil de fiabilité était atteint en l’espèce. C’est dans l’exercice de pondération des circonstances relatives au seuil de fiabilité que cette erreur aurait été commise. Le juge de première instance aurait alors omis de distinguer les circonstances offrant une véritable garantie circonstancielle de fiabilité de celles qui n’avaient qu’un poids relatif, contrairement aux enseignements des arrêts Bradshaw et Couture. De l’avis de l’appelant, le juge dissident avait raison d’affirmer que le juge de première instance « s’est principalement appuyé sur des circonstances identiques ou analogues à celles que la Cour suprême a considérées comme ayant une importance très relative dans [les arrêts Couture et Bradshaw], et ce, sans jamais mentionner qu’elles pouvaient jouer tout au plus un rôle secondaire dans l’analyse du seuil de fiabilité » (motifs de la C.A., par. 42 (note en bas de page omise)). Le juge dissident conclut que « [l]a possibilité [que le juge de première instance] leur ait accordé une importance trop grande est donc réelle » (par. 42).
[100]                     L’appelant se méprend.
[101]                     Il appert des passages de l’arrêt de la Cour d’appel que nous venons de citer que le juge dissident n’identifie aucune erreur de principe, mais s’autorise plutôt de la présence de facteurs d’importance relative pour procéder à son propre examen des circonstances. Avec égards, cela n’est pas permis par la norme de contrôle applicable à l’évaluation du seuil de fiabilité qui, rappelons‑le, commande la déférence en appel (Youvarajah, par. 31; Couture, par. 81).
[102]                     Il est bien établi que la pertinence des circonstances se révèle au regard des dangers spécifiques associés au ouï-dire en question et, donc, au regard des faits de l’espèce (voir Khelawon, par. 45 et 55; Youvarajah, par. 21). Cela étant, il serait erroné de classifier, objectivement et de manière indépendante des faits de l’instance, les circonstances qui sont neutres ou secondaires et celles qui sont plus importantes. Ce n’est donc pas une démarche que le juge du procès est tenu d’entreprendre.
[103]                     Il est vrai que, dans l’arrêt Bradshaw, notre Cour a déclaré que des circonstances qui « “[. . .] révèlent simplement une absence de facteurs qui, s’ils étaient présents, diminueraient la valeur d’une déclaration par ailleurs fiable” [. . .] n’offrent pas une garantie circonstancielle de fiabilité » (Bradshaw, par. 92, citant Couture, par. 101). Il ne faut toutefois pas oublier que, dans le même paragraphe, notre Cour reconnaît que ces circonstances sont « pertinentes ». Pour reprendre les propos des juges majoritaires à la Cour d’appel, si de telles circonstances ne suffisent pas en elles‑mêmes à établir le seuil de fiabilité, « il reste que de telles circonstances, considérées en conjonction avec d’autres (par exemple, la corroboration même insuffisante en soi), peuvent mener à la conclusion que la déclaration a tous les attributs requis pour atteindre un seuil de fiabilité acceptable » (par. 62). Cette lecture de l’arrêt Bradshaw est d’ailleurs cohérente avec l’arrêt R. c. Khan, 1990 CanLII 77 (CSC), [1990] 2 R.C.S. 531, où notre Cour a jugé que « l’absence de toute raison de croire que la déclaration est le produit de l’imagination » était pertinente pour l’analyse (p. 547).
[104]                     Vu l’absence d’une erreur de principe ayant vicié l’analyse en première instance, les juges majoritaires ont eu raison de conclure que la décision du juge du procès commandait la déférence de la Cour d’appel. Il n’est donc ni nécessaire ni approprié pour nous de reprendre l’analyse des circonstances.
[105]                     Sur ce point, nous soulignons seulement, et ce avec égards, que le juge dissident semble avoir commis deux erreurs dans son analyse des circonstances. D’une part, contrairement à ce que ses motifs laissent entendre au par. 38, l’arrêt Bradshaw n’impose pas une règle rigide selon laquelle la fiabilité substantielle est toujours soumise à un seuil élevé; il constitue une simple reconnaissance du fait que, plus le risque que présente la déclaration est élevé au regard des faits de l’affaire, plus il devra y avoir de garanties de fiabilité pour que ce risque soit écarté (voir R. c. Larue, 2018 YKCA 9, 434 D.L.R. (4th) 155, par. 99‑101, conf. par 2019 CSC 25, [2019] 2 R.C.S. 398; R. c. Bernard, 2018 ABCA 396, 80 Alta. L.R. (6th) 258, par. 24). D’autre part, « le fait que le déclarant a reçu des conseils d’un proche ou d’un avocat avant de faire sa déclaration » n’est pas une circonstance « révélant simplement une absence de facteurs qui, s’ils étaient présents, diminueraient la valeur d’une déclaration par ailleurs fiable » (motifs de la C.A., par. 39, se référant à Bradshaw, par. 92). Dans R. c. L.T.H., 2008 CSC 49, [2008] 2 R.C.S. 739, par. 38, notre Cour a expressément reconnu que l’al. 146(2)b) de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents, L.C. 2002, c. 1, qui a notamment trait au droit de l’adolescent de consulter son avocat et certains adultes en qui il a confiance, « vise à garantir la fiabilité d’une déclaration ». À notre avis, l’intervention du parent ou de l’avocat atteint notamment cet objectif en garantissant que le déclarant a compris la gravité de la situation et son obligation de dire la vérité (voir les motifs de la C.A., par. 64, se référant à L.T.H., par. 38). Le fait que K.A. ait parlé avec un avocat, que sa mère l’ait accompagné au moment de sa déclaration et que sa mère ait été mise au courant de la teneur des droits de K.A. sont donc des indices de fiabilité dont le juge du procès pouvait validement tenir compte.
C.            La prise en compte du témoignage du plaignant au procès, qui n’a pas été versé au voir‑dire
[106]                     L’intimé soutient que les juges majoritaires de la Cour d’appel pouvaient validement tenir compte du témoignage du plaignant au procès, qui a été rendu avant la clôture du voir‑dire mais n’y a pas été versé (voir les motifs de la C.A., par. 71). Notre collègue la juge Moreau considère que « [e]n appel, le mécanisme approprié pour considérer le témoignage du plaignant est la disposition réparatrice du sous‑al. 686(1)b)(iii) du Code criminel, L.R.C. 1985, c. C‑46 » (par. 4). Nous sommes d’accord.
[107]                     Compte tenu de l’état de notre jurisprudence, nous reconnaissons que la question distincte de l’étanchéité du voir‑dire au stade du procès est ouverte. Par ailleurs, nous prenons bonne note toutefois que cette question n’a pas été soulevée par l’appelant au soutien de son appel, et que, selon ses dires, elle n’a pas été soulevée devant le premier juge. L’appelant est d’avis — avec raison — que le commentaire des juges majoritaires constitue un obiter. La question est sans objet dans le présent pourvoi, étant donné que ni l’une ni l’autre des parties ne conteste devant nous la décision du juge du procès de ne pas considérer le témoignage du plaignant, décision qui avait d’ailleurs été prise conformément à la volonté des parties.
[108]                     Dans les circonstances, nous sommes d’accord avec notre collègue la juge Moreau que la prudence s’impose : le présent pourvoi ne se prête pas à un traitement de la question des limites de l’étanchéité du voir‑dire au stade du procès.
III.         Conclusion
[109]                     Pour ces motifs, nous proposons de rejeter l’appel.
                    Pourvoi accueilli, les juges Côté, Rowe et Kasirer sont dissidents.
                    Procureure de l’appelant : Emmanuelle Rheault, Montréal.
                    Procureur de l’intimé : Directeur des poursuites criminelles et pénales, Montréal.

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Synthèse
Référence neutre : 2024CSC29 ?
Date de la décision : 25/09/2024

Analyses

juge du procès — circonstances — témoignage du plaignant — parties — preuve corroborante — Couronne — pistolets — explications plausibles — accusations — seuil de fiabilité — première instance — perquisition — responsabilité — arrêts Bradshaw — policiers enquêteurs — considérées


Parties
Demandeurs : R.
Défendeurs : Charles
Proposition de citation de la décision: Canada, Cour suprême, 25 septembre 2024, R. c. Charles, 2024 CSC 29


Origine de la décision
Date de l'import : 27/09/2024
Fonds documentaire ?: CAIJ
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;2024-09-25;2024csc29 ?

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