R. c. Wust, [2000] 1 R.C.S. 455
Lance William Wust Appelant
c.
Sa Majesté la Reine Intimée
et
Le procureur général de l’Ontario Intervenant
Répertorié: R. c. Wust
Référence neutre: 2000 CSC 18.
No du greffe: 26732.
1999: 9 novembre; 2000: 13 avril.
Présents: Les juges Gonthier, McLachlin, Iacobucci, Major, Bastarache, Binnie et Arbour.
en appel de la cour d’appel de la colombie‑britannique
POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique (1998), 107 B.C.A.C. 130, 174 W.A.C. 130, 125 C.C.C. (3d) 43, 17 C.R. (5th) 45, 53 C.R.R. (2d) 306, [1998] B.C.J. No. 1076 (QL), qui a accueilli en partie l’appel interjeté par le ministère public contre la peine infligée par le juge Grist (1997), 43 C.R.R. (2d) 320, [1997] B.C.J. No. 573 (QL), et qui a rejeté l’appel incident de l’accusé. Pourvoi accueilli.
Harry G. Stevenson, pour l’appelant.
Peter W. Ewert, c.r., et Geoffrey R. Gaul, pour l’intimée.
David Finley, pour l’intervenant.
Version française du jugement de la Cour rendu par
Le juge Arbour —
I. Introduction
1 Le présent pourvoi soulève une question juridique d’une simplicité trompeuse, qui a donné lieu à un certain nombre de décisions contradictoires par plusieurs cours d’appel. La question en litige est celle de savoir si, dans les cas où le législateur établit une peine minimale obligatoire, les tribunaux peuvent déduire de cette peine la période que le contrevenant a passée sous garde en attendant son procès et le prononcé de sa peine, lorsque, du fait de cette réduction, la peine infligée au délinquant serait inférieure à la peine minimale prévue par la loi.
2 Plus précisément, dans le présent pourvoi visant un arrêt de la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique, nous devons décider si le tribunal qui détermine la peine qu’il convient d’imposer au délinquant déclaré coupable de l’infraction de vol qualifié avec usage d’une arme à feu, prévue à l’al. 344a) du Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C‑46, peut exercer le pouvoir discrétionnaire que lui confère le par. 719(3) du Code pour prendre en compte la période passée sous garde par le délinquant avant le prononcé de sa peine (aussi appelée ci‑après «période de détention présentencielle»). L’alinéa 344a) prescrit une peine minimale obligatoire de quatre ans d’emprisonnement.
3 L’alinéa 344a) est l’une des diverses modifications qui ont été apportées au Code afin d’établir les peines minimales obligatoires applicables à l’égard des infractions relatives aux armes à feu créées par la Loi sur les armes à feu, L.C. 1995, ch. 39. Les modifications du Code qui découlent de l’édiction de la Loi sur les armes à feu n’ont eu aucune incidence sur les dispositions de l’art. 719 du Code, qui sont d’application générale. En particulier, le par. 719(3) précise que, pour fixer la peine à infliger à une personne déclarée coupable d’une infraction, le tribunal peut prendre en compte toute période que cette personne a passée sous garde par suite de l’infraction. La question de savoir si cette disposition s’applique aux peines minimales obligatoires a soulevé un problème d’interprétation législative que les tribunaux de la Colombie‑Britannique, de l’Ontario, du Québec et de la Nouvelle‑Écosse ont tranché de diverses façons au cours des quatre années qui ont suivi l’entrée en vigueur des modifications, tirant des conclusions divergentes en ce qui concerne l’interaction de ces deux dispositions.
4 La Cour d’appel du Québec a estimé qu’il ne convenait pas que le juge du procès prenne en compte la période de détention présentencielle dans les affaires où cette démarche entraînerait l’infliction d’une peine inférieure à la peine minimale obligatoire: R. c. Alain (1997), 119 C.C.C. (3d) 177, et R. c. Lapierre, [1998] R.J.Q. 677. Dans l’arrêt Lapierre, à la p. 685, le juge Proulx a estimé que l’application de l’al. 344a) exige l’infliction d’une peine de quatre ans d’emprisonnement car, aux termes du par. 719(1) du Code, la peine commence la journée où elle est infligée. Cependant, le juge Proulx a également reconnu, aux pp. 685 et 686, que l’élimination du pouvoir discrétionnaire de prendre en compte la période passée sous garde créait une certaine difficulté, puisque la prise en compte de cette période répond à un souci d’équité et au besoin d’éviter qu’une injustice soit commise dans l’affaire dont le tribunal est saisi.
5 D’autres cours ont suivi les arrêts Lapierre et Alain, et jugé que la période de détention avant le procès ne pouvait pas être soustraite d’une peine minimale obligatoire. Par exemple, le juge Langdon dans R. c. Sanko, [1998] O.J. No. 1026 (QL) (Div. gén.), et Madame le juge Bateman de la Cour d’appel de la Nouvelle‑Écosse dans R. c. Morrisey (1998), 124 C.C.C. (3d) 38, ont tous deux estimé qu’il n’était pas loisible au juge du procès d’exercer le pouvoir discrétionnaire prévu au par. 719(3) dans les cas où la peine en résultant serait plus courte que la peine minimale prescrite.
6 Le raisonnement de la Cour d’appel du Québec a également été suivi par la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique dans la présente affaire. L’appelant était l’une des cinq personnes qui avaient formé appel contre les peines qui leur avaient été infligées, plaidant l’inconstitutionnalité de l’al. 344a) au regard de l’art. 12 de la Charte canadienne des droits et libertés et demandant que le par. 719(3) soit interprété de façon à permettre la réduction de la peine minimale obligatoire prévue à l’al. 344a) par la prise en compte de la période de détention présentencielle. Rédigeant la décision unanime de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique, le juge en chef McEachern a confirmé la validité constitutionnelle de l’al. 344a): R. c. Wust (1998), 125 C.C.C. (3d) 43, à la p. 59. Le juge en chef McEachern a également raisonné que, comme le par. 719(1) précise qu’une peine commence la journée où elle est infligée, le caractère impératif du texte de l’al. 344a) a pour effet d’empêcher l’exercice du pouvoir discrétionnaire accordé au tribunal par le par. 719(3) lorsqu’il en résulterait une peine plus courte que la peine minimale de quatre ans prévue, sinon la peine obligatoire prescrite par l’al. 344a) serait réduite de façon inacceptable: Wust, à la p. 60.
7 À peu près à la même époque où la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique était appelée à statuer sur l’affaire Wust, la Cour d’appel de l’Ontario était saisie de la même question dans l’affaire R. c. McDonald (1998), 127 C.C.C. (3d) 57. Le juge Rosenberg, qui a rédigé la décision unanime de la Cour d’appel, a refusé de suivre les motifs exposés par le juge Proulx de la Cour d’appel du Québec dans l’arrêt Lapierre, précité, estimant plutôt que le par. 719(3) pouvait être appliqué à l’al. 344a). Après avoir minutieusement analysé ces deux dispositions en se fondant sur les principes d’interprétation législative et en renvoyant aux valeurs consacrées par la Charte, le juge Rosenberg a conclu que la période de détention présentencielle pouvait être prise en compte, même si cela avait pour effet de réduire à moins de quatre ans la peine minimale applicable en cas de déclaration de culpabilité, puisque la durée totale de l’emprisonnement serait quand même égale à ce minimum. Souscrivant aux motifs du juge Rosenberg, le juge Borins a profité de l’occasion inhabituelle qui se présentait pour infirmer la décision qu’il avait lui‑même rendue dans R. c. Brown (1976), 36 C.R.N.S. 246 (C. dist. Ont.), relativement à l’inapplicabilité du par. 649(2.1) (maintenant le par. 719(3)) à la peine minimale obligatoire qui était prévue au par. 5(2) de la Loi sur les stupéfiants, S.R.C. 1970, ch. N‑1.
8 Autre fait intéressant, dans R. c. Mills (1999), 133 C.C.C. (3d) 451, une formation de cinq juges de la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique a écarté l’arrêt qu’elle a rendu dans la présente affaire, adoptant les motifs exposés par le juge Rosenberg dans McDonald. Dans Mills, aux pp. 458 et 459, la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique a tiré la conclusion suivante:
[traduction] [L]’incarcération, avant ou après que l’affaire soit tranchée, constitue une privation de liberté grave, et il est fondamentalement injuste d’être contraint de ne pas en tenir compte dans la détermination de la peine. En outre, le fait de ne pas prendre en compte le temps passé sous garde peut être source d’écarts injustes dans les peines infligées à des délinquants se trouvant dans des situations similaires . . .
9 Notre Cour est donc appelée à trancher la question controversée de savoir si le par. 719(3) peut ou non être appliqué aux peines infligées en vertu de l’al. 344a) et, par implication, aux peines minimales obligatoires en général. Pour les motifs qui suivent, j’estime que le juge Rosenberg de la Cour d’appel a fait une analyse convaincante dans l’arrêt McDonald. Il ressort clairement de cet arrêt que notre Cour est en mesure de donner effet à la volonté du législateur que les délinquants déclarés coupables en vertu de l’al. 344a) reçoivent une peine minimale de quatre ans d’emprisonnement et à son désir, tout aussi important, de laisser aux juges le pouvoir discrétionnaire que leur confère le par. 719(3) de prendre en compte la période de détention présentencielle et de faire en sorte que justice soit rendue dans chaque cas.
II. Les faits et l’historique des procédures judiciaires
A. Les faits
10 Le 5 juillet 1996, l’appelant et deux complices ont commis un vol qualifié dans une station‑service, le visage couvert d’un foulard. Deux des voleurs, dont l’appelant, étaient armés. Ce dernier a braqué un pistolet semi‑automatique de neuf millimètres chargé sur le visage du caissier, lui a montré que l’arme était chargée et lui a demandé de l’argent. Le caissier lui a remis 780 $, après quoi l’appelant l’a frappé à plusieurs reprises à la tête avec le poing et a menacé de le tuer s’il donnait sa description à la police.
11 L’appelant a été arrêté peu de temps après et accusé de vol qualifié et de possession d’une arme à autorisation restreinte. Âgé de 22 ans à l’époque de l’infraction, l’appelant possédait un long casier judiciaire tant devant les tribunaux pour adolescents que devant les tribunaux pour adultes, ayant déjà fait l’objet de 30 déclarations de culpabilité depuis juillet 1990, y compris pour des infractions accompagnées de violence. Au moment où il a commis le vol qualifié, il était sous le coup d’une ordonnance lui interdisant d’avoir des armes à feu en sa possession. Il a été détenu pendant sept mois et demi avant son procès et la détermination de sa peine.
B. Cour suprême de la Colombie‑Britannique (1997), 43 C.R.R. (2d) 320
12 Au procès, le juge Grist de la Cour suprême de la Colombie‑Britannique a estimé que le pouvoir discrétionnaire prévu au par. 721(3) (maintenant le par. 719(3)) du Code était applicable à l’égard des peines infligées en vertu de l’al. 344a), car le fait de conclure autrement et de ne pas prendre en compte la période passée sous garde risquerait d’entraîner la violation de l’art. 12 de la Charte. Le juge Grist a déterminé que la peine qu’il convenait de prononcer en l’espèce était une peine d’emprisonnement de quatre ans et demi, à purger concurremment avec un emprisonnement d’un an pour le chef de possession d’une arme à autorisation restreinte. La peine ainsi infligée à l’appelant a été réduite d’un an pour prendre en compte la période de sept mois et demi qu’il avait passée sous garde en attendant le prononcé de sa peine, de sorte qu’il a été condamné à trois ans et demi de prison en vertu de l’al. 344a).
C. Cour d’appel de la Colombie‑Britannique (1998), 125 C.C.C. (3d) 43
13 Le ministère public a interjeté appel à la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique de la peine de trois ans et demi infligée à l’appelant, demandant qu’il soit plutôt condamné à sept ou huit ans d’emprisonnement, en raison de son casier judiciaire chargé. Le ministère public a également sollicité l’annulation de la réduction accordée pour la période de détention présentencielle. L’appelant a pour sa part formé un appel incident, plaidant que la peine minimale obligatoire prévue à l’al. 344a) est inconstitutionnelle parce qu’elle porte atteinte au droit à la protection contre tous traitements ou peines cruels et inusités qui lui est garanti par l’art. 12 de la Charte.
14 Rédigeant la décision unanime de la Cour d’appel, le juge en chef McEachern a confirmé la validité constitutionnelle de l’al. 344a) au regard de l’art. 12 de la Charte, décidant également que, suivant l’interprétation qu’il convient de donner à l’al. 344a), une peine d’au moins quatre ans d’emprisonnement s’imposait en l’espèce. Comme le par. 719(1) précise que la peine commence au moment où elle est infligée, le juge en chef McEachern a estimé qu’il n’était pas possible de réduire une peine pour prendre en compte la période passée sous garde par le délinquant avant son procès, lorsque, du fait de cette réduction, la peine infligée à ce dernier serait inférieure à la peine minimale prescrite. Cependant, il a jugé que, dans les cas où une telle réduction ne se traduit pas par une peine de moins de quatre ans, le par. 719(3) peut être appliqué: Wust, à la p. 60.
15 Le juge en chef McEachern a également examiné l’appel formé par le ministère public contre la peine et il a décidé que, dans les circonstances, la peine de quatre ans et demi infligée à l’appelant par le juge du procès n’était pas inappropriée. De plus, il a estimé que le juge du procès n’avait pas commis d’erreur en prenant en compte la période de détention présentencielle. Cependant, le juge en chef McEachern a modifié la peine, mais l’a réduite uniquement dans la mesure nécessaire pour infliger à l’appelant la peine minimale de quatre ans d’emprisonnement: Wust, à la p. 61.
16 L’appel à la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique dans la présente affaire a été entendu et tranché en même temps que quatre autres appels interjetés contre des peines infligées en vertu de l’al. 344a). Deux de ces appels font également l’objet de pourvois qui ont été entendus par notre Cour avec le présent pourvoi: R. c. Arthurs, [2000] 1 R.C.S. 481, 2000 CSC 19, et R. c. Arrance, [2000] 1 R.C.S. 488, 2000 CSC 20, qui sont tranchés en même temps que celui‑ci et auxquels s’appliquent également les présents motifs.
III. Les dispositions législatives pertinentes
17 Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C‑46
344. Quiconque commet un vol qualifié est coupable d’un acte criminel passible:
a) s’il y a usage d’une arme à feu lors de la perpétration de l’infraction, de l’emprisonnement à perpétuité, la peine minimale étant de quatre ans;
b) dans les autres cas, de l’emprisonnement à perpétuité.
718.1 (1) La peine est proportionnelle à la gravité de l’infraction et au degré de responsabilité du délinquant.
718.2 Le tribunal détermine la peine à infliger compte tenu également des principes suivants:
. . .
b) l’harmonisation des peines, c’est‑à‑dire l’infliction de peines semblables à celles infligées à des délinquants pour des infractions semblables commises dans des circonstances semblables;
. . .
718.3 (1) Lorsqu’une disposition prescrit différents degrés ou genres de peine à l’égard d’une infraction, la punition à infliger est, sous réserve des restrictions contenues dans la disposition, à la discrétion du tribunal qui condamne l’auteur de l’infraction.
(2) Lorsqu’une disposition prescrit une peine à l’égard d’une infraction, la peine à infliger est, sous réserve des restrictions contenues dans la disposition, laissée à l’appréciation du tribunal qui condamne l’auteur de l’infraction, mais nulle peine n’est une peine minimale à moins qu’elle ne soit déclarée telle.
. . .
719. (1) La peine commence au moment où elle est infligée, sauf lorsque le texte législatif applicable y pourvoit de façon différente.
. . .
(3) Pour fixer la peine à infliger à une personne déclarée coupable d’une infraction, le tribunal peut prendre en compte toute période que la personne a passée sous garde par suite de l’infraction.
(4) Malgré le paragraphe (1), une période d’emprisonnement, infligée par un tribunal de première instance ou par le tribunal saisi d’un appel, commence à courir ou est censée reprise, selon le cas, à la date où la personne déclarée coupable est arrêtée et mise sous garde aux termes de la sentence.
IV. L’analyse
A. Peines minimales obligatoires et principes généraux de détermination de la peine
18 Les peines minimales obligatoires ne constituent pas la norme au Canada, et elles dérogent aux principes généraux applicables en matière de détermination de la peine énoncés dans le Code, la jurisprudence et la littérature sur le sujet. En particulier, elles dérogent souvent au principe énoncé à l’art. 718.1 du Code, que le législateur a déclaré être le principe fondamental en matière de détermination de la peine: le principe de la proportionnalité. Plusieurs peines minimales obligatoires ont été contestées au regard de l’art. 12 de la Charte pour le motif qu’elles constituaient des peines cruelles et inusitées: voir, par exemple, R. c. Smith, [1987] 1 R.C.S. 1045, R. c. Goltz, [1991] 3 R.C.S. 485, et Morrisey, précité.
19 Dans certains cas, la peine minimale obligatoire contestée a été invalidée en application de l’art. 12 pour le motif que l’emprisonnement minimal prévu par la loi était ou pouvait être, sur une base hypothétique raisonnable, exagérément disproportionné eu égard à ce que commandaient les circonstances. Voir, par exemple, l’arrêt Smith, qui a invalidé le par. 5(2) de la Loi sur les stupéfiants; l’affaire R. c. Bill (1998), 13 C.R. (5th) 125 (C.S.C.‑B.), qui a invalidé la peine minimale de quatre ans d’emprisonnement que prescrivait l’al. 236a) du Code à l’égard des homicides involontaires coupables commis en utilisant une arme à feu; l’affaire R. c. Leimanis, [1992] B.C.J. No. 2280 (QL) (C. prov.), dans laquelle le tribunal a invalidé la peine minimale que prévoyait l’al. 88(1)c) de la Motor Vehicle Act de la C.‑B. et qui était imposée aux personnes qui conduisaient, mêmes si elles faisaient l’objet d’une ordonnance d’interdiction fondée sur l’al. 85a); et l’affaire R. c. Pasacreta, [1995] B.C.J. No. 2823 (QL) (C. prov.), dans laquelle on a également invalidé la même peine que celle en litige dans l’affaire Leimanis, qui était imposée aux personnes conduisant sous le coup d’une ordonnance d’interdiction fondée sur l’art. 84.
20 Dans d’autres affaires, des tribunaux ont, à titre de réparation, accordé l’exemption constitutionnelle de l’application de la peine minimale obligatoire prévue, confirmant ainsi la validité de la disposition législative en cause tout en exemptant le délinquant de son application: voir R. c. Chief (1989), 51 C.C.C. (3d) 265 (C.A.T.Y.); et R. c. McGillivary (1991), 62 C.C.C. (3d) 407 (C.A. Sask.). Enfin, dans certains cas où les tribunaux ont confirmé la validité constitutionnelle d’une peine minimale, ils ont souligné qu’on était parvenu à établir que, dans les circonstances de l’affaire dont ils étaient saisis, la peine minimale en cause était inappropriée ou sévère. Voir, par exemple, McDonald, précité, à la p. 85, le juge Rosenberg, et R. c. Hainnu, [1998] N.W.T.J. No. 101 (QL) (C.S.), au par. 71.
21 Même s’il est possible de soutenir que des peines sévères et inappropriées peuvent avoir un effet dissuasif considérable et que, en conséquence, de telles peines servent toujours un objectif valable, il me semble que l’infliction de peines injustement sévères risque davantage d’inspirer le mépris et le ressentiment que d’inciter au respect de la loi. Selon un principe bien établi du système de justice criminelle, le juge doit s’efforcer d’infliger une peine appropriée eu égard à l’affaire dont il est saisi: R. c. M. (C.A.), [1996] 1 R.C.S. 500, au par. 92, le juge en chef Lamer; R. c. Gladue, [1999] 1 R.C.S. 688, au par. 93, les juges Cory et Iacobucci.
22 En conséquence, il est important que les dispositions législatives qui portent — directement ou indirectement — sur des peines minimales obligatoires soient interprétées d’une manière qui soit compatible avec les principes généraux de la détermination de la peine et qui ne porte pas atteinte à l’intégrité du système de justice criminelle. Il est tout à fait possible, en l’espèce, de donner une telle interprétation et, à mon avis, cette interprétation tient compte du désir du législateur que toutes les peines soient administrées uniformément, sauf dans la mesure requise pour donner effet à une peine minimale obligatoire.
23 Conformément au principe général d’interprétation des lois énoncé par notre Cour dans Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27, aux par. 20 à 23, les peines minimales obligatoires doivent être considérées dans le contexte global du système de détermination de la peine, y compris le régime d’administration des peines prévu par la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, L.C. 1992, ch. 20. Plusieurs dispositions du Code et d’autres lois fédérales établissent les peines qui sont infligées aux personnes reconnues coupables d’infractions criminelles. La plupart des dispositions qui accordent la possibilité de recourir à l’emprisonnement le font en fixant une période d’emprisonnement maximale. Le tribunal appelé à décider de la peine qu’il convient d’imposer à un délinquant doit, conformément à la partie XXIII du Code, considérer divers objectifs et principes en matière de détermination de la peine tels que la dénonciation, la dissuasion générale ou spécifique, la sécurité publique, la réadaptation, la réparation, la proportionnalité, la disparité, ainsi que la totalité et la retenue, et il doit également tenir compte des circonstances aggravantes ou atténuantes. La jurisprudence fournit des précisions supplémentaires, souvent en indiquant quelle serait, dans les circonstances d’une affaire donnée, la fourchette des peines convenables. De plus, pour déterminer la peine appropriée, le tribunal doit tenir compte de certaines règles de calcul, par exemple la règle selon laquelle le début de la peine ne peut normalement être fixé à une date antérieure ou postérieure à celle de son prononcé: par. 719(1) du Code; voir également R. c. Patterson (1946), 87 C.C.C. 86 (C.A. Ont.), à la p. 87, le juge en chef Robertson, et R. c. Sloan (1947), 87 C.C.C. 198 (C.A. Ont.), aux pp. 198 et 199, le juge Roach, cité avec approbation par le juge Rosenberg de la Cour d’appel dans McDonald, précité, à la p. 71.
24 Le tribunal qui détermine la peine est rarement concerné par ce qui se produit après le prononcé de la peine, c’est‑à‑dire par l’exécution de la peine. Par contre, il doit parfois s’attacher à cet aspect de la question lorsqu’il recommande ou impose une forme particulière de traitement au délinquant. Dans les affaires de meurtre, par exemple, le tribunal qui détermine la peine fixe le délai préalable à la libération conditionnelle du contrevenant: art. 745.4 du Code. Cependant, une fois la peine d’emprisonnement infligée, ce sont essentiellement les dispositions de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition qui entrent en jeu en ce qui concerne l’exécution de cette peine, et celles‑ci ont presque invariablement pour effet d’entraîner la réduction de la période que purge concrètement en détention le délinquant. En vertu de cette loi, le délinquant bénéficie d’une réduction légale de peine, c’est‑à‑dire que la peine qui lui a été infligée est automatiquement écourtée. De plus, il devient éventuellement admissible aux mesures suivantes: permission de sortir avec escorte ou sans escorte, placement à l’extérieur, semi‑liberté et libération conditionnelle totale, et libération d’office. Bref, il est fort possible et même probable que, dans les faits, le délinquant ne sera pas incarcéré pendant toute la durée de la peine d’emprisonnement prononcée par le tribunal.
25 Aux termes de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, le délinquant qui bénéficie d’une libération conditionnelle ou d’office ou d’une permission de sortir sans escorte est réputé continuer — tant qu’il a le droit d’être en liberté — de purger sa peine d’emprisonnement jusqu’à l’expiration légale de celle‑ci: par. 128(1). Or, cette disposition s’applique dans tous les cas, même lorsque la peine d’emprisonnement qui a été infligée est une peine minimale obligatoire.
26 La Loi sur les armes à feu a une incidence, très minime toutefois, sur l’exécution des peines minimales obligatoires en ce qu’elle a modifié un article de l’annexe I de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition. On trouve, à cette annexe, la liste des infractions à l’égard desquelles le tribunal qui détermine la peine a le pouvoir d’allonger le temps d’épreuve, pour l’admissibilité à la libération conditionnelle totale, de la moitié de la peine à concurrence de dix ans, remplaçant ainsi le temps d’épreuve habituel pour l’admissibilité à la libération conditionnelle totale, soit un tiers de la peine à concurrence de sept ans: par. 120(1) de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, qui renvoie, entre autres, à l’art. 743.6 du Code. L’article 165 de la Loi sur les armes à feu modifie l’annexe I en ajoutant à la liste des infractions celle prévue au par. 85(2) du Code, soit l’usage d’une fausse arme à feu lors de la perpétration d’une infraction.
27 Cette légère modification de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition par la Loi sur les armes à feu tend à indiquer que, bien que le législateur se soit attardé à la question de l’exécution des peines lorsqu’il a introduit les peines minimales applicables en cas d’usage d’armes à feu, il n’a pas estimé qu’il convenait de modifier le régime général d’exécution des peines de façon à distinguer les nouvelles peines minimales obligatoires des autres peines. Il s’ensuit donc que l’interprétation stricte du par. 719(3), c’est‑à‑dire l’interprétation voulant que la période passée sous garde par le délinquant avant le prononcé de sa peine ne puisse être comptée à son actif parce que cela irait à l’encontre de l’exigence selon laquelle la période d’emprisonnement purgée par ce dernier ne doit pas être inférieure à la peine minimale prévue, est incompatible avec le régime général d’exécution des peines minimales, peines qui, à tous autres égards, sont «réduites» comme toutes les autres peines, même en deçà de la durée minimale prescrite.
28 De plus, par opposition à la réduction légale de peine ou à la libération conditionnelle, la période passée sous garde avant le prononcé de la peine est véritablement passée en détention, souvent dans des circonstances plus pénibles que celles dans lesquelles sera purgée la peine infligée en bout de ligne. Dans R. c. Rezaie (1996), 112 C.C.C. (3d) 97 (C.A. Ont.), arrêt dont plusieurs tribunaux de juridiction inférieure ont fait état dans l’examen de la question de la période de détention présentencielle, le juge Laskin a résumé succinctement les caractéristiques particulières de cette période de détention que l’on qualifie fréquemment de «temps mort», à la p. 104:
[traduction] . . . à deux égards, la période passée sous garde avant le procès est encore plus pénible que celle qui suit le prononcé de la peine. Premièrement, sauf dans le cas de l’emprisonnement à perpétuité, les dispositions législatives touchant l’admissibilité à la libération conditionnelle et la libération d’office ne prennent pas en compte la période passée sous garde par le délinquant avant le procès (ou le prononcé de sa peine). Deuxièmement, les centres de détention locaux n’offrent habituellement pas de programmes d’enseignement, de recyclage ou de réadaptation aux accusés qui attendent leur procès.
29 Comme le démontre cet extrait de l’arrêt Rezaie, les expressions détention présentencielle, détention avant le procès, détention avant le verdict et «temps mort» sont toutes utilisées pour désigner la période passée sous garde avant la déclaration de culpabilité et la détermination de la peine. Pour les fins de la présente décision, je considère que toutes ces expressions signifient la même chose; cependant, je préfère utiliser l’expression «détention présentencielle», car il s’agit de celle qui désigne le plus fidèlement la période qu’un contrevenant a pu passer sous garde avant le prononcé de sa peine.
30 Il y a plusieurs années, le professeur Martin L. Friedland a publié une importante étude sur la détention présentencielle, dans laquelle il référait au Comment on the New York Bail Study du professeur Caleb Foote, soulignant que [traduction] «les accusés qui attendent leur procès [. . .] sont détenus dans des conditions plus sévères et restrictives que celles auxquelles sont assujettis les criminels qui ont été déclarés coupables et condamnés à leur peine»: Detention Before Trial: A Study of Criminal Cases Tried in the Toronto Magistrates’ Courts (1965), à la p. 104. Comme l’a souligné le juge Rosenberg dans l’arrêt McDonald, précité, à la p. 72 [traduction] «Très peu de changements ont été apportés aux conditions de détention provisoire dans la province au cours de la période de presque quarante ans qui s’est écoulée depuis l’étude du professeur Friedland». Compte tenu du caractère rigoureux de la détention présentencielle et du fait que le délinquant est alors concrètement privé de sa liberté, il est possible d’affirmer que le fait d’accorder une réduction pour cette période porte moins atteinte au concept de période minimale d’incarcération que la réduction légale de peine ou la libération conditionnelle. Il est par conséquent ironique que l’applicabilité du par. 719(3) ait suscité tant de difficultés dans le cas des peines minimales, du seul fait que l’«atteinte» à leur intégralité survienne dès le moment où elles sont infligées et qu’elle soit, de ce fait, plus évidente.
31 Comme l’a mentionné le juge Rosenberg dans l’arrêt McDonald, à la p. 73, le Parlement a édicté, dans la Loi sur la réforme du cautionnement, S.R.C. 1970 (2e suppl.), ch. 2, la disposition qui est devenue le par. 719(3) du Code criminel précisément pour faire en sorte que la pratique bien établie qu’appliquaient les juges déterminant la peine et qui consistait à prendre en compte la période passée sous garde par le délinquant dans le calcul de la durée de sa peine puisse même être utilisée pour réduire celle‑ci en deçà du minimum fixé par la loi. Durant la deuxième lecture du projet de loi C‑218, Loi modifiant les dispositions du Code criminel relatives à la mise en liberté des prévenus avant le procès ou pendant l’appel, le ministre de la Justice de l’époque, John Turner, a décrit ainsi l’intention du législateur relativement à la disposition qui est maintenant le par. 719(3):
[traduction] En général, les tribunaux, en décidant de la peine à imposer à un inculpé, tiennent compte de la période de détention en attendant le procès. Cependant, selon le Code criminel, actuellement, une peine ne commence à être purgée que lorsqu’elle est imposée et les tribunaux ont les mains liées dans les cas où une peine d’emprisonnement minimum doit être infligée. Dans ces cas, le tribunal ne peut pas imposer moins que la peine minimum, même si l’inculpé, en attendant son procès, a été détenu plus longtemps que la durée de la peine minimum. La nouvelle version du bill permettrait au tribunal, dans un cas approprié, de tenir compte de la période de détention en imposant une peine.
(Débats de la Chambre des communes, 3e sess., 28 lég., vol. 3, 5 février 1971, à la p. 3118.)
32 L’avocat de l’intimée a attiré l’attention de notre Cour sur les remarques qu’a formulées, en 1995, le ministre de la Justice, Allan Rock, à propos du projet de loi C‑68, Loi concernant les armes à feu et certaines autres armes, au cours des débats à la Chambre des communes ainsi que devant le Comité permanent de la justice et des questions juridiques. À ces occasions, le ministre de la Justice a indiqué que le législateur entendait que les nouvelles peines minimales obligatoires prescrites relativement aux infractions liées à l’usage des armes à feu jouent un rôle dissuasif important à l’égard de ces infractions. Voir Débats de la Chambre des communes, vol. 133, no 154, 1re sess., 35e lég., 16 février 1995, aux pp. 9706 et suiv.; Chambre des communes, Comité permanent de la justice et des questions juridiques, Témoignages, 24 avril 1995, séance no 105, et 19 mai 1995, séance no 147. Cependant, lorsqu’il a édicté l’al. 344a), dans la Loi sur les armes à feu en 1995, le législateur n’a toutefois pas modifié le par. 719(3) pour soustraire à son application la nouvelle peine minimale établie par l’al. 344a), ni modifié l’applicabilité des dispositions de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition aux peines minimales obligatoires. Si les tribunaux soustrayaient l’al. 344a) à l’application du par. 719(3), qui a été adopté précisément à l’égard des peines minimales obligatoires, ils se trouveraient à contrecarrer l’intention du législateur.
33 Tout ce qui précède tend à indiquer qu’il serait contraire à la rationalité et à la justice d’interpréter le par. 719(3) d’une manière qui aurait pour effet d’empêcher les tribunaux d’accorder aux délinquants déclarés coupables d’une infraction à l’égard de laquelle une peine minimale est prévue une réduction pour la période qu’ils ont purgée en détention présentencielle. Heureusement, comme l’a admirablement expliqué le juge Rosenberg de la Cour d’appel dans l’arrêt McDonald, précité, l’application de judicieux principes d’interprétation des lois permet d’éviter un tel résultat.
34 À la page 69 de ses motifs, après avoir appliqué plusieurs règles d’interprétation législative bien établies, le juge Rosenberg a estimé que le par. 719(3) confère au juge qui détermine la peine le [traduction] «pouvoir substantiel de prendre en compte la période de détention présentencielle lorsqu’il fixe la durée de la peine». Je suis d’accord avec son analyse. Je souscris en particulier au renvoi qu’il fait aux principes suivants: les dispositions d’une loi pénale ambiguë doivent être interprétées en faveur de l’accusé (voir R. c. McIntosh, [1995] 1 R.C.S. 686, au par. 29, le juge en chef Lamer); il faut interpréter un texte de loi de façon à éviter toute contradiction entre ses dispositions et tout résultat absurde, en s’efforçant d’assurer la cohérence et la logique internes du texte; enfin, lorsqu’une disposition législative peut être interprétée de plus d’une façon, il faut retenir celle qui est compatible avec les droits et libertés garantis par la Charte: Slaight Communications Inc. c. Davidson, [1989] 1 R.C.S. 1038, à la p. 1078, le juge Lamer (plus tard Juge en chef). Sans reprendre toute l’analyse du juge Rosenberg, j’aimerais tout de même faire quelques observations.
B. La distinction entre les mots anglais «punishment» et «sentence»
35 Le juge Rosenberg s’est fondé sur la distinction qui existe, sur le plan sémantique, entre les mots anglais «punishment» et «sentence», le premier étant utilisé à l’al. 344a) et le second au par. 719(3). Je reproduis les dispositions pertinentes pour en faciliter la consultation:
344. Every person who commits robbery is guilty of an indictable offence and liable
(a) where a firearm is used in the commission of the offence, to imprisonment for life and to a minimum punishment of imprisonment for a term of four years;
719. . . .
(3) In determining the sentence to be imposed on a person convicted of an offence, a court may take into account any time spent in custody by the person as a result of the offence. [Je souligne.]
36 C’est la Commission canadienne sur la détermination de la peine qui a établi la distinction entre ces mots dans le rapport qu’elle a produit en 1987 et qui s’intitule Réformer la sentence: une approche canadienne, aux pp. 121 et suiv. En résumé, le juge Rosenberg a souligné, aux pp. 76 à 78, que le «sentencing» est la détermination par le tribunal d’une sanction légale, alors que le mot «punishment» s’entend du fait même d’infliger cette sanction. Bien que cette distinction soit utile, elle n’est pas, selon moi, essentielle pour étayer la conclusion que le par. 719(3) peut être appliqué à l’al. 344a). Il n’y a pas, dans la version française, de distinction similaire dans le texte des deux articles. En français, l’expression «la peine» est utilisée indistinctement pour rendre «punishment» (al. 344a)), «sentencing» (note marginale de l’art. 718.2) et «sentence» (aux art. 718.2 et 719). Cependant, le mot «punishment» est utilisé à deux reprises au par. 718.3(1), où il est rendu, en français, par les expressions «de peine» dans le premier cas et «la punition», plus loin dans la même phrase. Ce n’est pas tant les mots utilisés dans les versions française et anglaise qui importent, mais plutôt les concepts qu’ils désignent. Une fois de plus, par souci de commodité, je reproduis certaines de ces dispositions:
344. Quiconque commet un vol qualifié est coupable d’un acte criminel passible:
a) s’il y a usage d’une arme à feu lors de la perpétration de l’infraction, de l’emprisonnement à perpétuité, la peine minimale étant de quatre ans . . .
718.3 (1) Lorsqu’une disposition prescrit différents degrés ou genres de peine à l’égard d’une infraction, la punition à infliger est, sous réserve des restrictions contenues dans la disposition, à la discrétion du tribunal qui condamne l’auteur de l’infraction.
719. . . .
(3) Pour fixer la peine à infliger à une personne déclarée coupable d’une infraction, le tribunal peut prendre en compte toute période que la personne a passée sous garde par suite de l’infraction. [Je souligne.]
37 En bout de ligne, les deux versions mènent à la même conclusion, étant donné que l’expression «[p]our fixer la peine» qui figure dans la version française du par. 719(3) met l’accent sur le rôle du juge, savoir le calcul de la peine d’emprisonnement appropriée et, ce faisant, lui accorde le pouvoir discrétionnaire de prendre en compte la période que la personne déclarée coupable a déjà passée sous garde relativement à l’infraction en cause. Or, comme le texte français de ces dispositions parlent de «la peine», il semble logique de déduire qu’il est acceptable d’appliquer le par. 719(3) pour déterminer «la peine minimale», puisque cette dernière n’est qu’une manifestation de la notion générale exprimée par les mots «la peine», et qu’elle n’a pas été expressément exclue du champ d’application du par. 719(3). On ne fait nullement violence au texte du Code en lisant ensemble ces dispositions, que ce soit en français ou en anglais, et en considérant qu’ils signifient, comme l’entendait le législateur, que le délinquant est condamné à une peine minimale de quatre ans d’emprisonnement qui commence la journée où elle lui est infligée et qui est calculée en portant à son actif la période qu’il a déjà passée sous garde.
C. L’effet de la détention présentencielle sur l’accusé légalement détenu
38 J’ai commenté plus tôt le caractère généralement pénible de la détention présentencielle et mentionné qu’on qualifiait fréquemment cette période de «temps mort». D’autres remarques s’imposent.
39 L’avocat de l’intimée a invité notre Cour à tenir compte de l’erreur manifeste que constitue le fait de considérer la détention présentencielle comme une peine, puisqu’il est généralement admis que le droit canadien ne punit pas les citoyens innocents. Dans McDonald, précité, à la p. 77, le juge Rosenberg a indiqué [traduction] «qu’on ne prive pas de la liberté sous caution les personnes accusées d’un crime pour les punir avant qu’elles aient été déclarées coupables». Il a fait état de l’arrêt R. c. Pearson, [1992] 3 R.C.S. 665, de notre Cour, dans lequel le juge en chef Lamer a conclu, aux pp. 687 et 688, que la présomption d’innocence garantie par l’al. 11d) de la Charte «n’est pas applicable à l’étape de la mise en liberté sous caution, étape du processus pénal à laquelle la culpabilité ou l’innocence du prévenu n’est pas déterminée et où aucune peine n’est imposée».
40 L’avocat de l’intimée a également invoqué cet extrait de l’arrêt Pearson pour étayer sa prétention que la détention avant le procès ne peut pas être considérée comme faisant partie de la peine infligée au délinquant. En toute déférence, j’estime qu’il importe de tenir compte du contexte plus global des remarques du juge en chef Lamer. À cet endroit de ses motifs dans Pearson (aux pp. 687 et 688), le juge en chef Lamer donnait des explications sur l’effet particulier de la présomption d’innocence prévue à l’al. 11d) dans le cadre du procès:
Ainsi, l’al. 11d) a pour effet de créer une règle de procédure et de preuve applicable au procès: le ministère public doit prouver la culpabilité hors de tout doute raisonnable. Cette règle de procédure et de preuve n’est pas applicable à l’étape de la mise en liberté sous caution, étape du processus pénal à laquelle la culpabilité ou l’innocence du prévenu n’est pas déterminée et où aucune peine n’est imposée. Par conséquent, l’al. 515(6)d) ne porte pas atteinte à l’al. 11d). [Je souligne.]
Eu égard à ce contexte plus global, on ne saurait conclure que le juge en chef Lamer affirmait que la détention présentencielle ne peut jamais être considérée comme une peine, ni qu’une telle détention ne peut rétroactivement être considérée comme faisant partie de celle‑ci, comme le prévoit le par. 719(3).
41 Prétendre que la détention présentencielle ne peut jamais être réputée constituer une peine après la déclaration de culpabilité — parce que le système judiciaire ne punit pas des personnes innocentes — est un exercice de sémantique qui ne tient pas compte de la réalité de cette détention, si soigneusement décrite par le juge Laskin dans l’arrêt Rezaie, précité, et par Gary Trotter, dans son ouvrage intitulé The Law of Bail in Canada (2e éd. 1999), à la p. 37:
[traduction] Souvent, les prévenus en détention provisoire, comme on les appelle parfois, attendent leur procès dans des centres de détention ou des prisons locales qui ne conviennent pas à de longs séjours. Comme on l’a souligné dans le rapport Ouimet, il arrive que dans de tels établissements la liberté des prévenus soit davantage restreinte que dans bon nombre d’établissements où sont incarcérées les personnes qui ont été déclarées coupables. L’entassement des prévenus, le renouvellement constant de la population carcérale et la difficulté de mettre efficacement en œuvre des programmes et des activités récréatives font qu’il peut s’avérer très pénible d’être détenu dans de tels établissements.
En conséquence, bien que la détention avant le procès ne se veuille pas une sanction lorsqu’elle est infligée, elle est, de fait, réputée faire partie de la peine après la déclaration de culpabilité du délinquant, par l’application du par. 719(3). Le fait d’assimiler ce type de détention à une peine n’est pas sans rappeler l’observation, analysée plus tôt dans les présents motifs, que le délinquant qui bénéficie d’une libération conditionnelle continue, tant qu’il a le droit d’être en liberté, de purger sa peine d’emprisonnement.
42 Si notre Cour jugeait que le pouvoir discrétionnaire de prendre en compte la période de détention présentencielle conféré par le par. 719(3) ne s’applique pas à la peine minimale obligatoire prévue à l’al. 344a), des peines injustes ne manqueraient certainement pas d’en résulter. Premièrement, les tribunaux se trouveraient dans une situation difficile, car ils devraient réserver des traitements différents à des délinquants dans des situations similaires: pour des exemples de tels cas, voir l’arrêt McDonald, précité, aux pp. 80 et 81. Deuxièmement, il arriverait souvent que, en raison de la gravité de l’infraction en cause et par souci d’assurer la sécurité du public, des personnes accusées de l’infraction prévue à l’al. 344a) soient envoyées en détention jusqu’à leur procès, même s’il s’agit d’une première infraction. En conséquence, l’écart entre les peines infligées aux délinquants les moins dangereux et les plus dangereux s’accentuerait, puisque ces derniers, du fait qu’ils reçoivent des peines supérieures au minimum prévu, profiteraient d’une réduction de peine fondée sur la période de détention présentencielle, alors que les délinquants qui n’en sont qu’à leur première infraction et qui se voient infliger la peine minimale ne bénéficieraient pas de cette réduction. Il faut certes écarter toute interprétation du par. 719(3) et de l’al. 344a) qui aurait pour effet de profiter aux délinquants les plus dangereux et de pénaliser les délinquants les moins dangereux.
43 Ces exemples de résultats absurdes auxquels serait susceptible de donner lieu l’exclusion de l’application du par. 719(3) aux peines minimales obligatoires, telle celle prévue à l’al. 344a), sont une autre indication du fait que le législateur entendait que ces deux articles soient interprétés de façon harmonieuse et cohérente dans le contexte général du régime de détermination de la peine du système de justice criminelle.
D. Calcul de la réduction de peine pour détention présentencielle
44 Je ne vois aucun avantage à porter atteinte au pouvoir discrétionnaire bien établi dont disposent les tribunaux en vertu du par. 719(3) en avalisant une formule mécanique de réduction de la peine pour tenir compte de la période de détention présentencielle. Comme nous le réaffirmons dans les présents motifs, l’objectif de la détermination de la peine est l’infliction d’une peine juste et appropriée, qui prend en compte la situation du délinquant et les circonstances particulières de la perpétration de l’infraction. Je fais mien le raisonnement suivant du juge Laskin de la Cour d’appel de l’Ontario, dans Rezaie, précité, à la p. 105:
[traduction] . . . les cours d’appel provinciales ont rejeté l’application d’une formule mathématique de réduction de la peine pour tenir compte de la période de détention avant le procès, insistant plutôt sur le fait que la période à retrancher de la peine doit être déterminée au cas par cas [. . .] Bien qu’il ne soit peut‑être pas judicieux d’adopter un multiplicateur fixe, le juge qui détermine la peine doit, à moins de justifier son abstention de le faire, accorder une certaine réduction de peine pour tenir compte de la période passée sous garde par le délinquant avant son procès (et le prononcé de sa peine). [Références omises.]
45 Dans le passé, nombre de juges ont retranché environ deux mois à la peine du délinquant pour chaque mois de détention présentencielle. Cette façon de faire est tout à fait convenable, quoiqu’un autre rapport puisse aussi être appliqué, par exemple si l’accusé a été détenu avant son procès dans un établissement où il avait pleinement accès à des programmes d’enseignement, de formation professionnelle ou de réadaptation. Le rapport de 2 pour 1 qui est souvent appliqué reflète non seulement la rigueur de la détention en raison de l’absence de programmes, rigueur qui peut être plus grande dans certains cas que dans d’autres, mais également le fait qu’aucun des mécanismes de réduction de la peine prévus par la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition ne s’applique à cette période de détention. Le «temps mort» est de la détention «concrète». Comme la période à retrancher ne peut ni ne doit être établie au moyen d’une formule rigide, il est par conséquent préférable de laisser au juge qui détermine la peine le soin de calculer cette période, car c’est encore lui qui est le mieux placé pour apprécier soigneusement tous les facteurs permettant d’arrêter la peine appropriée, y compris l’opportunité d’accorder une réduction pour la période de détention présentencielle.
V. Le dispositif
46 J’accueillerais le pourvoi et j’annulerais la décision de la Cour d’appel. Je rétablirais la peine infligée à l’appelant par le juge Grist, qui avait retranché une année de celle‑ci pour tenir compte de la période de sept mois et demi passée sous garde par l’appelant avant le prononcé de sa peine, et lui avait imposé une peine de trois ans et demi d’emprisonnement en vertu de l’al. 344a). Les présents motifs n’ont aucune incidence sur la peine concurrente d’un an d’emprisonnement infligée pour le chef de possession d’une arme à autorisation restreinte.
Procureur de l’appelant: Harry G. Stevenson, Vancouver.
Procureur de l’intimée: Le ministère du Procureur général, Vancouver.
Procureur de l’intervenant: Le ministère du Procureur général, Toronto.