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07/10/2022 | CANADA | N°2022CSC34

Canada | Canada, Cour suprême, 7 octobre 2022, R. c. Schneider, 2022 CSC 34


COUR SUPRÊME DU CANADA


 
Référence : R. c. Schneider, 2022 CSC 34

 

 
Appel entendu : 10 décembre 2021
Jugement rendu : 7 octobre 2022
Dossier : 39559


 
Entre :
 
Sa Majesté le Roi
Appelant
 
et
 
William Victor Schneider
Intimé
 
Traduction française officielle
 
Coram : Le juge en chef Wagner et les juges Moldaver, Karakatsanis, Côté, Brown, Rowe, Martin, Kasirer et Jamal
 


Motifs de jugement :
(par. 1 à 88)

Le juge Rowe (avec l’accord du juge en chef W

agner et des juges Moldaver, Côté, Martin, Kasirer et Jamal)


 

 


Motifs conjoints dissidents :
(par. 89 à 97)

Les juges Karakatsanis et Brown







 
 
Note : Ce document f...

COUR SUPRÊME DU CANADA

 
Référence : R. c. Schneider, 2022 CSC 34

 

 
Appel entendu : 10 décembre 2021
Jugement rendu : 7 octobre 2022
Dossier : 39559

 
Entre :
 
Sa Majesté le Roi
Appelant
 
et
 
William Victor Schneider
Intimé
 
Traduction française officielle
 
Coram : Le juge en chef Wagner et les juges Moldaver, Karakatsanis, Côté, Brown, Rowe, Martin, Kasirer et Jamal
 

Motifs de jugement :
(par. 1 à 88)

Le juge Rowe (avec l’accord du juge en chef Wagner et des juges Moldaver, Côté, Martin, Kasirer et Jamal)

 

 

Motifs conjoints dissidents :
(par. 89 à 97)

Les juges Karakatsanis et Brown

 
 
Note : Ce document fera l’objet de retouches de forme avant la parution de sa version définitive dans le Recueil des arrêts de la Cour suprême du Canada.
 

 

 

 

 
Sa Majesté le Roi                                                                                             Appelant
c.
William Victor Schneider                                                                                   Intimé
Répertorié : R. c. Schneider
2022 CSC 34
No du greffe : 39559.
2021 : 10 décembre; 2022 : 7 octobre.
Présents : Le juge en chef Wagner et les juges Moldaver, Karakatsanis, Côté, Brown, Rowe, Martin, Kasirer et Jamal.
en appel de la cour d’appel de la colombie‑britannique
                    Droit criminel — Preuve — Admissibilité — Ouï‑dire — Aveux émanant d’une partie — Accusé inculpé de meurtre au deuxième degré — Demande de la Couronne sollicitant l’autorisation de présenter en preuve au procès le témoignage par ouï‑dire du frère de l’accusé concernant des déclarations incriminantes qu’il a entendu ce dernier prononcer durant une conversation téléphonique avec son épouse — Témoignage du frère admis en preuve par la juge du procès — Accusé déclaré coupable par le jury — La juge du procès a‑t‑elle fait erreur en admettant en preuve les déclarations entendues par le frère?
                    L’accusé a été inculpé de meurtre au deuxième degré après que la police a retrouvé le corps de la victime dans une valise cachée après avoir reçu des informations du frère de l’accusé. Au procès, la Couronne a voulu présenter en preuve le témoignage par ouï‑dire du frère, qui avait entendu l’accusé parler au téléphone avec son épouse. La juge du procès a tenu un voir‑dire relativement à l’admissibilité du témoignage du frère, voir‑dire durant lequel le frère a témoigné qu’il ne pouvait pas se rappeler mot pour mot ce que l’accusé avait dit à son épouse, mais que celui-ci avait dit quelque chose comme « Je l’ai fait » ou « Je l’ai tuée ». La juge du procès a statué que le témoignage était admissible. Au procès, le frère a également témoigné au sujet de plusieurs conversations cruciales qu’il a eues avec l’accusé concernant la victime et l’endroit où se trouvait le corps de celle‑ci, avant l’appel téléphonique de l’accusé à son épouse. Le jury a déclaré l’accusé coupable de meurtre au deuxième degré.
                    L’accusé a fait appel de sa déclaration de culpabilité, plaidant que la juge du procès avait fait erreur en admettant le témoignage de son frère concernant la conversation téléphonique qu’il avait entendue et en répondant comme elle l’avait fait à une question posée par le jury durant ses délibérations. Les juges majoritaires de la Cour d’appel ont accueilli l’appel, annulé la déclaration de culpabilité et ordonné la tenue d’un nouveau procès. Ils ont conclu que le témoignage était incapable de signification et par conséquent non pertinent, et qu’il n’aurait pas dû être admis. À leur avis, seul le micro‑contexte, c.‑à‑d. les paroles prononcées avant et après les aveux entendus, était pertinent pour déterminer si les aveux avaient une signification, et le frère ne pouvait se rappeler ce contexte. La juge dissidente aurait rejeté l’appel, car elle considérait que l’ensemble de la preuve, y compris les conversations que le frère de l’accusé avait eues avec celui‑ci avant l’appel téléphonique, pouvait éclairer la signification des paroles qu’il avait entendues. La Cour d’appel a unanimement rejeté le moyen fondé sur le point concernant la question posée par le jury. La Couronne se pourvoit de plein droit devant la Cour. En réponse, l’accusé soutient que la juge du procès a commis une erreur dans la réponse qu’elle a donnée à la question posée par le jury au cours de ses délibérations.
                    Arrêt (les juges Karakatsanis et Brown sont dissidents) : Le pourvoi est accueilli et la déclaration de culpabilité est rétablie.
                    Le juge en chef Wagner et les juges Moldaver, Côté, Rowe, Martin, Kasirer et Jamal : La juge du procès n’a pas commis d’erreur en admettant le témoignage par ouï‑dire du frère. Les paroles que le frère a entendu l’accusé prononcer au téléphone étaient capables de signification non conjecturale, de telle sorte qu’elles étaient pertinentes; elles étaient admissibles en vertu de l’exception à la règle d’exclusion du ouï‑dire relative aux aveux émanant d’une partie; et rien ne justifie de modifier la mise en balance discrétionnaire par la juge du procès de la valeur probante d’un élément de preuve par rapport à son effet préjudiciable. Qui plus est, il y a accord pour l’essentiel avec la Cour d’appel pour dire que la question posée par le jury n’était pas ambiguë et que la juge du procès y a répondu correctement.
                    Suivant l’analyse à trois volets qui régit l’admission de tout élément de preuve, y compris les aveux émanant d’une partie, le juge du procès doit se demander a) si l’élément de preuve est pertinent, b) si cet élément est visé par une règle d’exclusion et c) s’il doit exercer son pouvoir discrétionnaire afin de l’écarter. Bien qu’un voir‑dire soit souvent nécessaire lorsqu’une question relative à l’admissibilité d’un élément de preuve est soulevée, il est possible qu’un voir‑dire ne soit pas nécessaire dans le cas d’un aveu émanant d’une partie; la question de savoir si la tenue d’un voir‑dire est nécessaire à l’égard d’une preuve de cette nature doit être tranchée au regard des circonstances propres à chaque espèce.
                    Premièrement, pour déterminer si un élément de preuve est pertinent, le juge doit se demander si, à la lumière de tous les autres éléments de preuve, l’élément en cause tend logiquement à accroître ou à diminuer la vraisemblance d’un fait en litige. Le seuil requis est peu élevé, et les juges peuvent admettre un élément de preuve qui présente une faible valeur probante. Des concepts comme la fiabilité en dernière analyse, la vraisemblance et la valeur probante n’ont pas leur place lorsqu’il s’agit de décider de la pertinence; ils sont réservés au juge des faits. Le contexte en ce qui a trait à la preuve dont peut tenir compte le juge présidant un procès afin de décider si un élément de preuve est capable de signification et peut de ce fait être pertinent comprend les éléments de preuve que les parties ont présentés et ceux qu’une partie indique qu’elle entend présenter. Cette proposition s’applique aux aveux émanant d’une partie; rien ne justifie de les traiter différemment dans la détermination de la pertinence. Par conséquent, il n’existe en droit aucun fondement justifiant d’établir une distinction entre le micro‑contexte et le macro‑contexte; tous les éléments de preuve sont susceptibles d’éclairer l’analyse de cette question par le juge. En outre, les aveux émanant d’une partie, comme tout autre élément de preuve, ne deviennent pas inadmissibles parce que le témoin rend un témoignage équivoque. Dans la mesure où les hésitations ou un souvenir imparfait des circonstances d’un témoin portent sur des points liés à l’admissibilité (plutôt qu’au poids), il est approprié que le juge qui préside un procès les prenne en considération dans la mise en balance de la valeur probante et de l’effet préjudiciable. En conséquence, le fait qu’un témoin ne se souvienne pas des mots exacts qui ont été utilisés ne signifie pas que son témoignage n’est pas pertinent. L’analyse doit demeurer axée sur la question de savoir si le jury est en mesure d’attribuer à la déposition du témoin une signification d’une manière qui n’est pas conjecturale.
                    Deuxièmement, un élément de preuve pertinent est habituellement admissible, sous réserve de diverses règles d’exclusion. La preuve par ouï‑dire est visée par une règle générale d’exclusion et par diverses exceptions. L’une de ces exceptions est celle touchant les aveux émanant d’une partie. Les aveux émanant d’une partie incluent tout acte ou propos d’une partie présenté en preuve contre cette partie. Dans un procès criminel, un aveu émanant d’une partie constitue une preuve à charge que la Couronne présente contre l’accusé. La common law justifie l’admission en preuve de ce type d’aveux par le fait qu’une partie ne peut se plaindre de la non‑fiabilité de ses propres déclarations. Contrairement à plusieurs autres exceptions, la justification de l’admission des aveux émanant d’une partie n’est pas liée à des considérations de nécessité ou de fiabilité; par conséquent, ils sont admissibles en preuve sans égard à leur nécessité ou leur fiabilité.
                    Troisièmement, les juges doivent décider s’il y a lieu d’exercer leur pouvoir discrétionnaire afin d’écarter un élément de preuve après avoir soupesé la valeur probante de celui‑ci par rapport à ses effets préjudiciables. Cette mise en balance a été qualifiée d’analyse du coût et des bénéfices. La valeur probante s’entend du degré de pertinence d’un élément de preuve par rapport aux faits en litige et de la solidité des inférences qui peuvent être tirées de celui‑ci. L’effet préjudiciable a trait à la probabilité que le jury fasse un mauvais usage de l’élément de preuve litigieux. Le juge qui préside un procès avec jury doit se demander dans quelle mesure il est possible d’atténuer le coût associé à l’élément de preuve litigieux (c.‑à‑d. son effet préjudiciable) en donnant au jury des directives appropriées sur l’utilisation qui peut régulièrement être faite de cet élément. La décision par le juge présidant un procès que la valeur probante d’un élément de preuve l’emporte sur son effet préjudiciable est une décision discrétionnaire qui commande la déférence en cas de contrôle.
                    En l’espèce, la juge du procès n’a pas fait erreur en admettant en preuve le témoignage du frère concernant ce qu’il avait entendu l’accusé dire. Le jury disposait d’un contexte suffisant pour attribuer une signification aux paroles que le frère avait entendues, de sorte que cet élément de preuve satisfait au seuil peu élevé de pertinence requis. Le fait que le frère était incertain quant aux paroles exactes qu’il avait entendu l’accusé prononcer n’est pas fatal. La nature équivoque du témoignage du frère est un facteur à considérer dans la mise en balance de la valeur probante et de l’effet préjudiciable. Si le jury y prête foi, le témoignage du frère tend à accroître la probabilité que l’accusé ait été responsable de la mort de la victime. À la lumière des autres éléments de preuve, le témoignage du frère rapportait des propos capables de signification non conjecturale et il était pertinent. Ensuite, le témoignage indiquait que l’accusé avait admis, par ses propres mots, être responsable de la mort de la victime. Cela constitue un aveu émanant d’une partie, qui est donc visé par une exception reconnue à la règle générale d’exclusion du ouï‑dire. Enfin, l’accusé n’a pas démontré que la juge du procès avait commis une erreur dans la mise en balance discrétionnaire de la valeur probante d’un élément de preuve par rapport à son effet préjudiciable; cela ressort de façon particulière des directives bien structurées que la juge du procès a données au jury sur l’utilisation appropriée qu’il pouvait faire des aveux émanant d’une partie, directives qui ont limité de manière efficace et adéquate la possibilité d’utilisation préjudiciable du témoignage.
                    Les juges Karakatsanis et Brown (dissidents) : Le pourvoi devrait être rejeté. Il y a accord avec le cadre d’analyse utilisé par les juges majoritaires afin d’évaluer la pertinence et la valeur probante, mais il y a désaccord avec l’application de ce cadre. La preuve relative aux déclarations entendues n’aurait pas dû être admise, parce qu’un jury n’était pas en mesure de déterminer le sens ou la pertinence de celles‑ci. Au regard de la preuve dont disposait le jury, il était impossible de savoir ce que l’accusé avait dit à son épouse durant la conversation téléphonique entendue par le frère. Ce dernier ne savait pas quelles paroles il avait entendues, il essayait délibérément de ne pas écouter la conversation, il n’a ni participé à cette conversation ni entendu les échanges des deux parties à la conversation, et il a reconnu qu’il ne savait pas ce qui avait été dit durant la conversation et ne se souvenait pas de la teneur de celle‑ci. Évaluer la pertinence du témoignage du frère de l’accusé constitue donc une opération purement conjecturale. Bien qu’un examen allant au‑delà du contexte immédiat d’une conversation donnée puisse éclairer le sens de déclarations faites durant celle‑ci, en l’espèce, les aspects contextuels qui vont au‑delà de la conversation et sur lesquels on s’est appuyés n’étaient pas pertinents, et la conversation à elle seule ne fournissait pas suffisamment de contexte. Quoi qu’il en soit, lorsque le risque de mauvaise utilisation et l’absence de toute valeur probante appréciable sont mis en balance, il s’ensuit que la preuve litigieuse aurait dû être soustraite à l’examen du jury
Jurisprudence
Citée par le juge Rowe
                    Arrêt appliqué : R. c. Ferris, 1994 CanLII 31 (CSC), [1994] 3 R.C.S. 756; arrêts examinés : R. c. Ferris (1994), 1994 ABCA 20 (CanLII), 149 A.R. 1; R. c. Bennight, 2012 BCCA 190, 320 B.C.A.C. 195; R. c. Buttazzoni, 2019 ONCA 645; R. c. Hummel, 2002 YKCA 6, 166 C.C.C. (3d) 30; arrêts mentionnés : R. c. Khelawon, 2006 CSC 57, [2006] 2 R.C.S. 787; R. c. S.G.T., 2010 CSC 20, [2010] 1 R.C.S. 688; R. c. Arp, 1998 CanLII 769 (CSC), [1998] 3 R.C.S. 339; R. c. White, 2011 CSC 13, [2011] 1 R.C.S. 433; R. c. Hart, 2014 CSC 52, [2014] 2 R.C.S. 544; R. c. Grant, 2015 CSC 9, [2015] 1 R.C.S. 475; R. c. Corbett, 1988 CanLII 80 (CSC), [1988] 1 R.C.S. 670; Morris c. La Reine, 1983 CanLII 28 (CSC), [1983] 2 R.C.S. 190; R. c. Mohan, 1994 CanLII 80 (CSC), [1994] 2 R.C.S. 9; R. c. Blackman, 2008 CSC 37, [2008] 2 R.C.S. 298; R. c. Evans, 1993 CanLII 86 (CSC), [1993] 3 R.C.S. 653; R. c. Smith, 1992 CanLII 79 (CSC), [1992] 2 R.C.S. 915; R. c. Starr, 2000 CSC 40, [2000] 2 R.C.S. 144; R. c. Mapara, 2005 CSC 23, [2005] 1 R.C.S. 358; R. c. Khan, 1990 CanLII 77 (CSC), [1990] 2 R.C.S. 531; R. c. Baldree, 2013 CSC 35, [2013] 2 R.C.S. 520; R. c. Couture, 2007 CSC 28, [2007] 2 R.C.S. 517; R. c. Bradshaw, 2017 CSC 35, [2017] 1 R.C.S. 865; R. c. Gordon Gray, 2021 QCCA 882; R. c. Foreman (2002), 2002 CanLII 6305 (ON CA), 169 C.C.C. (3d) 489; R. c. Osmar, 2007 ONCA 50, 84 O.R. (3d) 321; R. c. Lo, 2020 ONCA 622, 152 O.R. (3d) 609; R. c. Scott, 2013 MBCA 7, 288 Man. R. (2d) 188; R. c. Handy, 2002 CSC 56, [2002] 2 R.C.S. 908; R. c. Robertson, 1987 CanLII 61 (CSC), [1987] 1 R.C.S. 918; R. c. Khill, 2021 CSC 37; R. c. Griffin, 2009 CSC 28, [2009] 2 R.C.S. 42; R. c. Araya, 2015 CSC 11, [2015] 1 R.C.S. 581; R. c. Shearing, 2002 CSC 58, [2002] 3 R.C.S. 33; R. c. Jaw, 2009 CSC 42, [2009] 3 R.C.S. 26; R. c. Reierson, 2010 BCCA 381, 259 C.C.C. (3d) 32; R. c. Oickle, 2000 CSC 38, [2000] 2 R.C.S. 3; R. c. Jacquard, 1997 CanLII 374 (CSC), [1997] 1 R.C.S. 314; R. c. Miljevic, 2011 CSC 8, [2011] 1 R.C.S. 203.
Citée par les juges Karakatsanis et Brown (dissidents)
                    R. c. Ferris (1994), 1994 ABCA 20 (CanLII), 149 A.R. 1; R. c. Arp, 1998 CanLII 769 (CSC), [1998] 3 R.C.S. 339.
Lois et règlements cités
Code criminel, L.R.C. 1985, c. C‑46, art. 2 « lésions corporelles », 25(3), 182b), 229a)(ii), 235(1).
Doctrine et autres documents cités
Lederman, Sidney N., Michelle K. Fuerst and Hamish C. Stewart. Sopinka, Lederman & Bryant : The Law of Evidence in Canada, 6th ed., Toronto, LexisNexis, 2022.
Paciocco, David M., Palma Paciocco and Lee Stuesser. The Law of Evidence, 8th ed., Toronto, Irwin Law, 2020.
Vauclair, Martin, et Tristan Desjardins, avec la collaboration de Pauline Lachance. Traité général de preuve et de procédure pénales 2022, 29e éd., Montréal, Yvon Blais, 2022.
Younger, Irving. An Irreverent Introduction to Hearsay, Chicago, American Bar Association, 1977.
                    POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique (les juges Saunders, Goepel et DeWitt‑Van Oosten), 2021 BCCA 41, 400 C.C.C. (3d) 131, [2021] B.C.J. No. 151 (QL), 2021 CarswellBC 232 (WL), qui a annulé la déclaration de culpabilité pour meurtre au deuxième degré prononcée contre l’accusé et a ordonné un nouveau procès. Pourvoi accueilli, les juges Karakatsanis et Brown sont dissidents.
                    Mary T. Ainslie, c.r., et Liliane Y. Bantourakis, pour l’appelant.
                    Christopher Nowlin, Thomas Arbogast, c.r., et Katherine Kirkpatrick, pour l’intimé.
 
                  Version française du jugement du juge en chef Wagner et des juges Moldaver, Côté, Rowe, Martin, Kasirer et Jamal rendu par
 
                    Le juge Rowe —
[1]                              Le présent pourvoi porte sur l’admissibilité d’un élément de preuve par ouï‑dire, en l’occurrence un témoignage relatif à une conversation téléphonique entendue par le témoin et comportant un aveu de responsabilité criminelle. L’aspect central des motifs qui suivent est l’idée selon laquelle l’admissibilité d’une telle preuve est régie par des principes juridiques fondamentaux, plutôt que par quelque règle unique. En conséquence, pour statuer sur la présente affaire, je vais considérer les notions de pertinence et de ouï‑dire, ainsi que la question de l’appréciation discrétionnaire de la valeur probante d’un élément de preuve par rapport à son effet préjudiciable. Il sera également nécessaire d’appliquer l’arrêt R. c. Ferris, 1994 CanLII 31 (CSC), [1994] 3 R.C.S. 756, de notre Cour.
[2]                              Pour trancher le pourvoi, je vais répondre à trois questions. Premièrement, est‑ce que les paroles entendues par le témoin avaient une signification et étaient donc pertinentes à l’égard d’une question en litige au procès? Deuxièmement, ces paroles étaient‑elles admissibles en preuve en vertu d’une exception à la règle générale d’exclusion du ouï‑dire? Troisièmement, la juge du procès a‑t‑elle eu raison de refuser d’écarter cet élément de preuve pour le motif que sa valeur probante l’emportait sur son effet préjudiciable? Je réponds par l’affirmative à chacune de ces questions. Les paroles que le témoin a entendu l’accusé prononcer au téléphone étaient capables de signification non conjecturale, de telle sorte qu’elles étaient pertinentes; elles étaient admissibles en vertu de l’exception à la règle d’exclusion du ouï‑dire relative aux « aveux émanant d’une partie »; et rien ne justifie de modifier la décision de la juge du procès d’admettre l’élément de preuve en question.
[3]                             La police a inculpé l’intimé, William Victor Schneider (« accusé »), de meurtre au deuxième degré et d’outrage envers un cadavre, infractions prévues au par. 235(1) et à l’al. 182b) du Code criminel, L.R.C. 1985, c. C‑46. Au procès, la Couronne a voulu présenter en preuve le témoignage par ouï‑dire du frère de l’accusé, Warren Schneider Jr. (« frère »), qui avait entendu l’accusé parler au téléphone avec son épouse. Le frère a témoigné que, même s’il ne se souvenait pas des paroles précises prononcées par l’accusé, ce dernier avait admis, au cours de cette conversation téléphonique, avoir tué la victime. Il s’agit de l’élément de preuve en litige. Étant donné que, à la clôture de la preuve de la Couronne, l’accusé a plaidé coupable d’outrage envers un cadavre, le présent pourvoi porte uniquement sur l’accusation de meurtre.
[4]                              La juge du procès a admis en preuve le témoignage du frère relatif à la conversation qu’il avait entendue. Le jury a déclaré l’accusé coupable de meurtre au deuxième degré. Ce dernier a interjeté appel, faisant valoir que la juge du procès avait fait erreur, notamment en admettant le témoignage du frère concernant la conversation qu’il avait entendue. La Cour d’appel de la Colombie‑Britannique a, à la majorité, accueilli l’appel, annulé la déclaration de culpabilité et ordonné la tenue d’un nouveau procès, statuant que le témoignage en question était inadmissible. La juge dissidente aurait pour sa part rejeté l’appel, puisqu’elle était d’avis de confirmer l’admissibilité de l’élément de preuve et de maintenir la déclaration de culpabilité.
[5]                              Les juges de la Cour d’appel étaient tous d’accord pour dire que l’arrêt R. c. Ferris (1994), 1994 ABCA 20 (CanLII), 149 A.R. 1 (C.A.), confirmé par notre Cour, régissait la question de l’admissibilité du témoignage du frère. Tous les juges étaient d’avis que le témoignage était admissible si les paroles rapportées étaient capables de signification et étaient, de ce fait, pertinentes à l’égard d’une question en litige au procès. Les juges étaient toutefois en désaccord sur la question de savoir quels autres éléments de preuve présentés au procès pouvaient éclairer l’analyse visant à déterminer si les paroles rapportées dans le témoignage avaient une signification et étaient par conséquent pertinentes. Les juges majoritaires ont circonscrit dans un cercle contextuellement étroit les éléments de preuve pouvant éclairer la signification. Ce faisant, la majorité a conclu que seul le « micro‑contexte » — c.‑à‑d. les paroles prononcées avant et après celles rapportées dans le témoignage en cause — était pertinent à l’égard de la signification. La juge dissidente a pour sa part estimé que l’ensemble de la preuve était susceptible d’éclairer la signification des paroles que le frère avait entendues.
[6]                              La Couronne demande à notre Cour de faire droit à l’appel et de rétablir la déclaration de culpabilité. Je suis d’avis d’accueillir ces demandes. La juge du procès n’a pas commis d’erreur en admettant la partie litigieuse du témoignage du frère. Il n’existe en droit aucun fondement justifiant d’établir une distinction entre le « micro‑contexte » et le « macro‑contexte » afin de décider si un élément de preuve est capable de signification et, par conséquent, pertinent. Tous les éléments de preuve sont susceptibles d’éclairer l’analyse de cette question par le juge.
[7]                              En réponse à l’appel de plein droit formé par la Couronne, l’accusé a soulevé une question additionnelle. Il soutient que la juge du procès a commis une erreur dans la réponse qu’elle a donnée à une question posée par le jury au cours de ses délibérations. Sur ce point, je souscris pour l’essentiel à l’opinion unanime de la Cour d’appel. La question du jury n’était pas ambiguë et la juge du procès n’a pas commis d’erreur en y répondant.
I.               Les faits
[8]                             La victime, Mme Natsumi Kogawa, a été portée disparue le 12 septembre 2016. La police a diffusé, le 27 septembre 2016, un communiqué de presse comportant une photo montrant Mme Kogawa en compagnie d’un homme non identifié dans un centre commercial. La police a demandé l’aide du public pour identifier cet homme. Elle a alors reçu du frère de l’accusé des informations concernant l’endroit où se trouverait le corps de Mme Kogawa. Ces informations ont permis à la police de retrouver le corps de Mme Kogawa, deux semaines après le signalement de la disparition de cette dernière, dans une valise cachée dans le quartier West End de Vancouver. Après avoir mené une enquête, la police a arrêté l’accusé et l’a inculpé de meurtre au deuxième degré et d’outrage envers le cadavre de Mme Kogawa.
[9]                             Entre la diffusion du communiqué de presse de la police et le signalement effectué à la police par le frère, ce dernier a eu avec l’accusé plusieurs conversations cruciales que je vais décrire plus loin. Comme l’accusé n’a pas témoigné, ces descriptions des faits sont entièrement tirées du témoignage du frère.
A.           Le 27 septembre 2016
[10]                        Le 27 septembre 2016, la fille du frère a signalé à celui‑ci le communiqué de presse de la police. Elle lui a demandé si l’homme non identifié était l’accusé (son oncle). Le frère a répondu par l’affirmative. Le frère a ensuite appelé l’accusé pour lui parler du communiqué de presse diffusé par la police. L’accusé n’a rien dit et a raccroché le téléphone.
[11]                        Le frère s’est rendu à l’endroit où résidait l’accusé, et ils sont allés se promener tous les deux. L’accusé lui a alors parlé de sa relation avec Mme Kogawa. Il lui a dit qu’il avait eu trois rendez‑vous avec elle. Il a raconté à son frère que, lors de leur troisième rendez‑vous, ils avaient pris des [traduction] « médicaments ». Le frère a témoigné qu’au cours de cette conversation, l’accusé lui avait semblé [traduction] « triste et plein de remords » et lui avait dit : « c’est vrai » (d.a., vol. II, p. 113‑114). La juge du procès a écarté le témoignage du frère relativement à ce qu’il pensait que l’accusé voulait dire par cette déclaration. Le frère a dit à l’accusé qu’ils devraient se reparler le lendemain matin.
B.            Le 28 septembre 2016
[12]                        Le lendemain matin, l’accusé a dit à son frère qu’il avait l’intention d’acheter de l’héroïne et d’en consommer pour se suicider. L’accusé a demandé à son frère de rester avec lui; le frère a accepté. Ils ont tous les deux acheté de l’alcool, et l’accusé a acheté de l’héroïne. Ils se sont ensuite rendus ensemble dans un parc.
[13]                        Une fois au parc et avant de prendre l’héroïne, l’accusé a indiqué à son frère l’endroit où se trouvait le corps de Mme Kogawa. Le frère devait informer la police de l’endroit où se trouvait le corps une fois que l’accusé se serait suicidé. L’accusé s’est ensuite injecté de l’héroïne, mais il n’est pas mort.
[14]                        Après sa tentative de suicide, l’accusé a demandé à son frère de lui prêter son téléphone cellulaire. Il a appelé son épouse, un témoin non contraignable. Cet appel est au cœur du présent pourvoi. Même si le frère se trouvait à une dizaine de pieds de distance et qu’il [traduction] « n’essayait pas activement d’écouter » (motifs de la C.A., 2021 BCCA 41, 400 C.C.C. (3d) 131, par. 42), il a entendu des bribes de la conversation de l’accusé. Ce dont le frère peut témoigner au sujet de ce qu’il a entendu est la principale question en litige dans le présent pourvoi.
II.            Le témoignage en cause
A.           Le témoignage du frère lors du voir‑dire
[15]                        La juge du procès a tenu un voir‑dire relativement à l’admissibilité du témoignage du frère concernant ce qu’il avait entendu l’accusé dire à son épouse.
[16]                        Lors de son interrogatoire principal au cours du voir‑dire, le frère a témoigné que l’accusé avait commencé l’appel en disant : [traduction] « As‑tu vu les nouvelles au sujet de la femme japonaise disparue, l’étudiante? » (d.a., vol. II, p. 135). Il a également témoigné que l’accusé avait dit plus tard : [traduction] « Je l’ai fait » et « Je l’ai tuée » (ibid.).
[17]                        Durant son contre‑interrogatoire lors du voir‑dire, le frère a été confronté par l’avocat de la défense aux déclarations qu’il avait faites à l’enquête préliminaire, lorsqu’il avait déclaré qu’il [traduction] « cro[yait] » que l’accusé avait dit « Je l’ai fait » ou « Je l’ai tuée » (d.a., vol. II, p. 141 et 147). Après avoir pris connaissance de la transcription de l’enquête préliminaire, le frère a dit qu’il ne pouvait pas se rappeler [traduction] « mot pour mot » ce que l’accusé avait dit, mais que ses déclarations étaient « à cet effet » (p. 138‑145).
[18]                        La juge du procès a statué que le témoignage était admissible.
B.            Le témoignage du frère au procès
[19]                          Durant son interrogatoire principal, le frère de l’accusé a déclaré que ce dernier, au début de la conversation téléphonique, a dit : [traduction] « As‑tu entendu les nouvelles au sujet de l’étudiante japonaise disparue? » (d.a., vol. II, p. 170). Il a témoigné qu’il ignorait les paroles exactes que l’accusé avait prononcées par la suite, mais qu’il pensait que, [traduction] « [à] peu près au milieu de la conversation », l’accusé avait dit « qu’il l’avait fait, qu’il l’avait tuée » (ibid.). Bien que le frère n’ait entendu qu’une des deux parties à la conversation, l’essence de ce qu’il avait entendu était que l’accusé assumait la responsabilité de la mort de Mme Kogawa. Le frère a témoigné que le ton de la conversation [traduction] « n’était pas [. . .] doux » ou « affectueux » (d.a., vol. II, p. 171).
[20]                        Au cours de son contre‑interrogatoire, le frère a reconnu qu’il ne se souvenait pas des mots exacts utilisés par l’accusé. En outre, même si son souvenir était exact lorsqu’il affirmait avoir entendu l’accusé dire « Je l’ai fait » ou « Je l’ai tuée », il ignorait en réponse à quoi l’accusé avait tenu ces propos. Le frère ne pouvait pas affirmer avec certitude si ces propos avaient été formulés en réponse à une question ou s’ils étaient liés à la disparition de Mme Kogawa. Le frère a témoigné qu’il n’essayait pas d’écouter la conversation, qu’il était considérablement stressé à ce moment‑là et qu’il avait consommé de l’alcool.
III.         Les décisions en litige
A.           La décision rendue au terme du voir‑dire, 2018 BCSC 2546
[21]                        La juge du procès a considéré que l’admissibilité du témoignage du frère dépendait de la réponse à la question de savoir (1) s’il y avait [traduction] « certains éléments de preuve » (par. 19, reproduit au d.a., vol. I, p. 5) que le jury pouvait utiliser pour déterminer la signification des paroles que le frère avait entendues, et donc leur pertinence, et (2) si la valeur probante du témoignage l’emportait sur son effet préjudiciable.
[22]                        Le fait que le frère était incapable de se rappeler les mots exacts ne rendait pas son témoignage inadmissible. Il a témoigné que l’accusé avait dit [traduction] « Je l’ai tuée » ou « Je l’ai fait », et qu’il avait compris « l’essence » de la conversation (par. 16‑17). Le contexte était suffisant pour permettre au jury d’attribuer un sens aux mots. La valeur probante du témoignage l’emportait sur son effet préjudiciable; de plus, une [traduction] « mise en garde ferme adressée au jury » pouvait tempérer tout problème associé à la preuve (par. 21). Pour ces raisons, la juge du procès a admis le témoignage en preuve.
B.            La réponse à la question posée par le jury durant ses délibérations et la déclaration de culpabilité
[23]                        Durant ses délibérations, le jury a fait parvenir au tribunal une note manuscrite dans laquelle il lui posait la question suivante (la version anglaise originale de cette note est reproduite en annexe aux présents motifs) :
      [traduction]
      Pourriez‑vous nous préciser la définition de lésions corporelles à la Q3 (l’intention requise pour l’infraction de meurtre) versus les lésions corporelles décrites aux par 109./111 pour l’infraction d’homicide involontaire coupable.
*        Lésions corporelles
Toute blessure . . .
qui nuit à la santé . . .
Pas de nature brève/mineure.
*        Concept de lésions corporelles
que l’accusé sait être « de nature » à causer la mort et qu’il lui est indifférent que . . . [Souligné dans l’original.]
      (d.a., vol. IV, p. 215; voir aussi motifs de la C.A., par. 115.)
[24]                        Les mentions « Q3 » et « par 109./111 » renvoient aux passages suivants des directives données au jury :
      [traduction]
      [109] Dans le cas de l’homicide involontaire coupable, la faute criminelle réside dans la perpétration d’un acte illégal qui est objectivement dangereux en ce sens qu’une personne raisonnable se trouvant dans la même situation que l’accusé reconnaîtrait que l’acte illégal exposerait une autre personne au risque de lésions corporelles. L’expression « lésions corporelles » s’entend de toute blessure qui nuit à la santé ou au bien‑être d’une personne et qui n’est pas simplement brève ou de nature mineure.
      [110] Dans le cas du meurtre, il faut, en plus de l’acte illégal, que l’accusé ait eu l’intention de causer la mort ou des lésions corporelles qu’il sait être de nature à causer la mort, et qu’il lui est indifférent que la mort s’ensuive ou non. Ce sont là les différences juridiques entre les infractions de meurtre au deuxième degré et d’homicide involontaire coupable.
      [111] Par conséquent, ce qui distingue le meurtre de l’homicide involontaire, c’est l’état d’esprit de l’accusé, ou ce que nous appelons en droit criminel l’intention de la personne qui a causé la mort.
      [Q3 : M. Schneider avait‑il l’intention requise pour commettre un meurtre?]
[132] Pour démontrer que M. Schneider avait l’intention requise pour commettre un meurtre, la Couronne doit prouver hors de tout doute raisonnable l’un ou l’autre des éléments suivants :
1.      soit que M. Schneider avait l’intention de causer la mort de Mme Kogawa;
2.      soit que M. Schneider avait l’intention de causer à Mme Kogawa des lésions corporelles qu’il savait être de nature à causer la mort de cette dernière, et qu’il lui était indifférent que la mort s’ensuive ou non.
      [133] En d’autres mots, vous devez décider si la Couronne a prouvé hors de tout doute raisonnable soit que M. Schneider avait l’intention de tuer Mme Kogawa, soit que M. Schneider avait l’intention de causer à Mme Kogawa des lésions corporelles qu’il savait si dangereuses et graves qu’elles risquaient de tuer Mme Kogawa, et qu’il a agi malgré le fait qu’il connaissait ce risque. [Soulignement omis.]
      (Voir motifs de la C.A., par. 116‑117.)
[25]                        La juge du procès s’est entretenue avec les avocats au sujet de la question posée par le jury. Elle leur a demandé s’ils pensaient qu’elle devait fournir au jury une définition plus explicite de l’intention. L’avocat de la Couronne a répondu que le jury [traduction] « sembl[ait] avoir compris que pour qu’il y ait lésions corporelles il doit y avoir une blessure, une ecchymose ou quelque chose du genre » (d.a., vol. III, p. 327). L’avocat de la défense a recommandé à la juge de fournir au jury la définition de « lésions corporelles » énoncée à l’art. 2 du Code criminel. La juge a acquiescé et a indiqué qu’elle avait mal compris au départ la question posée par le jury. Bien que l’avocat de la Couronne ait continué à suggérer que la juge fournisse une définition plus explicite de l’intention, l’avocat de la défense a continué de maintenir fermement que ce n’était pas ce que demandaient les jurés. La juge du procès a décidé qu’elle attendrait [traduction] « qu’[ils soient] arrivés » à la question de l’intention (d.a., vol. III, p. 331). Elle a fait revenir le jury et a lu à deux reprises la définition des « lésions corporelles » figurant à l’art. 2 du Code criminel. Le jury n’a pas posé d’autres questions et a déclaré l’accusé coupable de meurtre au deuxième degré.
C.            Cour d’appel de la Colombie-Britannique, 2021 BCCA 41, 400 C.C.C. (3d) 131
[26]                        L’accusé a interjeté appel de sa déclaration de culpabilité en faisant valoir trois moyens. Deux de ces moyens sont pertinents pour trancher le pourvoi dont notre Cour est saisie. L’accusé a demandé à la Cour d’appel de décider si la juge du procès avait fait erreur :
(1) en admettant le témoignage de son frère concernant la conversation téléphonique qu’il avait entendue (« question de l’admissibilité »);
(2) dans la façon dont elle avait répondu à la question du jury (« point concernant la question du jury »).
[27]                        La Cour d’appel a unanimement rejeté le moyen fondé sur le point concernant la question du jury, mais elle s’est divisée sur la question de l’admissibilité. Les juges majoritaires ont conclu que le témoignage du frère au sujet de la conversation téléphonique qu’il avait entendue n’était pas admissible. La juge DeWitt‑Van Oosten, dissidente, a estimé que la juge du procès n’avait pas fait erreur en admettant ce témoignage.
(1)         La question de l’admissibilité
[28]                          Les juges de la Cour d’appel se sont accordés pour dire que le témoignage du frère était admissible si les conditions suivantes étaient réunies : (1) le témoignage était pertinent; et (2) sa valeur probante l’emportait sur son effet préjudiciable. Toutefois, les juges majoritaires et la juge dissidente ont divergé d’opinions en ce qui a trait au contexte dont le juge qui préside un procès peut tenir compte pour décider si des aveux émanant d’une partie sont capables de signification et sont par conséquent pertinents. La majorité a conclu que le contexte comporte deux facettes : le [traduction] « micro‑contexte » et le « macro‑contexte » (par. 203), et que seul le micro‑contexte, c.‑à‑d. les paroles prononcées avant et après l’aveu entendu, était pertinent pour déterminer si les aveux avaient une signification. Comme le frère ne pouvait se rappeler [traduction] « ce qui a été dit avant ou après les paroles qu’il avait entendues[,] aucun jury ayant reçu des directives appropriées ne pourrait conclure que le fragment de conversation entendu constituait un aveu » (par. 205‑206). Le témoignage n’était pas pertinent et, par conséquent, n’aurait pas dû être admis.
[29]                        La juge DeWitt‑Van Oosten, dissidente, était d’avis que le juge présidant un procès peut tenir compte de tous les éléments de preuve pour déterminer si les paroles en cause ont une signification et sont, de ce fait, pertinentes. Dans la présente affaire, il existait une preuve appréciable (en sus du « micro‑contexte ») permettant d’éclairer la signification des paroles entendues par le frère. Le frère de l’accusé avait eu avec celui‑ci plusieurs conversations avant l’appel téléphonique; l’accusé avait répondu aux questions de son frère concernant le communiqué de presse révélant l’identité d’une femme portée disparue en disant « c’est vrai »; l’accusé avait indiqué à son frère l’endroit où se trouvait le corps de Mme Kogawa; l’accusé avait manifesté un comportement empreint de remords durant ses interactions avec son frère avant l’appel téléphonique. Les paroles que le frère a entendues [traduction] « faisaient partie d’une interaction et d’un dialogue continus » (par. 89). Sur la base de l’ensemble de la preuve, un jury ayant reçu des directives appropriées serait en mesure d’attribuer une signification aux paroles entendues sans pour autant se livrer à des conjectures. Par conséquent, le témoignage du frère était pertinent.
[30]                        En ce qui concerne l’étape suivante de l’analyse de l’admissibilité, la juge DeWitt‑Van Oosten a conclu qu’il y avait lieu de faire montre de déférence envers l’appréciation par la juge du procès de la valeur probante par rapport à l’effet préjudiciable. De plus, tout préjudice suseptible d’être survenu avait été atténué par les directives appropriées données au jury relativement à l’utilisation qui pouvait être faite de l’aveu émanant d’une partie. La juge DeWitt‑Van Oosten aurait en conséquence rejeté ce moyen d’appel.
(2)         Le point concernant la question du jury
[31]                        L’accusé plaidait que la juge du procès avait fait erreur de deux façons : premièrement, en ne demandant pas aux jurés de clarifier leur question, car elle était ambiguë; deuxièmement, en ne répondant pas correctement à cette question. La formation de la Cour d’appel a unanimement rejeté ce moyen d’appel. La question n’était pas ambiguë, et la suggestion de l’accusé selon laquelle la définition de lésions corporelles différait selon qu’il s’agissait d’un homicide involontaire coupable ou d’un meurtre était dénuée de fondement. Les principes d’interprétation des lois exigent que la même définition de lésions corporelles s’applique aux deux infractions. La différence entre les deux infractions ne réside pas dans la gravité des lésions corporelles que l’accusé inflige à la victime, mais plutôt dans l’intention qui accompagne l’acte. La formation a conclu qu’il n’y avait [traduction] « aucune possibilité raisonnable que le jury ait été induit en erreur et ait reconnu [l’accusé] coupable de meurtre au deuxième degré sur la base d’une forme d’intention atténuée » (par. 148).
IV.         Les questions en litige dans le présent pourvoi
[32]                          La Couronne se pourvoit de plein droit contre la décision de la Cour d’appel sur la question de l’admissibilité. L’accusé soulève le point concernant la question du jury à titre de fondement subsidiaire sur lequel notre Cour pourrait confirmer l’ordonnance de la Cour d’appel.
V.           L’analyse
[33]                        Je vais examiner le présent pourvoi en deux temps. Premièrement, je vais me pencher sur la question de l’admissibilité. J’arrive à la conclusion que la juge du procès n’a pas fait erreur en admettant le témoignage du frère. Deuxièmement, je vais considérer le point concernant la question du jury. Sur ce point, je souscris pour l’essentiel aux motifs unanimes de la Cour d’appel. À l’instar des juges de cette cour, je conclus que la question du jury n’était pas ambiguë et que la juge du procès n’a pas commis d’erreur en y répondant. Par conséquent, je suis d’avis d’accueillir le pourvoi formé par la Couronne, d’infirmer l’arrêt de la Cour d’appel et de rétablir la déclaration de culpabilité prononcée contre l’accusé à l’égard de l’accusation de meurtre au deuxième degré.
A.           La question de l’admissibilité
[34]                          La Cour d’appel s’est attachée au fait que l’élément de preuve en litige est un aveu émanant d’une partie. Tout en gardant ce fait à l’esprit, je vais situer mon analyse de la question de l’admissibilité dans le contexte plus large du droit de la preuve, au lieu de traiter cette question comme un sujet particulier ou niché.
[35]                          Je vais d’abord rappeler ce que je considère comme étant les règles de droit bien établies en ce qui concerne la démarche générale à suivre pour statuer sur l’admissibilité d’éléments de preuve dans un procès criminel, y compris les aveux émanant d’une partie. Je vais ensuite appliquer ces règles au témoignage du frère et conclure que la juge du procès n’a pas fait erreur en admettant ce témoignage.
(1)         Le cadre juridique de l’admissibilité de la preuve dans un procès criminel
[36]                        Les éléments de preuve qui sont pertinents à l’égard d’une question en litige au procès sont admissibles, pourvu qu’ils ne soient pas visés par une règle d’exclusion et que le juge du procès ne les écarte pas dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire (R. c. Khelawon, 2006 CSC 57, [2006] 2 R.C.S. 787, par. 2; D. M. Paciocco, P. Paciocco et L. Stuesser, The Law of Evidence (8e éd. 2020), p. 32; S. N. Lederman, M. K. Fuerst et H. C. Stewart, Sopinka, Lederman & Bryant : The Law of Evidence in Canada (6e éd. 2022), ¶2.48; M. Vauclair et T. Desjardins, avec la collaboration de P. Lachance, Traité général de preuve et de procédure pénales 2022 (29e éd. 2022), p. 905‑906). Il s’agit de l’analyse à trois volets qui régit l’admission de tout élément de preuve. Le juge doit se demander a) si l’élément de preuve est pertinent, b) si cet élément est visé par une règle d’exclusion et c) s’il doit exercer son pouvoir discrétionnaire afin de l’écarter.
[37]                        Lorsqu’une question relative à l’admissibilité d’un élément de preuve est soulevée, un voir‑dire est souvent nécessaire. Cela dit, notre Cour a souligné, dans une remarque incidente, qu’il est possible qu’un voir‑dire ne soit pas nécessaire dans le cas d’un aveu émanant d’une partie (R. c. S.G.T., 2010 CSC 20, [2010] 1 R.C.S. 688, par. 20). La question de savoir si la tenue d’un voir‑dire est nécessaire à l’égard d’une preuve de cette nature doit être tranchée au regard des circonstances propres à chaque espèce.
a)               L’élément de preuve est‑il pertinent à l’égard d’une question en litige au procès?
[38]                        La première étape pour statuer sur l’admissibilité d’un élément de preuve consiste à se demander si cet élément est pertinent. À cette étape, on parle souvent de « pertinence logique ». Toutefois, je vais employer le mot « pertinence » (plutôt que l’expression « pertinence logique ») dans la présente décision.
[39]                        Pour déterminer si un élément de preuve est pertinent, le juge doit se demander s’il tend à accroître ou à diminuer la probabilité de l’existence d’un fait en litige (R. c. Arp, 1998 CanLII 769 (CSC), [1998] 3 R.C.S. 339, par. 38). Outre cette question, il n’existe pas de [traduction] « critère juridique » en matière de pertinence (Paciocco, Paciocco et Stuesser, p. 35). Les juges doivent, dans l’exercice de leur rôle de gardiens du système judiciaire, évaluer la pertinence d’un élément de preuve « selon la logique et l’expérience humaine » (R. c. White, 2011 CSC 13, [2011] 1 R.C.S. 433, par. 44). Ce faisant, les juges doivent veiller à ne pas usurper le rôle du juge des faits, bien qu’il leur faille dans une certaine mesure soupeser la preuve, une fonction typiquement réservée au jury (Vauclair et Desjardins, p. 687, citant R. c. Hart, 2014 CSC 52, [2014] 2 R.C.S. 544, par. 95 et 98). Il n’est pas nécessaire que l’élément de preuve en cause « établisse fermement [. . .] la véracité ou la fausseté d’un fait en litige » (Arp, par. 38), bien qu’il soit possible que cet élément soit trop conjectural ou équivoque pour être pertinent (White, par. 44). Le seuil de pertinence requis est peu élevé, et les juges peuvent admettre un élément de preuve qui présente une faible valeur probante (Arp, par. 38; R. c. Grant, 2015 CSC 9, [2015] 1 R.C.S. 475, par. 18). Dans l’examen par les juges de la pertinence, celle‑ci « ne tient nullement à l’existence d’une valeur probante suffisante », et « [o]n ne doit [. . .] pas confondre l’admissibilité de la preuve avec son poids » (R. c. Corbett, 1988 CanLII 80 (CSC), [1988] 1 R.C.S. 670, p. 715, le juge La Forest, dissident, mais non sur ce point, citant Morris c. La Reine, 1983 CanLII 28 (CSC), [1983] 2 R.C.S. 190, p. 192). Des concepts comme la fiabilité en dernière analyse, la vraisemblance et la valeur probante n’ont pas leur place lorsqu’il s’agit de décider de la pertinence. La question de savoir si un élément de preuve est pertinent est une question de droit susceptible de contrôle suivant la norme de la décision correcte (R. c. Mohan, 1994 CanLII 80 (CSC), [1994] 2 R.C.S. 9, p. 20‑21).
[40]                        Cela nous amène à la question sur laquelle la juridiction inférieure s’est divisée : De quel contexte en ce qui a trait à la preuve peut tenir compte le juge présidant un procès afin de décider si un élément de preuve est capable de signification et peut de ce fait être pertinent? La juge Charron a examiné cette question dans l’affaire R. c. Blackman, 2008 CSC 37, [2008] 2 R.C.S. 298, par. 30 :
     Pour évaluer pleinement la pertinence d’un élément de preuve, il faut tenir compte des autres éléments présentés pendant le procès. Toutefois, en tant que critère d’admissibilité, l’appréciation de la pertinence est un processus continu et dynamique dont la résolution ne peut attendre l’issue du procès. Selon l’étape du procès, le « contexte » de l’appréciation de la pertinence d’un élément de preuve peut très bien être embryonnaire. Souvent, pour des raisons pragmatiques, il faut s’appuyer sur les observations des avocats pour décider de la pertinence d’un élément de preuve. Dans The Law of Evidence (4e éd. 2005), p. 29, les professeurs D. M. Paciocco et L. Stuesser expliquent pourquoi, en réalité, le critère préliminaire de la pertinence ne peut être un critère strict et, comme les auteurs le soulignent, les propos suivants du juge Cory dans R. c. Arp, 1998 CanLII 769 (CSC), [1998] 3 R.C.S. 339, par. 38, rendent bien compte de ce point de vue :
     Pour qu’un élément de preuve soit logiquement pertinent, il n’est pas nécessaire qu’il établisse fermement, selon quelque norme que ce soit, la véracité ou la fausseté d’un fait en litige. La preuve doit simplement tendre à [traduction] « accroître ou diminuer la probabilité de l’existence d’un fait en litige ». [Italique omis.]
[41]                        Comme l’a expliqué la juge Charron, les juges qui président des procès peuvent examiner la pertinence à la lumière des éléments de preuve que les parties ont présentés, ainsi que de ceux qu’une partie indique qu’elle entend présenter. Les juges peuvent admettre un élément de preuve litigieux sous réserve de l’engagement de l’avocat concerné quant aux éléments devant être présentés (Lederman, Fuerst et Stewart, ¶2.72). Compte tenu du lien qui existe entre la signification et la pertinence, les propos formulés par la juge Charron dans l’arrêt Blackman s’appliquent logiquement aux éléments de preuve susceptibles d’éclairer la signification.
[42]                        Cette proposition générale s’applique aux aveux émanant d’une partie. Rien ne justifie de traiter différemment ces aveux dans la détermination de la pertinence. À cette étape de l’analyse, il n’est pas nécessaire que les juges qui président des procès aient qualifié la preuve d’aveu émanant d’une partie. En circonscrivant à l’intérieur d’un cercle étroit les autres éléments de preuve pouvant être pris en compte pour déterminer la pertinence des aveux émanant d’une partie (la distinction entre « micro‑contexte » et « macro‑contexte »), les juges majoritaires de la Cour d’appel ont commis une erreur de droit.
[43]                        En formulant cette observation, je suis conscient qu’il n’est pas nécessaire que la preuve soit sans équivoque pour être pertinente. Dans l’arrêt R. c. Evans, 1993 CanLII 86 (CSC), [1993] 3 R.C.S. 653, le juge Sopinka a souligné que, bien que les questions d’admissibilité relèvent du juge du procès, c’est au juge des faits qu’il appartient de décider si une déclaration a été faite et si elle est véridique (p. 664‑666; voir aussi Vauclair et Desjardins, p. 865‑866). Les aveux émanant d’une partie, comme tout autre élément de preuve, ne deviennent pas inadmissibles parce que le témoin rend un témoignage équivoque. Il arrive souvent que les témoins aient un souvenir imparfait des circonstances et manifestent de l’hésitation lorsqu’ils déposent. Dans la mesure où de telles imperfections ou hésitations portent sur des points liés à l’admissibilité (plutôt qu’au poids que le juge des faits accorde à l’élément de preuve), il est approprié que le juge qui préside un procès les prenne en considération dans la mise en balance de la valeur probante et de l’effet préjudiciable. En conséquence, le fait qu’un témoin ne se souvienne pas des mots exacts qui ont été utilisés ne signifie pas que son témoignage n’est pas pertinent.
[44]                        Il va de soi que les parties ne sont pas autorisées à « rattacher » à l’ensemble de la preuve leur argument relatif à l’admissibilité d’un aveu émanant d’une partie. La partie qui sollicite l’admission de l’élément de preuve proposé doit limiter ses observations à la preuve contextuelle qui est pertinente afin de déterminer la signification de la déclaration litigieuse. Dans une affaire criminelle, la Couronne ne peut pas prétendre que tout élément de preuve tendant à indiquer que l’accusé est coupable constitue un élément contextuel pertinent. L’analyse doit demeurer axée non pas sur la solidité globale de la preuve de la Couronne, mais sur la question de savoir si le jury est en mesure d’attribuer à la déposition du témoin une signification d’une manière qui n’est pas conjecturale.
[45]                        En résumé, le juge statue sur la pertinence en se demandant si, à la lumière de tous les autres éléments de preuve, l’élément en cause tend logiquement à accroître ou à diminuer la vraisemblance d’un fait en litige. Cette norme s’applique à tous les éléments de preuve dans un procès criminel.
b)               L’élément de preuve est‑il visé par une règle d’exclusion?
[46]                        Un élément de preuve pertinent est habituellement admissible, sous réserve de diverses règles d’exclusion. La preuve par ouï‑dire, le type de preuve en cause dans le présent pourvoi, est visée par une règle d’exclusion et par diverses exceptions.
[47]                        La preuve par ouï‑dire comporte trois éléments : (1) une déclaration (ou une action) faite extrajudiciairement par un déclarant, (2) qu’une partie cherche à présenter en cour pour établir la véracité de son contenu, (3) sans possibilité pour l’autre partie de contre‑interroger de façon contemporaine le déclarant (Khelawon, par. 35; Evans, p. 661‑662; voir aussi R. c. Smith, 1992 CanLII 79 (CSC), [1992] 2 R.C.S. 915, p. 924).
[48]                        Pendant longtemps, la common law écartait la preuve par ouï‑dire (Smith, p. 924‑925; R. c. Starr, 2000 CSC 40, [2000] 2 R.C.S. 144, par. 153; R. c. Mapara, 2005 CSC 23, [2005] 1 R.C.S. 358, par. 13). Les tribunaux basaient cette exclusion sur deux préoccupations principales. Premièrement, la preuve par ouï‑dire peut ne pas être fiable, et les parties n’ont pas la possibilité de vérifier sa fiabilité par voie de contre‑interrogatoire (Khelawon, par. 2; Mapara, par. 14). Deuxièmement, une preuve directe est préférable et, par conséquent, il est possible que la preuve par ouï‑dire ne soit pas la meilleure preuve disponible (Mapara, par. 14). La preuve par ouï‑dire était donc, en règle générale, écartée pour prévenir les conclusions de fait inexactes.
[49]                        Toutefois, l’exclusion de la preuve par ouï‑dire dans certaines circonstances avait pour effet d’entraver la constatation exacte des faits plutôt que de l’aider (Khelawon, par. 2; Mapara, par. 14). Avec le temps, les tribunaux ont créé des exceptions à l’exclusion générale du ouï‑dire (Mapara, par. 14). Souvent qualifiées de compartiments, ces exceptions ont été élaborées dans des cas où les circonstances de la preuve par ouï‑dire atténuaient les préoccupations relatives à sa fiabilité ou dans des cas où la preuve par ouï‑dire était la meilleure disponible. Ces exceptions sont « devenue[s] rigide[s] », et le formalisme foisonnait (Mapara, par. 14; Paciocco, Paciocco et Stuesser, p. 151). Le droit relatif au ouï‑dire est devenu un ensemble complexe de catégories, chacune définie par des règles étroites, donnant parfois lieu à des résultats arbitraires et nuisant à la constatation exacte des faits.
[50]                        En réponse, notre Cour a élaboré une approche raisonnée à l’égard du ouï‑dire dans l’arrêt R. c. Khan, 1990 CanLII 77 (CSC), [1990] 2 R.C.S. 531 (Mapara, par. 12). Cette approche visait à mettre un terme à l’établissement d’exceptions spécifiques à la règle d’exclusion du ouï‑dire fondées sur des circonstances particulières — des compartiments — et à « conférer une certaine souplesse à la règle du ouï‑dire » pour éviter les solutions arbitraires (Mapara, par. 15). Suivant cette approche raisonnée, la preuve par ouï‑dire peut être admise sur la base de deux facteurs : la nécessité et la fiabilité (Khan, p. 540‑542; Starr, par. 153; Paciocco, Paciocco et Stuesser, p. 152‑154; Vauclair et Desjardins, p. 1078‑1089).
[51]                        Dans l’arrêt Mapara, la Cour a indiqué que les exceptions traditionnelles continuent présomptivement de s’appliquer (par. 15, indication confirmée dans les arrêts Khelawon, par. 42; R. c. Baldree, 2013 CSC 35, [2013] 2 R.C.S. 520, par. 34). Toutefois, un plaideur peut contester une exception au motif que l’élément de preuve concerné « ne présenterait pas les indices de nécessité et de fiabilité requis » (Mapara, par. 15).
[52]                        L’exception en cause dans la présente affaire est celle fondée sur des aveux émanant d’une partie. De tels aveux incluent tout [traduction] « act[e] ou propos d’une partie présent[é] en preuve contre cette partie » (Paciocco, Paciocco et Stuesser, p. 191 (je souligne)). Bien que la question de savoir si les aveux émanant d’une partie constituent ou non du ouï‑dire soit l’objet de débats, je souscris à l’opinion dominante énoncée par la juge Charron : « . . . les aveux d’un accusé relèvent d’une exception bien connue à la règle du ouï‑dire » (R. c. Couture, 2007 CSC 28, [2007] 2 R.C.S. 517, par. 75; voir aussi Paciocco, Paciocco et Stuesser, p. 192).
[53]                        Dans un procès criminel, un aveu émanant d’une partie constitue une preuve à charge que la Couronne présente contre l’accusé. Comme il a été expliqué dans Evans, la common law justifie l’admission en preuve de ce type d’aveux par le fait qu’une partie ne peut « se plaindre de la non‑fiabilité de ses propres déclarations » (Evans, p. 664). Contrairement à plusieurs autres exceptions, la justification de l’admission des aveux émanant d’une partie n’est pas liée à des considérations de nécessité ou de fiabilité (Vauclair et Desjardins, p. 911). Il s’agit d’un aspect sur lequel ces aveux dérogent aux règles générales.
[54]                        La juge Charron a confirmé ce point dans l’arrêt Khelawon : « Certaines exceptions traditionnelles ont une assise différente, tels les aveux de parties [. . .] [L]es critères d’admissibilité ne sont pas établis de la même façon » (par. 65). Voir aussi Hart, par. 63; Couture, par. 75; S.G.T., par. 20; R. c. Bradshaw, 2017 CSC 35, [2017] 1 R.C.S. 865, par. 82.
[55]                        Par conséquent, des aveux émanant d’une partie sont admissibles en preuve sans égard à leur nécessité et à leur fiabilité (R. c. Gordon Gray, 2021 QCCA 882, par. 27‑28 (CanLII); R. c. Foreman (2002), 2002 CanLII 6305 (ON CA), 169 C.C.C. (3d) 489 (C.A. Ont.), par. 37; R. c. Osmar, 2007 ONCA 50, 84 O.R. (3d) 321, par. 53; R. c. Lo, 2020 ONCA 622, 152 O.R. (3d) 609, par. 81). Ainsi, outre les « rares cas » où les juges conservent leur pouvoir discrétionnaire d’exclure toute preuve par ouï‑dire au motif qu’elle n’est pas fiable ou nécessaire (Mapara, par. 15), la fiabilité et la nécessité ne sont pas des considérations pertinentes à l’égard de l’admissibilité d’aveux émanant d’une partie.
[56]                        Je vais ouvrir ici une brève parenthèse pour souligner un point. Il ne faut pas confondre l’exception à la règle d’exclusion du ouï‑dire touchant les aveux émanant d’une partie avec d’autres exceptions qui présentent certaines similitudes, par exemple l’exception relative aux déclarations faites par une personne qui n’est pas partie à l’instance et qui va à l’encontre de ses intérêts. Voir Lo, par. 65‑66; Paciocco, Paciocco et Stuesser, p. 192. Les aveux émanant d’une partie incluent les « actes ou propos d’une partie présentés en preuve contre cette partie » (Paciocco, Paciocco et Stuesser, p. 191 (je souligne)). Par contraste, les déclarations contraires à l’intérêt de leur auteur ne sont pas présentées contre la personne qui les a faites, étant donné que cette personne n’est pas partie à l’instance. Les aveux émanant d’une partie et les déclarations contraires à l’intérêt de leur auteur possèdent des fondements qui leur sont propres. Les tribunaux ont commencé à autoriser l’admission de déclarations contraires à l’intérêt de leur auteur en partant du principe que [traduction] « les gens ne font pas volontiers des déclarations dans lesquelles ils admettent des faits qui sont contraires à leur intérêt, à moins que ces déclarations ne soient véridiques » (Paciocco, Paciocco et Stuesser, p. 208). Comme je l’ai indiqué plus tôt, les tribunaux admettent en preuve les aveux émanant d’une partie sur la base que « les déclarations antérieures d’une partie peuvent être admises contre la partie qui ne peut se plaindre de la non‑fiabilité de ses propres déclarations » (Evans, p. 664). Le fait que les déclarations et aveux susmentionnés possèdent des fondements qui leur sont propres se traduit par des conditions préalables d’admission différentes.
[57]                        Dans le présent pourvoi, les aveux émanant d’une partie correspondent à des paroles que l’accusé a formulées, que le témoin a entendues et que la Couronne a présentées en preuve pour établir la culpabilité de l’accusé (Evans, p. 664; Paciocco, Paciocco et Stuesser, p. 191‑192). Cependant, des aveux émanant d’une partie peuvent être autre chose que des paroles; en common law, il a été jugé que peuvent constituer des aveux émanant d’une partie, notamment, le silence d’une partie, des actes de celle‑ci et son comportement (voir, p. ex., R. c. Scott, 2013 MBCA 7, 288 Man. R. (2d) 188; voir aussi Lederman, Fuerst et Stewart, ¶6.470‑6.512; Vauclair et Desjardins, p. 911). Ainsi que l’a fait observer le professeur I. Younger, selon une règle pratique, [traduction] « [t]out ce que l’autre partie a pu dire ou faire est admissible tant que cet élément est en lien avec l’affaire » (An Irreverent Introduction to Hearsay (1977), p. 24, propos cités dans Paciocco, Paciocco et Stuesser, p. 191‑192). Je ne cherche pas ici à définir les limites précises de la notion d’aveux émanant d’une partie, car il ne s’agit pas d’une question en litige.
[58]                        La décision par le juge qui préside un procès qu’un élément de preuve constitue du ouï‑dire, mais qu’il est visé par une exception à la règle générale d’exclusion, est une question de droit susceptible de contrôle suivant la norme de la décision correcte.
c)               Y a‑t‑il lieu pour le tribunal d’exercer son pouvoir discrétionnaire afin d’écarter l’élément de preuve litigieux?
[59]                        Enfin, les juges doivent décider s’il y a lieu qu’ils exercent leur pouvoir discrétionnaire afin d’écarter un élément de preuve après avoir soupesé la valeur probante de celui‑ci par rapport à ses effets préjudiciables. Le juge qui préside un procès avec jury doit se demander dans quelle mesure il est possible d’atténuer les effets préjudiciables d’un élément de preuve en donnant au jury des directives appropriées sur l’utilisation qui peut régulièrement être faite de cet élément. De plus, un élément de preuve peut être écarté lorsque son obtention a été marquée par une injustice importante, de telle sorte que cela rendrait inéquitable le procès de l’accusé (Mohan; Paciocco, Paciocco et Stuesser, p. 47‑48; Lederman, Fuerst et Stewart, ¶2.75‑2.77; Vauclair et Desjardins, p. 905‑906). Aucune considération de ce genre n’est en jeu dans les circonstances de la présente affaire.
[60]                        La valeur probante s’entend du degré de pertinence d’un élément de preuve par rapport aux faits en litige et de la solidité des inférences qui peuvent être tirées de celui‑ci (R. c. Handy, 2002 CSC 56, [2002] 2 R.C.S. 908, par. 26, citant R. c. Robertson, 1987 CanLII 61 (CSC), [1987] 1 R.C.S. 918, p. 943; Hart, par. 94‑98). L’effet préjudiciable a trait à la probabilité que le jury fasse un mauvais usage de l’élément de preuve litigieux (Hart, par. 106; Paciocco, Paciocco et Stuesser, p. 52). La mise en balance de la valeur probante et de l’effet préjudiciable a été qualifiée d’« analyse du coût et des bénéfices » (Mohan, p. 21‑22; Hart, par. 94; Vauclair et Desjardins, p. 905‑906).
[61]                        Comme je l’ai signalé, il est possible d’atténuer le « coût » associé à l’élément de preuve litigieux (c.‑à‑d. son effet préjudiciable) par des directives appropriées au jury. Des directives appropriées peuvent effectivement permettre aux jurés de comprendre comment utiliser un élément de preuve de manière judiciaire (R. c. Khill, 2021 CSC 37, par. 116; R. c. Griffin, 2009 CSC 28, [2009] 2 R.C.S. 42, par. 69).
[62]                        La décision par le juge présidant un procès que la valeur probante d’un élément de preuve l’emporte sur son effet préjudiciable est une décision discrétionnaire qui commande la déférence en cas de contrôle (R. c. Araya, 2015 CSC 11, [2015] 1 R.C.S. 581, par. 31; R. c. Shearing, 2002 CSC 58, [2002] 3 R.C.S. 33, par. 73). En outre, les cours d’appel doivent examiner les erreurs susceptibles d’avoir entaché les directives au jury « dans le contexte de l’ensemble de l’exposé au jury et du déroulement général du procès » (R. c. Jaw, 2009 CSC 42, [2009] 3 R.C.S. 26, par. 32, cité dans Araya, par. 39), de manière à laisser aux juges qui président des procès « une certaine latitude dans la formulation de [leurs] directives » (Araya, par. 39). Je tiens à souligner à quel point il est important que le juge du procès expose une analyse claire de la valeur probante et de l’effet préjudiciable d’un élément de preuve afin de faciliter le contrôle de cette question en appel.
(2)            L’application du cadre juridique aux circonstances de l’espèce
a)               L’élément de preuve était pertinent
[63]                        Le témoignage du frère concernant la conversation qu’il a entendue était pertinent. Premièrement, le jury disposait d’un contexte suffisant pour attribuer une signification aux paroles que le frère avait entendues, de sorte que cet élément de preuve satisfait au seuil peu élevé de pertinence (logique) requis. Deuxièmement, le fait que le frère était incertain quant aux paroles exactes qu’il avait entendu l’accusé prononcer n’est pas fatal. La nature équivoque du témoignage du frère est un facteur à considérer dans la mise en balance de la valeur probante et de l’effet préjudiciable. Elle est également liée à la fiabilité et à la vraisemblance; toutefois, il s’agit là de facteurs qui relèvent du juge des faits lors de l’appréciation du poids de la preuve plutôt que du juge lors de l’analyse de la pertinence.
[64]                        La juge du procès devait déterminer si, au regard de l’ensemble de la preuve, le jury pouvait (sans se livrer à des conjectures) attribuer une signification aux paroles que le frère témoignait avoir entendues. Le contexte s’étendait au‑delà du cadre étroit appliqué par les juges majoritaires de la Cour d’appel. D’autres éléments de preuve éclairaient utilement le témoignage du frère concernant ce qu’il avait entendu. Dans les jours précédant l’appel téléphonique, l’accusé et son frère avaient parlé de la victime. Durant ces conversations, l’accusé avait admis qu’il avait fait [traduction] « quelque chose de mal », il avait dit à son frère que c’était « vrai » (d.a., vol. II, p. 107, 111 et 113), et le frère a dit que l’accusé était « triste et plein de remords. Heureux d’avoir vidé son sac, pour ainsi dire » (p. 121). Le jour de l’appel téléphonique, l’accusé avait dit à son frère où se trouvait le corps de la victime; le frère se trouvait avec l’accusé lorsque que ce dernier avait tenté de se suicider; et le frère était avec l’accusé au cours de la période ayant précédé l’appel téléphonique à son épouse. Enfin, le frère a témoigné qu’il avait entendu l’accusé mentionner la victime au début de l’appel téléphonique. Le frère était présent, bien qu’à une distance d’approximativement 10 pieds, pendant toute la durée de l’appel.
[65]                        Je vais maintenant me pencher sur l’arrêt Ferris, la décision de notre Cour qui, comme l’ont reconnu la juge du procès et la Cour d’appel en l’espèce, régit l’admissibilité de l’élément de preuve.
[66]                        L’arrêt Ferris portait sur l’admissibilité d’un élément de preuve par ouï‑dire que la Couronne souhaitait présenter en tant qu’aveux émanant d’une partie. Dans cette affaire, la police a arrêté M. Ferris pour meurtre et l’a amené au poste. Ce dernier a alors demandé à faire un appel téléphonique. Un policier a passé l’appel, a remis le téléphone à M. Ferris, puis s’est dirigé vers son bureau. En quittant la pièce, le policier a entendu M. Ferris dire [traduction] « J’ai été arrêté » et ensuite « J’ai tué David » (Ferris (C.A.), par. 7). Le juge du procès a admis le témoignage du policier concernant ce qu’il avait entendu M. Ferris dire. Ce dernier a été déclaré coupable par le jury de meurtre au deuxième degré.
[67]                        La Cour d’appel de l’Alberta a infirmé la décision du tribunal de première instance, concluant qu’un jury ayant reçu des directives appropriées n’aurait pas été en mesure d’attribuer une signification aux propos que le policier avait entendus. Des propos incapables de signification ne pouvaient avoir de valeur probante à l’égard de quelque question que ce soit et n’étaient donc pas pertinents. Un élément de preuve qui n’était pas pertinent n’était pas admissible. La question en litige n’était pas de savoir quel poids devait être accordé au témoignage du policier, mais plutôt si les propos qu’il avait entendus avaient quelque signification. La Cour d’appel a fait observer que [traduction] « les règles relatives au ouï‑dire n’écartent pas l’exigence relative à la pertinence » (par. 32).
[68]                        La Cour d’appel a expliqué qu’il était possible que les mots « J’ai tué David » aient été un aveu. Il était également possible qu’ils aient fait partie d’une réponse à la question [traduction] « qu’est‑ce que la police pense [que vous] avez fait? » (par. 17). [traduction] « [E]n soi », ces mots ne pouvaient « permettre de comprendre et d’apprécier véritablement la signification de la déclaration » (par. 24). Le témoignage du policier était inadmissible parce que le jury ne pouvait interpréter la signification des mots en question sans se livrer à [traduction] « de flagrantes conjectures » (par. 49).
[69]                        Notre Cour a confirmé en définitive la décision de la Cour d’appel dans Ferris. Dans un court jugement prononcé à l’audience, le juge Sopinka a affirmé que, même si la preuve basée sur les mots entendus avait eu quelque pertinence que ce soit, sa signification était « si conjecturale et sa valeur probante si faible que le juge du procès aurait dû l’exclure pour le motif que son effet préjudiciable l’emportait sur sa valeur probante » (p. 756). Il ressort d’une lecture attentive des motifs du juge Sopinka que ce dernier n’a pas dit que la preuve était inadmissible pour des raisons de pertinence. Notre Cour n’a pas confirmé l’analyse de la pertinence effectuée par la Cour d’appel ou l’application par celle‑ci de l’approche raisonnée. Le juge Sopinka a plutôt déclaré que, même si le témoignage avait été pertinent, il aurait dû être écarté après une mise en balance de sa valeur probante et de son effet préjudiciable.
[70]                        La preuve présentée au procès dans l’affaire Ferris était différente de celle dont il est question en l’espèce. Dans Ferris, l’accusé et le policier étaient des étrangers l’un par rapport à l’autre. Il n’y avait dans cette affaire absolument rien de similaire aux circonstances, à la chronologie des événements et aux conversations qui ont précédé, dans le présent cas, les paroles que le frère a entendues durant la conversation de l’accusé avec son épouse.
[71]                        Encore une fois, il faut garder à l’esprit la différence entre la pertinence et la fiabilité en dernière analyse. La fidélité avec laquelle le frère se rappelait des paroles prononcées par l’accusé se rapporte à la fiabilité en dernière analyse, une question qui relève du juge des faits. Peu de gens seraient en mesure de se souvenir des paroles exactes qui ont été prononcées lors d’une conversation récente qu’ils ont écoutée attentivement. Néanmoins, bon nombre d’entre nous seraient capables de se rappeler l’essentiel de cette conversation. Les règles de preuve doivent tenir compte de cette réalité. L’analyse de la valeur probante et le poids accordé à un élément de preuve par le juge des faits sont des mécanismes suffisants pour tenir compte des lacunes de la mémoire. Il n’est pas nécessaire que ces lacunes soient aussi prises en compte dans la détermination de la pertinence.
[72]                        L’arrêt Ferris demeure valable, mais il doit être lu avec soin. Effectivement, « [l]’exclusion d’une conversation partielle n’est [. . .] pas automatique et l’analyse est avant tout contextuelle » (Vauclair et Desjardins, p. 970). Je tiens à souligner l’application de cet arrêt dans trois décisions : R. c. Bennight, 2012 BCCA 190, 320 B.C.A.C. 195, R. c. Buttazzoni, 2019 ONCA 645, et R. c. Hummel, 2002 YKCA 6, 166 C.C.C. (3d) 30. Voir aussi R. c. Reierson, 2010 BCCA 381, 259 C.C.C. (3d) 32, par. 40.
[73]                        L’arrêt Bennight est factuellement assez similaire à la présente espèce. Dans cette affaire, la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique avait admis en preuve le témoignage d’une agente correctionnelle qui n’arrivait pas à se souvenir des paroles précises que lui avait dites le contrevenant. La cour a estimé qu’il suffisait que [traduction] « le témoin puisse témoigner à la fois à l’égard de “l’essence” de la déclaration et du contexte dans lequel elle a été faite » (par. 92). Le fait que l’agente était incapable de se rappeler les paroles précises n’était pas pertinent pour l’analyse de la pertinence effectuée par le juge; le caractère incomplet du témoignage était un facteur à soupeser par le jury. En l’espèce, l’accusé a fait valoir devant notre Cour que l’arrêt Bennight différait de la présente instance en ce que dans Bennight l’agente correctionnelle avait entendu les paroles prononcées par les deux parties à la conversation. J’estime qu’il s’agit d’une distinction sans conséquence. Ce qui importe, c’est la question de savoir si l’élément de preuve tend à accroître ou à diminuer la probabilité de l’existence d’un fait, et non les circonstances particulières à l’origine de cette preuve.
[74]                        Dans l’affaire Buttazzoni, la Cour d’appel de l’Ontario a conclu que le juge du procès avait à juste titre admis en preuve [traduction] « des propos relatés [qui] ont été qualifiés de “presque textuels” », et également admis à bon droit des propos relatés qui constituaient « un résumé paraphrasé » (par. 56). La question de l’exactitude des souvenirs ne concernait pas la pertinence, mais constituait plutôt un facteur qui devait être soupesé par le juge des faits. Tout comme dans l’affaire Bennight, le témoin avait entendu les paroles prononcées par les deux parties à la conversation. Toutefois, comme je l’ai souligné, il ne s’agit pas d’une justification raisonnée permettant d’établir une distinction entre ces affaires et les circonstances du présent pourvoi.
[75]                        Dans l’affaire Hummel, l’accusé soutenait en appel que le juge du procès avait erronément admis un témoignage suggérant qu’il avait dit [traduction] « J’entends la voix d’une femme appelant mon nom » et « d’outre‑tombe » (par. 8). La Cour d’appel du Yukon a conclu qu’il y avait [traduction] « amplement de contexte au regard duquel les paroles pouvaient être considérées », puisque l’accusé avait prononcé ces paroles le matin qui avait suivi le moment où la victime avait été vue vivante pour la dernière fois et qu’il y avait d’autres éléments de preuve le rattachant à celle‑ci avant sa disparition (par. 32). Le jury pouvait inférer que l’accusé exprimait des remords par ces paroles.
[76]                        Ces décisions montrent qu’il ne faut pas considérer que l’arrêt Ferris permet d’affirmer que le souvenir incomplet d’aveux émanant d’une partie entraîne l’exclusion d’un tel élément de preuve, ou que seul le « micro‑contexte » peut éclairer la signification des paroles prononcées et, par conséquent, la pertinence. Dans l’appréciation de la pertinence (logique), ce qui importe c’est de savoir si l’élément de preuve tend à accroître ou à diminuer la probabilité de l’existence d’un fait en litige (Arp, par. 38).
[77]                        Même s’il n’était pas en mesure de se rappeler les paroles exactes qu’avait prononcées l’accusé, le frère a témoigné qu’il avait entendu une conversation téléphonique au cours de laquelle l’accusé avait admis avoir tué Mme Kogawa. Si le jury y prête foi, le souvenir du frère concernant l’appel téléphonique (pour reprendre les termes utilisés dans Arp) « ten[d] à [traduction] “accroître [. . .] la probabilité” » que l’accusé ait été responsable de la mort de la victime. À la lumière des autres éléments de preuve, le témoignage du frère rapportait des propos capables de signification non conjecturale et il était pertinent.
b)               Le témoignage constituait du ouï‑dire, mais était visé par l’exception à la règle d’exclusion du ouï‑dire relative aux aveux émanant d’une partie
[78]                        La Couronne a présenté en preuve le témoignage du frère dans le but de démontrer que l’accusé avait admis avoir tué Mme Kogawa. Ce témoignage constituait du ouï‑dire et était donc inadmissible suivant la règle générale d’exclusion. Toutefois, le témoignage du frère indiquait que l’accusé avait admis, par ses propres mots, être responsable de la mort de Mme Kogawa. Il s’agit d’un élément de preuve de quelque chose qu’une partie a dit ou fait et se rapportant à une question en litige au procès (voir Paciocco, Paciocco et Stuesser, p. 191‑192; Younger, p. 24). En tant que tel, cet élément de preuve constitue un aveu émanant d’une partie et est visé par une exception reconnue à la règle générale d’exclusion.
c)               À la lumière des directives détaillées qu’elle a données au jury, la juge du procès n’a pas fait erreur en admettant le témoignage en preuve
[79]                        La mise en balance de la valeur probante et de l’effet préjudiciable peut jouer un rôle crucial dans la décision relative à l’admissibilité d’aveux émanant d’une partie. Il s’agit d’une décision discrétionnaire prise par le juge qui préside un procès. Ces décisions commandent la déférence en cas de contrôle. L’accusé n’a pas démontré que la juge du procès avait commis une erreur dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire. Cela ressort de façon particulière des directives bien structurées que la juge du procès a données au jury sur l’utilisation appropriée qu’il pouvait faire des aveux émanant d’une partie.
[80]                        Le témoignage du frère comportait des lacunes. Ce dernier était incertain quant aux paroles précises que l’accusé avait prononcées. Il a témoigné qu’il n’essayait pas d’écouter la conversation et qu’il avait entendu uniquement les paroles prononcées par l’une des deux parties à la conversation. Il ne savait pas si l’accusé répondait à des questions de son épouse. Le frère a admis qu’il avait consommé de l’alcool avant et après l’appel téléphonique et que l’accusé était sous l’influence de substances intoxicantes. Le frère a témoigné que l’élocution de l’accusé était affectée par l’héroïne qu’il avait consommée. Ces facteurs diminuaient la valeur probante des aveux émanant d’une partie.
[81]                        En ce qui concerne l’effet préjudiciable, je suis d’accord avec la juge Arbour, dissidente, mais non sur ce point, pour dire que les jurys sont susceptibles d’accorder un poids important à un élément de preuve s’apparentant à une confession (R. c. Oickle, 2000 CSC 38, [2000] 2 R.C.S. 3, par. 146). Notre Cour a reconnu le risque appréciable d’utilisation préjudiciable des confessions (voir, p. ex., Hart, par. 106), et les aveux émanant d’une partie en cause en l’espèce s’apparentaient à une confession. La possibilité d’utilisation préjudiciable par le jury était bien réelle.
[82]                        Lors de la mise en balance de la valeur probante et de l’effet préjudiciable, la juge du procès a souligné que [traduction] « [l’]effet préjudiciable peut être tempéré par une mise en garde ferme au jury relativement à l’utilisation qui peut être faite de l’élément de preuve » (par. 21). La juge a formulé une telle mise en garde concernant l’utilisation appropriée de l’aveu en litige. Cela démontre qu’elle était consciente du risque de préjudice. La juge du procès a dit aux jurés que c’était à eux qu’il appartenait de décider si les déclarations attribuées à l’accusé par le frère avaient été faites. Les jurés devaient [traduction] « [c]onsidére[r] les circonstances dans lesquelles la conversation a eu lieu [et] garde[r] à l’esprit tout autre élément susceptible de rendre la déposition du témoin plus ou moins fiable » (d.a., vol. IV, p. 197). La juge du procès a traité méthodiquement des lacunes du témoignage du frère dans les directives qu’elle a données au jury. Elle a souligné que le frère n’avait entendu que les propos d’un des deux interlocuteurs durant la conversation et qu’il ne se souvenait pas des paroles exactes prononcées par l’accusé. Elle a mentionné que l’accusé avait consommé de l’alcool et de l’héroïne avant l’appel, et que ces substances intoxicantes pouvaient avoir affecté ses propos. La juge a clairement indiqué que c’est au jury qu’il revenait de décider si l’accusé avait prononcé une phrase particulière et le sens de celle‑ci. La juge a expliqué aux jurés qu’ils pouvaient faire abstraction de l’aveu s’ils n’étaient pas certains de ce qui avait été dit ou de la signification des paroles qui avaient été prononcées. Elle a dit aux jurés qu’ils ne pouvaient pas s’en remettre au témoignage du frère pour ce qui était de l’état d’esprit de l’accusé. C’était plutôt à eux qu’il appartenait de considérer ces questions.
[83]                        La juge du procès a formulé au jury des directives claires et efficaces sur l’utilisation appropriée du témoignage du frère. Ces directives ont fourni au jury les indications dont il avait besoin pour soupeser cet élément de preuve conformément aux principes juridiques. Par conséquent, les directives ont limité de manière efficace et adéquate la possibilité d’utilisation préjudiciable du témoignage.
[84]                        À la lumière de ce qui précède, la juge du procès n’a pas fait erreur en admettant en preuve le témoignage du frère concernant ce qu’il avait entendu l’accusé dire.
B.            Le point concernant la question du jury
[85]                        Je souscris pour l’essentiel aux motifs de la Cour d’appel sur le point concernant la question du jury. La question posée par celui‑ci n’était pas ambiguë et la juge du procès y a répondu correctement. Malgré mon accord, je tiens toutefois à souligner deux points.
[86]                        Premièrement, l’accusé prétend en appel que la question du jury révélait l’existence de confusion relativement à l’intention requise à l’égard de l’infraction de meurtre et à celle exigée à l’égard de l’infraction d’homicide involontaire coupable. Cependant, l’avocat de l’accusé au procès (et non celui qui le représentait en appel) maintenait catégoriquement que ce n’était pas ce sur quoi portait la question du jury. Le fait que l’avocat représentant un accusé au procès ait plaidé en faveur d’une certaine réponse à une question du jury n’est pas déterminant relativement à cette question en appel, mais constitue un facteur important à considérer (R. c. Jacquard, 1997 CanLII 374 (CSC), [1997] 1 R.C.S. 314, par. 38; Araya, par. 51). Bien qu’on ne doive pas attendre la perfection de la part des avocats qui représentent les accusés en première instance, ce sont eux qui sont les plus au fait des intérêts des accusés. En l’espèce, l’avocat de l’accusé au procès a délaissé la question de l’intention et suggéré que la juge fournisse au jury une [traduction] « définition plus explicite de la notion de lésions corporelles » (d.a., vol. III, p. 330). Cette approche représentait vraisemblablement l’opinion de l’avocat au procès sur la façon de répondre correctement à la question, d’une manière favorable à son client. Je ne vois aucune erreur dans la façon dont la juge du procès a traité cette question, particulièrement au regard des observations sur ce point de l’avocat qui représentait l’accusé en première instance.
[87]                        Deuxièmement, l’argument de l’accusé suivant lequel la définition de « lésions corporelles » figurant à l’art. 2 du Code criminel ne s’applique pas au sous‑al. 229a)(ii), qui définit le meurtre, est dénué de fondement. Le terme « lésions corporelles » a le même sens dans l’ensemble du Code criminel. Lorsque le Parlement entend s’écarter du sens donné au terme « lésions corporelles », il le fait en lui ajoutant un qualificatif (p. ex., « lésions corporelles graves », au par. 25(3)). Aucun précédent de notre Cour, y compris l’arrêt R. c. Miljevic, 2011 CSC 8, [2011] 1 R.C.S. 203, ne doit être considéré comme suggérant le contraire. L’argument de l’accusé voulant que le meurtre exige des lésions corporelles sérieuses, dangereuses ou graves semble découler d’une compréhension inexacte du modèle de directives au jury. Les mots qu’il suggère pour qualifier les lésions corporelles — dangereuses, sérieuses, graves — ont trait à la prévisibilité. Je tiens à réitérer que la définition de « lésions corporelles » énoncée à l’art. 2 s’applique au sous‑al. 229a)(ii).
VI.         Dispositif
[88]                        Je suis d’avis d’accueillir le pourvoi formé par la Couronne, d’infirmer l’ordonnance de la Cour d’appel et de rétablir la déclaration de culpabilité prononcée contre l’accusé pour meurtre au deuxième degré.
 
                  Version française des motifs rendus par
 
                    Les juges Karakatsanis et Brown —
[89]                        Nous sommes d’avis de rejeter le présent pourvoi. Nous ne sommes pas en désaccord avec le cadre d’analyse utilisé par nos collègues afin d’évaluer la pertinence et la valeur probante. Notre divergence d’opinions porte sur l’application de ce cadre en l’espèce. À notre avis, pour les motifs exposés par le juge Goepel de la Cour d’appel, un jury n’était pas en mesure de déterminer le sens ou la pertinence des déclarations qui ont été entendues (2021 BCCA 41, 400 C.C.C. (3d) 131). De plus, l’effet préjudiciable de celles‑ci l’emportait sur la mince valeur probante qu’elles pouvaient avoir. Les déclarations entendues étaient inadmissibles.
[90]                        Au regard de la preuve dont disposait le jury, il était impossible de savoir ce que M. Schneider avait dit à son épouse durant la conversation téléphonique entendue par le témoin. Ce dernier, le frère de M. Schneider, ne savait pas quelles paroles il avait entendues. Il essayait délibérément de ne pas écouter la conversation, laquelle a duré 13 minutes. Il n’a ni participé à cette conversation ni entendu les échanges des deux parties à la conversation. Il a reconnu qu’il ne savait pas ce qui avait été dit durant la conversation, et qu’il ne se souvenait même pas de la teneur de celle‑ci. Initialement, lors de l’interrogatoire principal, il a témoigné qu’il avait entendu M. Schneider dire [traduction] « Je l’ai fait. Je l’ai tuée », à peu près au milieu de la conversation téléphonique (d.a., vol. II, p. 170). Il a ensuite clarifié sa réponse en disant qu’il ne pouvait pas affirmer que c’étaient les paroles exactes qui avaient été prononcées, mais qu’il s’agissait de [traduction] « l’essence » de ce que M. Schneider avait dit durant la conversation (d.a., vol. II, p. 171). Il semble que l’« essence » de la conversation dérivait d’une déclaration qu’il avait entendue six ou sept minutes plus tôt au cours de la conversation, ainsi que, selon la Couronne, du traumatisme résultant du fait d’avoir accompagné son frère durant sa tentative de suicide. En contre‑interrogatoire, le témoin a confirmé que, parce qu’il ne savait pas quelles étaient les paroles exactes prononcées par M. Schneider, il était possible qu’elles aient été quelque chose comme [traduction] « Je l’ai fait », et que ces paroles ⸺ quelles qu’elles aient été ⸺ avaient pu être prononcées au début, au milieu ou à la fin d’une phrase plus longue (d.a., vol. II, p. 189‑190).
[91]                        Au procès, la Couronne a demandé à présenter en preuve les paroles entendues par le frère de M. Schneider en tant qu’aveu de la responsabilité de ce dernier quant à la mort de la victime, Natsumi Kogawa. Dans ses observations finales, la Couronne a déclaré qu’on avait entendu M. Schneider dire à son épouse [traduction] « Je l’ai fait » ou « Je l’ai tuée » ⸺ tout en reconnaissant que les paroles exactes qui avaient été prononcées n’étaient pas connues ⸺, et elle a dit au jury « vous pouvez inférer de ces paroles qu’il avait l’intention de tuer Natsumi Kogawa ou qu’il voulait tuer Natsumi Kogawa » (d.a., vol. III, p. 286).
[92]                        Évaluer la pertinence du témoignage du frère de M. Schneider (y compris l’interprétation que lui donne la Couronne) constitue une opération purement conjecturale. Le recours par la Couronne au « contexte » afin de déterminer la pertinence de ce que le témoin estime être l’« essence » de la conversation revient non seulement à forcer le sens des mots, mais s’avère beaucoup plus préjudiciable qu’utile. Selon la Couronne, le « contexte » inclut le fait que le frère connaissait M. Schneider, que ceux‑ci avaient parlé de la victime au cours des jours qui ont précédé l’appel téléphonique, qu’avant l’appel téléphonique M. Schneider avait fait part à son frère de certains détails concernant sa relation avec Mme Kogawa et lui avait dit que le corps de celle‑ci se trouvait dans une valise, que le frère était physiquement présent lors de la conversation téléphonique et de la tentative de suicide, et que ce dernier avait bien saisi le « ton » de la conversation. Ces facteurs n’appuient en rien l’appréciation de ce qui a été dit durant l’appel téléphonique.
[93]                        Nos collègues exagèrent l’importance des observations de la Cour d’appel relatives au « macro‑contexte » et au « micro‑contexte » (motifs du juge Rowe, par. 6, 28 et 42). Ces observations ne visaient pas à modifier la manière dont il faut apprécier la pertinence. Il s’agissait plutôt de termes concis servant à désigner ce que les juges majoritaires et la juge dissidente considéraient comme étant le contexte pertinent. La juge DeWitt‑Van Oosten a adopté une conception plus vaste du contexte pertinent (qui, avec égards, était trop large en ce qu’il tenait compte des mêmes facteurs non pertinents considérés par la Couronne), tandis que le juge Goepel a (à juste titre) limité son examen au contexte de la conversation elle‑même. Cela ne signifie pas qu’un examen allant au‑delà du contexte immédiat d’une conversation donnée ne peut jamais éclairer le sens de déclarations faites durant celle‑ci. Cependant, le fait est qu’en l’espèce la Couronne s’appuie sur des aspects contextuels qui vont au‑delà de la conversation elle‑même et ne sont pas pertinents, et que la conversation à elle seule ne fournissait pas suffisamment de contexte pour éclairer le sens des déclarations entendues.
[94]                        À notre avis, la Couronne s’appuie sur un « contexte » qui est non seulement dénué de pertinence, mais qui accroît en outre l’effet préjudiciable de l’admission des déclarations en preuve, et ce, même si celles‑ci avaient été pertinentes. Il est possible que le jury se soit attaché à des aspects du contexte qui tendaient à impliquer M. Schneider dans la mort de la victime ⸺ par exemple sa déclaration concernant l’endroit où se trouvait le corps de Mme Kogawa ⸺ et en ait déduit que M. Schneider avait par conséquent avoué qu’il était responsable de la mort de cette dernière. Dans l’arrêt R. c. Ferris (1994), 1994 ABCA 20 (CanLII), 149 A.R. 1 (C.A.), par. 27, la juge Conrad de la Cour d’appel a décrit ainsi le danger que crée ce type de raisonnement :
      [traduction] Il serait énormément tentant pour tout juge des faits de considérer les éléments de preuve extrinsèques qui tendent à impliquer l’accusé dans le meurtre, de se fonder sur ces faits pour conclure que l’accusé a probablement commis le meurtre, et qu’en conséquence il a avoué l’avoir commis. Cette constatation serait ensuite invoquée pour élever la probabilité de culpabilité au rang de conclusion de culpabilité. Le danger implicite de ce type de raisonnement sinueux est évident.
Cette même préoccupation se soulève en l’espèce du fait qu’on a laissé au jury le soin d’évaluer la pertinence logique de l’« essence » d’une conversation, en l’absence d’un quelconque souvenir de ce qui a été dit, ou à tout le moins d’un quelconque souvenir de la teneur de ce qui a été dit.
[95]                        La juge du procès n’a pas indiqué explicitement les dangers liés à l’admission en preuve des déclarations entendues ou à l’incidence que celles‑ci pourraient avoir sur l’équité du procès. Elle a simplement conclu que [traduction] « [l’]effet préjudiciable peut être tempéré par une mise en garde ferme au jury relativement à l’utilisation qui peut être faite de l’élément de preuve » (2018 BCSC 2546, par. 21, reproduit au d.a., vol. I, p. 5). Selon nous, les directives données au jury n’ont pas remédié au préjudice. Elles présupposaient que le jury était en mesure de décider ce que M. Schneider avait dit malgré l’absence dans la preuve d’éléments lui permettant de le faire.
[96]                        Nous concluons que la preuve relative aux déclarations entendues n’aurait pas dû être admise. Nous reconnaissons que le seuil de pertinence logique est peu élevé. Mais il constitue néanmoins un seuil à respecter, en ce que l’élément de preuve doit [traduction] « accroître ou diminuer la probabilité de l’existence d’un fait en litige » (R. c. Arp, 1998 CanLII 769 (CSC), [1998] 3 R.C.S. 339, par. 38, citant R. Eggleston, Evidence, Proof and Probability (2e éd. 1978), p. 83). Si le témoignage du frère de M. Schneider respecte ce seuil, il est difficile d’imaginer quoi que ce soit que M. Schneider ait pu dire (ou soit considéré comme ayant dit) ⸺ aussi partiel, oblique ou indistinct que cela puisse être ⸺ qui ne serait pas « pertinent ». Quoi qu’il en soit, lorsqu’on soupèse le risque de mauvaise utilisation et l’absence de toute valeur probante appréciable, il faut conclure que la preuve litigieuse aurait dû être soustraite entièrement à l’examen du jury.
[97]                        Par conséquent, nous rejetterions le présent pourvoi.
 

ANNEXE

 
                    Pourvoi accueilli, les juges Karakatsanis et Brown sont dissidents.
                    Procureur de l’appelant : Procureur général de la Colombie-Britannique, Vancouver.
                    Procureurs de l’intimé : DG Barristers, Vancouver.


Synthèse
Référence neutre : 2022CSC34 ?
Date de la décision : 07/10/2022

Parties
Demandeurs : R.
Défendeurs : Schneider
Proposition de citation de la décision: Canada, Cour suprême, 7 octobre 2022, R. c. Schneider, 2022 CSC 34


Origine de la décision
Date de l'import : 19/12/2022
Fonds documentaire ?: CAIJ
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;2022-10-07;2022csc34 ?

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