Centrale des syndicats du Québec Intervenante
Coram : La juge en chef McLachlin et les juges Abella, Karakatsanis, Wagner, Gascon, Côté et Brown
Répertorié : Commission scolaire de Laval c. Syndicat de l’enseignement de la région de Laval
No du greffe : 35898.
2015 : 14 octobre; 2016 : 18 mars.
Présents : La juge en chef McLachlin et les juges Abella, Karakatsanis, Wagner, Gascon, Côté et Brown.
en appel de la cour d’appel du québec
Relations du travail — Congédiement — Arbitrage — Griefs — Convention collective stipulant que le congédiement d’un enseignant ne peut être décidé qu’après « mûres délibérations » du comité exécutif de la commission scolaire — Comité exécutif ayant décidé d’un congédiement par voie de résolution adoptée à la suite de délibérations tenues à huis clos — Arbitre permettant l’interrogatoire des membres du comité exécutif sur les motifs de leur décision — Le principe de l’« inconnaissabilité des motifs » et le secret du délibéré s’appliquent-ils à un employeur public qui prend la décision d’imposer une mesure disciplinaire à un salarié?
Droit administratif — Contrôle judiciaire — Norme de contrôle — Arbitrage — Instruction — Sentence interlocutoire permettant l’interrogatoire des membres d’un organe décisionnel d’un employeur public sur les motifs de leur décision de congédier un salarié — Objections à l’interrogatoire — Les questions relatives au principe de l’« inconnaissabilité des motifs » et au secret du délibéré soulevées devant l’arbitre sont-elles d’une importance telle pour le système juridique que le contrôle judiciaire de la sentence interlocutoire doit être assujetti à la norme de la décision correcte?
En juin 2009, B est convoqué à une séance extraordinaire du comité exécutif de la Commission scolaire de Laval (« Commission »), son employeur. Le comité exécutif doit déterminer s’il existe un lien entre les antécédents judiciaires de B et ses fonctions d’enseignant et, le cas échéant, prendre une décision sur la résiliation de son contrat de travail. Après avoir entendu B lors d’un huis clos partiel (excluant le public), le comité exécutif décrète un huis clos total (excluant l’enseignant et son représentant syndical) pour délibérer. Au terme de ces huis clos partiel et total, le comité, siégeant à nouveau de façon publique, procède à l’adoption d’une résolution qui met fin au contrat de travail de B.
Le Syndicat de l’enseignement de la région de Laval (« Syndicat ») dépose un grief contestant le congédiement de B, alléguant notamment que la procédure de congédiement prévue à la convention collective n’a pas été suivie. Selon la convention collective, la résiliation du lien d’emploi « ne peut se faire qu’après mûres délibérations à une session du conseil des commissaires ou du comité exécutif de la commission convoquée à cette fin ». Au cours de l’instruction du grief, le Syndicat assigne à titre de premiers témoins trois membres du comité exécutif présents lors des délibérations tenues à huis clos en juin 2009. La Commission s’oppose à ces témoignages, faisant valoir que les motivations individuelles des membres du comité ne sont pas pertinentes et que le secret du délibéré empêche leur interrogatoire sur ce qui s’est dit à huis clos. La Commission prétend aussi que le principe de l’« inconnaissabilité des motifs » établi dans l’arrêt Consortium Developments (Clearwater) Ltd. c. Sarnia (Ville), [1998] 3 R.C.S. 3, empêche l’interrogatoire des membres de tout organe collectif sur les motifs qui sous-tendent une décision prise par voie de résolution écrite. L’arbitre écarte ces objections et permet l’interrogatoire des membres du comité exécutif.
Saisie d’une requête en révision judiciaire de la sentence interlocutoire de l’arbitre, la Cour supérieure applique la norme de la décision correcte et accueille la requête aux fins d’interdire tout témoignage des membres du comité exécutif, sauf sur le processus formel qui a conduit à leur décision communiquée en séance publique. Les juges majoritaires de la Cour d’appel, appliquant également la norme de la décision correcte, rétablissent la décision de l’arbitre et permettent l’interrogatoire des membres du comité exécutif, dans les limites usuelles de la pertinence.
Arrêt : Le pourvoi est rejeté.
La juge en chef McLachlin et les juges Abella, Karakatsanis et Gascon : La sentence interlocutoire de l’arbitre est assujettie à la norme de la décision raisonnable. Permettre l’interrogatoire des membres du comité exécutif de la Commission reste en définitive une question d’administration de la preuve. Une telle détermination relève de la compétence exclusive de l’arbitre, lequel a permis l’interrogatoire des membres du comité exécutif au motif que leurs témoignages seront utiles à la détermination du respect de la convention collective et de la loi. Cette conclusion découle de son interprétation de la convention collective liant les parties ainsi que de la Loi sur l’instruction publique. La présomption voulant que la décision d’un tribunal administratif interprétant ou appliquant sa loi habilitante est assujettie au contrôle judiciaire selon la norme de la décision raisonnable s’applique donc en l’espèce. Cette présomption est renforcée par le fait que la révision judiciaire des sentences rendues par les arbitres de grief est généralement assujettie à la norme de la décision raisonnable.
Les questions que soulève le litige ne font pas partie de la catégorie restreinte de questions assujetties à la norme de la décision correcte. Cette norme peut s’appliquer aux questions de droit qui revêtent une importance capitale pour le système juridique dans son ensemble et qui se situent hors du domaine d’expertise du décideur. Les questions de cette nature restent rares et se limitent le plus souvent à des situations qui mettent en cause la cohérence de l’ordre juridique fondamental du pays. En l’espèce, il n’y a aucune question de droit d’importance capitale qui soit hors du champ d’expertise de l’arbitre étant donné sa large compétence en matière de preuve et de procédure. Les questions de preuve et de procédure qui se soulèvent ici au regard du principe de l’« inconnaissabilité des motifs » et du secret du délibéré d’un organe décisionnel collectif d’un employeur ne sont pas étrangères au domaine d’expertise de l’arbitre. L’application de ce principe et de ce secret à une situation factuelle propre à un congédiement ne se qualifie pas non plus de question qui met en cause la cohérence de l’ordre juridique fondamental du pays. Une fois cela acquis, il ne suffit pas de soutenir que les concepts traités ne relèvent pas uniquement de l’expertise ou de la compétence de l’arbitre en la matière, ou que l’un de ceux-ci constitue un principe général applicable à d’autres domaines du droit, pour écarter la norme de déférence qui s’impose dans un tel cas.
Devant l’information à sa disposition au moment des assignations et la teneur de la convention collective et des lois applicables, l’arbitre a permis l’interrogatoire des membres du comité exécutif de la Commission dans le cadre du grief dont il était saisi. C’est cette décision qui fait l’objet de la révision judiciaire au cœur du débat et elle était raisonnable. Ni l’argument de l’« inconnaissabilité des motifs », ni celui du secret du délibéré ne font échec à cette conclusion.
Le principe de l’« inconnaissabilité des motifs » d’un corps législatif et le secret du délibéré ne s’appliquent pas à un employeur public, en l’occurrence la Commission, qui prend la décision d’imposer une mesure disciplinaire à un salarié, et ce, même si un huis clos est décrété. Que son employeur soit du secteur public ou privé, un salarié est en droit de contester la mesure disciplinaire qu’on lui impose en s’appuyant sur tout élément de preuve pertinent. Cela inclut l’interrogatoire des représentants de son employeur sur les raisons à l’appui de la mesure et sur le processus décisionnel qui y a mené.
Il est inexact d’affirmer que l’arrêt Clearwater établit une règle de pertinence applicable à toute décision collective prise par un organe décisionnel dans un écrit officiel, peu importe la nature de la décision ou du corps qui l’adopte. Les motifs « inconnaissables » sont plutôt ceux qui sont propres à un corps législatif lorsqu’il adopte des dispositions de nature législative, c’est-à-dire lorsqu’il pose des gestes de nature publique. Or, en l’espèce, la décision du comité exécutif s’inscrit dans un tout autre contexte. Même si la Commission est une personne morale de droit public, elle agissait à titre d’employeur en prenant la décision de congédier l’enseignant B par résolution de son comité exécutif. Cette décision a eu un effet sur le contrat de travail liant B à la Commission et a été prise dans le cadre d’un processus prévu par la convention collective qui lie les parties. Elle n’est pas de nature législative, réglementaire, politique ou discrétionnaire. Elle s’inscrit plutôt précisément dans le cadre d’une relation contractuelle. Une règle de pertinence basée sur la nature publique de la décision contestée ne trouve donc pas application ici. L’arbitre a agi de manière raisonnable en statuant qu’il avait besoin de savoir ce qui s’est passé à huis clos pour déterminer s’il y a eu mûres délibérations de la part du comité exécutif. Il suivait en cela plusieurs arbitres de grief qui, par le passé, ont accepté que soient interrogés les dirigeants d’une commission scolaire au sujet de délibérations tenues à huis clos en matière disciplinaire. Vu la compétence reconnue de l’arbitre en matière de preuve et de procédure, la déférence s’impose.
Quant au secret du délibéré, l’arbitre a là encore rendu une décision raisonnable en l’écartant. En prenant la décision de congédier B après avoir délibéré à huis clos, le comité exécutif n’exerçait pas une fonction juridictionnelle et n’agissait pas en tant que décideur quasi judiciaire. Le comité agissait plutôt à titre d’employeur congédiant un salarié. Il s’agit là d’une décision de nature privée relevant du droit du travail, et non d’une décision de nature publique mettant en cause les principes constitutionnels d’indépendance judiciaire et de séparation des pouvoirs. À ce titre, le comité exécutif ne bénéficie pas de la protection du secret du délibéré pour les discussions que ses membres tiennent à huis clos.
Enfin, il n’y a pas lieu de fixer d’avance des limites aux questions qui pourront être posées aux membres du comité exécutif. L’appréciation de la pertinence de la preuve relève de la compétence exclusive de l’arbitre. Il n’appartient pas aux tribunaux de révision de conjecturer sur les questions qui seront potentiellement pertinentes avant même qu’un interrogatoire ne commence. Il reviendra à l’arbitre de trancher les enjeux de pertinence selon les questions qui seront éventuellement posées et de déterminer celles qui font réellement avancer le débat. Si une intervention judiciaire est requise, elle se fera, le cas échéant, une fois que l’arbitre se sera prononcé sur un sujet précis.
Les juges Wagner, Côté et Brown : Il y a désaccord avec la majorité quant à la norme de contrôle judiciaire applicable. Il arrive qu’une question relative à un domaine dans lequel l’arbitre est généralement le maître soit de nature à affecter l’administration de la justice dans son ensemble et qu’elle se rapporte à des principes à l’égard desquels l’arbitre ne dispose d’aucune expertise particulière en ce sens que ces principes ne relèvent pas de la mission spécialisée qui est la sienne. Lorsque la question en cause ne concerne pas simplement l’administration de la preuve en général, mais plutôt la portée de règles aussi fondamentales que celles relatives aux immunités de divulgation et au secret du délibéré, une cour de justice appelée à contrôler la décision prise par un arbitre à cet égard doit pouvoir aller plus loin que d’uniquement déterminer si cette décision est raisonnable. Lorsque cela est nécessaire, elle doit aussi pouvoir substituer son opinion à celle de l’arbitre en cas de décision incorrecte, à moins d’indications claires à l’effet contraire.
La norme de contrôle applicable ne saurait dépendre de la réponse ultimement donnée par une cour de justice à la question en cause, sans risquer de rendre le résultat de l’analyse encore plus imprévisible. C’est plutôt la nature de la question soulevée qui importe. En l’espèce, malgré la présence d’une clause privative et même si le pourvoi s’inscrit dans un contexte d’administration de la preuve dont l’arbitre est maître, les questions en cause sont des questions de droit générales qui, par leur nature, revêtent une importance centrale pour l’administration de la justice dans son ensemble et à l’égard desquelles l’arbitre ne dispose d’aucune expertise particulière. De telles questions doivent être tranchées de manière uniforme et cohérente, si bien que les juges tant majoritaires que dissident de la Cour d’appel, à l’instar du juge de la Cour supérieure, ont eu raison de conclure que la norme de contrôle applicable en l’espèce est celle de la décision correcte. Toutefois, peu importe la norme qui s’applique, le résultat est le même.
Jurisprudence
Citée par le juge Gascon
Distinction d’avec les arrêts : Tremblay c. Québec (Commission des affaires sociales), [1992] 1 R.C.S. 952; Consortium Developments (Clearwater) Ltd. c. Sarnia (Ville), [1998] 3 R.C.S. 3; arrêts appliqués : Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190; Alberta (Information and Privacy Commissioner) c. Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61, [2011] 3 R.C.S. 654; arrêts mentionnés : Montréal (Ville) c. Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse), 2008 CSC 48, [2008] 2 R.C.S. 698; Wells c. Terre‑Neuve, [1999] 3 R.C.S. 199; Université du Québec à Trois‑Rivières c. Larocque, [1993] 1 R.C.S. 471; Weber c. Ontario Hydro, [1995] 2 R.C.S. 929; General Motors of Canada Ltd. c. Brunet, [1977] 2 R.C.S. 537; Tervita Corp. c. Canada (Commissaire de la concurrence), 2015 CSC 3, [2015] 1 R.C.S. 161; Smith c. Alliance Pipeline Ltd., 2011 CSC 7, [2011] 1 R.C.S. 160; Syndicat de l’enseignement du Grand‑Portage c. Morency, 2000 CSC 62, [2000] 2 R.C.S. 913; Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, section locale 30 c. Pâtes & Papier Irving, Ltée, 2013 CSC 34, [2013] 2 R.C.S. 458; Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 R.C.S. 708; Nor‑Man Regional Health Authority Inc. c. Manitoba Association of Health Care Professionals, 2011 CSC 59, [2011] 3 R.C.S. 616; Travailleurs et travailleuses unis de l’alimentation et du commerce, section locale 503 c. Compagnie Wal‑Mart du Canada, 2014 CSC 45, [2014] 2 R.C.S. 323; Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c. Canada (Procureur général), 2011 CSC 53, [2011] 3 R.C.S. 471; McLean c. Colombie‑Britannique (Securities Commission), 2013 CSC 67, [2013] 3 R.C.S. 895; Thorne’s Hardware Ltd. c. La Reine, [1983] 1 R.C.S. 106; Syndicat des professionnelles et professionnels de l’éducation du Bas‑St‑Laurent c. Commission scolaire des Monts‑et‑Marées (2006), S.A.E. 7953, 54 R.S.E. 481; Syndicat des enseignantes et enseignants de Le Royer c. Commission scolaire de la Pointe‑de‑l’Île (2000), S.A.E. 7006, 47 R.S.E. 1049; Syndicat des travailleuses et travailleurs de l’enseignement de Portneuf C.E.Q. c. Commission scolaire de Portneuf (1988), S.A.E. 4674, 35 R.S.E. 1722; Association des enseignants de Le Royer c. Commission scolaire régionale Le Royer (1975), S.A. 513, 6 R.S.E. 43; Duke of Buccleuch c. Metropolitan Board of Works (1872), L.R. 5 H.L. 418; O’Rourke c. Commissioner for Railways (1890), 15 App. Cas. 371; Ward c. Shell‑Mex, [1952] 1 K.B. 280; Re Knight Lumber Co. (1959), 22 D.L.R. (2d) 92; MacKeigan c. Hickman, [1989] 2 R.C.S. 796; Noble China Inc. c. Lei (1998), 42 O.R. (3d) 69; Comité de révision de l’aide juridique c. Denis, 2007 QCCA 126; Cherubini Metal Works Ltd. c. Nova Scotia (Attorney General), 2007 NSCA 37, 253 N.S.R. (2d) 134; Ministre du Revenu national c. Coopers and Lybrand, [1979] 1 R.C.S. 495; Promutuel Dorchester, société mutuelle d’assurance générale c. Ferland, [2001] R.J.Q. 2882; Cie minière Québec Cartier c. Québec (arbitre des griefs), [1995] 2 R.C.S. 1095; Fraternité unie des charpentiers et menuisiers d’Amérique, section locale 579 c. Bradco Construction Ltd., [1993] 2 R.C.S. 316; Alberta Union of Provincial Employees c. Lethbridge Community College, 2004 CSC 28, [2004] 1 R.C.S. 727; Parry Sound (district), Conseil d’administration des services sociaux c. S.E.E.F.P.O., section locale 324, 2003 CSC 42, [2003] 2 R.C.S. 157; Conseil de l’éducation de Toronto (Cité) c. F.E.E.E.S.O., district 15, [1997] 1 R.C.S. 487; North Island Laurentian Teachers’ Union P.A.P.T. c. Commission scolaire Laurenval (1985), S.A.E. 3964, 33 R.S.E. 1262; Commission scolaire des Grandes‑Seigneuries et Association des professeurs de Lignery (Vishwanee Joyejob), 2015 QCTA 663, [2015] AZ‑51203453; Syndicat des salariés de Béton St‑Hubert — CSN c. Béton St‑Hubert inc., 2010 QCCA 2270, [2011] R.J.D.T. 19; Sûreté du Québec c. Lussier, [1994] R.D.J. 470; Collège d’enseignement général et professionnel de Valleyfield c. Gauthier Cashman, [1984] R.D.J. 385; Lethbridge Regional Police Service c. Lethbridge Police Association, 2013 ABCA 47, 542 A.R. 252; Canadian Nuclear Laboratories c. Int’l Union of Operating Engineers, Local 772, 2015 ONSC 3436; Blass c. University of Regina Faculty Assn., 2007 SKQB 470, 76 Admin. L.R. (4th) 262.
Citée par la juge Côté
Distinction d’avec l’arrêt : Nor‑Man Regional Health Authority Inc. c. Manitoba Association of Health Care Professionals, 2011 CSC 59, [2011] 3 R.C.S. 616; arrêts mentionnés : Consortium Developments (Clearwater) Ltd. c. Sarnia (Ville), [1998] 3 R.C.S. 3; Tremblay c. Québec (Commission des affaires sociales), [1992] 1 R.C.S. 952; Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190; Toronto (Ville) c. S.C.F.P., section locale 79, 2003 CSC 63, [2003] 3 R.C.S. 77.
Lois et règlements cités
Charte des droits et libertés de la personne, RLRQ, c. C‑12, art. 18.2.
Code du travail, RLRQ, c. C‑27, art. 1f), 100 et suiv., 100.2, 100.12a), f), 139, 139.1, 140.
Loi sur l’instruction publique, RLRQ, c. I‑13.3, art. 34.3, 143, 179, 258.1 al. 1(1), 258.4, 261.0.1 à 261.0.6 [aj. 2005, c. 16, art. 11], 261.0.2 [idem], 261.0.3 [idem], 261.0.7 [idem].
Loi sur le casier judiciaire, L.R.C. 1985, c. C‑47 .
Doctrine et autres documents cités
Brown, Donald J. M., and David M. Beatty, with the assistance of Christine E. Deacon. Canadian Labour Arbitration, 4th ed., Toronto, Canada Law Book, 2015 (loose‑leaf updated December 2015, release 48).
Brun, Henri, Guy Tremblay et Eugénie Brouillet. Droit constitutionnel, 6e éd., Cowansville (Qc), Yvon Blais, 2014.
Hogg, Peter W., Patrick J. Monahan and Wade K. Wright. Liability of the Crown, 4th ed., Toronto, Carswell, 2011.
Morin, Fernand, et autres. Le droit de l’emploi au Québec, 4e éd., Montréal, Wilson & Lafleur, 2010.
Morin, Fernand, et Rodrigue Blouin, avec la collaboration de Jean‑Yves Brière et Jean‑Pierre Villaggi. Droit de l’arbitrage de grief, 6e éd., Cowansville (Qc), Yvon Blais, 2012.
Québec. Ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport. La vérification des antécédents judiciaires : Guide à l’intention des commissions scolaires et des établissements d’enseignement privés du Québec, Québec, Le ministère, 2011.
Royer, Jean‑Claude, et Sophie Lavallée. La preuve civile, 4e éd., Cowansville (Qc), Yvon Blais, 2008.
Sopinka, Lederman & Bryant : The Law of Evidence in Canada, 4th ed. by Sidney N. Lederman, Alan W. Bryant and Michelle K. Fuerst, Markham (Ont.), LexisNexis, 2014.
POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel du Québec (les juges Bich, Gagnon et Savard), 2014 QCCA 591, 69 Admin. L.R. (5th) 95, [2014] AZ‑51056975, [2014] J.Q. no 2352 (QL), 2014 CarswellQue 2355 (WL Can.), qui a infirmé une décision du juge Delorme, 2012 QCCS 248, [2012] AZ‑50826061, [2012] J.Q. no 621 (QL), 2012 CarswellQue 774 (WL Can.). Pourvoi rejeté.
Yann Bernard, René Paquette, Geneviève Beaudin et Kassandra Church, pour les appelantes.
Justine Dauphinais‑Sauvé et Audrey Limoges‑Gobeil, pour l’intimé le Syndicat de l’enseignement de la région de Laval.
Stéphane Forest et Gaétan Lévesque, pour l’intimée la Fédération autonome de l’enseignement.
Claudine Morin, Nathalie Léger et Amy Nguyen, pour l’intervenante.
Le jugement de la juge en chef McLachlin et des juges Abella, Karakatsanis et Gascon a été rendu par
Le juge Gascon —
I. Introduction
[1] Que son employeur soit du secteur public ou privé, un salarié est en droit de contester la mesure disciplinaire qu’on lui impose en s’appuyant sur tout élément de preuve pertinent. Cela inclut l’interrogatoire des représentants de son employeur sur les raisons à l’appui de la mesure et sur le processus décisionnel qui y a mené.
[2] En droit public, des immunités protègent par contre les décisions de nature juridictionnelle, législative, réglementaire, politique ou purement discrétionnaire des corps publics. Ainsi, des limites balisent parfois le droit d’interroger les membres de leurs organes décisionnels sur les considérations qui sous-tendent leurs décisions.
[3] L’interaction entre ces droits et ces immunités peut mener à des conflits. Ce pourvoi l’illustre. Il porte sur le droit d’un salarié d’un corps public d’interroger les membres d’un organe décisionnel de son employeur sur les motifs de leur décision de le congédier à la suite de délibérations tenues à huis clos.
[4] L’intimé Syndicat de l’enseignement de la région de Laval (« Syndicat ») a déposé un grief contestant le congédiement d’un enseignant. Lors de l’instruction du grief, l’appelante Commission scolaire de Laval (« Commission ») s’est opposée à l’interrogatoire de trois commissaires membres de son comité exécutif qui a pris à huis clos la décision de congédier l’enseignant. Selon la Commission, les motifs individuels qui sous-tendent une décision prise ainsi par un organe collectif par voie de résolution seraient « inconnaissables », et donc non pertinents. En outre, le secret du délibéré rendrait les membres du comité exécutif non contraignables pour témoigner sur le contenu de leurs délibérations à huis clos.
[5] L’arbitre a rejeté les objections de la Commission et permis l’interrogatoire des membres du comité exécutif sur leurs délibérations et sur leur décision de congédier l’enseignant. Saisie d’une requête en révision judiciaire, la Cour supérieure a cassé la décision de l’arbitre et interdit tout témoignage des membres du comité exécutif, sauf sur le processus formel qui a conduit à leur décision communiquée en séance publique. Les juges majoritaires de la Cour d’appel ont rétabli la décision de l’arbitre et permis l’interrogatoire des membres du comité exécutif, dans les limites usuelles de la pertinence.
[6] Je suis d’avis de rejeter le pourvoi. Le principe de l’« inconnaissabilité des motifs » d’un corps législatif et le secret du délibéré ne s’appliquent pas à un employeur public, en l’occurrence la Commission, qui prend la décision d’imposer une mesure disciplinaire à un salarié, et ce, même si un huis clos est décrété. L’interrogatoire des trois membres du comité exécutif de la Commission peut avoir lieu, dans les limites de la pertinence et des autres règles applicables à l’instruction du grief. La compétence de juger de la pertinence des questions qui seront éventuellement posées appartient exclusivement à l’arbitre.
II. Les faits
[7] La Commission est une personne morale de droit public constituée en vertu de la Loi sur l’instruction publique, RLRQ, c. I-13.3 (« LIP »). Le Syndicat est accrédité en vertu du Code du travail, RLRQ, c. C-27 (« C.t. »), et représente plusieurs salariés de la Commission, dont B, un enseignant en formation professionnelle à son emploi depuis mars 2000.
[8] À l’hiver 2009, le directeur de B lui demande de transmettre au service des ressources humaines de la Commission une déclaration relative à ses antécédents judiciaires. En vertu de modifications apportées à la LIP en 2006 (L.Q. 2005, c. 16), une commission scolaire doit « s’assure[r] » que « les personnes qui œuvrent auprès de ses élèves mineurs et celles régulièrement en contact avec eux [. . .] n’ont pas d’antécédents judiciaires en lien avec leurs fonctions au sein de cette commission » (art. 261.0.2). La LIP prévoit un mécanisme de demande d’une déclaration du candidat à l’embauche ou du salarié quant à l’existence d’antécédents judiciaires (art. 261.0.1 à 261.0.6). Dès qu’une commission scolaire constate que le titulaire d’une autorisation d’enseigner possède des antécédents qui, selon elle, sont en lien avec ses fonctions, elle doit notamment en informer le ministre (art. 261.0.7), qui peut refuser de renouveler, suspendre, révoquer ou maintenir sous conditions l’autorisation d’enseigner (art. 34.3).
[9] Le régime de vérification des antécédents de la LIP prévoit des exceptions pour les infractions ayant fait l’objet d’un « pardon » (art. 34.3 al. 1(1) et art. 258.1 al. 1(1)). La LIP reflète ainsi la protection prévue à l’art. 18.2 de la Charte des droits et libertés de la personne du Québec, RLRQ, c. C-12 (« Charte québécoise ») :
18.2. Nul ne peut congédier, refuser d’embaucher ou autrement pénaliser dans le cadre de son emploi une personne du seul fait qu’elle a été déclarée coupable d’une infraction pénale ou criminelle, si cette infraction n’a aucun lien avec l’emploi ou si cette personne en a obtenu le pardon.
[10] Le mot « pardon » utilisé à l’art. 18.2 de la Charte québécoise comprend la « réhabilitation » prévue à l’époque par la Loi sur le casier judiciaire, L.R.C. 1985, c. C-47 (« LCJ ») : Montréal (Ville) c. Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse), 2008 CSC 48, [2008] 2 R.C.S. 698, par. 14. Comme l’autorise l’art. 258.4 LIP, le ministre a d’ailleurs élaboré un guide intitulé La vérification des antécédents judiciaires : Guide à l’intention des commissions scolaires et des établissements d’enseignement privés du Québec (2011), auquel les appelantes renvoient dans leur mémoire. Ce guide traite entre autres de la réhabilitation, « communément appelée “pardon” » (p. 13). Ainsi, sous le régime de la LIP, l’obtention d’une réhabilitation en vertu de la LCJ exempte l’enseignant de l’application des dispositions portant sur la vérification des antécédents judiciaires et sur la notification au ministre de leur existence.
[11] En mars 2009, en réponse à la demande de son directeur, B indique avoir été reconnu coupable de possession d’une arme prohibée en mars 1980, de possession de stupéfiants en vue d’un trafic en décembre 1980 et juillet 1995, ainsi que de possession des produits de la criminalité en juin 1996. B aurait aussi avisé le service des ressources humaines de la Commission qu’il avait présenté une demande de réhabilitation en vertu de la LCJ et qu’il pensait l’obtenir vers juin 2009. Selon le Syndicat, le directeur du centre de formation où B enseignait était en outre au courant de l’existence de ces antécédents lors de l’embauche de ce dernier, neuf ans auparavant.
[12] Après examen de la déclaration faisant état de ces antécédents judiciaires, le directeur du service des ressources humaines se dit d’avis qu’il existe un lien entre ceux-ci et les fonctions d’enseignant de B. Un comité de réévaluation qui se penche sur la question conclut dans le même sens. Selon la LIP (art. 261.0.3), la décision finale sur l’existence d’un lien entre les antécédents d’un employé et les fonctions qu’il occupe appartient cependant aux instances de la Commission, soit le conseil des commissaires ou son comité exécutif (art. 143 et 179).
[13] Le 29 juin 2009, B est convoqué à une séance extraordinaire du comité exécutif de la Commission. Celui-ci doit déterminer s’il existe un lien entre les antécédents de B et ses fonctions et, le cas échéant, prendre une décision sur la résiliation de son contrat de travail. B se présente à la séance accompagné d’un représentant syndical. Après avoir entendu B lors d’un « huis clos partiel » (excluant le public), le comité exécutif décrète un « huis clos total » (excluant l’enseignant et son représentant) pour délibérer. Au terme de ces huis clos partiel et total d’une durée globale de 27 minutes, le comité, siégeant à nouveau de façon publique, procède à l’adoption de la résolution no 238 qui met fin au contrat de travail de B.
[14] Cette résolution fait état des condamnations de B, souligne « les dispositions de la [LIP] portant sur les antécédents judiciaires des personnes œuvrant auprès des mineurs » et mentionne les recommandations du service des ressources humaines et de la direction générale voulant que les antécédents judiciaires de B soient en lien avec ses fonctions. Le comité exécutif décide à l’unanimité que « le lien d’emploi de l’enseignant [B] auprès de la Commission [est] résilié à compter de ce jour au motif d’incapacité ». Selon la Commission, le fait pour un enseignant d’avoir des antécédents judiciaires en lien avec ses fonctions le rend juridiquement incapable d’assumer celles-ci.
[15] Dès le 2 juillet, le Syndicat dépose un grief pour le compte de B contestant son congédiement. Le Syndicat allègue que « [l]a procédure de congédiement prévue à la convention collective n’a pas été suivie » et que « [l]a commission contrevient [. . .] à la [LIP] ainsi qu’à la Charte québécoise ». La Commission et le Syndicat sont liés par une convention collective négociée au niveau provincial et par une convention collective locale. Selon cette dernière, la Commission peut congédier un enseignant uniquement pour une des causes suivantes : « . . . incapacité, négligence à remplir ses devoirs, insubordination, inconduite ou immoralité » (clause 5-7.02). De plus, la résiliation du lien d’emploi « ne peut se faire qu’après mûres délibérations à une session du conseil des commissaires ou du comité exécutif de la commission convoquée à cette fin » (clause 5-7.06).
[16] Le 3 juillet, soit le lendemain du dépôt du grief et quatre jours après la résiliation du lien d’emploi, la Commission nationale des libérations conditionnelles octroie à B une réhabilitation en vertu de la LCJ .
[17] L’instruction du grief débute devant l’arbitre Jacques Doré le 12 mai 2010 et les 3 et 24 novembre de la même année. Une fois la preuve de la Commission close, le Syndicat commence la présentation de la sienne en assignant à titre de premiers témoins trois membres du comité exécutif présents lors des délibérations tenues à huis clos du 29 juin 2009. La Commission s’oppose à ces témoignages, faisant valoir que les motivations individuelles des membres du comité ne sont pas pertinentes et que le secret du délibéré empêche leur interrogatoire sur ce qui s’est dit à huis clos. Elle demande à l’arbitre de restreindre les témoignages des trois membres du comité afin qu’aucune question ne leur soit posée sur les délibérations tenues à huis clos. Le Syndicat rétorque que ces témoignages sont pertinents, admissibles et nécessaires compte tenu de son intention de « conteste[r] tant la procédure suivie que le motif invoqué par l’employeur ». L’intimée Fédération autonome de l’enseignement (« FAE ») intervient pour appuyer la position du Syndicat. L’appelante Fédération des commissions scolaires du Québec (« FCSQ ») intervient aussi et demande pour sa part que les assignations soient cassées.
III. Historique judiciaire
A. Sentence interlocutoire de l’arbitre
[18] L’arbitre rejette les arguments de la Commission et de la FCSQ et permet l’interrogatoire des membres du comité exécutif sur ce qui s’est dit à huis clos. Afin de déterminer notamment si les délibérations du comité ont été « mûres » comme l’exige la convention collective, il estime qu’il faut en connaître la teneur, y compris ce qui « s’est passé à huis-clos en regard des informations transmises de vive voix et par écrit, aux discussions qui ont eu lieu entre les membres, voire aux objections qui ont été soulevées, etc. » (par. 17). Cela est d’autant plus vrai que, selon l’arbitre, il ressort des prétentions des parties que les « mûres délibérations » ont eu lieu à huis clos (par. 14). Il note que « [l’]adjectif “mûres” n’a pas été ajouté par les parties à l’entente uniquement pour “faire joli” », qu’il « a un sens » et qu’il « ajoute une dimension aux délibérations » (par. 16).
[19] Pour l’arbitre, délibérer à huis clos ne signifie pas forcément bénéficier du secret du délibéré. Aussi, la possibilité pour le comité exécutif de décider de façon unilatérale de siéger à huis clos ne devrait pas permettre à ses membres de se soustraire au contrôle des arbitres de grief (par. 18-21). Il se dit toutefois disposé à entendre les témoignages des membres du comité exécutif à huis clos si on le lui demande, afin que ceux-ci puissent jouir de la même liberté de parole que lors de leurs délibérations (par. 22).
B. Cour supérieure du Québec (2012 QCCS 248)
[20] Saisi d’une requête en révision judiciaire de la sentence interlocutoire de l’arbitre, le juge Delorme considère que l’application du secret du délibéré constitue une « question de droit qui est étrangère au domaine d’expertise particulier de l’arbitre et qui présente un intérêt pour l’ensemble des commissions scolaires » (par. 19 (CanLII)). Il applique donc la norme de contrôle de la décision correcte (par. 17-21).
[21] Le juge cite l’arrêt Tremblay c. Québec (Commission des affaires sociales), [1992] 1 R.C.S. 952, selon lequel le secret du délibéré des tribunaux administratifs serait la règle, bien que ce secret puisse être levé si un justiciable démontre l’existence de raisons sérieuses de croire que le processus suivi est entaché de vices de procédure (par. 27-28 et 31). Il ajoute que, selon l’arrêt Consortium Developments (Clearwater) Ltd. c. Sarnia (Ville), [1998] 3 R.C.S. 3, les intentions des membres d’un conseil municipal ne sont pas pertinentes pour juger de la validité d’une résolution adoptée par le conseil. Pour le juge, ces principes s’appliquent à la décision d’une commission scolaire de résilier un contrat de travail (par. 30-31). Il estime que la décision du comité exécutif de délibérer à huis clos rend les délibérations confidentielles. Le juge souligne que même si les séances du comité exécutif n’ont pas à être tenues publiquement, ce comité a adopté des règles de procédure qui prévoient que ses séances se tiennent en public, « à moins qu’il n’en décide autrement » (par. 24). Puisque le comité a choisi de délibérer à huis clos en vertu de ses règles de procédure, ce choix doit être respecté (par. 26).
[22] Le juge conclut que l’interrogatoire ne peut porter sur « les motifs au fond ou leur élaboration dans la pensée des membres du comité exécutif » (par. 44). Ils ne sont contraignables que pour témoigner sur le « processus formel qui a conduit à la décision prise en séance publique » (ibid.).
C. Cour d’appel du Québec (2014 QCCA 591, 69 Admin. L.R. (5th) 95)
[23] Les juges majoritaires de la Cour d’appel, sous la plume de la juge Bich, accueillent les appels du Syndicat et de la FAE et rétablissent la sentence interlocutoire de l’arbitre. Comme le premier juge, elles appliquent la norme de la décision correcte. Le principe de l’« inconnaissabilité des motifs » et le secret du délibéré qu’invoquent la Commission et la FCSQ seraient des sujets d’une importance capitale pour le système juridique dans son ensemble, étrangers au domaine d’expertise spécialisé de l’arbitre et exigeant une réponse uniforme et cohérente afin d’assurer l’ordre juridique (par. 39-53).
[24] Cela dit, à la lumière des arrêts Wells c. Terre-Neuve, [1999] 3 R.C.S. 199, et Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, la juge Bich estime que la décision d’un corps public en matière d’emploi, et plus spécifiquement en matière de congédiement, relève du droit du travail individuel ou collectif, et non du droit public (par. 76). Elle considère que la règle de l’arrêt Clearwater ne s’applique pas en l’espèce. Cette règle, qui ne fait que reprendre le principe de la pertinence, veut que les motifs des membres d’un organe décisionnel d’un corps public, dans l’exercice de ses fonctions législatives, réglementaires, politiques ou purement discrétionnaires, ne sont pas pertinents pour déterminer la validité d’une décision prise dans ce cadre (par. 89). Or, quand la Commission prend la décision de congédier un salarié comme dans le cas de B, elle n’exerce pas de telles fonctions (par. 92).
[25] Par ailleurs, selon la juge Bich, le secret du délibéré ne s’applique guère plus au cas à l’étude, car le comité exécutif n’est pas ici une instance qui exerce des fonctions juridictionnelles (par. 124). En outre, la décision unilatérale du comité exécutif de tenir sa séance à huis clos n’est pas en elle-même suffisante pour rendre ses membres incontraignables (par. 102-119).
[26] La juge Bich rappelle que la règle de la pertinence est d’application générale, y compris devant les arbitres de grief (par. 59). Or, il est établi que « les circonstances et les motifs » d’un congédiement sont pertinents pour contester celui-ci (par. 64 et 67). D’ailleurs, la clause 5-7.13 de la convention collective locale confère à l’arbitre le pouvoir très large d’examiner le congédiement « sous toutes ses coutures, tant au regard de la procédure que du fond » (par. 129). Cela ne signifie pas, selon la juge Bich, « que l’on peut adresser n’importe quelle question aux commissaires qui ont été assignés » (par. 142). Ce que chacun des décideurs pensait à chaque minute des échanges ne sera sans doute pas pertinent. C’est cependant l’arbitre qui devra décider si les questions posées sont pertinentes et font avancer le débat (par. 143). La juge Bich note qu’un tribunal d’appel qui déterminerait le sens précis à donner à l’expression « mûres délibérations » empiéterait sur la compétence exclusive de l’arbitre de grief d’interpréter la convention collective (par. 133).
[27] Le juge Gagnon, dissident, aurait pour sa part rejeté les appels et confirmé le jugement du juge Delorme. Contrairement à ce dernier, il aurait toutefois cassé les assignations des membres du comité exécutif plutôt que de restreindre leurs témoignages au processus formel suivi (par. 214). Appliquant la norme de la décision correcte, le juge Gagnon conclut que l’arrêt Clearwater régit les décisions de tout organe décisionnel collectif public, qu’il agisse à titre privé ou public, dès lors que la décision communiquée exprime officiellement la volonté du corps public (par. 172-173). La résolution no 238 du comité exécutif de la Commission constitue une telle décision. Elle parle d’elle-même et fait état des causes du congédiement (par. 177-179). Partant, bien que les membres du comité exécutif soient en principe contraignables (par. 152), en l’absence de toute allégation de mauvaise foi, il n’est pas pertinent de les interroger pour statuer sur le bien-fondé du congédiement (par. 174 et 180).
[28] Le juge Gagnon souligne que l’employeur n’a pas le fardeau de démontrer le caractère adéquat des délibérations qui ont précédé l’adoption d’une résolution de congédiement (par. 162). Selon lui, l’expression « mûres délibérations » ne constitue pas « une norme formelle de nature qualitative » dont le non-respect invaliderait un congédiement (par. 188). De toute façon, à ses yeux, la preuve démontre que la décision de congédier « ne s’est pas prise à la légère » (par. 206).
IV. Les questions en litige
[29] La question centrale du pourvoi est celle de savoir si et dans quelle mesure les trois commissaires membres du comité exécutif de la Commission peuvent être interrogés par le Syndicat. Cela nécessite de statuer sur l’applicabilité du principe de l’« inconnaissabilité des motifs » d’un corps législatif et du secret du délibéré aux faits de l’espèce. Il faut également cerner, le cas échéant, les contraintes que la règle de la pertinence impose à ces interrogatoires. Avant de m’y attarder, je dois d’abord déterminer quelle est la norme de contrôle applicable à la décision de l’arbitre.
V. Analyse
A. La norme de contrôle
[30] Contrairement aux juges de la Cour d’appel et de la Cour supérieure, j’estime que la sentence interlocutoire de l’arbitre est assujettie à la norme de la décision raisonnable. Permettre l’interrogatoire des membres du comité exécutif de la Commission reste en définitive une question d’administration de la preuve. Une telle détermination relève de la compétence exclusive de l’arbitre. À mon avis, le fait de vouloir conférer, à l’instar des appelantes, une portée démesurée aux arrêts de la Cour dans Clearwater et Tremblay ne transforme pas cette détermination en une question de droit d’importance capitale pour le système juridique, étrangère au domaine d’expertise de l’arbitre, au point de devoir l’assujettir à la norme de la décision correcte.
[31] En vertu des pouvoirs qui lui sont dévolus par l’art. 100.2 C.t., l’arbitre de grief est maître de la preuve et de la procédure lors de l’arbitrage et il a compétence exclusive à cet égard : Université du Québec à Trois-Rivières c. Larocque, [1993] 1 R.C.S. 471, p. 487 et 491. En matière disciplinaire, il est compétent pour statuer tant sur la procédure suivie que sur le fond de la mesure attaquée : al. 100.12f) C.t.; F. Morin et R. Blouin, avec la collaboration de J.-Y. Brière et J.-P. Villaggi, Droit de l’arbitrage de grief (6e éd. 2012), p. 587-588; D. J. M. Brown et D. M. Beatty, avec la collaboration de C. E. Deacon, Canadian Labour Arbitration (4e éd. (feuilles mobiles)), p. 7-162 à 7-163. Il a également compétence exclusive pour interpréter la convention collective liant les parties : art. 100 et al. 1f) C.t.; Weber c. Ontario Hydro, [1995] 2 R.C.S. 929, par. 50 et 58; General Motors of Canada Ltd. c. Brunet, [1977] 2 R.C.S. 537, p. 552. Ici, l’arbitre était notamment appelé à interpréter l’expression « mûres délibérations » de la clause 5-7.06 de la convention liant la Commission et le Syndicat. Dans sa sentence, il a conclu qu’il était nécessaire d’entendre les témoignages des membres du comité exécutif afin de statuer sur le respect des clauses 5-7.02 et 5‑7.06 de cette convention lors du congédiement de B. Aux termes de la clause 5-7.13, il « peut annuler la décision [. . .] si la procédure prescrite n’a pas été suivie ou si les motifs de renvoi ne sont pas fondés ou ne constituent pas une raison suffisante de renvoi ».
[32] Dans Alberta (Information and Privacy Commissioner) c. Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61, [2011] 3 R.C.S. 654, la Cour indique qu’il existe une présomption voulant que la décision d’un tribunal administratif interprétant ou appliquant sa loi habilitante est assujettie au contrôle judiciaire selon la norme de la décision raisonnable : par. 39 et 41; voir aussi Tervita Corp. c. Canada (Commissaire de la concurrence), 2015 CSC 3, [2015] 1 R.C.S. 161, par. 35; Smith c. Alliance Pipeline Ltd., 2011 CSC 7, [2011] 1 R.C.S. 160, par. 26 et 28; Dunsmuir, par. 54. Cette présomption s’applique en l’espèce. La décision de l’arbitre de permettre l’interrogatoire des membres du comité exécutif par le Syndicat est basée sur sa conclusion que leurs témoignages seront utiles à la détermination du respect de la convention collective et de la loi. Cette conclusion découle de son interprétation de la convention locale liant les parties ainsi que de la LIP. Sa loi habilitante, le Code du travail, prévoit que l’arbitre peut « interpréter et appliquer une loi ou un règlement dans la mesure où il est nécessaire de le faire pour décider d’un grief » (al. 100.12a)). La Cour a établi que l’interprétation faite par un arbitre de grief en milieu scolaire de dispositions de la LIP doit recevoir le plus haut degré de déférence des tribunaux de révision : Syndicat de l’enseignement du Grand-Portage c. Morency, 2000 CSC 62, [2000] 2 R.C.S. 913, par. 1.
[33] Cette présomption est renforcée par le fait que, selon la jurisprudence, la révision judiciaire des sentences rendues par les arbitres de grief est généralement assujettie à la norme de la décision raisonnable : Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, section locale 30 c. Pâtes & Papier Irving, Ltée, 2013 CSC 34, [2013] 2 R.C.S. 458, par. 7; Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 R.C.S. 708, par. 8; Dunsmuir, par. 68. Dans Nor-Man Regional Health Authority Inc. c. Manitoba Association of Health Care Professionals, 2011 CSC 59, [2011] 3 R.C.S. 616, la Cour précise que cette norme de contrôle prévaut tout autant lorsque l’arbitre applique ou adapte par exemple des doctrines de common law et d’equity émanant des tribunaux (par. 5-6, 31 et 44-45). Cela s’explique par le fait que l’arbitrage de grief constitue un régime administratif distinct et particulier dans le cadre duquel le décideur possède une expertise spécialisée. Au Québec, les arbitres de grief bénéficient du reste de clauses privatives générales intégrales : art. 139, 139.1 et 140 C.t.; Travailleurs et travailleuses unis de l’alimentation et du commerce, section locale 503 c. Compagnie Wal-Mart du Canada, 2014 CSC 45, [2014] 2 R.C.S. 323, par. 89.
[34] La présomption établie par l’arrêt Alberta Teachers n’est pas réfutée ici. Les questions que soulève le litige ne font pas partie de la catégorie restreinte de questions pour lesquelles l’arrêt Dunsmuir prévoit l’application de la norme de la décision correcte. Selon Dunsmuir, cette norme peut s’appliquer aux questions de droit qui revêtent une importance capitale pour le système juridique dans son ensemble et qui se situent hors du domaine d’expertise du décideur (par. 55 et 60). De telles questions doivent parfois être traitées de façon uniforme par les tribunaux judiciaires et administratifs, « étant donné [leurs] répercussions sur l’administration de la justice dans son ensemble » (par. 60). Cependant, les questions de cette nature restent rares et se limitent le plus souvent à des situations qui mettent en cause la « cohérence de l’ordre juridique fondamental du pays » : Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c. Canada (Procureur général), 2011 CSC 53, [2011] 3 R.C.S. 471 (« Mowat »), par. 22; McLean c. Colombie‑Britannique (Securities Commission), 2013 CSC 67, [2013] 3 R.C.S. 895, par. 26-27; voir aussi Dunsmuir, par. 55.
[35] La juge Bich soutient que les questions relatives au principe de l’« inconnaissabilité des motifs » et au secret du délibéré revêtent une importance capitale pour le système juridique parce qu’elles touchent « l’ensemble des décisions prises par les corps publics (voire même privés) agissant par l’entremise d’organes décisionnels collectifs » (par. 49). Elle opine que ce sont des questions susceptibles d’être soulevées non seulement devant des arbitres ou des tribunaux administratifs, mais aussi devant toute cour de justice. Elle souligne que ces questions ne font pas partie du « champ spécialisé de l’expertise juridictionnelle de l’arbitre » (par. 51). Avec égards, j’estime que cette qualification fait abstraction de ce que les appelantes demandent en réalité et de ce que l’arbitre a en définitive décidé.
[36] Dans le contexte de son interprétation du Code du travail, de la LIP et de la convention collective liant les parties, l’arbitre était appelé à statuer sur l’application de règles et de principes bien connus et non controversés. D’une part, même si la Cour n’a jamais appliqué l’arrêt Clearwater à des faits semblables à ceux de l’espèce, la portée de cette décision est clairement délimitée par les propos du juge Binnie qui indiquent que la « règle » en cause vise la pertinence des témoignages des membres d’un corps législatif (par. 45). Dans leurs motifs respectifs, tant le juge Delorme (par. 29) que la juge Bich (par. 46) renvoient à cette notion de pertinence pour qualifier le débat qui découle de cet arrêt. Puisque l’arbitre est maître de la preuve et de la procédure lors de l’instruction d’un grief, il lui appartient d’appliquer la règle de la pertinence aux faits du dossier selon ce qu’il considère utile pour trancher le grief. C’est précisément ce que l’arbitre a fait ici en concluant à la pertinence du contenu des délibérations tenues à huis clos par le comité exécutif. Cette décision bénéficie de la déférence du tribunal siégeant en révision. D’ailleurs, les appelantes reconnaissent elles-mêmes devant nous que leurs arguments sur l’inadmissibilité des témoignages relatifs à ces délibérations sont fondés sur une évaluation de la pertinence de ces témoignages. Dans ce contexte, une révision selon la norme de la décision correcte ne se justifie pas.
[37] D’autre part, quant au secret du délibéré cette fois, les balises de son champ d’application sont bien connues. Les appelantes ne demandent pas de les élargir. La juge Bich en convient quand elle écrit à ce sujet que ces dernières « usent ici d’un concept qui ne s’applique pas aux circonstances » (par. 123). Aussi, à ce chapitre, l’arbitre n’avait qu’à appliquer une règle connue pour décider si le secret du délibéré protégeait ou non les délibérations du comité exécutif dans le cadre du congédiement de B. Il n’y a là aucune question de droit d’importance capitale qui soit hors du champ d’expertise de l’arbitre étant donné sa large compétence en matière de preuve et de procédure.
[38] Tout en ne remettant pas en question le caractère raisonnable de la décision de l’arbitre, ma collègue, la juge Côté, estime que la norme de la décision correcte devrait plutôt s’y appliquer. Sous ce rapport, ses motifs concordants s’inscrivent à mon humble avis à contre-courant des arrêts de la Cour dans Nor-Man, Alberta Teachers et Dunsmuir notamment. Les questions de preuve et de procédure qui se soulèvent ici au regard du principe de l’« inconnaissabilité des motifs » et du secret du délibéré d’un organe décisionnel collectif d’un employeur ne sont pas étrangères au domaine d’expertise de l’arbitre. L’application de ce principe et de ce secret à une situation factuelle propre à un congédiement ne se qualifie pas non plus de question qui met en cause la cohérence de l’ordre juridique fondamental du pays. Une fois cela acquis, il ne suffit pas selon moi de soutenir que les concepts traités ne relèvent pas uniquement de l’expertise ou de la compétence de l’arbitre en la matière (par. 82 et 84 des motifs de ma collègue), ou que l’un de ceux-ci constitue un principe de droit général applicable à d’autres domaines du droit (par. 82 de ses motifs), pour écarter la norme de déférence qui s’impose dans un tel cas : Nor-Man, par. 55, citant la majorité dans Smith, par. 26, et Dunsmuir, par. 60; Mowat, par. 23.
[39] En l’espèce, devant l’information à sa disposition au moment des assignations et la teneur de la convention collective et des lois applicables, l’arbitre a permis l’interrogatoire des membres du comité exécutif de la Commission dans le cadre du grief dont il était saisi. C’est cette décision qui fait l’objet de la révision judiciaire au cœur du débat et elle était raisonnable. Les motifs de la sentence rendue sont transparents et intelligibles et sa justification, bien étayée; elle appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir, par. 47). Ni l’argument de l’« inconnaissabilité des motifs », ni celui du secret du délibéré qu’invoquent les appelantes ne font échec à cette conclusion. À ce stade, l’arbitre a simplement permis que débute le témoignage des membres du comité exécutif. Il n’a pas encore statué sur la pertinence de questions particulières puisqu’aucune n’avait encore été posée quand la Commission s’est opposée aux témoignages.
B. L’« inconnaissabilité des motifs »
[40] Les appelantes reprochent à l’arbitre d’avoir écarté le principe de l’« inconnaissabilité des motifs » en permettant l’interrogatoire des membres du comité exécutif. Selon elles, l’arrêt Clearwater de la Cour reconnaîtrait un tel principe d’« inconnaissabilité des motifs » à tout organe décisionnel collectif qui prend une décision par écrit. Ces motifs ne seraient jamais pertinents pour procéder à l’examen judiciaire, arbitral ou administratif du bien-fondé de la décision attaquée. Ainsi, toujours selon les appelantes, puisque le comité exécutif de la Commission a consigné le fruit de son processus décisionnel dans une résolution, cette dernière exprimerait tout ce qui est nécessaire pour expliquer la décision de congédier l’enseignant B. Les motifs individuels des membres de ce comité ne seraient pas pertinents, la résolution faisant foi de son contenu.
[41] Pour les appelantes, le principe de l’« inconnaissabilité des motifs » devrait s’appliquer à tout organe public, qu’il pose des actes de nature publique ou privée, ainsi qu’à tout organe privé. Le seul critère qui rendrait les motifs d’un tel organe « inconnaissables » est l’exigence qu’il agisse collectivement et s’exprime par voie de résolution ou d’écrit officiel, de sorte que la décision n’appartiendrait à aucun de ses membres pris individuellement.
[42] J’estime que les appelantes se trompent. Leur argument donne une portée démesurée à l’arrêt Clearwater. L’arbitre a agi de façon raisonnable en choisissant de ne pas y adhérer dans le contexte de la décision du comité exécutif de la Commission de congédier son enseignant.
[43] L’arrêt Clearwater concernait la contestation par un promoteur immobilier de la validité (dans le sens de légalité ou vires) d’une résolution adoptée par un conseil municipal. Le promoteur souhaitait démontrer que le conseil avait agi de manière illégale en autorisant par voie de résolution une enquête judiciaire sur ses opérations. Afin d’en faire la preuve, il cherchait à faire témoigner des membres du conseil municipal qui avaient voté pour l’adoption de la résolution.
[44] La Cour a rejeté cette tentative d’assigner les membres du conseil municipal. Dans le passage clé cité par les appelantes, le juge Binnie écrit ceci :
Les motifs d’un corps législatif composé de nombreuses personnes sont « inconnaissables », à l’exception de ce qui ressort des dispositions qu’il adopte. En l’espèce, le conseil municipal avait le pouvoir prévu à l’art. 100 [de sa loi habilitante], et l’a exercé sous forme de résolution qui parle d’elle-même. Même si certains membres de l’ancien ou de l’actuel conseil municipal de Sarnia ont pu faire des déclarations qui traduisent une volonté d’exposer au grand jour une prétendue inconduite, l’enquête sera menée non pas par des conseillers municipaux, mais par [. . .] un juge de cour supérieure, qui s’en remettra aux directives prévues dans la résolution fondée sur l’art. 100, et non aux commentaires de certains politiciens municipaux relatés dans la presse. En conséquence, les tribunaux d’instance inférieure ont eu raison d’annuler les assignations et de radier du dossier certains autres éléments de preuve. Bien que les tribunaux doivent hésiter à entraver les efforts déployés par une partie pour établir sa preuve, ils devraient annuler les assignations si, comme en l’espèce, la preuve que l’on cherche à obtenir n’a rien à voir avec une question soulevée dans les demandes de contrôle judiciaire . . . [Je souligne; par. 45.]
[45] Il est vrai que l’arrêt Clearwater traite de la pertinence des motifs d’un corps législatif et que, dans cet arrêt, les assignations ont été annulées en raison de leur non-pertinence. Cependant, il est inexact d’affirmer que l’arrêt Clearwater établit une règle de pertinence applicable à toute décision collective prise par un organe décisionnel dans un écrit officiel, peu importe la nature de la décision ou du corps qui l’adopte. Les motifs « inconnaissables » sont plutôt ceux qui sont propres à un corps législatif lorsqu’il adopte des dispositions de nature législative, c’est-à-dire lorsqu’il pose des gestes de nature publique. Rien dans l’analyse du juge Binnie ne permet d’étendre sa conclusion sur la non-pertinence comme le suggèrent les appelantes.
[46] Dans Clearwater, le juge Binnie s’appuie entre autres sur l’arrêt Thorne’s Hardware Ltd. c. La Reine, [1983] 1 R.C.S. 106, et fait remarquer que « [l]a présente affaire illustre bien la raison pour laquelle la règle de l’arrêt Thorne’s Hardware [. . .] est salutaire » (par. 44). Or, dans Thorne’s Hardware, on contestait comme illégal et discriminatoire un décret pris par le gouverneur en conseil qui étendait les limites d’un port. Les parties qui contestaient la décision voulaient mettre en preuve les motifs du gouverneur en conseil. Dans cette affaire, le juge Dickson (plus tard Juge en chef) écrit que « [l]es décisions prises par le gouverneur en conseil sur des questions de commodité publique et de politique générale sont sans appel et ne peuvent être examinées par voie de procédures judiciaires » (p. 111). Par conséquent, « [n]ous n’avons ni le droit ni l’obligation de mener une enquête sur les motifs qui ont pu inciter le cabinet fédéral à prendre le décret [contesté] » (Thorne’s Hardware, p. 112). La décision du gouverneur en conseil étant de nature purement politique et discrétionnaire, les motifs qui la sous-tendent étaient non pertinents pour juger de la légalité de la décision. Là encore, la nature particulière de la décision déterminait la pertinence des motifs du corps qui l’avait prise.
[47] À mon avis, la juge Bich a raison d’affirmer que la règle de Clearwater, dans la mesure où on peut effectivement la considérer comme distincte de la simple règle de la pertinence, ne concerne que les décisions de nature législative, réglementaire, politique ou purement discrétionnaire des organes publics (par. 95). Autrement dit, la règle s’applique lorsqu’il s’agit de décisions prises par un organe public qui pose des actes de nature publique. Or, en l’espèce, la décision du comité exécutif s’inscrit dans un tout autre contexte. La résolution no 238 concerne la décision de congédier un enseignant de la Commission en vertu de la procédure prévue à la convention collective.
[48] Dans Dunsmuir, la Cour a conclu que, en présence d’un contrat de travail, le congédiement d’un employé du secteur public est en règle générale régi par le droit des contrats et le droit du travail, et non par les principes du droit public. Dans leurs motifs majoritaires, les juges Bastarache et LeBel indiquent que « c’est l’existence d’un contrat d’emploi, et non la qualité de titulaire de charge publique de l’employé, qui est déterminante » (par. 102). Par conséquent, en présence d’un lien contractuel entre un salarié et son employeur public, « tout différend relatif au congédiement doit être réglé comme le prévoit expressément ou implicitement le contrat d’emploi et conformément aux dispositions législatives ou réglementaires applicables » (par. 113).
[49] Dans cet arrêt, la Cour s’appuyait sur son arrêt antérieur Wells, où elle avait rejeté l’argument selon lequel les principes du droit public (en l’occurrence, du droit administratif) sont applicables à un différend relatif à l’emploi d’un fonctionnaire :
Bien que les conditions d’un contrat puissent être prévues, en totalité ou en partie, par une loi, la relation du travail demeure fondamentalement un contrat et le droit général en matière de contrat s’applique, à moins que des termes explicites dans la loi ou l’entente ne le remplacent expressément. [par. 30]
Depuis Wells, il est acquis que la majorité des emplois dans le secteur public sont présumés être régis par les règles du droit des contrats, à moins d’une disposition législative expresse au contraire : P. W. Hogg, P. J. Monahan et W. K. Wright, Liability of the Crown (4e éd. 2011), p. 336. La Cour a reconnu que cette règle s’applique dans un contexte où « la majorité des fonctionnaires sont syndiqués et bénéficient de conventions collectives qui définissent leurs conditions de travail ainsi que les obligations de la Couronne à leur égard » : Wells, par. 23; Hogg, Monahan et Wright, p. 336. Le fait que, dans plusieurs cas, la relation entre un salarié et son employeur public soit régie par une convention collective n’a aucune incidence sur l’application des conclusions de la Cour dans Dunsmuir.
[50] Dans le cas présent, même si la Commission est une personne morale de droit public constituée en application de la LIP, elle agissait à titre d’employeur en prenant la décision de congédier l’enseignant B par résolution de son comité exécutif. Cette décision a eu un effet sur le contrat de travail liant B à la Commission et a été prise dans le cadre d’un processus prévu par la convention collective qui lie les parties. Elle n’est pas de nature législative, réglementaire, politique ou discrétionnaire. Elle s’inscrit plutôt précisément dans le cadre d’une relation contractuelle telle que celles visées par Dunsmuir et Wells. Le contrôle ou la révision d’une telle décision par l’arbitre de grief se fait en application des principes du droit du travail applicables à tout congédiement. Par conséquent, la présente affaire se distingue nettement de l’arrêt Clearwater. Une règle de pertinence basée sur la nature publique de la décision contestée ne trouve pas application ici.
[51] Cette conclusion s’impose d’autant plus en raison de la reconnaissance par les appelantes du fait que les membres du comité exécutif sont contraignables pour, à tout le moins, témoigner sur certains aspects des délibérations tenues à huis clos et sur le fond du congédiement. À l’audience devant nous, elles concèdent en effet que le Syndicat peut entre autres demander aux membres du comité exécutif s’ils ont considéré l’éventuelle réhabilitation de B dans leur réflexion ou s’ils pensaient que la LIP exige automatiquement le congédiement dès lors que le comité exécutif conclut à l’existence d’un lien entre les antécédents judiciaires d’un salarié et ses fonctions. Cette concession est aux antipodes de la conclusion du juge Binnie dans Clearwater selon laquelle les membres du conseil municipal ne pouvaient en aucune manière être appelés à témoigner sur les motifs sous-tendant leur décision d’adopter une résolution.
[52] Du reste, il est plutôt ardu de distinguer les questions portant sur le processus menant à une décision et celles portant sur les motifs sous-tendant la décision. Une même question pourrait être utile à la fois pour juger de la légalité du processus suivi et pour déterminer si la sanction disciplinaire est conforme aux exigences de fond prévues par la convention collective et les lois du travail. Par exemple, la question de savoir si les membres du comité exécutif ont considéré l’existence de la demande de réhabilitation faite par B peut être pertinente pour l’évaluation du processus suivi par le comité. La question peut également viser l’évaluation du bien-fondé de la décision du comité sur le fond.
[53] J’en conclus que l’arbitre a agi de manière raisonnable en statuant qu’il avait besoin de savoir ce qui s’est passé à huis clos pour déterminer s’il y a eu mûres délibérations de la part du comité exécutif. Il suivait en cela plusieurs arbitres de grief qui, par le passé, ont accepté que soient interrogés les dirigeants d’une commission scolaire au sujet de délibérations tenues à huis clos en matière disciplinaire : Syndicat des professionnelles et professionnels de l’éducation du Bas-St-Laurent c. Commission scolaire des Monts-et-Marées (2006), S.A.E. 7953, 54 R.S.E. 481, par. 59-60 et 66-69; Syndicat des enseignantes et enseignants de Le Royer c. Commission scolaire de la Pointe-de-l’Île (2000), S.A.E. 7006, 47 R.S.E. 1049, p. 1051-1052; Syndicat des travailleuses et travailleurs de l’enseignement de Portneuf C.E.Q. c. Commission scolaire de Portneuf (1988), S.A.E. 4674, 35 R.S.E. 1722; Association des enseignants de Le Royer c. Commission scolaire régionale Le Royer (1975), S.A. 513, 6 R.S.E. 43, p. 45. Vu la compétence reconnue de l’arbitre en matière de preuve et de procédure, la déférence s’impose.
[54] Les autres décisions que citent les appelantes au soutien de leur argument sur l’« inconnaissabilité des motifs » du comité exécutif ne leur sont d’aucun secours. Dans Duke of Buccleuch c. Metropolitan Board of Works (1872), L.R. 5 H.L. 418, la Chambre des lords statuait sur une action en exécution d’une sentence arbitrale dans le cadre de laquelle une des parties tentait d’assigner l’arbitre lui-même. Une situation analogue prévalait dans O’Rourke c. Commissioner for Railways (1890), 15 App. Cas. 371, Ward c. Shell-Mex, [1952] 1 K.B. 280, et Re Knight Lumber Co. (1959), 22 D.L.R. (2d) 92 (C.S. C.-B.). Toutes ces affaires impliquaient des décisions de nature juridictionnelle, où les motifs des décideurs ne pouvaient être mis en preuve non pas en raison de leur non-pertinence, mais plutôt à cause de l’application du secret du délibéré.
[55] Enfin, étendre les conclusions de la Cour dans Clearwater à toute décision prise par un organe décisionnel collectif public ou privé, comme le proposent les appelantes, aurait des conséquences regrettables qui iraient bien au-delà du seul contexte de la présente affaire. En effet, selon leurs prétentions, l’arrêt Clearwater s’appliquerait non seulement aux corps publics comme les commissions scolaires, mais aussi aux sociétés d’État qui s’expriment toutes à travers des résolutions adoptées collectivement par leurs organes décisionnels. Cette règle s’appliquerait également aux sociétés privées qui fonctionnent de la même manière. Si tel devait être le cas, les auteurs d’une vaste gamme de décisions prises collectivement seraient mis à l’abri de tout témoignage sur leurs motivations ou délibérations, et ce, même dans des situations où ces témoignages seraient hautement pertinents pour trancher le litige. Il n’est pas souhaitable de donner une telle portée et de tels effets aux motifs circonscrits du juge Binnie dans Clearwater.
C. Le secret du délibéré
[56] L’autre argument des appelantes sur le secret du délibéré n’est pas plus concluant. Là encore, je considère que l’arbitre a rendu une décision raisonnable en l’écartant. En effet, il est inexact d’affirmer que les membres du comité exécutif bénéficient ici de la protection du secret du délibéré et qu’ils ne peuvent être assignés pour témoigner sur les délibérations tenues durant le huis clos « total » du 29 juin 2009.
[57] Les contours du secret du délibéré sont bien définis en jurisprudence. Dans MacKeigan c. Hickman, [1989] 2 R.C.S. 796, la Cour, sous la plume de la juge McLachlin (plus tard Juge en chef), souligne que la protection du processus décisionnel des juges est une composante centrale du principe constitutionnel de l’indépendance judiciaire :
Le droit du juge de refuser de répondre aux organes exécutif ou législatif du gouvernement ou à leurs représentants quant à savoir comment et pourquoi il est arrivé à une conclusion judiciaire donnée, est essentiel à l’indépendance personnelle de ce juge, qui constitue l’un des deux aspects principaux de l’indépendance judiciaire [. . .] Comme l’a affirmé le juge en chef Dickson dans l’arrêt Beauregard c. Canada, [[1986] 2 R.C.S. 56,] pour jouer le bon rôle constitutionnel, le pouvoir judiciaire doit être complètement séparé, sur le plan des pouvoirs et des fonctions, des autres organes du gouvernement. Cette séparation signifie implicitement que les organes exécutif ou législatif du gouvernement ne peuvent pas exiger d’un juge qu’il explique son jugement et en rende compte. Donner suite à l’exigence qu’un juge témoigne devant un organisme civil, émanant du pouvoir législatif ou du pouvoir exécutif, quant à savoir comment et pourquoi il a rendu sa décision, serait attaquer l’élément le plus sacro-saint de l’indépendance judiciaire. [Je souligne; p. 830-831.]
La nécessité de tenir le processus décisionnel judiciaire à l’abri du contrôle ou de la révision des autres organes de l’État découle du principe de la séparation des pouvoirs qui se manifeste à travers l’exigence constitutionnelle de l’indépendance judiciaire.
[58] Certes, comme le soulignent les appelantes, depuis qu’elle a rendu l’arrêt MacKeigan, la Cour a reconnu que le secret du délibéré protège aussi les délibérations des tribunaux administratifs (Tremblay, p. 966). Cela dit, ces décideurs ne jouissent pas pour autant d’une protection étanche. Même si le secret demeure la règle, il peut par exemple être levé « lorsque le justiciable peut faire état de raisons sérieuses de croire que le processus suivi n’a pas respecté les règles de justice naturelle » (Tremblay, p. 966). Cependant, en l’absence de lacunes procédurales, le secret du délibéré continue de soustraire ces décideurs à l’obligation de témoigner lors de la contestation de leurs décisions.
[59] Se fondant sur l’arrêt Tremblay, les appelantes soutiennent que l’application de ce principe règle la question du témoignage des membres du comité exécutif. Ces derniers étant les administrateurs de la Commission, un organe public détenant ses pouvoirs et prenant ses décisions en vertu de la LIP, ils devraient être considérés comme faisant partie des corps décisionnels administratifs auxquels s’applique l’arrêt Tremblay. Sans allégation de mauvaise foi ou de lacune procédurale par le Syndicat, il n’y aurait donc pas lieu de lever le secret du délibéré pour les interroger sur les délibérations tenues à huis clos.
[60] Je suis en désaccord. L’arrêt Tremblay ne s’étend pas à tous les organismes administratifs titulaires de « fonctions décisionnelles », selon l’expression utilisée par les appelantes pour désigner un ensemble d’actes administratifs ne se limitant pas aux fonctions de nature juridictionnelle (m.a., par. 108). Encore une fois, l’arrêt Tremblay est clair et n’a pas la portée que les appelantes cherchent à lui attribuer. Cet arrêt traite du secret du délibéré qui s’applique aux tribunaux administratifs, c’est-à-dire à des organes exerçant des fonctions juridictionnelles. Les décisions citées par les appelantes à titre d’exemple d’application du secret du délibéré appuient d’ailleurs cette constatation. Dans Duke of Buccleuch, O’Rourke, Ward et Knight Lumber, les pouvoirs exercés par les arbitres et les membres des tribunaux administratifs qu’on cherchait à faire témoigner étaient de nature juridictionnelle. Il en va de même de l’affaire Noble China Inc. c. Lei (1998), 42 O.R. (3d) 69, où la Cour de l’Ontario (Division générale) a indiqué que les délibérations d’un arbitre en matière commerciale étaient protégées par le secret du délibéré en vertu de l’arrêt Tremblay. Dans Comité de révision de l’aide juridique c. Denis, 2007 QCCA 126, et dans Cherubini Metal Works Ltd. c. Nova Scotia (Attorney General), 2007 NSCA 37, 253 N.S.R. (2d) 134, on a aussi appliqué le secret du délibéré à des tribunaux administratifs exerçant des fonctions juridictionnelles.
[61] Or, en prenant la décision de congédier B après avoir délibéré à huis clos, le comité exécutif n’exerçait pas une fonction juridictionnelle et n’agissait pas en tant que décideur quasi judiciaire. Le comité agissait plutôt à titre d’employeur congédiant un salarié. Il s’agit là d’une décision de nature privée relevant du droit du travail, et non d’une décision de nature publique mettant en cause les principes constitutionnels d’indépendance judiciaire et de séparation des pouvoirs. Il n’y a pas d’analogie valable entre le tribunal administratif de l’arrêt Tremblay qui rend une décision quasi judiciaire finale et sans appel et l’organe décisionnel d’un employeur public, fût-il son comité exécutif, qui décide de résilier le contrat de travail d’un salarié.
[62] J’estime tout aussi mal fondée la prétention des appelantes selon laquelle le fait d’appliquer une norme établie par une loi (en l’occurrence, l’obligation de la Commission de s’assurer que l’enseignant n’a pas d’antécédent judiciaire en lien avec ses fonctions) confère à la décision du comité exécutif une nature juridictionnelle. Le seul fait que l’on soit en présence d’un employeur tenu d’appliquer des normes législatives ne permet pas de qualifier de juridictionnelle sa décision de congédier un employé. Le renvoi de l’enseignant B est le résultat de l’exercice du droit de gérance de la Commission. Ce droit est circonscrit par le Code du travail, la LIP et la convention collective. Le congédiement n’est pas le résultat d’une simple application des règles de fond de la LIP aux faits constatés par le comité exécutif, comme c’est le cas lorsqu’il s’agit d’une décision de nature juridictionnelle : Ministre du Revenu national c. Coopers and Lybrand, [1979] 1 R.C.S. 495, p. 504.
[63] D’ailleurs, si l’application du secret du délibéré dépendait du fait que le comité exécutif applique des dispositions législatives afin d’arriver à une conclusion sur un congédiement, cela mènerait à des résultats absurdes. Selon cette logique, si le comité exécutif congédiait un enseignant pour vol, une situation qui n’entraîne pas l’application des dispositions de la LIP, ses délibérations à huis clos ne seraient pas protégées par le secret du délibéré. Pourtant, sa décision serait alors de même nature que celle prise en l’espèce. Qui plus est, si la simple décision de renvoyer un employé se voulait une décision de nature juridictionnelle, le recours qui s’imposerait à l’employé serait de se pourvoir directement en révision judiciaire. Or, dans le contexte d’une convention collective, il va de soi que la contestation d’un congédiement se fait plutôt par le dépôt d’un grief en application du Code du travail (art. 100 et suiv.).
[64] Enfin, je note que les appelantes ont reconnu le caractère facultatif du huis clos et la possibilité de l’imposer à la seule discrétion du comité exécutif. Selon les règles de procédure des séances du comité exécutif de la Commission, la délibération publique est la règle et le huis clos l’exception (art. 8). Or, selon les prétentions des appelantes, le secret du délibéré ne mettrait à l’abri de tout interrogatoire que les délibérations tenues à huis clos. Cet argument mène là encore à un résultat incongru. Les membres du comité exécutif pourraient ainsi choisir s’ils sont contraignables ou non pour témoigner sur leurs délibérations. Il n’est pas souhaitable d’accorder à une partie la possibilité de soustraire à sa guise ses délibérations à tout contrôle judiciaire. Accepter cette prétention aurait pour conséquence de rendre l’application du secret du délibéré facultative, alors qu’il s’agit d’une règle impérative découlant du principe constitutionnel de la séparation des pouvoirs : H. Brun, G. Tremblay et E. Brouillet, Droit constitutionnel (6e éd. 2014), p. 871, citant Promutuel Dorchester, société mutuelle d’assurance générale c. Ferland, [2001] R.J.Q. 2882 (C.S.). Un juge ne peut certes choisir de se soustraire à l’application du secret du délibéré pour expliquer le raisonnement qui a mené à ses conclusions lorsque cela lui convient.
[65] Somme toute, peu importe l’angle sous lequel on aborde l’argument des appelantes sur le secret du délibéré, force est de conclure que le comité exécutif n’exerçait pas une fonction de nature juridictionnelle lorsqu’il a pris la décision de congédier l’enseignant B. Il agissait plutôt comme employeur dans le contexte d’une relation contractuelle régie par le droit du travail. À ce titre, il ne bénéficie pas de la protection du secret du délibéré pour les discussions que ses membres tiennent à huis clos. L’arbitre a agi de manière raisonnable en écartant cet argument.
D. La pertinence
[66] Il s’ensuit que les juges majoritaires de la Cour d’appel ont eu raison de rejeter les arguments des appelantes sur l’« inconnaissabilité des motifs » et sur le secret du délibéré, de rétablir la sentence attaquée et de permettre l’interrogatoire des membres du comité exécutif dans les limites usuelles de la règle de la pertinence. À l’audience devant nous, une question additionnelle s’est toutefois soulevée : advenant que la Cour statue en ce sens, des limites devraient-elles être fixées d’avance aux questions qui pourront être posées aux membres du comité exécutif? À mon avis, la réponse est non.
[67] L’appréciation de la pertinence de la preuve relève de la compétence exclusive de l’arbitre. En l’espèce, l’employeur s’étant pourvu en révision judiciaire de la sentence interlocutoire qui a permis l’interrogatoire des membres du comité exécutif, aucune question ne leur a encore été posée. Or, il n’appartient pas aux tribunaux de révision de conjecturer sur les questions qui seront potentiellement pertinentes avant même qu’un interrogatoire ne commence. Tant les pouvoirs dévolus à l’arbitre par la loi et la convention collective que la nature des procédures en matière d’arbitrage de grief justifient de conclure ainsi.
[68] D’abord, l’art. 100.2 C.t. rend l’arbitre de grief maître de la preuve et de la procédure lors de l’arbitrage. La Cour a maintes fois réitéré que la preuve et la procédure en matière d’arbitrage de grief, y compris l’appréciation de la pertinence, relèvent de la compétence exclusive de l’arbitre : Larocque, p. 485 et 491; Cie minière Québec Cartier c. Québec (arbitre des griefs), [1995] 2 R.C.S. 1095, par. 11; Fraternité unie des charpentiers et menuisiers d’Amérique, section locale 579 c. Bradco Construction Ltd., [1993] 2 R.C.S. 316, p. 343-344. La Cour a également insisté sur l’importance de la déférence qu’il faut accorder aux arbitres au nom de la préservation de la « méthode expéditive, efficace et spécialisée de règlement des différends » que constitue l’arbitrage de grief : Wal-Mart, par. 85; voir aussi Newfoundland and Labrador Nurses’ Union, par. 24-25; Alberta Union of Provincial Employees c. Lethbridge Community College, 2004 CSC 28, [2004] 1 R.C.S. 727, par. 40-41; Parry Sound (district), Conseil d’administration des services sociaux c. S.E.E.F.P.O., section locale 324, 2003 CSC 42, [2003] 2 R.C.S. 157, par. 16 et suiv. Cette déférence et le maintien du caractère expéditif, efficace et spécialisé du système d’arbitrage de grief constituent « une exigence fondamentale de la paix dans le domaine des relations industrielles » : Conseil de l’éducation de Toronto (Cité) c. F.E.E.E.S.O., district 15, [1997] 1 R.C.S. 487, par. 36.
[69] Ensuite, le contexte dans lequel l’appréciation de la pertinence s’effectue est influencé par le constat que, en matière disciplinaire, l’arbitre est investi du large pouvoir de substituer la décision qui lui paraît juste et raisonnable à la sanction imposée par l’employeur à la lumière de « toutes les circonstances de l’affaire » (al. 100.12f) C.t.). Cela peut comprendre des considérations de fond et de procédure. La clause 5-7.13 de la convention collective permet de fait à l’arbitre d’annuler le congédiement « si la procédure prescrite n’a pas été suivie ou si les motifs de renvoi ne sont pas fondés ou ne constituent pas une raison suffisante de renvoi ». Sous ce rapport, il peut soupeser tant la validité que l’opportunité du congédiement et scruter le contenu de la résolution adoptée ainsi que le processus suivi pour y arriver.
[70] En outre, le grief déposé par le Syndicat porte sur la notion de « mûres délibérations » incluse à la clause 5-7.06. L’arbitre doit donc juger de la pertinence de la preuve à la lumière de cette disposition de la convention collective, dont il a pour mission d’assurer le respect. L’exigence de mûres délibérations en cas de renvoi figure dans plusieurs conventions du secteur de l’éducation au Québec. L’arbitre Frumkin notait déjà en 1985 que cette expression avait « été l’objet d’un grand nombre de décisions » en jurisprudence arbitrale : North Island Laurentian Teachers’ Union P.A.P.T. c. Commission scolaire Laurenval (1985), S.A.E. 3964, 33 R.S.E. 1262, p. 1274. Une sentence arbitrale récente résume cette jurisprudence en indiquant qu’avant de procéder à un congédiement, une commission scolaire doit « agi[r] de façon réfléchie », « respecter les droits conférés au plaignant et à son Syndicat et [. . .] agir de façon raisonnable et responsable » : Commission scolaire des Grandes-Seigneuries et Association des professeurs de Lignery (Vishwanee Joyejob), 2015 QCTA 663, [2015] AZ-51203453, par. 493; voir aussi par. 494-495. Bref, la notion de mûres délibérations est interprétée et appliquée par les arbitres de grief du milieu de l’éducation depuis plusieurs années et continue de l’être encore aujourd’hui. Il serait inapproprié pour un tribunal de révision de préciser dès à présent le sens à donner à cette expression aux fins de statuer sur la pertinence d’une preuve future.
[71] Finalement, il me semble aller de soi que la nature des procédures en matière d’arbitrage s’accommoderait mal d’une évaluation anticipée de la pertinence d’un témoignage à venir. La pertinence s’établit en fonction du cadre juridique, du contexte factuel et des circonstances propres à chaque dossier : J.-C. Royer et S. Lavallée, La preuve civile (4e éd. 2008), p. 854; S. N. Lederman, A. W. Bryant et M. K. Fuerst, Sopinka, Lederman & Bryant : The Law of Evidence in Canada (4e éd. 2014), p. 54-55. L’arbitrage de grief présente des particularités qui font en sorte que le cadre juridique et le contexte factuel ne sont souvent connus qu’au fur et à mesure des procédures et de l’interrogatoire des témoins. Cela tient au fait que c’est l’employeur qui prend la majorité des décisions susceptibles de faire l’objet d’un grief, y compris les mesures disciplinaires, pour des raisons qu’il connaît souvent mieux que le syndicat et le salarié : F. Morin et autres, Le droit de l’emploi au Québec (4e éd. 2010), p. 1293 et 1315. S’ajoutent à cela l’informalité des procédures écrites menant à l’arbitrage et l’absence de requêtes avec allégations détaillées permettant d’établir ce qui est pertinent en fonction des faits invoqués au soutien d’une procédure, comme c’est le cas devant les tribunaux judiciaires. Dans ce contexte, il serait hasardeux de se prononcer d’avance sur la pertinence d’une preuve qui peut dépendre de ce que les interrogatoires des représentants de l’employeur révéleront au fil de leur progression.
[72] En l’espèce, l’arbitre a déjà indiqué qu’il serait par exemple pertinent pour le Syndicat d’interroger les membres du comité exécutif sur ce qui « s’est passé à huis-clos en regard des informations transmises de vive voix et par écrit, aux discussions qui ont eu lieu entre les membres, voire aux objections qui ont été soulevées, etc. » (par. 17). Au vu des larges pouvoirs qui lui sont dévolus de considérer à la fois la procédure suivie et le caractère approprié de la mesure disciplinaire sur le fond, cela semble inattaquable comme le remarque à juste titre la juge Bich (par. 68-69). Un salarié est certes en droit d’interroger et de confronter les personnes qui ont décidé de son renvoi sur les circonstances qui entourent leur décision et sur les détails du processus qui y a mené. De la même manière, il n’y a pas lieu d’empêcher d’avance toute question portant sur les motifs au fond du congédiement. Tel que je l’indique au par. 51 des présents motifs, les appelantes ont elles-mêmes concédé que certaines questions portant sur les délibérations à huis clos et le fond du congédiement seraient pertinentes.
[73] Bien sûr, la juge Bich le souligne à bon droit (par. 142-143), tout cela n’équivaut pas à une autorisation de sonder les âmes des décideurs pour connaître l’évolution de leur pensée individuelle au fil du déroulement de leurs délibérations. Cela ne permet guère plus de procéder à une recherche à l’aveuglette ou à des interrogatoires redondants de tout un chacun. En définitive, le cadre juridique et le contexte factuel du grief sont bien identifiés. Il reviendra à l’arbitre d’en tenir compte afin de trancher les enjeux de pertinence selon les questions qui seront éventuellement posées et de déterminer celles qui font réellement avancer le débat. Si une intervention judiciaire est requise, elle se fera, le cas échéant, une fois que l’arbitre se sera prononcé sur un sujet précis.
[74] Un dernier commentaire s’impose en terminant. À mon humble avis, il est fort regrettable que, plus de six ans après le dépôt d’un grief contestant un renvoi, le Syndicat n’ait pas encore été en mesure de commencer la présentation de sa preuve. La mission du système d’arbitrage de grief de fournir aux employeurs et aux salariés une justice accessible, expéditive et efficace a été oubliée. Il convient de rappeler l’importance de la sage règle selon laquelle, sauf rares exceptions, la sentence interlocutoire d’un arbitre de grief, notamment en matière de preuve et de procédure, n’est pas sujette à révision judiciaire : Syndicat des salariés de Béton St-Hubert — CSN c. Béton St-Hubert inc., 2010 QCCA 2270, [2011] R.J.D.T. 19, par. 23; Sûreté du Québec c. Lussier, [1994] R.D.J. 470 (C.A.); Collège d’enseignement général et professionnel de Valleyfield c. Gauthier Cashman, [1984] R.D.J. 385 (C.A.). Les tribunaux de plusieurs provinces adoptent une semblable approche empreinte de déférence à l’endroit des sentences arbitrales interlocutoires : Lethbridge Regional Police Service c. Lethbridge Police Association, 2013 ABCA 47, 542 A.R. 252, par. 21; Canadian Nuclear Laboratories c. Int’l Union of Operating Engineers, Local 772, 2015 ONSC 3436, par. 5-7 et 11 (CanLII); Blass c. University of Regina Faculty Assn., 2007 SKQB 470, 76 Admin. L.R. (4th) 262, par. 82. Ici, l’arbitre avait offert d’entendre le témoignage des membres du comité exécutif à huis clos (par. 22). Cela aurait vraisemblablement éliminé tout risque de conséquences impossibles à corriger au moment de la décision finale. Les longues procédures en révision judiciaire qui s’achèvent ici auraient ainsi pu être évitées au stade d’une sentence interlocutoire.
VI. Dispositif
[75] Je suis donc d’avis de rejeter le pourvoi avec dépens dans toutes les cours et de retourner le dossier devant l’arbitre pour que l’instruction du grief puisse, enfin, se poursuivre.
Les motifs des juges Wagner, Côté et Brown ont été rendus par
[76] La juge Côté — Je suis également d’avis qu’il y a lieu de rejeter le pourvoi. Néanmoins, j’estime que la Cour supérieure ainsi que les juges tant majoritaires que dissident de la Cour d’appel ont eu raison de conclure que la norme de contrôle applicable en l’espèce est celle de la décision correcte.
[77] Mon collègue, le juge Gascon, écrit que « [p]ermettre l’interrogatoire des membres du comité exécutif de la Commission reste en définitive une question d’administration de la preuve » et que « le fait de vouloir conférer, à l’instar des appelantes, une portée démesurée aux arrêts de la Cour dans [Consortium Developments (Clearwater) Ltd. c. Sarnia (Ville), [1998] 3 R.C.S. 3,] et [Tremblay c. Québec (Commission des affaires sociales), [1992] 1 R.C.S. 952,] ne transforme pas cette détermination en une question de droit d’importance capitale pour le système juridique, étrangère au domaine d’expertise de l’arbitre, au point de devoir l’assujettir à la norme de la décision correcte » (par. 30). Certes, les questions relatives à l’administration de la preuve relèvent de la compétence de l’arbitre et commandent normalement la déférence. Il arrive toutefois qu’une question relative à un domaine dans lequel l’arbitre est généralement le maître soit de nature à affecter l’administration de la justice dans son ensemble et qu’elle se rapporte à des principes à l’égard desquels l’arbitre ne dispose d’aucune expertise particulière en ce sens que ces principes ne relèvent pas de la mission spécialisée qui est la sienne. En effet, selon les enseignements de la Cour dans Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, par. 55 et 60, et tel que le rappelle la Cour d’appel en l’espèce au par. 33 de son jugement, « la norme de la décision correcte s’appliquera aux décisions des arbitres (comme à celles de tout tribunal administratif) statuant sur une question de droit générale qui, d’une part, revêt une importance capitale pour le système juridique et, d’autre part, qui est étrangère à leur domaine d’expertise au sens où elle ne relève pas de leur mission spécialisée » (2014 QCCA 591, 69 Admin. L.R. (5th) 95 (je souligne)).
[78] Bien que les questions de ce genre soient rares — ce que reconnaissent les juges majoritaires de la Cour d’appel —, j’estime qu’il faut se garder de donner une interprétation trop restrictive à la catégorie de questions de droit générales établie dans l’arrêt Toronto (Ville) c. S.C.F.P., section locale 79, 2003 CSC 63, [2003] 3 R.C.S. 77, et reprise dans l’arrêt Dunsmuir. Lorsque la question en cause ne concerne pas simplement l’administration de la preuve en général, mais plutôt la portée de règles aussi fondamentales que celles relatives aux immunités de divulgation et au secret du délibéré, une cour de justice appelée à contrôler la décision prise par un arbitre à cet égard doit pouvoir aller plus loin que d’uniquement déterminer si cette décision est raisonnable. Lorsque cela est nécessaire, elle doit aussi pouvoir substituer son opinion à celle de l’arbitre en cas de décision incorrecte, à moins d’indications claires à l’effet contraire. Or, suivant le raisonnement de mon collègue, le contrôle judiciaire dans le cadre d’une question relative à la portée du secret professionnel, par exemple, tomberait également sous le coup de la norme de la décision raisonnable. Vu l’importance de telles questions et l’absence d’expertise particulière de l’arbitre ou d’expertise propre à la mission spécialisée qui est la sienne sur ces questions, je suis d’avis que nonobstant la clause privative en l’espèce, le législateur ne peut avoir voulu un tel résultat.
[79] Plus important encore, j’estime que la norme de contrôle applicable ne saurait dépendre de la réponse ultimement donnée par une cour de justice à la question en cause, sans risquer de rendre le résultat de l’analyse encore plus imprévisible. C’est plutôt la nature de la question soulevée qui importe. En l’espèce, les appelantes soutiennent que, selon l’arrêt Clearwater, tout organe décisionnel collectif prenant une décision sous forme écrite bénéficie d’une forme d’immunité de divulgation. Elles prétendent également que le secret du délibéré, tel qu’il est reconnu dans l’arrêt Tremblay, s’étend à tous les organismes administratifs ayant des fonctions décisionnelles. Bien que les arrêts sur lesquels s’appuient les appelantes n’aient pas la portée qu’elles cherchent à leur donner — ce sur quoi je suis d’accord avec mon collègue —, il n’en demeure pas moins que les questions de droit soulevées par les prétentions des appelantes sont de nature générale et doivent recevoir une application uniforme et cohérente. Le juge Gascon semble d’ailleurs le reconnaître, à tout le moins en partie, lorsqu’il écrit qu’« étendre les conclusions de la Cour dans Clearwater à toute décision prise par un organe décisionnel collectif public ou privé, comme le proposent les appelantes, aurait des conséquences regrettables qui iraient bien au-delà du seul contexte de la présente affaire » (par. 55 (je souligne)). En l’espèce, c’est d’abord et avant tout un principe d’« inconnaissabilité des motifs » applicable à tout organe décisionnel collectif prenant une décision sous forme écrite que les appelantes souhaitent voir reconnaître.
[80] Cela dit, force est d’admettre que l’application des enseignements de la Cour, à tout le moins de ceux formulés dans l’arrêt Clearwater, n’apporte pas de réponse claire en l’espèce vu les conclusions auxquelles en sont venus le juge de la Cour supérieure et le juge dissident de la Cour d’appel quant au fond de l’affaire. Bref, bien que j’estime moi aussi que les appelantes tentent de donner une portée démesurée aux arrêts Clearwater et Tremblay, leurs arguments ne sont pas dénués de tout fondement. Tel que je l’ai mentionné précédemment, en définitive, c’est la nature de la question soulevée qui importe, et non la réponse qui y sera donnée.
[81] Ce sont ces éléments qui ont amené tous les juges de la Cour d’appel ainsi que le juge de la Cour supérieure à conclure que la norme de contrôle applicable est celle de la décision correcte. À cet égard, la juge Bich écrit que « les questions portées à l’attention de l’arbitre, telles qu’elles ont été formulées, dépassent le cadre du grief dont il [était] saisi, dépassent également le cadre de la convention collective sur laquelle repose le grief et mettent en cause des principes qui touchent de manière générale l’administration de la justice dans son ensemble, sans être entièrement tributaires des faits particuliers de l’espèce » (par. 44 (je souligne)). Il est difficile de dire mieux.
[82] D’ailleurs, en l’espèce, si la Cour décidait d’accueillir l’argument des appelantes sur l’inconnaissabilité des motifs et refusait que les commissaires soient interrogés, cette décision ne serait aucunement motivée par les circonstances propres à l’espèce, mais serait plutôt fondée sur un principe de droit général applicable à l’ensemble des domaines de droit et devant l’ensemble des tribunaux judiciaires et administratifs. Ainsi, même si l’interrogatoire des commissaires n’était pas autorisé parce qu’il serait jugé non pertinent, cette conclusion sur l’absence de pertinence ne résulterait pas de l’examen intrinsèquement lié aux faits de l’affaire auquel se livre traditionnellement un arbitre, mais reposerait plutôt sur un principe qui n’est pas spécifique au contexte arbitral, et dont les contours jusqu’alors n’étaient pas clairement définis par la jurisprudence.
[83] La présente affaire se distingue donc de l’arrêt Nor-Man Regional Health Authority Inc. c. Manitoba Association of Health Care Professionals, 2011 CSC 59, [2011] 3 R.C.S. 616, citée par mon collègue (aux par. 33 et 38). D’une part, la question en litige dans cette affaire concernait l’application factuelle d’un principe dont les paramètres étaient bien connus et clairement définis, à savoir la préclusion. Le juge Fish a d’ailleurs précisé que l’arbitre dispose des outils nécessaires pour adapter et façonner ce principe à sa guise (par. 45). On ne saurait en dire autant des immunités de divulgation et du secret du délibéré. En effet, ces principes, relatifs à l’administration de la justice dans son ensemble, doivent être appliqués de façon uniforme et cohérente. De plus, le principe en cause dans Nor-Man était étroitement lié au pouvoir discrétionnaire dont dispose l’arbitre d’ordonner la réparation qu’il estime juste et appropriée selon les circonstances de l’affaire dont il est saisi. Enfin, et surtout, l’application du principe de préclusion n’était pas, dans de telles circonstances, d’une importance capitale pour le système juridique.
[84] Certes, l’existence d’une clause privative dénote la volonté du législateur d’assujettir les décisions de l’arbitre à un contrôle minimal. Le respect de cette volonté est important en droit de l’emploi. L’existence d’une telle clause n’est cependant pas déterminante en soi (Dunsmuir, par. 52) et ne saurait empêcher l’intervention d’une cour de justice quant à toute question à l’égard de laquelle l’arbitre a compétence ou qui touche sa compétence générale comme décideur (par opposition à son expertise particulière). L’article 139 du Code du travail, RLRQ, c. C-27, ne peut empêcher une cour de justice d’intervenir quant à des « sujets d’ordre général, qui sont de nature à se soulever, dans les mêmes termes, devant tout arbitre et tout tribunal administratif, mais aussi devant toute cour de justice et qui ne peuvent pas être résolus de manière différente selon le forum » (la juge Bich, par. 39 (je souligne)).
[85] Bref, malgré la présence d’une clause privative et même si le pourvoi s’inscrit dans un contexte d’administration de la preuve dont l’arbitre est maître, les questions particulières soulevées en l’espèce sont des questions de droit générales qui, par leur nature, revêtent une importance centrale pour l’administration de la justice dans son ensemble et à l’égard desquelles l’arbitre ne dispose d’aucune expertise particulière ou unique à la mission spécialisée qui est la sienne. Comme le soulignaient les juges Bastarache et LeBel dans l’arrêt Dunsmuir, au nom des juges majoritaires : « Pareille question doit être tranchée de manière uniforme et cohérente étant donné ses répercussions sur l’administration de la justice dans son ensemble » (par. 60).
[86] Je précise enfin que, dans le cas présent, que ce soit la norme de la décision correcte qui s’applique ou celle de la décision raisonnable, le résultat est le même.
Pourvoi rejeté avec dépens.
Procureurs des appelantes : Langlois Kronström Desjardins, Montréal.
Procureur de l’intimé le Syndicat de l’enseignement de la région de Laval : Syndicat de l’enseignement de la région de Laval, Laval.
Procureurs de l’intimée la Fédération autonome de l’enseignement : Rivest, Schmidt, Montréal.
Procureurs de l’intervenante : Barabé Casavant, Montréal.