COUR SUPRÊME DU CANADA
Référence : Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c.
Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 R.C.S. 708
Date : 20111215
Dossier : 33659
Entre :
Newfoundland and Labrador Nurses’ Union
Appelant
et
Sa Majesté la Reine du chef de Terre-Neuve-et-Labrador, représentée par
le Conseil du Trésor et Newfoundland and Labrador Health Boards Association,
au nom de la Labrador-Grenfell Regional Health Authority
Intimées
Traduction française officielle
Coram : La juge en chef McLachlin et les juges LeBel, Deschamps, Fish, Abella, Rothstein et Cromwell
Motifs de jugement :
(par. 1 à 26)
La juge Abella (avec l’accord de la juge en chef McLachlin et des juges LeBel, Deschamps, Fish, Rothstein et Cromwell)
Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 R.C.S. 708
Newfoundland and Labrador Nurses’ Union Appelante
c.
Sa Majesté la Reine du chef de Terre‑Neuve‑et‑Labrador,
représentée par le Conseil du Trésor, et
Newfoundland and Labrador Health Boards Association,
au nom de Labrador‑Grenfell Regional Health Authority Intimées
Répertorié : Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor)
No du greffe : 33659.
2011 : 14 octobre; 2011 : 15 décembre.
Présents : La juge en chef McLachlin et les juges LeBel, Deschamps, Fish, Abella, Rothstein et Cromwell.
en appel de la cour d’appel de terre‑neuve‑et‑labrador
POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel de Terre‑Neuve‑et‑Labrador (les juges Cameron, Welsh et Mercer), 2010 NLCA 13, 294 Nfld. & P.E.I.R. 161, 908 A.P.R. 161, 190 L.A.C. (4th) 385, 2010 CLLC ¶220‑017, [2010] N.J. No. 63 (QL), 2010 CarswellNfld 49, qui a infirmé une décision du juge Orsborn, 2008 NLTD 200, 283 Nfld. & P.E.I.R. 170, 873 A.P.R. 170, [2008] N.J. No. 364 (QL), 2008 CarswellNfld 332. Pourvoi rejeté.
David G. Conway et Tracey L. Trahey, pour l’appelante.
Stephen F. Penney et Jeffrey Beedell, pour les intimées.
Version française du jugement de la Cour rendu par
[1] La juge Abella — Dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, qui a transformé le droit administratif, notre Cour a expliqué que l’objet des motifs, dans les cas où il faut en exposer, est d’établir « la justification de la décision [ainsi que] la transparence et [. . .] l’intelligibilité du processus décisionnel » (par. 47). Les questions en litige dans le présent pourvoi sont de savoir si les motifs de l’arbitre en l’espèce répondaient à ces critères et s’ils soulevaient la question de l’équité procédurale.
[2] Le conflit à l’origine de la décision de l’arbitre avait trait au calcul du nombre de congés annuels payés. L’arbitre a conclu qu’aux termes de la convention collective il ne fallait pas, dans le calcul du nombre de congés annuels payés auxquels les plaignantes avaient droit lorsqu’elles ont obtenu la permanence, tenir compte des heures durant lesquelles elles avaient travaillé à titre occasionnel.
[3] Dans la convention collective, « Employé » s’entend de tout employé rémunéré, y compris l’employé occasionnel. À l’alinéa 2.01b), l’employé occasionnel s’entend de l’employé qui travaille [traduction] « de façon occasionnelle ou intermittente ». Il « n’est pas tenu [. . .] de se présenter [au travail] lorsqu’il est appelé » et l’employeur, pour sa part, « n’est pas tenu » de l’appeler.
[4] Il convient de souligner qu’aux termes de cette disposition définitoire l’employé occasionnel bénéficie, de façon générale, des avantages de la convention collective, mais il n’a expressément pas droit à un certain nombre d’avantages, notamment les congés annuels payés dont l’employé permanent bénéficie selon le calcul prévu à l’art. 17. Il a plutôt droit, à ce titre, à une somme équivalant à 20 pour 100 de son salaire de base.
[5] La question que l’arbitre devait trancher était de savoir s’il pouvait être tenu compte, dans le calcul du nombre de congés annuels payés auxquels l’employé occasionnel ayant acquis la permanence avait droit, des heures durant lesquelles il avait travaillé à ce titre avant d’obtenir la permanence. Dans sa décision, qui comporte 12 pages, l’arbitre énonce les faits, les arguments des parties, les dispositions pertinentes de la convention collective ainsi qu’un certain nombre de principes d’interprétation applicables, et, en dernière analyse, il dit convenir avec l’employeur qu’il ne peut être tenu compte, dans le calcul de ses états de service ouvrant droit à des congés annuels payés, des heures durant lesquelles l’employé ayant acquis le statut d’employé permanent, temporaire, ou à temps partiel, avait travaillé à titre occasionnel avant d’obtenir ce statut.
[6] Selon l’arbitre, l’employé occasionnel au sens de l’al. 2.01b) travaille de façon occasionnelle ou intermittente et n’est pas tenu de se présenter au travail même s’il est appelé. Cet alinéa énumère aussi certains avantages auxquels il n’a pas droit. Au lieu d’obtenir ces avantages, il touche une somme équivalant à 20 pour 100 de son salaire de base. L’un des avantages auxquels il n’a expressément pas droit et à l’égard duquel il touche une telle somme est celui que prévoit l’art. 17, qui fixe les modalités servant au calcul du nombre de congés annuels payés dont les employés bénéficient.
[7] Il me semble que ces éléments donnent un fondement raisonnable à la conclusion de l’arbitre quand on considère les dispositions de la convention collective.
[8] En contrôle judiciaire, les parties ont reconnu que la norme de contrôle qu’il convenait d’appliquer était celle de la décision raisonnable. Selon le juge siégeant en cabinet, un contrôle de cette nature vise non seulement à établir si le résultat fait partie des issues possibles, comme l’exige l’arrêt Dunsmuir, mais il exige aussi que les motifs fournissent une analyse qui permet raisonnablement d’étayer la conclusion. Le juge siégeant en cabinet a conclu que les motifs de l’arbitre devaient être [traduction] « plus solides » et que sa conclusion « ne reposait sur aucun raisonnement pouvant être qualifié de raisonnable ». Bref, les motifs étaient insuffisants. Par conséquent, il a estimé que le résultat était déraisonnable et l’a annulé.
[9] Les juges majoritaires de la Cour d’appel ont infirmé la décision du juge siégeant en cabinet, concluant que même s’il aurait été préférable de donner [traduction] « une explication plus détaillée », les motifs étaient « suffisants pour répondre aux critères établis dans Dunsmuir », soit ceux de « la justification de la décision [ainsi que de] la transparence et [de] l’intelligibilité du processus décisionnel ». Pour reprendre leurs propos :
[traduction] . . . les motifs doivent être suffisants pour permettre aux parties de comprendre le fondement de la décision du tribunal et pour procéder au contrôle judiciaire de celle‑ci. Ils doivent être examinés dans leur ensemble et leur contexte, et doivent être à même de convaincre la cour de révision que le tribunal s’est penché sur les questions de fond en litige nécessaires pour trancher l’affaire.
[10] La juge dissidente s’est dite d’accord avec le juge siégeant en cabinet. Selon elle, les motifs de l’arbitre ne faisaient ressortir aucun raisonnement susceptible de mener à la conclusion à laquelle il était parvenu. Il n’y avait donc « pas de motifs » à contrôler.
Analyse
[11] Il convient de reprendre les passages clés de l’arrêt Dunsmuir qui établissent le cadre de cette analyse :
La norme déférente du caractère raisonnable procède du principe à l’origine des deux normes antérieures de raisonnabilité : certaines questions soumises aux tribunaux administratifs n’appellent pas une seule solution précise, mais peuvent plutôt donner lieu à un certain nombre de conclusions raisonnables. Il est loisible au tribunal administratif d’opter pour l’une ou l’autre des différentes solutions rationnelles acceptables. La cour de révision se demande dès lors si la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité. Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.
. . . Que faut‑il entendre par déférence dans ce contexte? C’est à la fois une attitude de la cour et une exigence du droit régissant le contrôle judiciaire. Il ne s’ensuit pas que les cours de justice doivent s’incliner devant les conclusions des décideurs ni qu’elles doivent respecter aveuglément leurs interprétations. Elles ne peuvent pas non plus invoquer la notion de raisonnabilité pour imposer dans les faits leurs propres vues. La déférence suppose plutôt le respect du processus décisionnel au regard des faits et du droit. Elle « repose en partie sur le respect des décisions du gouvernement de constituer des organismes administratifs assortis de pouvoirs délégués » [. . .] Nous convenons avec David Dyzenhaus que la notion de [traduction] « retenue au sens de respect » n’exige pas de la cour de révision [traduction] « la soumission, mais une attention respectueuse aux motifs donnés ou qui pourraient être donnés à l’appui d’une décision » . . . [Je souligne; références omises; par. 47‑48.]
[12] Il importe de souligner que la Cour a souscrit à l’observation du professeur Dyzenhaus selon laquelle la notion de retenue envers les décisions des tribunaux administratifs commande [traduction] « une attention respectueuse aux motifs donnés ou qui pourraient être donnés à l’appui d’une décision ». Dans son article cité par la Cour, le professeur Dyzenhaus explique en ces termes comment le caractère raisonnable se rapporte aux motifs :
[traduction] Le « caractère raisonnable » s’entend ici du fait que les motifs étayent, effectivement ou en principe, la conclusion. Autrement dit, même si les motifs qui ont en fait été donnés ne semblent pas tout à fait convenables pour étayer la décision, la cour de justice doit d’abord chercher à les compléter avant de tenter de les contrecarrer. Car s’il est vrai que parmi les motifs pour lesquels il y a lieu de faire preuve de retenue on compte le fait que c’est le tribunal, et non la cour de justice, qui a été désigné comme décideur de première ligne, la connaissance directe qu’a le tribunal du différend, son expertise, etc., il est aussi vrai qu’on doit présumer du bien‑fondé de sa décision même si ses motifs sont lacunaires à certains égards. [Je souligne.]
(David Dyzenhaus, « The Politics of Deference : Judicial Review and Democracy », dans Michael Taggart, dir., The Province of Administrative Law (1997), 279, p. 304)
Voir aussi David Mullan, « Dunsmuir v. New Brunswick, Standard of Review and Procedural Fairness for Public Servants : Let’s Try Again! » (2008), 21 C.J.A.L.P. 117, p. 136; David Phillip Jones, c.r., et Anne S. de Villars, c.r., Principles of Administrative Law (5e éd. 2009), p. 380; et Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339, par. 63.
[13] C’est dans cette optique, selon moi, qu’il faut interpréter ce que la Cour voulait dire dans Dunsmuir lorsqu’elle a parlé de « la justification de la décision [ainsi que de] la transparence et [de] l’intelligibilité du processus décisionnel ». À mon avis, ces propos témoignent d’une reconnaissance respectueuse du vaste éventail de décideurs spécialisés qui rendent couramment des décisions — qui paraissent souvent contre‑intuitives aux yeux d’un généraliste — dans leurs sphères d’expertise, et ce en ayant recours à des concepts et des termes souvent propres à leurs champs d’activité. C’est sur ce fondement que notre Cour a changé d’orientation dans Syndicat canadien de la Fonction publique, section locale 963 c. Société des alcools du Nouveau‑Brunswick, [1979] 2 R.C.S. 227, où le juge Dickson a insisté sur le fait qu’il y avait lieu de faire preuve de déférence en appréciant les décisions des tribunaux administratifs spécialisés. Cet arrêt a amené la Cour à faire preuve d’une déférence accrue envers les tribunaux, comme en témoigne la conclusion, tirée dans Dunsmuir, qu’il doit être « loisible au tribunal administratif d’opter pour l’une ou l’autre des différentes solutions rationnelles acceptables » (par. 47).
[14] Je ne suis pas d’avis que, considéré dans son ensemble, l’arrêt Dunsmuir signifie que l’« insuffisance » des motifs permet à elle seule de casser une décision, ou que les cours de révision doivent effectuer deux analyses distinctes, l’une portant sur les motifs et l’autre, sur le résultat (Donald J. M. Brown et John M. Evans, Judicial Review of Administrative Action in Canada (feuilles mobiles), §§12:5330 et 12:5510). Il s’agit d’un exercice plus global : les motifs doivent être examinés en corrélation avec le résultat et ils doivent permettre de savoir si ce dernier fait partie des issues possibles. Il me semble que c’est ce que la Cour voulait dire dans Dunsmuir en invitant les cours de révision à se demander si « la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité » (par. 47).
[15] La cour de justice qui se demande si la décision qu’elle est en train d’examiner est raisonnable du point de vue du résultat et des motifs doit faire preuve de « respect [à l’égard] du processus décisionnel [de l’organisme juridictionnel] au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, par. 48). Elle ne doit donc pas substituer ses propres motifs à ceux de la décision sous examen mais peut toutefois, si elle le juge nécessaire, examiner le dossier pour apprécier le caractère raisonnable du résultat.
[16] Il se peut que les motifs ne fassent pas référence à tous les arguments, dispositions législatives, précédents ou autres détails que le juge siégeant en révision aurait voulu y lire, mais cela ne met pas en doute leur validité ni celle du résultat au terme de l’analyse du caractère raisonnable de la décision. Le décideur n’est pas tenu de tirer une conclusion explicite sur chaque élément constitutif du raisonnement, si subordonné soit‑il, qui a mené à sa conclusion finale (Union internationale des employés des services, local no 333 c. Nipawin District Staff Nurses Assn., [1975] 1 R.C.S. 382, p. 391). En d’autres termes, les motifs répondent aux critères établis dans Dunsmuir s’ils permettent à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision du tribunal et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables.
[17] Le fait que la convention collective puisse se prêter à une interprétation autre que celle que lui a donnée l’arbitre ne mène pas forcément à la conclusion qu’il faut annuler sa décision, si celle‑ci fait partie des issues possibles raisonnables. Les juges siégeant en révision doivent accorder une « attention respectueuse » aux motifs des décideurs et se garder de substituer leurs propres opinions à celles de ces derniers quant au résultat approprié en qualifiant de fatales certaines omissions qu’ils ont relevées dans les motifs.
[18] Dans Société canadienne des postes c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2010 CAF 56, [2011] 2 R.C.F. 221, le juge Evans précise, dans des motifs confirmés par notre Cour (2011 CSC 57, [2011] 3 R.C.S. 572), que l’arrêt Dunsmuir cherche à « [éviter] qu’on [aborde] le contrôle judiciaire sous un angle trop formaliste » (par. 164). Il signale qu’« [o]n ne s’atten[d] pas à de la perfection » et indique que la cour de révision doit se demander si, « lorsqu’on les examine à la lumière des éléments de preuve dont il disposait et de la nature de la tâche que la loi lui confie, on constate que les motifs du Tribunal expliquent de façon adéquate le fondement de sa décision » (par. 163). J’estime que la description de l’exercice que donnent les intimées dans leur mémoire est particulièrement utile pour en décrire la nature :
[traduction] La déférence est le principe directeur qui régit le contrôle de la décision d’un tribunal administratif selon la norme de la décision raisonnable. Il ne faut pas examiner les motifs dans l’abstrait; il faut examiner le résultat dans le contexte de la preuve, des arguments des parties et du processus. Il n’est pas nécessaire que les motifs soient parfaits ou exhaustifs. [par. 44]
[19] Le syndicat a reconnu que l’interprétation qu’un arbitre donne à une convention collective est soumise à la norme de la décision raisonnable. Mais, d’après ce que je crois comprendre, il a soutenu devant nous que puisque les motifs de l’arbitre étaient assimilables à une « absence de motifs » et que, selon Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, l’obligation de fournir des motifs relève de l’équité procédurale, c’est la norme de la décision correcte qu’il convient d’appliquer.
[20] La question de l’équité procédurale n’a été soulevée ni devant le juge siégeant en révision, ni devant la Cour d’appel, et notre Cour peut la trancher aisément. L’arrêt Baker établit que, « dans certaines circonstances », l’obligation d’équité procédurale requiert « une forme quelconque de motifs écrits » à l’appui d’une décision (par. 43). Il n’y est pas affirmé que des motifs s’imposent dans tous les cas, ni que leur qualité relève de l’équité procédurale. En fait, après avoir jugé que des motifs s’imposaient dans la situation qui l’occupait, la Cour a conclu dans Baker que les simples notes d’un agent d’immigration suffisaient pour remplir l’obligation d’équité procédurale (par. 44).
[21] Il m’apparaît inutile d’expliciter l’arrêt Baker en indiquant que les lacunes ou les vices dont seraient entachés les motifs appartiennent à la catégorie des manquements à l’obligation d’équité procédurale et qu’ils sont soumis à la norme de la décision correcte. Je fais mienne la mise en garde du professeur Philip Bryden selon laquelle [traduction] « les cours de justice doivent se garder de confondre la conclusion que le raisonnement du tribunal n’est pas adéquatement exposé et le désaccord au sujet des conclusions tirées par le tribunal sur la base de la preuve dont il disposait » (« Standards of Review and Sufficiency of Reasons : Some Practical Considerations » (2006), 19 C.J.A.L.P. 191, p. 217; voir aussi Grant Huscroft, « The Duty of Fairness : From Nicholson to Baker and Beyond », dans Colleen M. Flood et Lorne Sossin, dir., Administrative Law in Context (2008), 115, p. 136).
[22] Le manquement à une obligation d’équité procédurale constitue certes une erreur de droit. Or, en l’absence de motifs dans des circonstances où ils s’imposent, il n’y a rien à contrôler. Cependant, dans les cas où, comme en l’espèce, il y en a, on ne saurait conclure à un tel manquement. Le raisonnement qui sous‑tend la décision/le résultat ne peut donc être remis en question que dans le cadre de l’analyse du caractère raisonnable de celle‑ci.
[23] L’arbitre en l’espèce avait pour tâche de se livrer à un simple exercice d’interprétation : la convention collective accordait‑elle aux employés occasionnels le droit d’accumuler des congés annuels payés? Pour les arbitres en relations de travail, il s’agit d’un cas classique d’interprétation d’une convention collective. Lorsqu’ils rendent des décisions, les arbitres s’adressent non pas aux cours de justice, mais aux parties, qui doivent se côtoyer pour la durée de la convention collective. Bien que cela ne soit pas toujours facilement réalisable, le but est de rendre des décisions le plus rapidement possible.
[24] Comme l’a fait remarquer George W. Adams :
[traduction] La célérité, l’économie et l’absence de formalisme caractérisent l’arbitrage des griefs. Il importe de régler rapidement les différends pour maintenir la paix industrielle et répondre aux besoins économiques permanents de l’entreprise. Un traitement trop coûteux des griefs favorise les conflits de travail en empêchant la poursuite de griefs fondés qui, pris individuellement, portent sur de faibles sommes d’argent mais qui, collectivement, donnent une idée de la satisfaction des employés à l’égard des règles négociées. Des règles beaucoup moins strictes en matière de procédure et de preuve que celles applicables aux instances judiciaires contribuent à l’absence relative de formalisme de l’arbitrage des griefs. Or, cette absence de formalisme favorise la participation directe de profanes, accroît la connaissance qu’ont les parties du système et minimise les points de désaccord éventuels, ce qui donne à tous les intéressés l’occasion de se concentrer sur le fond d’un différend et les problèmes qui en sont la cause. . .
. . . il peut être nécessaire de faire appel, par voie de contrôle judiciaire, à une autorité supérieure en vue de corriger des erreurs flagrantes, prévenir l’accroissement indu du pouvoir des arbitres et intégrer l’expertise restreinte de ceux‑ci aux valeurs générales du système juridique. L’existence même du contrôle judiciaire peut se révéler un obstacle salutaire à l’exercice irrégulier, par les arbitres, de leurs fonctions et de leur pouvoir discrétionnaire. [Je souligne.]
(Canadian Labour Law (2e éd. (feuilles mobiles)), vol. 1, §§4.1100 à 4.1110)
[25] L’arbitrage permet aux parties à la convention collective de régler leurs différends dans les plus brefs délais, tout en sachant que la solution de rechange consiste non pas à se pourvoir en contrôle judiciaire, mais à négocier dans deux ou trois ans une nouvelle convention collective contenant des modalités différentes. Ce processus serait paralysé si l’on exigeait des arbitres qu’ils répondent à tous les arguments ou modes possibles d’analyse.
[26] En l’espèce, il ressort des motifs que l’arbitre avait bien saisi la question en litige et qu’il est parvenu à un résultat faisant sans aucun doute partie des issues possibles raisonnables. Je suis d’avis de rejeter le pourvoi avec dépens.
Pourvoi rejeté avec dépens.
Procureur de l’appelante : David G. Conway, St. John’s.
Procureurs des intimées : Stewart McKelvey, St. John’s.