COUR SUPRÊME DU CANADA
Référence : Manuge c. Canada, 2010 CSC 67, [2010] 3 R.C.S. 672
Date : 20101223
Dossier : 33103
Entre :
Dennis Manuge
Appelant
et
Sa Majesté la Reine
Intimée
Traduction française officielle
Coram : Les juges Binnie, LeBel, Deschamps, Abella, Charron, Rothstein et Cromwell
Motifs de jugement :
(par. 1 à 24)
La juge Abella (avec l’accord des juges Binnie, LeBel, Deschamps, Charron, Rothstein et Cromwell)
Manuge c. Canada, 2010 CSC 67, [2010] 3 R.C.S. 672
Dennis Manuge Appelant
c.
Sa Majesté la Reine Intimée
Répertorié : Manuge c. Canada
No du greffe : 33103.
2010 : 20, 21 janvier; 2010 : 23 décembre.
Présents : Les juges Binnie, LeBel, Deschamps, Abella, Charron, Rothstein et Cromwell.
en appel de la cour d’appel fédérale
POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel fédérale (les juges Létourneau, Noël et Blais), 2009 CAF 29, [2009] 4 R.C.F. 478, 384 N.R. 313, 73 C.C.P.B. 1, [2009] A.C.F. no 73 (QL), 2009 CarswellNat 161, qui a annulé une décision du juge Barnes, 2008 CF 624, [2009] 1 R.C.F. 416, 329 F.T.R. 167, 71 C.C.P.B. 112, [2008] A.C.F. no 787 (QL), 2008 CarswellNat 2779. Pourvoi accueilli.
Peter J. Driscoll, Michael Sobkin, Ward K. Branch et Daniel F. Wallace, pour l’appelant.
Christopher M. Rupar, Alain Préfontaine et Bernard Letarte, pour l’intimée.
Version française du jugement de la Cour rendu par
[1] La juge Abella — Dennis Manuge a touché à la fois une pension d’invalidité et des prestations d’invalidité de longue durée pendant 24 mois après avoir été libéré contre son gré des Forces canadiennes pour des raisons médicales. Conformément aux polices applicables, le montant de la pension d’invalidité de M. Manuge était déduit chaque mois de ses prestations d’invalidité de longue durée. Il a intenté une action en Cour fédérale pour obtenir des réparations constitutionnelles, des dommages-intérêts, des jugements déclaratoires et la restitution des sommes d’argent ainsi déduites. Il ne se plaint pas des déductions comme telles, mais du fait qu’elles n’ont pas été imposées à toutes les personnes qui touchaient des prestations d’invalidité des Forces canadiennes.
[2] La question qui se pose en l’espèce est de savoir si M. Manuge doit solliciter le contrôle judiciaire de la disposition du régime de prestations d’invalidité autorisant les déductions avant d’intenter son action. Selon la décision rendue dans l’affaire Canada (Procureur général) c. TeleZone Inc., 2010 CSC 62, [2010] 3 R.C.S. 585, instruite en même temps que le présent appel, la Cour fédérale est manifestement compétente pour connaître de l’action. L’arrêt TeleZone reconnaît toutefois aussi l’existence d’un pouvoir discrétionnaire résiduel de suspendre une action qui constitue essentiellement une demande voilée de contrôle judiciaire. La Couronne soutient que c’est précisément le cas de l’action intentée en l’espèce. Étant donné l’essence de la demande, telle que je la perçois, j’estime, avec égards, que le pouvoir discrétionnaire de suspendre l’action ne devrait pas être exercé.
Le contexte
[3] Dennis Manuge a servi dans les Forces canadiennes de 1994 à 2003. En 2002, il a subi une blessure grave à un point tel qu’il n’était plus en mesure d’exercer ses fonctions habituelles. Conformément à la Loi sur les pensions, L.R.C. 1985, ch. P‑6, on a accordé à M. Manuge une pension mensuelle d’invalidité (« prestation d’ACC ») de 386,28 $, dont le montant a été établi en fonction de sa blessure, et non du revenu qu’il gagnait avant de devenir invalide. Il touchait cette pension en plus de son salaire mensuel des Forces canadiennes de 3 942 $. M. Manuge a essayé de continuer à travailler, mais il a été libéré contre son gré des Forces canadiennes pour des raisons médicales en décembre 2003. Dans les 24 mois suivant sa libération, M. Manuge a touché à la fois des prestations en application de la Loi sur les pensions et des prestations du Régime d’assurance-revenu militaire pour invalidité de longue durée (le « RARM IP »). Conformément à l’al. 24a)(iv) du RARM IP, les 24 prestations mensuelles qu’il a reçues en vertu de ce régime — qui devaient à l’origine correspondre à 75 p. 100 de son revenu mensuel antérieur à sa libération — ont été réduites du montant de la prestation qu’il recevait en même temps au titre de la Loi sur les pensions.
[4] Le RARM IP a été constitué en 1969, dans le cadre de la Police du RARM no 901102, en application du par. 39(1) de la Loi sur la défense nationale, L.R.C. 1985, ch. N‑5. Ce paragraphe confère au chef d’état-major de la défense le pouvoir discrétionnaire de disposer des « biens non publics reçus en don » au profit des membres des Forces canadiennes ou des personnes à leur charge.
[5] En 1976, la partie III(B) de la Police du RARM a été modifiée par l’ajout de l’al. 24a)(iv), qui réduit les prestations payables chaque mois dans le cadre du RARM IP d’un montant correspondant à toute prestation mensuelle reçue au titre de la Loi sur les pensions (comme la prestation d’ACC versée à M. Manuge) :
24. Autres sources de revenu
a. Le montant de la prestation mensuelle versée selon l’article 23 doit être réduit du total des montants suivants :
. . .
(iv) de la prestation de revenu mensuelle totale versée au membre en vertu de la Loi sur les pensions . . .
[6] La Loi portant modification de la législation concernant les avantages pour les anciens combattants, L.C. 2000, ch. 34, est entrée en vigueur en 2000. Cette loi permet aux membres des Forces canadiennes ayant été frappés d’une invalidité durant le service, mais qui peuvent néanmoins continuer à travailler, de toucher une prestation d’invalidité sous le régime de la Loi sur les pensions tout en recevant leur solde. Selon M. Manuge, puisque l’al. 24a)(iv) ne prévoit que la réduction des paiements versés au titre du RARM IP, les membres aptes à poursuivre leur service — qui ne touchaient donc pas de prestations au titre du RARM IP — n’ont pas vu leur source principale de revenu réduite du montant des prestations qu’ils recevaient en même temps sous le régime de la Loi sur les pensions.
[7] La Loi sur les mesures de réinsertion et d’indemnisation des militaires et vétérans des Forces canadiennes, L.C. 2005, ch. 21 (la « nouvelle Charte des anciens combattants »), entrée en vigueur le 1er avril 2006, a remplacé les prestations mensuelles au titre de la Loi sur les pensions par un paiement forfaitaire. Le paiement en question ne constitue pas une « prestation de revenu mensuelle » au sens de l’al. 24a)(iv) du RARM IP et n’entraîne donc pas de réduction des prestations versées en vertu du RARM IP. L’adoption de la nouvelle Charte des anciens combattants a pour effet de mettre les membres blessés le 1er avril 2006 ou après cette date, qui ont droit à la fois à des prestations du RARM IP et à un paiement forfaitaire, à l’abri d’une réduction de leurs prestations mensuelles du RARM IP. Ceux, comme M. Manuge, dont les prestations ont été réduites avant l’entrée en vigueur de la nouvelle Charte des anciens combattants, n’ont droit à aucune indemnisation relativement à ces réductions antérieures. De plus, les membres blessés avant le 1er avril 2006 n’ont pas droit à un paiement forfaitaire. Ils reçoivent encore, au titre de la Loi sur les pensions, des prestations mensuelles entraînant une réduction de leurs prestations du RARM IP en application de l’al. 24a)(iv).
[8] Le 15 mars 2007, M. Manuge a déposé à la Cour fédérale une déclaration dans laquelle il invoquait plusieurs moyens pour contester la réduction de ses prestations du RARM IP et demandait des réparations constitutionnelles, des dommages‑intérêts, la restitution de sommes d’argent et des jugements déclaratoires. Il a par la suite demandé à la Cour fédérale d’autoriser son action comme recours collectif en vertu de la règle 334.16 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106. Il dit représenter environ 4 000 autres anciens membres des Forces canadiennes pour lesquels l’al. 24a)(iv) a eu des conséquences semblables.
[9] Dans sa déclaration, M. Manuge soutient que
(i) l’alinéa 24a)(iv) est illégal, ultra vires et contraire à la Loi sur les pensions;
(ii) la Couronne a manqué aux obligations de droit public que lui impose la Loi sur les pensions envers M. Manuge et le groupe;
(iii) l’alinéa 24a)(iv) enfreint le par. 15(1) de la Charte canadienne des droits et libertés et n’est pas justifié au regard de l’article premier;
(iv) la Couronne a bénéficié d’un enrichissement injustifié;
(v) la Couronne agissait à titre fiducial et a manqué à ses obligations fiduciales envers M. Manuge et le groupe;
(vi) la Couronne a agi de mauvaise foi.
[10] M. Manuge sollicite des jugements déclaratoires et des dommages-intérêts fondés sur l’art. 24 de la Charte équivalant au montant [traduction] « déduit illégalement et injustement » en application de l’al. 24a)(iv) des prestations versées au groupe au titre du RARM IP. Subsidiairement, il réclame des dommages‑intérêts de ce montant ou, à défaut, une ordonnance de restitution. Enfin, M. Manuge réclame une [traduction] « déclaration de responsabilité et des dommages‑intérêts généraux » pour discrimination, manquement à des obligations fiduciales et mauvaise foi, ainsi que des dommages‑intérêts punitifs, exemplaires et majorés, les intérêts et les dépens de l’action.
[11] M. Manuge se fonde sur différents documents de l’administration publique pour appuyer sa prétention que le régime dans son ensemble est inéquitable et que le RARM IP a été modifié de mauvaise foi. Au nombre de ces documents figure un rapport spécial achevé par l’ombudsman du ministère de la Défense nationale et des Forces canadiennes en octobre 2003 qui a pour titre Déductions injustes des paiements du RARM effectués à d’ex‑membres des FC. L’ombudsman souligne comme suit dans ce rapport la différence de traitement entre les membres actifs des Forces canadiennes et ceux qui ont été libérés pour raisons médicales :
Les membres actifs des FC qui touchent une pension d’invalidité par l’entremise d’ACC aux termes de la Loi sur les pensions ne voient pas leur revenu réduit en raison de la pension qu’ils reçoivent en guise d’indemnisation pour leur invalidité. Que les membres des FC blessés ou malades libérés pour des raisons médicales voient leur prestation d’assurance invalidité, laquelle vise à remplacer leur revenu à titre de membres des FC, réduite en raison des mêmes prestations de retraite n’apparaît tout simplement pas juste. [p. 17]
Dans des lettres de suivi envoyées au ministre de la Défense nationale respectivement en 2005 et en 2007, l’ombudsman affirmait que la réduction des prestations du RARM IP d’un montant correspondant aux prestations reçues en vertu de la Loi sur les pensions était inéquitable envers les anciens membres des Forces canadiennes comme M. Manuge.
[12] La Couronne s’est opposée à l’autorisation de l’action de M. Manuge comme recours collectif. Se fondant sur Canada c. Grenier, 2005 CAF 348, [2006] 2 R.C.F. 287, la Couronne a fait valoir que la validité ou la légalité d’une décision administrative fédérale ne pouvait pas être attaquée par voie d’action, mais uniquement par voie de contrôle judiciaire. La Couronne affirme que le chef d’état‑major de la défense agissait à titre d’« office fédéral » au sens de l’art. 2 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F‑7, lorsqu’il a établi et modifié le RARM IP. Selon la Couronne, le sort de chacune des allégations faites dans la déclaration dépend de la validité de la décision d’inclure les prestations reçues en vertu de la Loi sur les pensions dans la liste des déductions aux prestations du RARM IP prévues à l’al. 24a)(iv).
[13] Lors de l’examen de la demande d’autorisation du recours collectif présentée par M. Manuge à la Cour fédérale, le juge Barnes a signalé que la décision d’ajouter l’al. 24a)(iv) au RARM IP avait été prise de nombreuses années auparavant par le chef d’état‑major de la défense, et que M. Manuge contestait en fait la légalité de la politique sous‑jacente à l’al. 24a)(iv) et la réduction correspondante de son revenu mensuel dans le cadre du régime (2008 CF 624, [2009] 1 R.C.F. 416). Le juge Barnes a admis que le recours de M. Manuge relève « à première vue » (par. 15) du par. 18(3) de la Loi sur les Cours fédérales et que « chaque fois que les prestations d’ACC de M. Manuge et des autres membres du groupe proposé sont déduites de leur revenu du RARM, lui et les autres membres du groupe disposent d’un nouveau recours et du droit correspondant de contester en justice la légalité de la politique donnant lieu à la diminution de leurs prestations » (par. 18). Il a cependant conclu que la présente affaire se distingue de l’affaire Grenier pour deux raisons : en l’espèce, la décision en litige n’est pas figée dans le temps et l’action ne peut être perçue comme une véritable contestation indirecte visant à éluder le court délai fixé pour le dépôt d’une demande de contrôle judiciaire (par. 15 et 18). Il est donc arrivé à la conclusion que les préoccupations relatives aux contestations indirectes, au caractère définitif des décisions administratives et à la déférence dont il faut faire preuve envers les décideurs administratifs, sur lesquelles repose Grenier, « n’interviennent pas naturellement » dans la présente affaire (par. 21).
[14] Il a ajouté que « la rigueur du ratio decidendi de l’arrêt Grenier peut être atténuée, dans les cas qui s’y prêtent, par le pouvoir de convertir en action une demande de contrôle judiciaire » en vertu du par. 18.4(2) de la Loi sur les Cours fédérales (par. 21). Appliquant le critère établi dans Hunt c. Carey Canada Inc., [1990] 2 R.C.S. 959, le juge Barnes a conclu que les actes de procédure révélaient une cause d’action valable et a autorisé l’action comme recours collectif.
[15] Appliquant Grenier, la Cour d’appel fédérale a accueilli l’appel de la Couronne. Elle a conclu que la légalité d’une décision ou d’une activité administrative telle celle prévue à l’al. 24a)(iv) du RARM IP ne peut être contestée que par voie de contrôle judiciaire (2009 CAF 29, [2009] 4 R.C.F. 478). La décision mensuelle de diminuer les prestations pouvait être déclarée nulle ou illégale dans une instance de contrôle judiciaire. La responsabilité découlant d’une décision illégale pouvait être examinée séparément, dans le cadre d’une action en dommages‑intérêts. La Cour d’appel a aussi décidé que le juge Barnes ne pouvait pas utiliser le par. 18.4(2) de la Loi sur les Cours fédérales pour jouer avec les notions de façon à transformer le recours en action.
[16] La Cour d’appel fédérale a donné 30 jours à M. Manuge pour signifier et déposer une demande de contrôle judiciaire et elle a suspendu l’action de M. Manuge jusqu’à ce qu’une décision définitive soit rendue sur cette demande. Elle a fait remarquer que M. Manuge pouvait demander, s’il le voulait, que sa demande de contrôle judiciaire soit autorisée comme recours collectif (voir les règles 334.1 et 334.12 des Règles des Cours fédérales). M. Manuge a présenté une demande de contrôle judiciaire le 4 mars 2009. Il a aussi interjeté appel devant notre Cour de l’arrêt de la Cour d’appel fédérale.
Analyse
[17] Suivant l’arrêt TeleZone, il ne fait aucun doute que la Cour fédérale a compétence pour instruire le recours de M. Manuge sous forme d’action en dommages‑intérêts : Loi sur les Cours fédérales, par. 17(1); Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif, L.R.C. 1985, ch. C‑50, art. 21; TeleZone, par. 19‑23 et 43‑46; Canada (Procureur général) c. McArthur, 2010 CSC 63, [2010] 3 R.C.S. 626, par. 17; Nu‑Pharm Inc. c. Canada (Procureur général), 2010 CSC 65, [2010] 3 R.C.S. 648, par. 16. Les actes de procédure de M. Manuge révèlent des causes d’action contre la Couronne, et la Cour fédérale a le pouvoir d’accorder les réparations demandées dans le cadre d’une action.
[18] TeleZone reconnaît toutefois l’existence du pouvoir discrétionnaire résiduel de suspendre une action qui repose sur des considérations de droit public à un point tel que, pour reprendre les propos du juge Binnie, « il s’agit essentiellement d’une demande de contrôle judiciaire qui n’a que superficiellement l’apparence d’un recours délictuel de droit privé » (par. 78). La Couronne soutient essentiellement qu’il y a lieu de suspendre l’action de M. Manuge pour cette raison.
[19] La décision du tribunal d’exercer ou non son pouvoir discrétionnaire de suspendre une action dans ce contexte dépend de l’essence du recours selon qu’il s’agit de la revendication de droits relevant du droit privé ou du droit public. Je suis d’accord avec la Couronne que certaines des prétentions de M. Manuge soulèvent des questions qui se prêtent au contrôle judiciaire. Cependant, il ne s’agit pas seulement d’établir si certains éléments plaidés par M. Manuge peuvent être examinés sous le régime des art. 18 et 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, mais de déterminer quelle est l’essence de ses demandes.
[20] Je suis d’avis, avec égards, que le pouvoir discrétionnaire de suspendre l’action ne doit pas être exercé en l’espèce. Lors de l’examen de la requête en autorisation du recours collectif, le juge Barnes a traité la question de savoir si les demandes révélaient des causes d’action valables (par. 39‑41). Il a conclu que les « allégations d’illégalité, d’invalidité et de violation du paragraphe 15(1) de la Charte satisfont facilement au seuil juridique d’une cause d’action valable » (par. 39). En outre, le juge Barnes n’était pas disposé à conclure qu’il était manifeste et évident que M. Manuge ne parviendrait pas à établir ses allégations « plutôt clairsemées » de manquement aux obligations fiduciales et d’enrichissement injustifié (par. 40‑41). La Couronne ne nous demande pas de modifier ces conclusions. Si l’on tient pour acquis que de telles causes d’action valables existent, leur présence réfute la prétention de la Couronne que les demandes de dommages‑intérêts de M. Manuge n’ont « que superficiellement l’apparence d’un recours délictuel de droit privé » (TeleZone, par. 78).
[21] Au fond, les prétentions de M. Manuge ne concernent pas tant l’appréciation de l’exercice d’un pouvoir délégué d’origine législative ou du processus décisionnel ayant mené à l’adoption ou à « l’application mensuelle » de l’al. 24a)(iv) qu’une prétendue violation du par. 15(1) de la Charte. M. Manuge fait valoir que le régime enfreint ce paragraphe en établissant une distinction, fondée sur la gravité et l’étendue de l’invalidité, entre les membres du groupe demandeur — qui seraient lésés parce qu’ils ne sont plus en mesure de servir et qu’ils subissent de ce fait la déduction prévue à l’al. 24a)(iv) — et ceux qui sont toujours aptes au service et ne sont pas assujettis à la déduction. Il allègue aussi que le régime viole le par. 15(1) en réservant aux militaires blessés avant le 1er avril 2006 un traitement moins avantageux qu’à ceux blessés le 1er avril 2006 ou après cette date. C’est essentiellement en raison de ces prétendues violations que M. Manuge sollicite des réparations constitutionnelles et des dommages‑intérêts. Comme l’indique TeleZone, « [s]i le demandeur a une cause d’action valide en dommages-intérêts, il est normalement admis à exercer son recours à ce titre » (par. 76).
[22] Je suis donc d’avis que le pouvoir discrétionnaire résiduel de suspendre le recours collectif intenté par M. Manuge en Cour fédérale ne devrait pas être exercé.
[23] Il faut souligner que les actes de procédure sont loin d’être des modèles de clarté juridique. Par conséquent, je tiens à préciser que les présents motifs ne sauraient être interprétés comme empêchant la Couronne de contester l’un ou l’autre de ces actes de procédure de la manière habituelle en demandant, notamment, des précisions ou d’autres éclaircissements.
[24] Je suis d’avis d’accueillir l’appel et de rétablir l’ordonnance du juge Barnes autorisant le recours collectif de M. Manuge.
Pourvoi accueilli.
Procureurs de l’appelant : McInnes Cooper, Halifax.
Procureur de l’intimée : Ministère de la Justice, Ottawa.