Caisse populaire Desjardins de Val-Brillant c. Blouin, [2003] 1 R.C.S. 666, 2003 CSC 31
Caisse populaire Desjardins de Val‑Brillant Appelante
c.
Métivier & Associés inc. Intimée
Répertorié : Caisse populaire Desjardins de Val-Brillant c. Blouin
Référence neutre : 2003 CSC 31.
No du greffe : 28483.
2002 : 6 novembre; 2003 : 5 juin.
Présents : Les juges Gonthier, Iacobucci, Bastarache, Binnie, Arbour, LeBel et Deschamps.
en appel de la cour d’appel du québec
POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel du Québec, [2001] R.J.Q. 321, 29 C.C.P.B. 1, [2001] J.Q. no 61 (QL), qui a infirmé une décision de la Cour supérieure, [1999] J.Q. no 907 (QL). Pourvoi accueilli, les juges Binnie, LeBel et Deschamps sont dissidents.
P. Michel Bouchard, Christian Trépanier et Daniel Dionne, pour l’appelante.
Jean‑Patrick Bédard, Cainnech Luissiaà ‑Berdou et Marc‑André Gravel, pour l’intimée.
Le jugement des juges Gonthier, Iacobucci, Bastarache et Arbour a été rendu par
1 Le juge Gonthier — J’ai eu le privilège de lire les motifs de ma collègue la juge Deschamps. Bien que je sois en accord avec sa conclusion concernant l’absence d’effet des dispositions de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, ch. 1 (5e suppl.) (« LIR »), sur la validité de l’hypothèque en cause, je ne puis concourir à son interprétation des dispositions du Code civil du Québec, L.Q. 1991, ch. 64 (« C.c.Q. »), portant sur l’hypothèque mobilière avec dépossession. Je suis d’avis que les termes « bien ou titre » utilisés aux art. 2702 et 2703 ont un sens suffisamment large pour inclure les créances non représentées par un titre négociable. La véritable question qui se pose en l’espèce concerne la possibilité pour un créancier d’obtenir, dans le cas d’une telle créance, une détention suffisante pour constituer et publier l’hypothèque. En règle générale, la détention par un créancier est suffisante, aux fins du gage, lorsqu’elle lui permet d’exercer la maîtrise effective du bien hypothéqué. Lorsqu’une créance n’est pas représentée par un titre négociable, la simple tradition matérielle du titre qui la constate ne suffira pas à conférer au créancier la maîtrise effective de la créance. Par contre, lorsque le débiteur hypothécaire consent à son créancier le droit de percevoir directement la créance en cas de défaut sans autorisation supplémentaire de sa part, et que ce consentement est rendu opposable au débiteur de la créance conformément à l’art. 2710, le créancier a alors la maîtrise effective de la créance et un gage valide et opposable aux tiers est formé. En l’espèce, en plus de remettre les certificats de dépôt à la Caisse populaire de Val-Brillant (« Caisse »), les débiteurs ont convenu que celle-ci était seule autorisée à percevoir la créance auprès de Fiducie Desjardins (la « Fiducie »), et qu’elle était irrévocablement autorisée à le faire en cas de défaut. Ce contrat a été porté à la connaissance des représentants de la Fiducie, qui y ont acquiescé. Les conditions des art. 2702 et 2703 étaient remplies et la Caisse détenait sur ces créances une hypothèque mobilière valide et opposable au syndic.
(1) Le droit applicable
2 L’hypothèque mobilière avec dépossession, communément appelée « gage » (voir art. 2665, al. 2 C.c.Q.), permet à un créancier et un débiteur de constituer une hypothèque sur un bien sans qu’il soit nécessaire d’inscrire cette hypothèque au registre pour la rendre opposable aux tiers. La remise du bien au créancier constitue l’hypothèque, alors que la détention du bien par le créancier suffit à la publier. Les articles 2702 et 2703 C.c.Q., qui décrivent ce mécanisme, se lisent comme suit :
2702. L’hypothèque mobilière avec dépossession est constituée par la remise du bien ou du titre au créancier ou, si le bien est déjà entre ses mains, par le maintien de la détention, du consentement du constituant, afin de garantir sa créance.
2703. L’hypothèque mobilière avec dépossession est publiée par la détention du bien ou du titre qu’exerce le créancier, et elle ne le demeure que si la détention est continue.
Ma collègue la juge Deschamps est d’avis que le mot « titre », tel qu’il apparaît dans ces deux articles, ne peut faire référence qu’à un titre négociable, de sorte que seules les créances représentées par un tel titre peuvent faire l’objet d’une hypothèque mobilière avec dépossession. Avec égard, je ne peux souscrire à cette interprétation de ces articles, que je considère indûment restrictive. Selon moi, l’interprétation des termes « bien » et « titre » utilisés côte à côte par le législateur doit être menée à la lumière du sens général de ces termes en droit civil et de la compatibilité de l’interprétation retenue avec les autres dispositions du Code, de même qu’avec les objectifs de politique juridique poursuivis par la réforme du droit des sûretés réelles.
3 Dans son acception générale, le mot « bien » inclut autant les biens corporels que les biens incorporels, qui comprennent eux-mêmes l’ensemble des droits personnels susceptibles de faire partie du patrimoine d’une personne, notamment les droits de créance. Ainsi, le Dictionnaire de droit privé indique-t-il que, dans ce sens général, le mot « bien » est synonyme de « droit patrimonial », défini à son tour comme :
Droit qui, étant susceptible d’évaluation pécuniaire, fait partie du patrimoine d’une personne. Par ex., la créance du vendeur, le droit de propriété.
(P.-A. Crépeau, dir., Dictionnaire de droit privé et Lexiques bilingues (2e éd. 1991), p. 209)
De même, le Dictionnaire de droit québécois et canadien définit un « bien » comme « [t]oute chose matérielle, tout droit qui fait partie du patrimoine d’une personne », ce qui comprend de toute évidence la catégorie des « bien[s] incorporel[s] », définis comme suit :
Bien qui n’a pas d’existence matérielle mais qui représente une valeur pécuniaire. Ex. Le nom commercial, un droit de créance.
(H. Reid, Dictionnaire de droit québécois et canadien avec table des abréviations et lexique anglais-français (2e éd. 2001), p. 63)
4 Cette acception générale du mot « bien » est celle la plus souvent retenue par le législateur dans le livre des priorités et des hypothèques : on peut penser, par exemple, à l’art. 2644 C.c.Q., qui prévoit que « [l]es biens du débiteur sont affectés à l’exécution de ses obligations et constituent le gage commun de ses créanciers », ou encore à l’art. 2660 C.c.Q., qui définit l’hypothèque comme « un droit réel sur un bien, meuble ou immeuble, affecté à l’exécution d’une obligation ». Comme il est incontestable, d’une part, que les créances faisant partie du patrimoine d’une personne font partie du gage commun de ses créanciers, et que, d’autre part, le Code prévoit que les créances peuvent faire l’objet d’hypothèques, ces deux articles montrent que l’utilisation du mot « bien » comprend généralement les créances. On pourrait multiplier les exemples de cette utilisation du mot « bien », mais il suffira de mentionner l’art. 2666 C.c.Q. qui, traitant directement de l’objet de l’hypothèque, prévoit que « [l]’hypothèque grève soit un ou plusieurs biens particuliers, corporels ou incorporels, soit un ensemble de biens compris dans une universalité » (je souligne).
5 Par conséquent, le mot « bien » utilisé aux art. 2702 et 2703 inclut de prime abord toutes les créances faisant partie du patrimoine du débiteur hypothécaire. Les articles 2702 et 2703 doivent donc, d’une part, être interprétés à la lumière de l’intention ainsi exprimée par le législateur d’inclure toutes les créances parmi les objets potentiels de l’hypothèque mobilière avec dépossession. D’autre part, le législateur a retenu, à ces mêmes articles, l’exigence de la remise et de la détention d’un « titre » pour constituer et publier le gage dans certaines circonstances. Selon le Dictionnaire de droit privé, op. cit., p. 17 et 562, le mot « titre », dans son sens juridique, est synonyme d’« acte instrumentaire », terme qui désigne un « [é]crit dressé pour constater un acte juridique ou un fait juridique ». L’utilisation de ce terme reflète le fait qu’un droit personnel de nature patrimoniale est généralement constaté par un titre et que, dans un tel cas, la formation d’un gage sur le droit en question nécessitera la remise et la détention de ce titre. Toutefois, l’utilisation du mot « titre » n’implique à première vue aucune distinction entre les titres négociables et non négociables; la définition de ce terme est suffisamment large pour comprendre les uns comme les autres. Peut-on, dans ces circonstances, conclure qu’en utilisant ce terme, le législateur ait voulu limiter le gage de créances à celles seules qui sont représentées par un titre négociable? Je crois que non, compte tenu non seulement de la volonté du législateur de permettre de prime abord le gage de tout type de créances, mais également du libellé des autres dispositions portant sur le gage.
6 Ainsi, cette conclusion s’accorde avec le libellé de l’art. 2710, qui traite de l’hypothèque mobilière portant sur des créances :
L’hypothèque mobilière qui grève une créance que détient le constituant contre un tiers, ou une universalité de créances, peut être constituée avec ou sans dépossession. [Je souligne.]
Cet article ne fait aucune distinction entre les créances représentées par un titre négociable et celles qui ne le sont pas, ce qui indique que toute « créance » est susceptible de faire l’objet d’une hypothèque mobilière « avec dépossession ».
7 L’interprétation proposée ci-haut ressort également du texte des art. 2708 et 2709, qui portent plus particulièrement sur l’hypothèque mobilière avec dépossession :
2708. L’hypothèque mobilière qui grève des biens représentés par un connaissement ou un autre titre négociable ou qui grève des créances, est opposable aux créanciers du constituant depuis le moment où le créancier a exécuté sa prestation, si le titre lui est remis dans les dix jours qui suivent.
2709. Si le titre est négociable par endossement et délivrance, ou par délivrance seulement, la remise au créancier a lieu par l’endossement et la délivrance, ou par la délivrance seulement.
Ainsi l’article 2708 fait-il séparément référence à l’hypothèque mobilière « qui grève des biens représentés par un connaissement ou un autre titre négociable » et à celle « qui grève des créances », ce qui implique l’existence d’hypothèques mobilières avec dépossession portant sur des créances non représentées par un titre négociable. De même, l’utilisation du mot « si » au début de l’art. 2709 indique que le mécanisme prévu par cet article n’est pas exclusif et que le législateur prévoyait qu’un gage pourrait être consenti sur une créance non représentée par les titres négociables qui y sont prévus.
8 Par ailleurs, la solution contraire, qui limiterait le terme « titre » aux titres négociables et le terme « bien » aux biens corporels, aurait pour effet d’interdire aux particuliers de créer certaines hypothèques prévues expressément par le Code, soit l’hypothèque sur la part dans une société en nom collectif (art. 2211) et l’hypothèque sur les droits résultant d’une police d’assurance-vie (art. 2461 et 2462). En effet, étant donné qu’une personne physique n’exploitant pas une entreprise ne peut consentir une hypothèque mobilière sans dépossession (art. 2683), elle ne pourrait se prévaloir de cette technique. Par ailleurs, les droits en question n’étant pas normalement représentés par des titres négociables, ils ne pourraient non plus faire l’objet d’un gage. Étant donné la nature de ces droits, qui sont le plus souvent détenus par des particuliers, il paraît invraisemblable que le législateur ait voulu limiter ainsi la possibilité de les hypothéquer : voir Perron-Malenfant c. Malenfant (Syndic de), [1999] 3 R.C.S. 375, par. 51. Il est à cet égard intéressant de noter que les Commentaires du ministre de la Justice (1993), t. II, p. 1546, concernant l’art. 2461, al. 2, indiquent que cet article s’applique à des situations autrefois couvertes par « [l]a notion de gage du droit antérieur », ce qui suggère que l’hypothèque envisagée par cet article est une hypothèque mobilière avec dépossession.
9 La conclusion selon laquelle l’utilisation des termes « bien » et « titre » aux art. 2702 et 2703 C.c.Q. ne fait pas de prime abord obstacle à la possibilité d’un gage portant sur une créance non représentée par un titre négociable ne saurait toutefois à elle seule résoudre la question de la validité du gage en l’espèce. En effet, ces articles exigent la remise du bien ou du titre au créancier afin de constituer l’hypothèque, et la détention de ce bien ou de ce titre par le créancier afin de la publier. Ces deux exigences représentent l’envers et l’endroit d’une même médaille, au sens où, pour que la remise soit effective, il faudra qu’elle confère au créancier la détention du bien ou du titre. La véritable question est donc de savoir si cette dernière exigence peut être remplie lorsque l’objet de l’hypothèque est une créance non représentée par un titre négociable, et à quelles conditions. En d’autres termes, une telle créance peut-elle faire l’objet d’une « détention » par le créancier de manière à constituer et à publier une hypothèque mobilière avec dépossession?
10 Pour répondre à cette question, il est d’abord nécessaire de préciser le sens du terme « détention » utilisé à l’art. 2703. La définition par la jurisprudence de la détention nécessaire à la publication d’un gage fait appel à la notion de « contrôle » ou de « maîtrise effective » du bien hypothéqué par le créancier. Par exemple, le Dictionnaire de droit privé, op. cit., p. 173, définit la détention comme la « [m]aîtrise effective d’une chose ». Dans l’arrêt Grobstein c. A. Hollander and Son Ltd., [1963] B.R. 440, le juge Bissonnette affirmait, à la p. 442, que :
[D]ès lors que le créancier détient, en gage, une chose nettement identifiée, qu’il garde sur elle un « contrôle », une autorité exclusive, et que sa détention n’est ni promiscue, ni équivoque et qu’il peut en disposer indépendamment des prétentions d’autrui et que, de plus, la loi lui impose l’obligation de garde et de conservation de cette chose, sa possession est efficace pour assurer son droit de gage. [Je souligne.]
Cette définition s’éclaircit davantage lorsque l’on prend en considération les objectifs du gage. En effet, contrairement à l’hypothèque mobilière sans dépossession, celui-ci est publié, c’est-à -dire rendu opposable aux tiers, par la détention exercée par le créancier. Cela suppose donc que celui-ci obtienne la maîtrise effective et exclusive du bien en question, de sorte que les tiers soient en mesure de constater l’existence du gage ou disposent d’un moyen de s’en enquérir.
11 Dans le cas d’un bien corporel, la remise physique du bien au créancier est suffisante à la fois pour constituer le gage au sens de l’art. 2702 et pour le publier au sens de l’art. 2703, car le créancier en obtient alors la détention matérielle, le contrôle. Le gage demeurera public aussi longtemps que la détention s’exercera en conformité avec les exigences du Code et de la jurisprudence. Par exemple, l’art. 2704 prévoit que la détention demeure continue dans les cas où son exercice est empêché par un tiers sans le consentement du créancier, ou lorsqu’il est interrompu temporairement par la remise du bien ou du titre au constituant ou à un tiers pour évaluation, réparation, transformation ou amélioration. Le législateur a ainsi voulu codifier la solution retenue dans l’arrêt Hollander, précité : voir les Commentaires du ministre de la Justice, op. cit., p. 1692, art. 2704.
12 Le gage d’une créance, qu’elle soit représentée ou non par un titre négociable, est pour sa part assujetti aux exigences générales imposées à l’hypothèque mobilière de créances par l’art. 2710, al. 2, qui prévoit que :
[L]e créancier ne peut faire valoir son hypothèque à l’encontre des débiteurs des créances hypothéquées tant qu’elle ne leur est pas rendue opposable de la même manière qu’une cession de créance.
Pour que l’hypothèque portant sur une créance soit opposable au débiteur de cette dernière, il faut donc que le créancier hypothécaire se conforme aux exigences des art. 1641 et suiv. C.c.Q., qui portent sur la cession de créance. Par conséquent, du moins en théorie, la formation d’un gage complet sur une créance, que celle-ci soit ou non représentée par un titre négociable, comporte trois étapes conceptuelles : la constitution du gage par la remise du bien ou du titre au créancier hypothécaire; sa publication par la détention par le créancier; finalement, l’opposabilité au débiteur de la créance, qui est réalisée de la même manière que pour une cession de créance : voir L. Payette, Les sûretés réelles dans le Code civil du Québec (2e éd. 2001), p. 359-360.
13 Dans le cas d’un titre négociable, l’art. 2709 prévoit expressément que la « remise » exigée par l’art. 2702 a lieu, selon la nature du titre hypothéqué, par endossement et délivrance ou par délivrance seulement. Dans chacun de ces cas, l’opération visée a incontestablement pour effet de conférer au créancier hypothécaire la détention de la créance représentée par le titre, car celui-ci, ayant en ses mains un titre négociable validement transféré, est libre de s’en prévaloir sans le consentement du débiteur hypothécaire qui le lui a remis. D’une part, comme l’indique l’art. 1647, une créance constatée dans un titre au porteur peut être cédée par la « simple tradition », d’un porteur à l’autre, du titre qui la constate. La délivrance matérielle du titre suffit donc alors à conférer au créancier la maîtrise effective de la créance. D’autre part, dans le cas d’un titre négociable par endossement et délivrance, par exemple un chèque, la « simple tradition » prévue à l’art. 1647 ne saurait suffire : il faut également, pour que le créancier puisse se prévaloir de la créance, que le titre soit endossé. C’est pourquoi le législateur a complété l’art. 1647 par l’art. 2709, qui exige alors l’endossement comme partie intégrante de la « remise » prévue à l’art. 2702 pour la constitution du gage. Le concept de « remise » n’est donc pas identique à celui de « simple tradition » de l’art. 1647 : alors que ce dernier désigne la tradition matérielle, la « remise » visée à l’art. 2702 désigne plutôt l’opération qui confère au créancier la détention de la créance hypothéquée, soit dans ce cas précis l’endossement et la délivrance du titre. Par conséquent, lorsqu’un titre négociable est donné en gage, le mécanisme prévu par l’art. 2709 a pour effet d’accomplir les trois étapes conceptuelles établies ci-haut : une fois le titre remis au créancier par endossement et délivrance ou par délivrance seulement, selon le cas, le gage est constitué, publié et opposable au débiteur de la créance. En d’autres termes, la détention du titre tient lieu de détention de la créance elle-même, car elle permet, à elle seule, au créancier hypothécaire d’en obtenir la maîtrise effective.
14 Qu’en est-il, toutefois, de la créance non représentée par un titre négociable? Dans un tel cas, la simple tradition matérielle du titre non négociable qui constate la créance, par exemple un contrat ou une facture, n’est pas suffisante pour conférer au créancier hypothécaire une véritable détention du titre au sens de l’art. 2703, car elle n’emporte pas la maîtrise effective de la créance représentée par ce titre. En effet, la tradition matérielle d’un titre non négociable n’a pas d’effet juridique entre les parties, en ce sens qu’elle ne permet pas au créancier hypothécaire d’exercer lui-même les droits prévus par le titre et de se prévaloir de la créance en cas de défaut. Elle ne saurait donc à elle seule constituer la « remise » exigée par l’art. 2702. C’est pourquoi le législateur a prévu, dans un tel cas, un mécanisme permettant au créancier hypothécaire d’obtenir la maîtrise effective de la créance hypothéquée en rendant son droit opposable au débiteur de la créance. Ce mécanisme est celui prévu par l’art. 2710 C.c.Q., qui exige que l’hypothèque sur une créance soit rendue opposable au débiteur de celle-ci de la même manière qu’une cession de créance. Dans le cas d’une créance non représentée par un titre négociable, les conditions de cette opposabilité sont exprimées à l’art. 1641, dont le premier alinéa se lit comme suit :
La cession est opposable au débiteur et aux tiers, dès que le débiteur y a acquiescé ou qu’il a reçu une copie ou un extrait pertinent de l’acte de cession ou, encore, une autre preuve de la cession qui soit opposable au cédant.
Cet article n’impose pas de formalités complexes : il suffit que le débiteur de la créance acquiesce à l’hypothèque, qu’il reçoive une copie ou un extrait pertinent de l’acte ou « une autre preuve de la cession qui soit opposable au cédant ». Dès que l’une de ces conditions est remplie, le gage de la créance est opposable au débiteur. Par conséquent, dans la mesure où l’hypothèque convenue confère au créancier hypothécaire, en cas de défaut, le droit de percevoir directement la créance hypothéquée sans autorisation supplémentaire de la part de son débiteur, le créancier aura obtenu la maîtrise effective de la créance et un gage valide et opposable aux tiers aura été formé.
15 Dans le cas de la créance non représentée par un titre négociable, la « remise » prévue à l’art. 2702 ne désigne donc pas la simple tradition matérielle, mais plutôt l’acte qui confère véritablement au créancier la maîtrise de la créance, soit l’acquiescement du débiteur au gage ou la preuve qui le lui rend opposable, conformément à l’art. 1641. Cette distinction rejoint celle mentionnée plus haut entre la « simple tradition » qui, en vertu de l’art. 1647, est suffisante à conférer la détention d’un titre au porteur, et la « remise » prévue par l’art. 2709, qui exige en plus l’endossement lorsque celui-ci est nécessaire pour permettre au créancier d’obtenir la détention d’un titre négociable par endossement et délivrance. La distinction entre la tradition matérielle d’un bien et sa véritable remise est également illustrée par l’art. 2702, qui prévoit que, lorsque le bien est déjà entre les mains du créancier, le gage peut être constitué par le simple changement du caractère de sa détention, ce qui ne requiert aucune tradition matérielle.
16 En conséquence, lorsque le gage porte sur une créance non représentée par un titre négociable, le mécanisme prévu par les art. 2710 et 1641 s’inscrit en parallèle avec celui prévu par l’art. 2709 pour les titres négociables. En effet, il permet d’accomplir les trois étapes conceptuelles du gage d’une créance : dès que le droit du créancier d’obtenir paiement en cas de défaut est rendu opposable au débiteur de la créance conformément à l’art. 1641, le créancier obtient la maîtrise effective de celle-ci et le gage est donc constitué et publié. Par ailleurs, étant donné que le maintien matériel d’un titre, même non négociable, entre les mains du débiteur serait susceptible d’induire les tiers en erreur en suggérant que celui-ci continue à disposer librement de la créance, il sera également nécessaire, lorsqu’un tel titre existe et que sa remise est possible, qu’il soit matériellement remis au créancier pour que la remise prévue à l’art. 2702 soit complète. Il me semble donc que le législateur a prévu dans les dispositions du nouveau Code toutes les conditions nécessaires à la création d’un gage portant sur une créance non représentée par un titre négociable, qu’elle soit constatée ou non par un titre non négociable.
17 Il convient de noter que, contrairement à ce qu’affirme ma collègue la juge Deschamps (aux par. 69, 73 et 104), l’art. 1641, al. 1 n’exige pas nécessairement un écrit. Cet article prévoit en effet trois mécanismes alternatifs permettant de rendre la cession opposable au débiteur de la créance et aux tiers : l’acquiescement du débiteur à la cession, sa réception d’une copie ou d’un extrait pertinent de l’acte de cession, ou sa réception d’une autre preuve de la cession qui soit opposable au cédant. Par conséquent, dans le contexte d’une hypothèque avec dépossession portant sur une créance, seul le second mécanisme exige l’existence d’un écrit constatant le gage. Dans tout autre cas, l’acquiescement ou la réception d’une preuve de la cession pourront suffire à rendre le gage opposable au débiteur et aux tiers et donc à conférer au créancier la maîtrise effective de la créance, sans qu’un écrit soit nécessaire.
18 En pratique, il pourra être souhaitable, afin de faciliter la preuve d’un tel gage et d’en établir les modalités, que celui-ci soit constaté par un écrit, qui pourra alors être communiqué au débiteur de la créance afin que le gage lui soit opposable. Je suis toutefois en désaccord avec ma collègue lorsqu’elle affirme que « les modalités d’opposabilité au débiteur de la créance cédée — qui présupposent un écrit — sont étrangères à la simplicité inhérente à la constitution du gage » (par. 69). D’abord, comme je l’ai expliqué ci-haut, l’art. 1641 ne présuppose pas nécessairement un écrit, les parties pouvant avoir recours à l’acquiescement du débiteur ou à n’importe quelle preuve de la cession qui soit opposable au cédant. Ensuite, la possibilité d’avoir recours à un écrit pour constater le gage, et parfois même l’obligation de le faire, sont déjà prévues par le Code dans certaines circonstances. Par exemple, l’entiercement, c’est-à -dire la détention du bien par un tiers pour le bénéfice du créancier gagiste, fait partie intégrante du concept traditionnel de gage; pourtant, l’art. 2705 C.c.Q. exige dans ce cas un écrit pour publier le gage :
2705. Le créancier peut, avec l’accord du constituant, exercer sa détention par l’intermédiaire d’un tiers, mais, en ce cas, la détention par le tiers n’équivaut à publicité qu’à compter du moment où celui‑ci reçoit une preuve écrite de l’hypothèque. [Je souligne.]
Par ailleurs, on admet que le gage puisse être, de manière facultative, constaté par un écrit qui en facilite la preuve, et que sa publication puisse même être complétée par une inscription au registre (art. 2707). De plus, le fait même d’admettre qu’une créance puisse être hypothéquée par la remise du titre négociable qui la représente fait de la remise d’un écrit une condition essentielle de ce type de gage. Par conséquent, il me paraît inexact de suggérer que l’écrit soit fondamentalement incompatible avec le concept de gage.
19 L’acquiescement du débiteur de la créance, lorsque les parties décident de se prévaloir de ce mécanisme, n’a rien d’« aléatoire » ou de « purement potestatif »; au contraire, il est difficile d’imaginer que, si le législateur a jugé cette condition suffisante pour rendre opposable aux tiers une cession de plein droit de la créance (art. 1641 C.c.Q.), elle devienne inadéquate ou choquante lorsqu’il s’agit de publier un droit moindre, soit un gage. L’entente entre les trois parties rend impossible la création, en faveur d’un tiers, d’un gage subséquent sur la même créance. Par ailleurs, elle permet au tiers intéressé d’apprendre l’existence du gage en s’adressant au débiteur de la créance.
20 La solution que je privilégie rejoint par ailleurs le droit applicable au gage de créances dans les pays de droit civil. Ainsi, le droit civil français admet-il depuis longtemps le gage de créances non représentées par un titre négociable : voir notamment H., L. et J. Mazeaud et F. Chabas, Leçons de droit civil, t. III, vol. 1, Sûretés : Publicité foncière (7e éd. 1999), par Y. Picod, no 65, p. 145; P. Malaurie et L. Aynès, Cours de droit civil, t. IX, Les sûretés : La publicité foncière (7e éd. 1995), par L. Aynès, nos 518-525, p. 197-202. Les modalités d’un tel gage ont évolué dans les dernières décennies. D’une part, l’art. 2076 du Code civil français (« C.c. »), jamais modifié, qui s’applique à tout gage et exige, à l’instar des art. 2702 et 2703 C.c.Q., la mise en possession du créancier, prévoit que :
Dans tous les cas, le privilège ne subsiste sur le gage qu’autant que ce gage a été mis et est resté en la possession du créancier, ou d’un tiers convenu entre les parties.
D’autre part, à la suite de sa dernière modification le 12 juillet 1980, l’art. 2075 C.c. se lit ainsi :
Lorsque le gage s’établit sur des meubles incorporels, tels que les créances mobilières, l’acte authentique ou sous seing privé, dûment enregistré, est signifié au débiteur de la créance donnée en gage, ou accepté par lui dans un acte authentique.
Cet article renvoie aux formalités de l’art. 1690 C.c. qui, à l’instar de l’art. 1641 C.c.Q., traite de la cession de créance.
21 Avant 1983, on considérait que la cohabitation de ces deux articles exigeait, dans le cas des créances non représentées par un titre au porteur, que le créancier obtienne la possession matérielle du titre non négociable (pour satisfaire à l’art. 2076 C.c.) et que le gage soit signifié au débiteur (pour satisfaire à l’art. 2075 C.c.). Bien que cette exigence demeure en vigueur lorsque la tradition matérielle du titre est possible, la Cour de cassation, dans un arrêt du 10 mai 1983, a établi que lorsque le gage porte sur une créance dont la tradition est matériellement impossible, la mise en possession est suffisamment réalisée par la signification du gage au débiteur de la créance. La tradition matérielle du titre non négociable n’est dans de tels cas pas nécessaire : arrêt Soc. suisse d’assur. Winterthur c. Soc. anon. Réaltrade, Cass. civ. 1re, 10 mai 1983, D.1984.433, note Légier. Il est donc généralement admis que le droit français, qui admet déjà le gage de créances non représentées par un titre négociable, s’oriente vers une solution qui retient la signification comme seule condition de constitution et d’opposabilité aux tiers : voir M. Cabrillac et C. Mouly, Droit des sûretés (5e éd. 1999), no 686, p. 546-547; voir aussi Malaurie et Aynès, op. cit., no 524, p. 201; P. Simler et P. Delebecque, Droit civil : Les sûretés — La publicité foncière (2e éd. 1995), no 537, p. 440-441. Une telle solution rejoindrait celle retenue par le droit allemand (voir art. 1280 du Code civil allemand) et le droit suisse (voir art. 900 du Code civil suisse), qui considèrent déjà que la signification au débiteur de la créance est suffisante pour publier le gage.
22 Au-delà de sa conformité avec l’institution civiliste du gage, la solution retenue ci-haut présente également l’avantage d’être compatible avec les développements les plus récents en droit nord-américain des sûretés réelles. En effet, les lois sur les sûretés mobilières adoptées dans les provinces canadiennes de common law permettent aux particuliers de créer des sûretés portant sur des créances non représentées par des titres négociables, considérées comme des biens immatériels (intangibles). Ces sûretés doivent être publiées par enregistrement afin d’être opposables aux tiers : voir par ex. la Loi sur les sûretés mobilières, L.R.O. 1990, ch. P.10, art. 23.
23 Certes, cette technique diffère du gage tel qu’envisagé par le Code civil du Québec, qui se rapproche davantage de l’opposabilité par possession (perfection by possession) prévue par l’art. 22 de la Loi sur les sûretés mobilières, technique qui n’est disponible que pour certains types de biens grevés (collateral) n’incluant pas les biens immatériels. Cependant, les deux dernières années ont vu l’émergence, aux États-Unis, d’un type de sûreté sur des créances qui se rapproche considérablement du gage de créances tel qu’il existe dans les pays de droit civil mentionnés plus haut. Ainsi, depuis juillet 2001, tous les États américains ont adopté une version révisée de l’art. 9 du Uniform Commercial Code (rév. 1999), qui régit les sûretés réelles, et dont la version antérieure avait servi de modèle à la fois aux lois canadiennes en la matière et au projet de l’Office de révision du Code civil (voir Rapport sur le Code civil du Québec (1978), vol. II, t. 1, Commentaires, p. 349). Cette nouvelle version introduit la notion de publication par contrôle de certaines sûretés portant sur des créances autrefois considérées comme des biens immatériels (general intangibles), notamment celles portant sur les sommes détenues dans des comptes bancaires. Ainsi, l’article 9-314 prévoit que la [traduction] « sûreté grevant [un] compte de dépôts [. . .] peut être opposée par le contrôle du bien donné en garantie au sens de l’article 9-104 . . . ». Cette dernière disposition prévoit à son tour, à son par. (a), que :
[traduction]
(a) La partie garantie a le contrôle d’un compte de dépôts dans les cas suivants :
(1) la partie garantie est la banque où se trouve le compte de dépôts;
(2) le débiteur, la partie garantie et la banque ont convenu dans un document authentiqué que la banque suivra, sans autre consentement du débiteur, les directives de la partie garantie concernant l’aliénation des fonds conservés dans le compte de dépôts;
(3) la partie garantie devient une cliente de la banque relativement au compte de dépôts. [Je souligne.]
Les trois situations énumérées au par. (a) rejoignent de toute évidence le concept de « contrôle » ou de « maîtrise effective », en décrivant des situations où le créancier exerce une telle détention. Il est intéressant de noter que le sous-par. (2) décrit une situation quasi identique à celle convenue entre les parties en l’espèce.
24 Par conséquent, l’adoption du critère élaboré ci-haut dans le cas du gage de créances non représentées par un titre négociable prévu par le Code civil du Québec reflète l’évolution générale du droit des sûretés portant sur de telles créances, en plus de permettre aux Québécois de bénéficier d’un type d’accès au crédit généralement disponible ailleurs dans le monde et de favoriser une certaine uniformité dans ce domaine essentiel à la poursuite de nombreuses activités commerciales, tout en respectant la lettre et l’esprit du Code civil du Québec et les origines civilistes du concept de gage. Cela rejoint l’orientation générale adoptée par le législateur, telle que décrite par le professeur R. A. Macdonald dans « Change of Terminology? Change of Law? An Overall Assessment of the Provisions of the Civil Code of Québec Relating to Prior Claims and Hypothecs » (1992), 23 R.G.D. 357, p. 358-359 :
[traduction] Les diverses propositions soumises au cours de la période de 15 années qui a précédé la réforme de cette partie du Code civil indiquent clairement que l’intention du gouvernement était de moderniser le droit des sûretés réelles en fonction du modèle général fonctionnaliste de l’article 9 du U.C.C., tout en conservant, comme principe directeur, l’approche actuelle du droit civil en la matière.
25 Cette modernisation coïncide directement avec un des objectifs de la réforme du droit des sûretés, soit de permettre et de favoriser l’accès par les particuliers et les entreprises du Québec au crédit garanti par des sûretés mobilières. Dans l’arrêt Perron-Malenfant, précité, une opinion unanime de cette Cour, j’exprimai cette politique comme suit (aux par. 50-51) :
À mon avis, les art. 2552 et 2554 témoignent d’un équilibre soigneusement établi entre les considérations pertinentes. La protection est accordée, mais soigneusement limitée, à certains bénéficiaires membres de la famille et aux bénéficiaires à titre irrévocable. Ces limites à la protection de la famille aux art. 2552 et 2554 reposent sur la volonté du législateur de maximiser l’utilité financière des polices d’assurance entre les mains de leurs propriétaires, ce qui illustre une autre politique générale poursuivie par le législateur lors de la révision du Code civil, à savoir la création d’un contexte juridique dans lequel les personnes seront mieux en mesure d’utiliser leurs biens meubles pour obtenir du crédit.
Cette politique ressort clairement du nouveau Code civil du Québec, L.Q. 1991, ch. 64, qui établit un régime général d’hypothèque mobilière (art. 2696 à 2714 C.c.Q.). [Je souligne.]
26 Cette solution est également conforme aux objectifs de protection du débiteur et d’uniformisation des diverses sûretés réelles disponibles sous le régime du Code civil du Bas Canada (« C.c.B.C. ») par l’introduction d’un régime général des hypothèques consensuelles. En effet, bien qu’il soit incontestable que le nouveau régime comporte des dispositions visant à limiter l’accès à certaines formes d’hypothèque, ces dispositions ne constituent pas la seule manifestation de l’objectif de protection poursuivi par le législateur et leur interprétation ne doit pas être confondue avec l’analyse de la portée des dispositions portant sur le gage. Ainsi, l’art. 2683 C.c.Q., s’il interdit à la personne physique n’exploitant pas une entreprise de consentir une hypothèque mobilière sans dépossession, ne saurait trouver application dans le cas d’une hypothèque mobilière avec dépossession constituée conformément aux conditions prévues au Code. Les deux régimes présentent des différences importantes, notamment en raison du fait que la maîtrise effective de la créance par le créancier hypothécaire, nécessaire au gage, empêche le débiteur hypothécaire de faire un autre usage de la créance, notamment en créant de nouvelles hypothèques sur celle-ci. Par ailleurs, l’hypothèque mobilière de créances sans dépossession, qui est publiée par inscription au registre, fournit au créancier une plus grande flexibilité que le gage en ce qu’elle lui permet de retarder l’opposabilité de l’hypothèque et ainsi d’éviter d’avoir à accomplir les formalités d’opposabilité jusqu’à ce que le besoin s’en fasse sentir, c’est-à -dire en cas de défaut. Cette flexibilité présente de toute évidence des avantages pratiques considérables dans le contexte d’exploitation d’une entreprise dans lequel le législateur a prévu l’utilisation de l’hypothèque mobilière sans dépossession (art. 2683).
27 Par ailleurs, l’intégration du gage de créances au régime général des hypothèques fournit au débiteur une protection considérablement plus étendue que sous le régime de l’ancien Code. Un des principaux reproches adressés à la cession de créance en garantie prévu par le C.c.B.C. était qu’elle permettait au créancier d’inclure une clause lui permettant, en cas de défaut, de s’approprier la créance sans que le débiteur ne soit protégé par les dispositions applicables à l’exercice des recours hypothécaires : voir art. 1971, al. 2 C.c.B.C. La situation est complètement différente dans le cas du gage portant sur une créance en vertu du nouveau Code. La clause de dation en paiement est interdite par l’art. 1801 C.c.Q. En cas de défaut, les dispositions du Code régissant les recours hypothécaires devront être respectées, de sorte que le débiteur bénéficiera de toutes les dispositions de protection pertinentes à l’hypothèque sur des créances : voir P. Ciotola, Droit des sûretés (3e éd. 1999), p. 239. On peut penser, par exemple, à l’art. 2747 C.c.Q., qui interdit au créancier de se réserver le droit de conserver les sommes perçues qui excèdent l’obligation garantie par hypothèque. Par conséquent, la solution que je retiens, loin d’élargir la portée du gage sur des créances de l’ancien Code, reconnaît plutôt son intégration au régime général des hypothèques de créances établi par le Code civil du Québec, qui comprend plusieurs mesures de protection auparavant inapplicables.
(2) Application aux faits
28 Ainsi, une hypothèque mobilière avec dépossession portant sur une créance non négociable est validement constituée et publiée lorsque (i) le débiteur a cédé au créancier la maîtrise effective de la créance en lui consentant le droit de la percevoir directement en cas de défaut, sans autorisation supplémentaire de sa part; (ii) lorsqu’un titre non négociable constate la créance et que sa remise est possible, ce titre a été remis au créancier; et (iii) l’hypothèque a été rendue opposable au débiteur de la créance en conformité avec l’art. 1641 C.c.Q.
29 En l’espèce, les certificats de dépôt émis par la Fiducie représentent les créances des débiteurs envers celle-ci. Ces certificats n’étant, en vertu de leurs dispositions mêmes, pas négociables, il est clair que leur simple tradition matérielle à la Caisse n’était pas suffisante pour constituer et publier le gage. Toutefois, il est également clair que les parties au gage ne se sont pas contentées de cette simple tradition matérielle. Au contraire, elles ont expressément convenu qu’en cas de défaut, la Caisse pourrait obtenir paiement de la Fiducie sans consentement supplémentaire de la part des débiteurs. La clause 7 du contrat d’hypothèque mobilière se lit comme suit :
Advenant un cas de défaut prévu au contrat de crédit, la caisse est autorisée, de façon irrévocable, à demander à Fiducie Desjardins inc. le paiement de la totalité ou d’une partie des sommes hypothéquées de façon à remédier à tel défaut, jusqu’à concurrence du montant de la présente hypothèque. [Je souligne.]
Par ailleurs, selon la clause 4 du même contrat, « [s]eule la caisse est autorisée à percevoir la créance auprès de Fiducie Desjardins inc. ».
30 Ce contrat a, dans chaque cas, été signé par les représentants de la Caisse et de la Fiducie. Cette dernière y acquiesçait ainsi au sens de l’art. 1641, al. 1 C.c.Q. Le tout était conforme aux dispositions des certificats émis par la Fiducie qui, bien que non négociables ou transférables, prévoyaient expressément qu’ils pouvaient être donnés en garantie, mais uniquement en faveur de la caisse émettrice. La Fiducie n’aurait pas permis aux débiteurs de retirer les sommes en question sans l’autorisation de la Caisse. Les débiteurs ne détenaient plus les certificats eux-mêmes — qui n’étaient de toute façon pas négociables — et ne pouvaient percevoir le capital et les intérêts accumulés avant échéance.
31 Dans de telles conditions, il est clair que les faillis avaient cédé à la Caisse la maîtrise effective de leurs créances envers la Fiducie, et que cette entente avait été rendue opposable à cette dernière. Cette détention des créances par la Caisse était suffisante, étant donné l’intention claire des parties, pour constituer et publier un gage sur celles-ci. Par conséquent, la Caisse disposait d’une hypothèque mobilière avec dépossession opposable au syndic.
32 J’accueillerais donc le pourvoi avec dépens dans toutes les cours.
Les motifs des juges Binnie, LeBel et Deschamps ont été rendus par
33 La juge Deschamps (dissidente) — Une question principale : Un titre non négociable peut-il faire l’objet d’un gage sous le Code civil du Québec, L.Q. 1991, ch. 64 (« C.c.Q. »)? et une question accessoire : Quel est l’effet civil d’une contravention à une disposition de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, ch. 1 (5e suppl.) (« LIR »)?
34 Au cours de l’année 1993, les époux Berthold Blouin et Chantal Bérubé (rentiers) adhèrent au régime d’épargne-retraite conventionnel des caisses populaires Desjardins. Ils signent une déclaration qui fixe les conditions du régime. Il y est prévu que le régime est conforme à la LIR et que les cotisations seront détenues par Fiducie Desjardins inc. (« Fiducie Desjardins ») pour le compte du rentier jusqu’à l’échéance du régime. Les cotisations doivent être déposées dans un compte d’épargne-retraite d’une caisse choisie par le rentier.
35 Chacun des rentiers cotise au régime et les sommes sont déposées à la Caisse populaire Desjardins de Val-Brillant (« Caisse »). La Caisse émet, en faveur de Fiducie Desjardins, quatre certificats de dépôt d’un montant total de 10 196,54 $, échéant tous au cours de l’année 1998. Les dépôts ne sont pas remboursables avant échéance et ne sont ni négociables ni transférables. Les certificats mentionnent que les dépôts ne peuvent être donnés en garantie qu’en faveur de la Caisse.
36 Au cours de l’année 1997, les rentiers communiquent avec la Caisse en vue de se faire rembourser leurs cotisations. Comme les dépôts ne sont pas échus, la Caisse leur propose de leur prêter la somme de 7 390 $. Elle exige cependant des garanties. Chacun des rentiers signe un document intitulé ≪ Hypothèque mobilière sur des sommes accumulées dans un régime d’épargne-retraite ≫. Le document comporte les clauses hypothécaires usuelles, y compris le droit de la Caisse, sur défaut des rentiers, de demander à Fiducie Desjardins de remédier au défaut jusqu’à concurrence du montant de l’hypothéqué. La Caisse détient les certificats de dépôt. Les hypothèques, selon l’appelante, ont été acceptées par Fiducie Desjardins.
37 Le 19 novembre 1997, les rentiers font cession de leurs biens. L’intimée, Métivier et Associés inc., agit comme syndic. Le 16 décembre 1997, la Caisse transmet une preuve de réclamation à titre de créancière garantie pour un montant de 10 196,54 $. Elle transmet aussi aux débiteurs des avis de déchéance du bénéfice du terme et demande au syndic de lui confirmer qu’elle est autorisée à exercer ses garanties. Le 23 février 1998, elle remplit les formulaires de retrait des REER. Fiducie Desjardins transmet à la Caisse le montant des dépôts jusqu’à concurrence du solde des prêts après avoir effectué les retenues fiscales. En 1998, Fiducie Desjardins émet d’abord les relevés fiscaux découlant de la mise en garantie des REER et, ultérieurement, ceux résultant de l’extinction des garanties.
38 Le 2 septembre 1998, le syndic informe la Caisse qu’il rejette sa réclamation garantie et qu’il la traite comme une créancière ordinaire. La Caisse fait appel de cette décision devant la Cour supérieure. La Cour supérieure se dit d’avis que les certificats de dépôt sont des titres négociables qui peuvent être hypothéqués avec dépossession par la détention que la Caisse en a. Elle considère que la mise en garantie des REER est sanctionnée par la LIR, mais n’est pas prohibée.
39 Le syndic se pourvoit. La Cour d’appel estime d’abord que le régime est de type dépositaire et non fiduciaire et est, comme tel, régi par le par. 146(2) LIR. Elle déclare ensuite que puisque l’enregistrement du régime n’a pas été annulé malgré la mise en garantie, les fonds étaient détenus non pas par la Caisse, mais plutôt par Fiducie Desjardins. La Cour d’appel estime que seul un titre négociable peut faire l’objet d’une hypothèque mobilière avec dépossession. Selon elle, cependant, les certificats de dépôt ne sont pas des titres négociables. À titre subsidiaire, elle déclare que, si l’hypothèque mobilière pouvait porter sur un titre non négociable, elle devrait faire l’objet d’une inscription au Registre des droits personnels et réels mobiliers pour être opposable aux tiers, ce qui n’a pas été fait. La Cour d’appel rétablit la décision du syndic.
40 Le 16 septembre 2002, notre Cour a accueilli une requête en production de preuve nouvelle relativement au premier moyen sur lequel la Cour d’appel a fondé sa conclusion. Ce moyen avait été soulevé d’office par la Cour d’appel et n’avait fait l’objet d’aucune preuve devant les instances inférieures. Il s’agit d’une lettre dans laquelle la Direction des régimes enregistrés de l’Agence des douanes et du revenu du Canada déclare que le régime d’épargne-retraite des caisses populaires Desjardins auquel les rentiers ont adhéré est approuvé comme régime de type fiduciaire et non comme régime dépositaire.
41 Devant notre Cour, l’appelante conteste les trois conclusions de la Cour d’appel. La LIR ne prohiberait pas la mise en garantie d’un REER, le C.c.Q. autoriserait le gage de titres non négociables et l’inscription au registre des droits réels et personnels ne serait pas nécessaire à la publicité du gage. Le moyen fondé sur la LIR peut être traité succinctement et en premier lieu.
I. L’impact de la LIR sur l’hypothèque
42 Il est acquis que le législateur peut conférer à un acte juridique des conséquences fiscales qui diffèrent de celles résultant des règles du droit civil. Le législateur fédéral n’est pas astreint aux règles particulières du droit privé de chaque province et, sous réserve de l’ordre public et de ses contraintes constitutionnelles, il peut imputer à un acte juridique les conséquences fiscales de son choix : J.-M. Brisson et A. Morel, « Droit fédéral et droit civil : complémentarité, dissociation » (1996), 75 R. du B. can. 297, p. 304 et 320-321; Whaling (Bankrupt), (Re) (1998), 117 O.A.C. 51; Cie Trust Royal c. Caisse populaire Laurier, [1989] R.J.Q. 550 (C.A.); Gallucci (Syndic de), J.E. 93-617 (C.S.).
43 Il est évident que le véhicule choisi par les caisses populaires ne saurait être qualifié de fiducie au sens du droit civil parce que les rentiers demeurent propriétaires (ou créanciers) des fonds investis (art. 1260 C.c.Q.). Le législateur fédéral peut cependant donner à un régime le nom de fiducie même si le régime ne peut pas être qualifié ainsi selon les règles du droit civil québécois.
44 L’article 248 LIR prévoit, pour la province de Québec, qu’un arrangement peut être réputé constituer une fiducie s’il répond à certaines conditions. En l’espèce, le fisc a qualifié le REER dans lequel les rentiers ont investi de régime fiduciaire, et la preuve ne révèle aucun élément qui permette de mettre en doute cette qualification.
45 Il demeure cependant pertinent de vérifier si les dispositions applicables aux régimes fiduciaires ont pour effet de prohiber la mise en garantie des sommes détenues dans un tel régime et quelles conséquences découlent de la mise en garantie de ces sommes.
46 Les dispositions pertinentes de la LIR sont les par. 104(1) et 146(1), (2), (7), (10), (12) et (13) (voir le texte en annexe). Il ressort de la lecture de ces dispositions que la mise en garantie des sommes détenues dans un REER fiduciaire n’est pas prohibée. Le paragraphe 146(10) énonce la conséquence d’une telle mise en garantie. Si la fiducie (au Québec, le fiduciaire) permet l’utilisation d’un bien à titre de garantie d’un prêt, la juste valeur marchande du bien doit être incluse dans le calcul du revenu du rentier.
47 En l’espèce, Fiducie Desjardins a émis les relevés fiscaux découlant de la mise en garantie des sommes détenues dans le REER, conformément à ce que prévoit la LIR dans le cas de cette mise en garantie. L’acte juridique de mise en garantie n’est pas frappé de nullité.
48 Les règles du droit fiscal ne permettent pas de décider de la validité de l’hypothèque qu’ont voulu consentir les rentiers. Cette détermination doit se fonder sur le droit civil.
II. La validité de l’hypothèque
49 Les rentiers ont voulu consentir à la Caisse une hypothèque mobilière avec dépossession sur les sommes accumulées dans leur régime d’épargne-retraite. Cependant, comme les biens du débiteur sont le gage commun des créanciers (art. 2644 C.c.Q.), il ne suffit pas qu’un débiteur ait l’intention de consentir cette forme de préférence. Il doit le faire en conformité avec les règles du C.c.Q. Ici, pour garantir le remboursement de l’emprunt, ils ont fourni une hypothèque mobilière avec dépossession. Ils ont voulu constituer le gage par la remise des certificats de dépôt. Ces certificats de dépôt constituent-ils des titres pouvant valablement faire l’objet d’une hypothèque mobilière avec dépossession?
50 Le mot « titre » à l’art. 2702 C.c.Q. est au cœur du litige. Cet article se lit ainsi :
2702. L’hypothèque mobilière avec dépossession est constituée par la remise du bien ou du titre au créancier ou, si le bien est déjà entre ses mains, par le maintien de la détention, du consentement du constituant, afin de garantir sa créance.
51 Deux interprétations s’affrontent et divisent les auteurs. L’une veut que le mot « titre » englobe les titres non négociables : L. Payette, Les sûretés réelles dans le Code civil du Québec (2001), p. 362. L’autre n’admet, comme objet de l’hypothèque mobilière avec dépossession, que les titres négociables : M. Deschamps, « La fiducie pour fins de garantie », dans Les sociétés, les fiducies et les entités hybrides en droit commercial contemporain (1997), 133, p. 139-144; D. Pratte, Priorités et hypothèques (1995), p. 112; M. B. Rhéaume, « Le gage des valeurs mobilières par un particulier » (1995), 98 R. du N. 90, p. 96.
52 Le mot « titre » a de nombreuses acceptions. Dans son sens juridique large, il englobe tout écrit constatant un acte juridique. Il inclut, par exemple, le document qui constate un bail, ou encore un dépôt. Il est évident que le législateur n’a pas voulu englober tout genre de titre. Pour interpréter ce mot, il est donc utile de cerner le concept de l’hypothèque mobilière avec dépossession. Il convient toutefois de qualifier, d’abord, l’acte juridique que les rentiers ont accompli en investissant dans leur REER et, ensuite, les certificats de dépôt.
A. La qualification du REER et des certificats de dépôt
53 Le statut juridique d’un REER a souvent été étudié par les tribunaux. Qu’il suffise de rappeler l’arrêt de notre Cour Poulin c. Serge Morency et Associés inc., [1999] 3 R.C.S. 351, ou celui de la Cour d’appel du Québec Cie Trust Royal, précité. Il ne s’agit pas d’un contrat nommé au C.c.Q. et il faut analyser les termes de chaque REER pour en déterminer la nature.
54 Dans le cas du REER conventionnel Desjardins, le rentier investit auprès de Fiducie Desjardins pour que celle-ci détienne les fonds en conformité avec les obligations que lui impose la LIR. Comme le rentier demeure créancier des sommes investies, cette opération est assimilée à un dépôt dans une institution financière, tel un dépôt dans un compte bancaire. La jurisprudence a souvent qualifié cette opération de prêt (Cie Trust Royal, précité). Fiducie Desjardins détient les fonds jusqu’à l’échéance du régime. Elle s’engage aussi à déposer les fonds dans une caisse choisie par le rentier, en l’espèce la Caisse. Suivant cet engagement, Fiducie Desjardins prête à son tour les fonds à la Caisse. Jusqu’à cette étape, les seules relations juridiques établies par le régime sont des relations de créancier à débiteur en vertu de conventions, successives mais coordonnées, de prêts d’argent. Il s’agit de droits de créance, donc de droits personnels.
55 La Caisse choisit d’émettre des certificats de dépôt. Ce véhicule financier n’est pas régi par une loi particulière, comme le sont notamment les lettres de change. Il s’agit donc d’un contrat qui doit être interprété à l’aide des stipulations qu’il contient.
56 Les certificats ici émis énoncent que Fiducie Desjardins est bénéficiaire pour le compte des rentiers. La Caisse reconnaît ainsi son endettement envers Fiducie Desjardins, mais elle reconnaît également que cette dernière agit pour le compte des rentiers. Les certificats comportent des clauses précisant qu’ils ne sont ni négociables ni transférables et que seule la mise en garantie auprès de la caisse émettrice est permise.
57 Les certificats de dépôt sont la représentation écrite de la créance de Fiducie Desjardins sur la Caisse et de la reconnaissance par la Caisse de la créance des rentiers sur Fiducie Desjardins dans le contexte du REER. Deux droits de créance sont énoncés dans le même document. En ce qui concerne les relations entre Fiducie Desjardins et les rentiers, la qualification la plus précise qu’il est possible d’accoler aux certificats est qu’ils sont des titres de nature particulière énonçant la créance que les rentiers peuvent faire valoir contre Fiducie Desjardins, créance elle-même assujettie implicitement aux dispositions de la LIR et aux conditions du contrat liant la Caisse à Fiducie Desjardins.
58 Pour déterminer si ces titres de créance de nature particulière peuvent faire l’objet d’une hypothèque mobilière avec dépossession au sens du C.c.Q., il y a lieu de cerner le concept de gage.
B. Le concept de gage
59 L’hypothèque mobilière avec dépossession, aussi appelée « gage » (art. 2665 C.c.Q.), est le contrat par lequel le débiteur remet à son créancier un bien à titre de sûreté. Le gage se distingue des autres hypothèques par le fait qu’il est constitué par la simple remise au créancier du bien grevé (art. 2702 C.c.Q.). Aucun écrit n’est nécessaire comme cela l’est pour l’hypothèque sans dépossession (art. 2696 C.c.Q.). Par ce simple mode de constitution, le créancier devient détenteur et bénéficie de tous les attributs de l’hypothèque sans autre formalité ni publicité (art. 2703 C.c.Q.). Les auteurs s’entendent pour reconnaître que c’est la maîtrise du bien par le créancier qui caractérise le gage (Payette, op. cit., et Deschamps, loc. cit.).
60 Le créancier obtient cette maîtrise par la simple remise du bien. Par cette seule opération, la sûreté est constituée et la détention en assure sa publicité. Les particuliers peuvent l’utiliser pour leurs biens personnels alors qu’ils ne peuvent, sauf exception, recourir à l’hypothèque sans dépossession (art. 2683 C.c.Q.). Son mode de constitution est élémentaire et accessible à tous. En dépit de sa sobriété, le concept recèle des limites. Seul un bien dont la simple remise permet au créancier d’en obtenir la maîtrise peut faire l’objet d’un gage. Le mot « titre » à l’art. 2702 C.c.Q. doit donc être circonscrit en fonction des limites du concept dans lequel il s’inscrit.
C. Le gage d’un titre
61 Pour pouvoir être objet de gage, le titre doit être de nature à satisfaire aux caractéristiques de cette sûreté. Aucun régime spécial n’est prévu pour le gage de titres. La simple remise du titre doit être suffisante pour constituer le gage (art. 2702 C.c.Q.), pour en assurer sa publicité par la détention (art. 2703 C.c.Q.), et pour permettre au créancier d’exercer ses droits (art. 2743 C.c.Q.). Le législateur n’a pas prévu que le gage avec dépossession doit être accompagné d’un écrit qui énonce et rend public les droits et obligations des parties. Il a cependant prescrit des règles particulières pour les hypothèques sur des créances. Pour être intégrée avec cohérence dans la notion de gage, l’hypothèque avec dépossession d’un titre de créance doit à la fois respecter les règles générales du gage et être compatible avec celles de l’hypothèque sur des créances.
D. Les caractéristiques du gage d’un titre de créance
62 Lors de l’adoption du C.c.Q. en 1991, le législateur a eu recours à une fiction juridique en incluant les titres parmi les biens susceptibles d’être donnés en gage. En effet, un titre n’est, en règle générale, que la constatation et la preuve préconstituée d’un acte juridique ou d’un bien. Il n’est pas le bien lui-même; il n’y a pas de confusion entre le bien et le support documentaire. Ainsi, un titre de créance constitue la représentation du droit d’une partie contre une autre partie. Ce n’est donc qu’en application de cette fiction juridique qu’il faut reconnaître que le créancier gagiste peut détenir une créance.
63 Comme le prévoient la Loi sur les lettres de change, L.R.C. 1985, ch. B-4, et le C.c.Q., la fiction juridique est cohérente avec les droits inhérents à la détention d’un titre négociable. La possibilité de donner en gage un tel titre n’est d’ailleurs pas remise en question. Les titres non négociables autres que les titres de créance ne font pas l’objet du présent débat. Je m’en tiendrai donc aux titres de créance non négociables tels que les certificats de dépôt détenus par l’appelante.
64 L’article 2702 C.c.Q. ne précise pas la nature des titres de créance susceptibles d’être détenus comme gage. Quelques éléments d’interprétation émergent cependant des dispositions qui régissent l’hypothèque portant sur des créances.
65 Dans la section des « Dispositions particulières à l’hypothèque mobilière sur des créances », le législateur traite d’une question qui n’est pas mentionnée expressément aux articles concernant le gage, soit celle de l’opposabilité au débiteur de la créance hypothéquée. L’article 2710 C.c.Q. prévoit que le titulaire de l’hypothèque ne peut faire valoir son droit contre le débiteur de la créance hypothéquée qu’après l’avoir rendue opposable de la même manière qu’une cession de créance :
2710. L’hypothèque mobilière qui grève une créance que détient le constituant contre un tiers, ou une universalité de créances, peut être constituée avec ou sans dépossession.
Cependant, dans l’un et l’autre cas, le créancier ne peut faire valoir son hypothèque à l’encontre des débiteurs des créances hypothéquées tant qu’elle ne leur est pas rendue opposable de la même manière qu’une cession de créance.
66 En ce qui concerne le gage des créances, l’imposition d’une formalité additionnelle semble à première vue surprenante. En effet, l’art. 2703 C.c.Q. prévoit déjà que le gage est publié par la simple détention du titre. Cet article se lit comme suit :
2703. L’hypothèque mobilière avec dépossession est publiée par la détention du bien ou du titre qu’exerce le créancier, et elle ne le demeure que si la détention est continue.
67 Il y a cependant lieu de pousser l’analyse, d’une part, parce que l’art. 2703 C.c.Q. traite de la publicité, donc des tiers en général et, d’autre part, parce que l’art. 2710 C.c.Q. ne précise pas à quelles dispositions de la section traitant des cessions de créance le créancier doit se reporter pour rendre opposable son hypothèque avec ou sans dépossession.
68 Selon l’art. 1641 C.c.Q., un créancier peut rendre la cession — ou l’hypothèque — opposable au débiteur de la créance de trois façons : par l’acquiescement, par la communication d’une copie, d’un extrait ou d’une autre preuve de la cession ou, si le débiteur ne peut être trouvé au Québec, par la publication d’un avis de la cession :
1641. La cession est opposable au débiteur et aux tiers, dès que le débiteur y a acquiescé ou qu’il a reçu une copie ou un extrait pertinent de l’acte de cession ou, encore, une autre preuve de la cession qui soit opposable au cédant.
Lorsque le débiteur ne peut être trouvé au Québec, la cession est opposable dès la publication d’un avis de la cession, dans un journal distribué dans la localité de la dernière adresse connue du débiteur ou, s’il exploite une entreprise, dans la localité où elle a son principal établissement.
J’écarte, pour les besoins du présent pourvoi, le mode d’exception prévu pour le débiteur introuvable au Québec.
69 L’article 1641 C.c.Q. comporte la condition implicite que la cession — ou l’hypothèque — soit consignée par écrit (M. Tancelin, Des obligations : actes et responsabilités (6e éd. 1997), p. 649-650). En effet, c’est l’acte de cession qui est porté à la connaissance du débiteur de la créance. Si cette formalité ne cause aucun problème pour l’hypothèque sans dépossession, elle ne peut être exigée pour une hypothèque avec dépossession sans dénaturer cette dernière : les modalités d’opposabilité au débiteur de la créance cédée — qui présupposent un écrit — sont étrangères à la simplicité inhérente à la constitution du gage. Elles doivent être écartées.
70 Le premier moyen d’opposabilité de l’art. 1641 C.c.Q. pourrait permettre de lier l’acquiescement à la cession plutôt qu’à l’acte de cession. Si ces mots étaient interprétés littéralement, l’acquiescement pourrait être envisagé comme une façon de rendre l’hypothèque opposable au débiteur de la créance.
71 Cette interprétation, à mon avis, ne peut être adoptée. Il n’est pas compatible avec le concept de gage qu’une hypothèque sur un titre de créance et constituée sans écrit requière l’acquiescement du débiteur de la créance pour lui être opposable. Plusieurs motifs commandent cette conclusion.
72 D’abord, l’assujettissement du patrimoine du débiteur au gage général des créanciers est la règle générale. Pour respecter l’ordre de distribution et l’équilibre entre les créanciers, l’étendue des droits du créancier gagiste doit être clairement définie et ce, dès que toutes les conditions nécessaires à sa création et à sa publicité sont remplies. Cet objectif ne serait pas atteint si les droits du créancier gagiste dépendaient du bon vouloir du débiteur de la créance. Le caractère purement potestatif de l’acquiescement du débiteur choque la philosophie inhérente au droit des sûretés. Ensuite, admettre une telle interprétation serait accepter que le législateur a permis la constitution d’un type d’hypothèque très limité dont le seul mode d’opposabilité dépendrait du caractère aléatoire de l’acquiescement du débiteur de la créance hypothéquée. L’article 1641 C.c.Q. fait voir que l’acquiescement est non pas un mode unique d’opposabilité, mais plutôt un mode alternatif.
73 Le gage, constitué par la simple remise du bien, ne saurait dépendre de la volonté du débiteur de la créance mise en gage pour être opposable à ce dernier. L’article 1641 C.c.Q., à mon avis, ne peut être intégré harmonieusement dans le concept de l’hypothèque avec dépossession. La règle d’opposabilité prévue à l’art. 1641 C.c.Q. est limitée à l’hypothèque sans dépossession et prend, pour cette sûreté, toute sa signification. Cette hypothèque est constituée par écrit (art. 2696), elle est publiée par inscription (art. 2663) et est rendue opposable au débiteur par l’acquiescement ou la délivrance d’une copie.
74 Par contre, l’art. 1647 C.c.Q., situé à la sous-section intitulée « De la cession d’une créance constatée dans un titre au porteur », permet de concilier toutes les caractéristiques du gage avec les dispositions sur les cessions de créances auxquelles nous renvoie l’art. 2710 C.c.Q. :
1647. Il est de l’essence de toute créance constatée dans un titre au porteur émis par un débiteur, qu’elle puisse être cédée par la simple tradition, d’un porteur à un autre, du titre qui la constate.
75 Selon cet article, dans le cas de la cession d’un titre au porteur, l’accomplissement d’une formalité autre que la remise n’est pas nécessaire pour rendre la cession opposable au débiteur de la créance. Le mécanisme de l’art. 1647 C.c.Q., établi par renvoi (art. 2710 C.c.Q.), est le même que celui prévu dans la section de l’hypothèque mobilière avec dépossession (art. 2702 C.c.Q. et suiv.). Dans les deux cas, la remise ou tradition est suffisante pour conférer au créancier la pleine maîtrise du bien.
76 Je m’abstiens délibérément d’analyser la différence de terminologie des art. 1647 et 2709 C.c.Q. J’utilise le terme générique « titre négociable » parce qu’il n’est pas nécessaire en l’espèce d’examiner les distinctions qui peuvent être faites entre l’effet au porteur au sens de la Loi sur les lettres de change, le titre émis au porteur au sens de l’art. 1647 C.c.Q., et le titre endossé, prévu à l’art. 2709 C.c.Q. Il suffit pour l’instant de constater que le même esprit domine les art. 1647 et 2709 C.c.Q. La remise d’un titre négociable confère au créancier la maîtrise du bien.
77 L’article 2710 C.c.Q. vise autant l’hypothèque sans dépossession que l’hypothèque avec dépossession. Pour le gage, cet article doit pouvoir s’appliquer sans qu’un écrit soit nécessaire. J’en conclus que seule la disposition portant sur la cession d’une créance constatée dans un titre négociable est compatible avec le régime applicable au gage.
78 Les règles régissant le mode d’exercice des droits du créancier gagiste apportent un éclairage additionnel tout aussi important. En effet, conformément à l’art. 2743 C.c.Q., le titulaire d’une hypothèque sur une créance peut percevoir le capital sans être assujetti aux règles régissant l’exercice des droits hypothécaires (art. 2748 et suiv. C.c.Q.). Dans le cas du gage, le droit de percevoir le capital, les intérêts et les revenus doit pouvoir être exercé par la seule détention du titre.
79 Lorsque le titre n’est pas négociable, la seule détention du titre par un tiers n’indique pas au débiteur de la créance hypothéquée le droit qui permettrait au tiers, ici le créancier gagiste, de lui réclamer paiement. De par la nature même du titre de créance non négociable, les droits qui y sont énoncés sont ceux que le constituant peut faire valoir contre le débiteur de la créance hypothéquée. La détention d’un titre non négociable ne permet pas au créancier gagiste d’exercer ses droits. L’impossibilité pour le créancier gagiste, en pareilles circonstances, de faire valoir ses droits démontre clairement que le titre doit nécessairement incorporer la créance.
80 Bref, je retiens que la constitution du gage d’une créance est limitée à la remise d’un titre négociable. Seul un effet de cette nature permet la constitution, la publicité, l’opposabilité et l’exercice des droits inhérents à la sûreté par la simple remise du titre. Cette analyse ne dépend pas du choix entre une interprétation large ou une interprétation restrictive. Elle est fondée sur le concept même de gage et sur une analyse globale des textes adoptés par le législateur lors de la réforme du Code civil.
81 L’appelante a beaucoup insisté sur l’intention du législateur de libéraliser ou d’unifier les sûretés. À ce propos, une revue du régime antérieur et des critiques à l’origine de la réforme est utile pour mettre en lumière cette intention.
E. Le régime antérieur
82 Les sûretés, sous le régime du Code civil du Bas Canada (« C.c.B.C. »), étaient désignées de multiples façons. La mise d’une chose entre les mains d’un créancier était appelée nantissement (art. 1966 C.c.B.C.), mais le nantissement d’une chose mobilière prenait le nom de gage (art. 1968 C.c.B.C.). Le C.c.B.C. prévoyait aussi que les créances pouvaient être nanties (art. 1974 C.c.B.C.), mais le nantissement n’était pas le seul moyen de constituer une garantie sur une créance. Une autre sûreté permettait au créancier de réaliser plus facilement ses droits. Ainsi, le C.c.B.C. était interprété comme reconnaissant qu’une créance pouvait faire l’objet d’une cession en garantie.
83 Lors de la réforme, le législateur n’a pas voulu retenir la cession de créance en garantie comme sûreté (L. Payette, « Des priorités et des hypothèques », dans La réforme du Code civil (1993), vol. 3, 9, p. 54, et Loi sur l’application de la réforme du Code civil, L.Q. 1992, ch. 57, art. 134). Il l’a plutôt remplacée par l’hypothèque sur des créances en y incorporant certaines dispositions applicables aux cessions de créance, dont le mécanisme d’opposabilité de l’art. 1571 C.c.B.C. Le mécanisme de mise en possession à l’égard du créancier et des tiers demeure propre au gage.
84 Selon le C.c.B.C., pour que le cessionnaire ait une possession utile, il devait y avoir signification de l’acte et remise d’une copie au débiteur. La mise en possession pouvait aussi être faite par l’acceptation par le débiteur :
1571. L’acheteur n’a pas de possession utile à l’encontre des tiers, tant que l’acte de vente n’a pas été signifié et qu’il n’en a pas été délivré copie au débiteur; il peut cependant être mis en possession par l’acceptation du transport que fait le débiteur : sauf les dispositions contenues en l’article 2127.
85 Il s’agissait, en quelque sorte, d’une mise en possession présumée (constructive possession), mécanisme qui n’est pas retenu au C.c.Q. La seule composante incorporée à l’art. 1641 C.c.Q. est celle de l’opposabilité.
86 Selon le C.c.B.C., seuls les transports écrits étaient reconnus (art. 1570 C.c.B.C.). Le cas d’une cession en garantie sans écrit était donc exclu. L’article 1571 C.c.B.C. n’était pas conçu pour couvrir le cas où la sûreté était constituée par la simple remise d’un titre. L’article 1641 C.c.Q., successeur de l’art. 1571 C.c.B.C. n’est pas non plus conçu pour une sûreté pour laquelle aucun écrit n’est exigé.
87 En somme, sous le régime du C.c.B.C., la simple remise des certificats de dépôt n’aurait pas été suffisante pour rendre le gage opposable au débiteur ou aux tiers. Le recours à la cession de créance en garantie aurait été permis, mais ce mode de sûreté est maintenant intégré à l’hypothèque. Seules les règles régissant cette dernière prévalent.
88 L’appelante plaide cependant que l’esprit de la réforme du droit des sûretés commande une interprétation large des catégories de titres pouvant être mis en gage. Elle estime que, lors de la réforme, le législateur a voulu favoriser l’accès des particuliers au crédit. L’intention du législateur peut être retracée à travers les commentaires précédant la réforme de même que par la revue de ceux qui ont été émis de façon contemporaine à l’adoption du C.c.Q.
F. L’intention du législateur lors de la réforme
89 Il faut noter que la réforme du droit des sûretés a d’abord été dictée par le besoin de moderniser des mécanismes apparemment inadéquats en matière commerciale. Déjà en 1956, G. E. Le Dain, alors qu’il était professeur à l’Université McGill, faisait les commentaires suivants : « Security Upon Moveable Property in the Province of Quebec » (1956), 2 McGill L.J. 77, p. 112 :
[traduction] Quant à [la question de savoir si la loi provinciale devrait prescrire un mécanisme de sûreté ayant le même objectif qu’une hypothèque mobilière, comme c’est le cas dans les autres provinces], rien ne semble justifier de modifier la loi de manière à permettre aux prêteurs qui consentent des prêts personnels d’obtenir une sûreté réelle mobilière sans transfert de possession . . .
Il en va tout autrement de l’entreprise qui se voit accorder un prêt commercial. Dans ce cas, la loi pourrait être plus utile. [. . .] Rien ne semblerait justifier non plus d’empêcher les prêteurs autres que les banques d’obtenir une sûreté, sans transfert de possession, grevant les stocks des fabricants . . .
90 De même, selon le professeur Cuming, c’est en grande partie le besoin urgent d’outils facilitant l’accès des entreprises commerciales au crédit sans dépossession qui justifiait la réforme québécoise : R. C. C. Cuming, « Article 9 North of 49° : The Canadian PPS Acts and the Quebec Civil Code » (1996), 29 Loy. L.A. L. Rev. 971, p. 973 :
[traduction] Bien qu’elle n’eût pas des conséquences fondamentalement différentes de celles constatées ailleurs au Canada, la situation qui existait au Québec nécessitait davantage une réforme conceptuelle en raison [du] besoin urgent de disposer de mécanismes de sûreté facilitant le financement non possessoire des éléments d’actif d’une entreprise.
91 Avant la réforme, le droit québécois des sûretés mobilières trouvait sa source non seulement dans les privilèges, le nantissement et dans divers mécanismes de rétention du droit de propriété prévus au C.c.B.C., mais aussi dans des lois particulières. Le droit québécois reconnaissait ainsi l’hypothèque et la cession-transport prévues dans la Loi sur les pouvoirs spéciaux des corporations, L.R.Q. 1977, ch. P-16, art. 27 à 32, la cession de biens en stock prévue à la Loi sur les cessions de biens en stock, L.Q. 1982, ch. 55, et des privilèges créés par plusieurs autres lois.
92 La réforme du Code civil a été amorcée par l’adoption de la Loi concernant la revision du Code civil, S.Q. 1955, ch. 47, il y a près de 50 ans. Très tôt, les juristes québécois spécialisés en matière commerciale ont vu dans les modèles américain et canadien une source d’inspiration pour le Québec : Y. Caron, « L’article 9 du code uniforme de commerce peut-il être exporté? Point de vue d’un juriste québécois », dans J. S. Ziegel et W. F. Foster, dir., Aspects of Comparative Commercial Law : Sales, Consumer Credit, and Secured Transactions (1969), p. 374. Le modèle américain est fondé sur le concept d’une sûreté unique, le security interest applicable à toute transaction créant un droit sur un bien pour garantir l’exécution d’une obligation. Sa portée est très vaste. Ses règles sont énoncées à l’art. 9 du Uniform Commercial Code (rév. 1999) (« UCC »), adopté dans la plupart des États américains; le premier texte officiel remonte à 1951 : J. J. White et R. S. Summers, Handbook of the Law under the Uniform Commercial Code (2e éd. 1980), p. 1-6; W. A. Schnader, « A Short History of the Preparation and Enactment of the Uniform Commercial Code » (1967), 22 U. Miami L. Rev. 1, p. 8. Au Canada, toutes les provinces de common law disposent maintenant d’une loi sur les sûretés mobilières fondée sur le même concept. Compte tenu du contexte nord américain et de l’assortiment un peu hétéroclite décrit plus haut, un régime fondé sur une sûreté unique pouvait être attrayant pour les juristes québécois.
93 Au Québec, lors du dépôt du premier projet de réforme, en 1977, les rédacteurs ont choisi de maintenir le principe fondamental de l’égalité des créanciers, mais, à l’instar des voisins canadiens et américains, ils étaient animés par un souci d’harmonie et d’uniformité. Ils ont regroupé la plupart des sûretés sous le vocable « hypothèque ». Aucune restriction ne visait les particuliers en ce qui a trait à l’hypothèque mobilière (Office de révision du Code civil, Rapport sur le Code civil du Québec (1978), vol. I, Projet de Code civil, art. 290 et suiv.). Le texte de ce premier projet de réforme n’a pas manqué de susciter des commentaires et des mises en garde : R. A. Macdonald, « Modernization of Personal Property Security Law : A Quebec Perspective » (1985), 10 Rev. can. dr. comm. 182.
94 Plus de dix ans s’écoulent avant qu’un projet de loi soit présenté à l’Assemblée nationale. Le principe de l’égalité des créanciers est alors maintenu. Bien que l’hypothèque englobe maintenant la plupart des sûretés, une petite place est faite à quelques priorités (art. 2650 à 2659 C.c.Q.). Dans sa première version, le projet (P.L. 125, Journal des débats, 1re sess., 34e lég., 18 décembre 1990, no 97, p. 6568-6569) maintient le droit des particuliers d’hypothéquer leurs biens mobiliers avec ou sans dépossession. Lors de l’étude du projet par la sous-commission des institutions, des pressions sont cependant faites par des groupes de consommateurs. L’hypothèque sans dépossession est alors limitée, sauf exception, aux biens commerciaux. Les commentaires faits à cette occasion illustrent bien la préoccupation des opposants à la libéralisation de l’hypothèque pour les consommateurs (P.L. 125, Journal des débats, 1re sess., 34e lég., 12 décembre 1991, no 35, p. SCI-1412) :
M. le Président, c’est bien évident que je suis pour le sous-amendement parce que nous n’avons jamais caché que nous étions contre le fait d’une hypothèque mobilière pour personne physique et que nous étions parfaitement en accord avec une hypothèque mobilière pour les entreprises. J’aimerais rappeler à la commission que cette opposition à une hypothèque mobilière pour personne physique provient surtout du fait que, selon nous, le Code civil doit refléter les besoins, les problèmes vécus dans la société et que nous sommes loin d’être convaincus qu’il y a un problème en matière de crédit. Nous pensons le contraire, que dans la société québécoise, présentement, les personnes sont surendettées et n’ont donc aucun problème à aller chercher du crédit, ce que l’hypothèque mobilière pour personne physique viendrait leur accorder. Donc, il n’y a pas eu, quant à nous, de la part de groupes représentatifs, de demande pour une hypothèque mobilière. Ce n’est pas un besoin criant de notre société actuellement . . . [Je souligne.]
Ces commentaires suivaient une mise au point faite par le ministre de la Justice de l’époque, monsieur Gil Rémillard, à la suite d’une demande de la représentante de l’opposition (Journal des débats, op. cit., p. SCI-1407) :
Mme Harel : Je veux quand même bien être certaine qu’il n’y a pas de zone grise. On s’entend bien que, quand on dit qu’il y a une hypothèque mobilière sans dépossession, on ne définit pas sur quelle assiette elle repose, on ne dit pas que, pour autant, il y a une hypothèque pour les consommateurs, on dit que c’est ouvert. Et c’est dans une loi qu’on le dira. C’est ça qu’on comprend?
M. Rémillard : Nous, on dit, en ce qui regarde l’aspect consommation, que ce sera dans une loi qu’on établira des modalités. C’est ça?
Mme Harel : On établira les modalités de l’hypothèque mobilière sans dépossession.
M. Rémillard : C’est ça.
Une voix : Pour les particuliers.
M. Rémillard : Pour les particuliers.
95 L’amendement a pour effet de restreindre considérablement l’accès des particuliers à l’hypothèque. Pour leur crédit personnel, mise à part l’exception contenue à l’art. 2683 C.c.Q., ils sont limités à l’hypothèque avec dépossession. Cette dernière obéit à ses règles propres. Le fait que cet amendement soit apporté à la toute fin du processus, soit près d’un an après le début des travaux parlementaires et six jours avant l’adoption finale par l’Assemblée nationale, permet de mieux comprendre pourquoi certaines hypothèques se conçoivent mieux dans le contexte de l’hypothèque sans dépossession, donc avec le support d’un écrit et soumis à l’exigence de l’inscription. Il en va ainsi de l’hypothèque d’une part sociale (art. 2211 C.c.Q.) et celle sur la valeur de rachat d’une police d’assurance-vie (art. 2461 C.c.Q.). D’ailleurs l’art. 2461, al. 2 C.c.Q. traite même de la pluralité de cessions, cas incompatible avec le gage mais tout à fait bien intégré à l’hypothèque sans dépossession. Les Commentaires du ministre de la Justice (1993), t. II, en relation avec l’art. 2461 C.c.Q. précisent bien que le gage, tel que prévu au C.c.B.C., est remplacé par les nouvelles dispositions concernant l’hypothèque. Il écarte donc toute référence au droit antérieur.
96 Comme le note le professeur R. A. Macdonald, « The Counter-Reformation of Secured Transactions Law in Quebec » (1991), 19 Rev. can. dr. comm. 239, p. 262, note 41, le législateur de 1866 avait fait des choix de politique sociale en édifiant le régime des sûretés. Lors de la réforme de 1991, il est évident qu’il a modernisé les mécanismes d’obtention du crédit. Il a cependant aussi fait des choix importants de politique sociale. Je cite à nouveau le professeur Macdonald (à la p. 290) :
[traduction] Bien qu’ils puissent être contestés par les partisans de l’hédonisme débridé, certains de ces choix n’entraînent aucun coût d’opération ou de gestion pour le régime général des sûretés consensuelles, et montrent comment d’importants choix de politique d’intérêt public peuvent être intégrés directement dans un régime de sûretés modernisé et intrinsèquement efficace. [Je souligne.]
97 La règle de l’art. 2683 C.c.Q. traduit un choix de politique législative clair. Ni les commentaires des auteurs, émis avant la réforme, ni les dispositions finalement adoptées ne semblent soutenir l’affirmation voulant que la portée de l’hypothèque mobilière avec dépossession doive être élargie.
98 Les commentaires du ministre de la Justice, monsieur Serge Ménard, faits en 1998 lors de l’adoption des dispositions réglementaires concernant l’hypothèque sans dépossession, reflètent le maintien de cette philosophie. À l’époque, le ministre, tentant d’apaiser les craintes d’organismes de protection des consommateurs, jugeait prématuré que le gouvernement englobe les REER dans les biens susceptibles d’être hypothéqués : Index du Journal des débats — Participants, 35e lég., 2e sess., Commission permanente des institutions, 19 mars 1998, cahier no 110, p. 1-17.
99 Dans ce contexte, je ne puis conclure que le législateur ait voulu rendre plus facile pour les consommateurs l’accès à l’hypothèque, avec ou sans dépossession. Il est clair que l’accès au crédit est facilité indirectement par la modernisation des institutions, mais il ne l’est pas, de façon directe, par l’élargissement du concept de gage.
100 L’appelante invoque l’arrêt Perron-Malenfant c. Malenfant (Syndic de), [1999] 3 R.C.S. 375, à l’appui d’une interprétation large du mot « titre ». Cette affaire concernait la dévolution, à un syndic, des droits découlant d’une police d’assurance-vie. La Cour y a étudié la réforme du droit des assurances au Québec, laquelle s’inscrivait dans le cadre général de celle du Code civil. Le juge Gonthier, exprimant une opinion unanime de la Cour, y réaffirme l’objectif de protection du consommateur alors poursuivi (au par. 44) :
Ces thèmes sont notamment la protection des consommateurs, la protection de la cellule familiale et la modernisation des mécanismes de sûreté réelle mobilière donnant accès au crédit garanti à un segment plus large de la société.
101 Cette affaire ne comporte pas d’étude du droit des sûretés. Si un élargissement de l’accès au crédit pouvait être prévu en 1978 lors du débat du premier projet de réforme, une telle affirmation ne peut être faite pour les conditions de constitution de l’hypothèque retenues en 1991. Je note d’ailleurs que le document auquel le texte de l’arrêt se reporte (Office de la révision du Code civil, op. cit., p. xxxiii) a été publié en 1978 lors du premier projet et non lors de l’adoption du Code civil, c’est-à -dire après l’amendement fait en commission parlementaire.
102 J’ai mentionné, au début de mon analyse, qu’un auteur soutient qu’un titre non négociable pourrait être mis en gage. Ses arguments n’ont pas servi de fondement au jugement de la Cour supérieure qui a conclu que les certificats étaient des titres négociables. Ils n’avaient pas non plus convaincu les juges de la Cour d’appel.
103 Le juge Gonthier, dont j’ai lu l’opinion, reconnaît (aux par. 1, 14 et 15) que la simple remise d’un titre non négociable ne serait pas suffisante pour constituer un gage. Il l’admet cependant lorsque l’hypothèque, comme en l’espèce, est constatée dans un acte porté à la connaissance du débiteur de la créance ou qu’elle est acceptée.
104 La difficulté conceptuelle qui rend cette approche inacceptable est que le C.c.Q. n’exige pas d’écrit. La solution retenue ajoute l’exigence de l’écrit au mode de constitution du gage prévu au C.c.Q. Selon cette approche, le gage d’un titre non négociable doit être constaté dans un écrit, alors que l’art. 2696 C.c.Q. ne l’exige que pour l’hypothèque sans dépossession.
105 En fait, le fondement juridique de l’analyse du juge Gonthier correspond à la cession de créance sous le C.c.B.C. Selon cette analyse, la remise est présumée (constructive delivery) et peut même avoir lieu sans titre (par. 16) lorsque la cession est acceptée ou lorsqu’une copie de l’acte de cession est remise au débiteur. C’est la solution du C.c.B.C. et c’est celle du droit français. Ce n’est pas ce que le législateur québécois a retenu en 1991. L’article 2702 C.c.Q. pose peut-être un problème d’interprétation du mot « titre », mais il est clair qu’un titre doit réellement être remis pour que le gage soit constitué. La remise est un geste concret et non une opération virtuelle. Toute solution qui omet l’exigence du titre est donc tout simplement contraire au concept fondamental retenu par le C.c.Q.
106 D’ailleurs, il eut été étonnant que le législateur ait voulu laisser cohabiter l’hypothèque sans dépossession, constatée dans un écrit et assujettie à l’inscription, et l’hypothèque avec dépossession, elle aussi constatée dans un écrit, mais non assujettie à l’inscription. Ce résultat me paraîtrait contraire à la logique découlant de l’instauration du registre des droits réels et personnels. L’exclusion de l’inscription n’a de sens que pour les cas où l’inscription n’ajoute rien à la publicité et à la protection des tiers (voir, sur la logique des conséquences de l’inscription au registre pour les provinces de common law, l’article de la professeure C. Walsh, « Registration, Constructive Notice, and the Rule in Dearle v. Hall — Judicial Reform in Nova Scotia : Martin v. Shubenacadie » (1997), 12 B.F.L.R. 129, p. 135-151).
107 Contrairement à l’interprétation que le juge Gonthier fait de mon analyse, je ne prétends pas que la « présence ≫ de l’écrit est incompatible avec la notion de gage. C’est plutôt l’exigence de l’écrit qui l’est. D’ailleurs, les conclusions qu’il tire dans le présent cas se fondent sur l’analyse des droits qui découlent de l’acte d’hypothèque consenti à la Caisse et non sur l’analyse des droits qui résulteraient de la simple remise des certificats.
108 Sur le plan théorique, je peux d’autant moins accepter l’approche du juge Gonthier qu’elle confond la constitution (art. 2702 C.c.Q.) du gage avec son opposabilité au débiteur de la créance (art. 2710 C.c.Q.). Suivant l’approche proposée (par. 15), la remise ne serait complète qu’une fois accomplie la formalité de l’art. 1641 C.c.Q. Ceci est contraire à l’art. 2702 C.c.Q. selon lequel la constitution du gage est complète par la seule remise. Suivant les art. 2710 et 1641 C.c.Q., l’opposabilité intervient après que l’hypothèque a été constituée. Si cette interprétation est appliquée au cas de l’hypothèque sans dépossession, la difficulté inhérente à la confusion des étapes ressort clairement. Pour une telle hypothèque, le créancier peut vouloir constituer l’hypothèque et en retarder l’opposabilité. Les deux étapes ne peuvent être ni inversées ni confondues.
109 De plus, l’analyse grammaticale que mon collègue fait de l’art. 2709 C.c.Q. ne résiste pas à l’examen. Pour refléter plus clairement la règle prévue à cet article, les membres de la phrase peuvent être déplacés pour se lire : « Si le titre est négociable par endossement et délivrance, la remise au créancier a lieu par l’endossement et la délivrance, ou si le titre est négociable par délivrance seulement, la remise a lieu par la délivrance seulement ». Interprété dans l’ensemble des dispositions du gage, cet article ne peut être invoqué que pour exclure les titres non négociables. En fait, il eut été surprenant que le législateur précise le mode de négociation dans un cas clair, celui du titre négociable, alors que pour un cas problématique, le titre non négociable, le mode n’aurait pas été prévu.
110 Au surplus, tout en renvoyant à l’art. 1971, al. 2 C.c.B.C. qui traite du gage, le juge Gonthier écrit que l’un des reproches adressés à la cession de créance sous le C.c.B.C. était qu’elle permettait au créancier d’inclure une clause de dation en paiement, situation qui serait complètement différente sous le C.c.Q. (par. 27). Quoi qu’il en soit des motifs qui ont pu amener les modifications au gage, le créancier peut, en vertu de l’art. 2743 C.c.Q., percevoir le capital sans devoir se plier aux dispositions générales régissant l’exercice des droits hypothécaires (art. 2748 et suiv. C.c.Q.). L’hypothèque des créances, avec ou sans dépossession, est, en cela, distincte du régime général des sûretés.
111 Le juge Gonthier se dit conforté par une comparaison avec les régimes français, allemand, suisse et canadien. Ces régimes exigent cependant un écrit comme condition de constitution du gage d’un titre comme celui qui nous occupe : voir particulièrement, P. Simler et P. Delebecque, Droit civil : Les sûretés — La publicité foncière (2e éd. 1995), no 537, p. 440-441, et art. 900 du Code civil suisse : « L’engagement des créances qui ne sont pas constatées par un titre ou ne résultent que d’une reconnaissance de dette, a lieu par écrit et en outre, dans le dernier cas, par la remise du titre. »
112 J’y vois donc, pour ma part, pour le Québec, un choix distinct de politique législative. Contrairement à tous les régimes qui exigent un écrit, le C.c.Q. ne comporte pas cette exigence.
113 Il n’est pas sans intérêt de souligner que les régimes juridiques des provinces de common law, dont on a dit qu’ils avaient influencé la réforme du droit des sûretés, ne reconnaîtraient pas qu’un gage peut être constitué par la remise de documents tels les certificats de dépôt en cause. En effet, ces certificats ne peuvent être qualifiés d’≪ effet ≫ au sens de ces lois : voir, par exemple, les art. 1 et 2 de la Loi sur les sûretés mobilières de l’Ontario, L.R.O. 1990, ch. P.10.
114 La comparaison avec la modification apportée au UCC en 1999 milite plutôt en faveur de l’interprétation que je suggère. La version du UCC, dont se sont inspirés les juristes qui ont participé à la réforme, n’aurait pas reconnu comme gage la transaction qui nous occupe. C’est par suite de la modification récente que les comptes de banque sont couverts par le UCC. C’est par cette même modification qu’un nouveau mode de perfection a été ajouté, le ≪ control ≫ : J. J. White et R. S. Summers, Uniform Commercial Code (4e éd. 2000), p. 80 et 98. D’une part, le C.c.Q. n’a pas été modifié : nous ne connaissons toujours que la remise. D’autre part, lorsque la question a été soumise à l’Assemblée nationale, cette approche a été refusée.
115 Dans ce contexte, je ne peux me résoudre à accepter que le législateur de 1991 ait voulu étendre l’hypothèque des créances à des situations où un gage n’aurait pas pu être constitué, sous le C.c.B.C., par la simple remise du titre. Le législateur a fait un effort de modernisation et d’uniformisation des sûretés mais n’a pas cherché à élargir les cas où la simple remise était constitutive du gage.
116 Malgré l’attrait que l’approche proposée par le juge Gonthier présente, je ne puis me résoudre à l’accepter. Ce serait, pour moi, ajouter au texte et y substituer une vision de ce que le texte devrait être alors qu’un choix clair a été fait par le législateur en 1991. Ce serait, pour moi, récrire le Code.
III. Conclusion
117 Si, en règle générale, le droit civil commande une analyse attentive des textes, il exige aussi une compréhension claire de ses concepts fondamentaux et des relations entre ses institutions. Une analyse littérale des dispositions sur le gage ne permet pas de cerner complètement les contours de cette sûreté. De plus, une telle analyse ne permet pas non plus de résoudre le problème soulevé par les parties. Il faut donc s’en remettre à l’objectif de la dépossession qui est de conférer au créancier la maîtrise du bien. Il faut aussi, dans le cas où le gage porte sur une créance, concilier les dispositions régissant le gage avec celles de l’hypothèque sur des créances.
118 Dans ce contexte, la dépossession ne peut être réalisée par la remise de documents comme les certificats de dépôt ici en cause. Abstraction faite des difficultés inhérentes aux contraintes fiscales, la Caisse ne maîtrise pas véritablement la sûreté par la seule détention des certificats de dépôt. Les certificats énoncent les droits de Fiducie Desjardins et ceux des rentiers, mais leur détention ne confère à la Caisse aucun droit qui lui permettrait de percevoir sans formalité le capital à l’échéance.
119 Le mot « titre », à l’art. 2702 C.c.Q., ne peut être interprété hors contexte. Le concept de gage ne peut s’appliquer à un document dont la possession ne confère en soi aucun droit. De plus, l’historique législatif démontre que le gage d’une créance doit conférer au gagiste une possession lui permettant de percevoir la créance. La Caisse ne détient donc pas une hypothèque valide étant donné qu’elle ne détient pas un titre lui conférant ce droit.
120 Le Code civil du Québec ne définit pas ce qu’est un titre négociable, comme le fait la Loi sur les lettres de change. Il n’interdit pas aux parties de convenir expressément qu’un titre sera négociable. Dans le présent cas, elles ne l’ont pas fait. La Caisse n’est donc pas en mesure d’opposer au syndic une sûreté valablement constituée.
121 Pour ces motifs, je suis d’avis de rejeter le pourvoi avec dépens.
ANNEXE
Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, ch. 1 (5e suppl.)
104. (1) Dans la présente loi, fiducie ou succession, (appelées « fiducie » à la présente sous-section), s’entend également du fiduciaire ou de l’exécuteur testamentaire, de l’administrateur successoral, de l’héritier ou de tous autres représentants légaux ayant la propriété ou le contrôle des biens de la fiducie.
146. (1) Les définitions qui suivent s’appliquent au présent article.
« régime d’épargne-retraite »
a) Contrat conclu entre un particulier et une personne titulaire d’une licence ou par ailleurs autorisée par la législation fédérale ou provinciale à exploiter au Canada un commerce de rentes aux termes duquel, contre le paiement par le particulier ou son conjoint d’une somme périodique ou autre au titre du contrat, un revenu de retraite est prévu pour le particulier à compter de l’échéance;
b) arrangement selon lequel un particulier ou son conjoint verse, selon le cas :
(i) en fiducie à une société titulaire d’une licence ou par ailleurs autorisée par la législation fédérale ou provinciale à exploiter au Canada une entreprise consistant à offrir ses services au public en tant que fiduciaire, un montant périodique ou autre, à titre d’apport en vertu de la fiducie,
(ii) à une société agréée par le gouverneur en conseil pour l’application du présent article et titulaire d’une licence ou par ailleurs autorisée par la législation fédérale ou provinciale à établir des contrats de placement prévoyant le paiement au détenteur d’un tel contrat, ou l’inscription au crédit de son compte, d’une somme fixe ou susceptible de l’être, à l’échéance, une somme périodique ou autre versée à titre de contribution aux termes d’un tel contrat entre le particulier et cette société,
(iii) un montant à titre de dépôt auprès d’une succursale ou d’un bureau au Canada :
(A) soit d’une personne qui est membre de l’Association canadienne des paiements ou qui est admissible à le devenir,
(B) soit d’une caisse de crédit qui est actionnaire ou membre d’une personne morale désignée sous le nom de « centrale » pour l’application de la Loi sur l’Association canadienne des paiements,
. . .
devant être utilisé, placé ou autrement employé par cette société ou ce dépositaire, selon le cas, en vue d’assurer au particulier, commençant à l’échéance, un revenu de retraite.
. . .
(2) Le ministre n’accepte pas aux fins d’enregistrement pour l’application de la présente loi un régime d’épargne-retraite, à moins que, à son avis, il ne réponde aux conditions suivantes :
a) le régime ne prévoit, avant son échéance, le versement d’aucune autre prestation qu’un versement au rentier ou un remboursement de primes;
b) il ne prévoit, après son échéance, le versement d’aucune prestation, sauf :
(i) au rentier sous forme de revenu de retraite,
(ii) au rentier en conversion totale ou partielle du revenu de retraite prévu au régime,
(iii) dans le cadre d’une conversion visée à l’alinéa c.2);
b.1) il ne prévoit le versement au rentier d’un revenu de retraite que sous forme de versements égaux à effectuer périodiquement à intervalles ne dépassant pas un an jusqu’à ce qu’il y ait un versement découlant d’une conversion totale ou partielle du revenu de retraite et, par la suite, en cas de conversion partielle, sous forme de versements égaux à effectuer périodiquement à intervalles ne dépassant pas un an;
b.2) il ne prévoit pas le versement d’une rente à effectuer périodiquement au cours d’une année après le décès du premier rentier dont le total dépasse le total des montants à verser au cours d’une année avant le décès;
b.3) il ne prévoit le versement d’aucune prime après échéance;
b.4) il ne prévoit pas d’échéance postérieure à la fin de l’année au cours de laquelle le rentier atteint 69 ans;
c) il prévoit qu’aucun revenu de retraite prévu par le régime ne peut être cédé en totalité ou en partie;
c.1) malgré l’alinéa a), il permet de verser un montant à un contribuable en vue de réduire l’impôt payable par ailleurs par celui-ci en vertu de la partie X.1;
c.2) le régime exige la conversion de chaque rente payable en vertu de ce régime qui deviendrait autrement payable à une personne autre qu’un rentier en vertu du régime;
c.3) le régime, lorsqu’un dépositaire est en cause, comprend des dispositions portant que :
(i) le dépositaire n’a pas le droit d’éteindre une dette ou obligation envers lui par compensation à l’aide des biens détenus en vertu du régime,
(ii) les biens détenus en vertu du régime ne peuvent être donnés en gage, cédés ou autrement aliénés, à titre de garantie d’un prêt ou à toute autre fin que d’assurer au particulier commençant à l’échéance, un revenu de retraite;
c.4) le régime exige qu’aucun avantage, à l’exception :
(i) d’une prestation,
(i.1) d’une somme visée à l’alinéa a) ou c) de la définition de « prestation » au paragraphe (1),
(ii) du paiement ou de l’attribution d’un montant au régime par l’émetteur,
(iii) d’un avantage découlant d’une assurance-vie en vigueur au 31 décembre 1981,
(iv) d’un avantage découlant de la prestation de services sur le plan de l’administration ou des placements à l’égard du régime,
qui dépend, de quelque façon, de l’existence du régime, ne puisse être accordé au rentier ou à une personne avec laquelle il avait un lien de dépendance;
d) le régime est conforme, à tous autres égards, aux dispositions réglementaires prises par le gouverneur en conseil sur recommandation du ministre des Finances.
. . .
(7) Lorsque, au cours d’une année d’imposition, un prêt pour lequel une fiducie régie par un régime enregistré d’épargne-retraite a utilisé ou a permis que soient utilisés des biens de la fiducie comme garantie cesse d’exister, et que la juste valeur marchande des biens ainsi utilisés a été incluse, en vertu du paragraphe (10), dans le calcul du revenu du contribuable qui est le rentier en vertu du régime, peut être déduite, dans le calcul du revenu du contribuable pour l’année d’imposition, la somme qui resterait après que :
a) la perte nette (à l’exclusion des paiements faits par la fiducie au titre des intérêts) subie par la fiducie par suite du fait qu’elle a utilisé ou a permis que soient utilisés ces biens comme garantie du prêt et non par suite du changement de la juste valeur marchande des biens,
serait déduite :
b) du montant ainsi inclus dans le calcul du revenu du contribuable par suite du fait que la fiducie a utilisé ou a permis que soient utilisés les biens comme garantie du prêt.
. . .
(10) Lorsque, à un moment donné d’une année d’imposition, une fiducie régie par un régime enregistré d’épargne-retraite :
a) acquiert un placement non admissible;
b) utilise à titre de garantie d’un prêt un bien quelconque de la fiducie ou en permet l’utilisation,
la juste valeur marchande :
c) du placement non admissible au moment de son acquisition par la fiducie;
d) du bien utilisé à titre de garantie, au moment où il a commencé à être ainsi utilisé,
selon le cas, doit être incluse dans le calcul du revenu, pour l’année, du contribuable qui est le rentier en vertu du régime à ce moment.
. . .
(12) Lorsque, à une date postérieure à l’acceptation aux fins d’enregistrement par le ministre d’un régime d’épargne-retraite pour l’application de la présente loi, le régime est révisé ou modifié ou un nouveau régime lui est substitué — l’un et l’autre étant appelés « régime modifié » au présent paragraphe — et que le régime modifié ne répond pas aux conditions d’enregistrement prévues au présent article, les règles suivantes s’appliquent sous réserve du paragraphe (13.1) :
a) le régime modifié est réputé, pour l’application de la présente loi, ne pas être un régime enregistré d’épargne-retraite;
b) le contribuable qui était rentier du régime avant que celui-ci ne devienne un régime modifié doit ajouter comme revenu reçu à ce moment une somme égale à la juste valeur marchande de tous les biens du régime immédiatement avant ce moment, dans le calcul de son revenu pour l’année d’imposition qui comprend ce moment.
(13) Pour l’application du paragraphe (12), un accord prévoyant la renonciation à un droit ou à une obligation découlant d’un régime d’épargne-retraite, ou leur extinction, en totalité ou en partie, soit en échange ou en remplacement de tout autre droit ou obligation, soit autrement (autre qu’un accord dont l’unique objet et les seuls effets juridiques sont de réviser ou de modifier ce régime), ou selon lequel le paiement d’une somme sous forme de prêt ou autrement est effectué sur garantie consistant en un droit prévu par un régime d’épargne-retraite, est réputé être un nouveau régime substitué à ce régime d’épargne-retraite.
Pourvoi accueilli avec dépens, les juges Binnie, LeBel et Deschamps sont dissidents.
Procureurs de l’appelante : Fasken Martineau DuMoulin, Québec.
Procureurs de l’intimée : Brisset des Nos, Gravel, Sainte‑Foy.