COUR SUPRÊME DU CANADA
Référence : États‑Unis d’Amérique c. Ferras; États‑Unis d’Amérique c. Latty, [2006] 2 R.C.S. 77, 2006 CSC 33
Date : 20060721
Dossier : 30211, 30295
Entre :
Shane Tyrone Ferras
Appelant
et
États‑Unis d’Amérique, Sa Majesté la Reine
et Irwin Cotler, ministre de la Justice
Intimés
et entre :
Leroy Latty et Lynval Wright
Appelants
et
États‑Unis d’Amérique, ministre de la Justice
et procureur général du Canada
Intimés
Traduction française officielle
Coram : La juge en chef McLachlin et les juges Major*, Bastarache, Binnie, LeBel, Deschamps, Fish, Abella et Charron
Motifs de jugement :
(par. 1 à 94)
La juge en chef McLachlin (avec l’accord des juges Bastarache, Binnie, LeBel, Deschamps, Fish, Abella et Charron)
* Le juge Major n’a pas pris part au jugement.
______________________________
États‑Unis d’Amérique c. Ferras; États‑Unis d’Amérique c. Latty, [2006] 2 R.C.S. 77, 2006 CSC 33
Shane Tyrone Ferras Appelant
c.
États‑Unis d’Amérique, Sa Majesté la Reine
et Irwin Cotler, ministre de la Justice Intimés
- et -
Leroy Latty et Lynval Wright Appelants
c.
États‑Unis d’Amérique, ministre de la Justice
et procureur général du Canada Intimés
Répertorié : États‑Unis d’Amérique c. Ferras; États‑Unis d’Amérique c. Latty
Référence neutre : 2006 CSC 33.
Nos du greffe : 30211, 30295.
2005 : 17 octobre; 2006 : 21 juillet.
Présents : La juge en chef McLachlin et les juges Major*, Bastarache, Binnie, LeBel, Deschamps, Fish, Abella et Charron.
en appel de la cour d’appel de l’ontario
POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario (les juges Feldman et Sharpe et le juge McCombs (ad hoc)) (2004), 237 D.L.R. (4th) 645, 184 O.A.C. 306, 183 C.C.C. (3d) 119, 117 C.R.R. (2d) 183, [2004] O.J. No. 1089 (QL), qui a confirmé une ordonnance d’incarcération et une ordonnance d’extradition. Pourvoi rejeté.
POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario (les juges Feldman et Sharpe et le juge McCombs (ad hoc)) (2004), 237 D.L.R. (4th) 652, 185 O.A.C. 1, 183 C.C.C. (3d) 126, 116 C.R.R. (2d) 368, [2004] O.J. No. 1076 (QL), qui a confirmé une ordonnance d’incarcération et une ordonnance d’extradition. Pourvoi rejeté.
Brian H. Greenspan, pour l’appelant Ferras.
Edward L. Greenspan, c.r., et Vanessa V. Christie, pour les appelants Latty et Wright.
Robert J. Frater et Janet Henchey, pour les intimés.
Version française du jugement de la Cour rendu par
La Juge en chef —
1. Introduction
1 Les présents pourvois (les « pourvois Ferras »), de même que ceux formés par MM. Ortega, Shull, Shull et Fiessel (États‑Unis du Mexique c. Ortega, [2006] 2 R.C.S. 120, 2006 CSC 34 (les « pourvois Ortega »)), soulèvent la question de savoir si les dispositions de la Loi sur l’extradition, L.C. 1999, ch. 18, concernant l’admission d’éléments de preuve lors d’une audience relative à l’incarcération en vue de l’extradition portent atteinte à la garantie prévue à l’art. 7 de la Charte canadienne des droits et libertés, selon lequel nul ne peut être privé de sa liberté, sauf en conformité avec les principes de justice fondamentale. Je conclus que, selon l’interprétation qu’il convient de leur donner, les dispositions de la Loi sont constitutionnelles et je suis d’avis de rejeter les présents pourvois.
2 Un arrêté d’extradition vers les États‑Unis a été pris contre les appelants aux pourvois Ferras afin qu’ils répondent à des accusations de fraude (M. Ferras) ou de trafic de cocaïne (MM. Latty et Wright). Les procédures d’extradition ont été engagées contre eux selon la méthode dite du « dossier d’extradition » fondée sur l’al. 32(1)a) et l’art. 33 de la Loi sur l’extradition. Par contre, pour ce qui est des appelants aux pourvois Ortega, leur extradition a été ordonnée selon la méthode dite du « traité » fondée sur l’al. 32(1)b) de la Loi, vers le Mexique, dans le cas de M. Ortega, et vers les États‑Unis, dans celui de MM. Shull, Shull et Fiessel, afin qu’ils répondent à des allégations de fraude.
3 Les appelants aux pourvois Ferras soutiennent que la méthode du dossier d’extradition ne résiste pas à l’examen constitutionnel parce qu’elle permet l’extradition sur le fondement d’éléments de preuve intrinsèquement non fiables. Plus particulièrement, ils affirment que les « mesures de protection » offertes par l’art. 33 de la Loi ne suffisent pas pour établir un seuil de fiabilité de la preuve qui soit conforme aux principes de justice fondamentale, comme le prescrit l’art. 7 de la Charte.
4 Les appelants aux pourvois Ortega, quant à eux, soutiennent que la méthode du traité ne résiste pas à l’examen constitutionnel parce qu’elle ne comporte même pas les mesures de protection offertes par la méthode du « dossier d’extradition », notamment l’exigence que l’État requérant certifie la disponibilité des éléments de preuve pour le procès.
5 Dans les pourvois Ferras, les juges d’extradition et la Cour d’appel de l’Ontario ((2004), 237 D.L.R. (4th) 645 et (2004), 237 D.L.R. (4th) 652), ont rejeté les contestations constitutionnelles des al. 32(1)a) et c) et de l’art. 33 de la Loi sur l’extradition, s’appuyant sur des décisions antérieures, plus particulièrement United States of America c. Yang (2001), 56 O.R. (3d) 52 (C.A.). Dans les pourvois Ortega, le juge d’extradition qui a présidé l’audience relative à l’incarcération de M. Ortega a accepté sa contestation constitutionnelle de l’al. 32(1)b) et du sous‑al. VIII(1)b)(iii) du Traité d’extradition entre le gouvernement du Canada et le gouvernement des États‑Unis mexicains, R.T. Can. 1990 no 35 ((2004), 237 D.L.R. (4th) 281, 2004 BCSC 210). Le juge d’extradition qui a présidé les audiences relatives à l’incarcération de MM. Fiessel, Shull et Shull a appliqué l’arrêt Ortega pour exclure les éléments de preuve présentés par les États‑Unis ([2004] B.C.J. no 1434 (QL), 2004 BCSC 908). Ces décisions ont été infirmées par la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique, le juge Donald étant dissident ((2005), 253 D.L.R. (4th) 237, 2005 BCCA 270). Les appelants aux deux séries de pourvois ont interjeté appel devant la Cour, soutenant que les cours d’appel ont rejeté à tort leurs contestations constitutionnelles des al. 32(1)a) et b) et de l’art. 33.
2. Analyse
2.1 La question en litige
6 La Loi sur l’extradition (annexe A) établit un processus en deux étapes permettant d’extrader une personne afin qu’elle réponde à des accusations portées contre elle dans un pays étranger. Le présent pourvoi ne porte pas sur l’extradition en vue de faire purger à l’intéressé une peine à l’étranger.
7 À la première étape, le juge d’extradition doit examiner la demande d’extradition et les documents à l’appui afin de décider s’il existe suffisamment de preuve pour justifier le renvoi à procès au Canada. S’il estime que ce critère est rempli, l’affaire passe à la seconde étape, où le ministre décide, en vertu de son pouvoir discrétionnaire, d’ordonner ou non l’extradition (voir Idziak c. Canada (Ministre de la Justice), [1992] 3 R.C.S. 631). La première étape est de nature judiciaire et la seconde, de nature exécutive. Les présents pourvois portent sur la première étape du processus, celle de nature judiciaire.
8 L’alinéa 29(1)a) de la Loi sur l’extradition précise que le « juge ordonne [. . .] l’incarcération de l’intéressé jusqu’à sa remise [. . .] si [. . .] la preuve — admissible en vertu de la présente loi — des actes justifierait, s’ils avaient été commis au Canada, son renvoi à procès au Canada ».
9 Pour décrire le rôle du juge d’extradition et le critère applicable en matière d’incarcération, on a fait appel à diverses notions, notamment une preuve « suffisante à première vue », une preuve « suffisante », une « bonne » preuve, une preuve « adéquate », la preuve démontrant l’existence de « motifs raisonnables » pour l’extradition et la preuve « justifiant » l’extradition. Toutefois, le principe fondamental demeure le même. Le juge ne peut ordonner l’extradition que si la preuve des actes justifierait le renvoi à procès au Canada. Dans États‑Unis d’Amérique c. Shephard, [1977] 2 R.C.S. 1067, la Cour a affirmé que le critère applicable en matière d’incarcération en vue de l’extradition est le même que celui qu’utilise un juge de première instance pour décider s’il doit ou non dessaisir le jury d’une affaire « selon qu’il existe ou non des éléments de preuve au vu desquels un jury équitable [comprendre « raisonnable »], ayant reçu des directives appropriées, pourrait conclure à la culpabilité » (p. 1080). Si une telle preuve est établie, l’intéressé peut être extradé pour subir son procès à l’étranger. Dans le cas contraire, le juge doit refuser l’extradition.
10 Les appelants reconnaissent cette protection fondamentale. Ils soutiennent toutefois qu’elle est compromise par les dispositions de la Loi sur l’extradition relatives à l’admission de la preuve selon la méthode du dossier d’extradition et celle du traité, car celles‑ci risquent, selon eux, d’exiger du juge d’extradition qu’il ordonne l’incarcération en vue de l’extradition sur le fondement de documents non fiables ou non disponibles. Les appelants aux pourvois Ferras soulignent que la méthode du dossier d’extradition fondée sur l’al. 32(1)a) n’offre aucune garantie de fiabilité. Quant aux appelants aux pourvois Ortega, ils ont surtout déploré l’absence de garantie que la preuve sera disponible pour le procès selon la méthode du traité fondée sur l’al. 32(1)b) de la Loi.
11 On peut résumer l’argument des appelants de la façon suivante. Selon l’art. 7 de la Charte, « [c]hacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne », et il ne peut être porté atteinte à ce droit « qu’en conformité avec les principes de justice fondamentale ». L’extradition de l’intéressé pour lui permettre de répondre à des accusations portées contre lui dans un autre pays constitue une atteinte à la liberté et à la sécurité de la personne. Par conséquent, nul ne peut être extradé, sauf en conformité avec les principes de justice fondamentale. C’est un principe de justice fondamentale, disent‑ils, que les juges statuent sur le fondement d’une preuve fiable et disponible. Ils affirment que, selon la méthode du dossier d’extradition et celle du traité, les règles de présentation de la preuve devant le juge d’extradition ne satisfont pas à cette exigence et qu’elles violent donc l’art. 7 de la Charte. Cette violation, soutiennent les appelants, n’est pas justifiée selon l’article premier de la Charte, car sa justification ne peut « se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique ».
12 Le ministère public admet que l’extradition constitue une atteinte grave à la liberté et à la sécurité de la personne. Une personne est emmenée de force du Canada vers un autre pays pour y subir son procès selon les règles de cet autre pays. Il s’ensuit que les principes de justice fondamentale doivent être respectés. Il conteste toutefois l’affirmation selon laquelle les principes de justice fondamentale exigent que le juge d’extradition statue sur le fondement de preuves fiables dont la disponibilité pour le procès est démontrée. Il laisse également entendre que les allégations de non‑fiabilité et de non‑disponibilité sont exagérées et ne reflètent pas la réalité de la pratique en matière d’extradition.
13 À première vue, ces arguments tendent à indiquer que la question fondamentale qui oppose les parties est celle de savoir si c’est un principe de justice fondamentale que seule une preuve fiable disponible pour le procès peut être présentée au juge d’extradition. La question est toutefois plus complexe.
14 L’article 7 de la Charte ne garantit pas le recours à un type particulier de procédure pour toutes les situations où il est porté atteinte à la liberté d’une personne : R. c. Rodgers, [2006] 1 R.C.S. 554, 2006 CSC 15, par. 47. Il garantit l’équité procédurale eu égard à la nature des procédures en litige. Il en découle que les dispositions de la Loi sur l’extradition relatives à la preuve ne peuvent être examinées isolément. Elles doivent plutôt être considérées dans le contexte de l’ensemble des dispositions relatives à l’extradition. Il en découle également que les règles de preuve applicables à un procès criminel au Canada ne s’appliquent pas nécessairement au processus d’extradition.
15 Ainsi, la véritable question est celle de savoir si les dispositions de la Loi sur l’extradition relatives à l’admission de la preuve ont pour effet de rendre inéquitable le processus d’extradition lorsqu’elles sont évaluées de concert avec les autres dispositions de la Loi et en fonction de la nature des procédures d’extradition. Autrement dit, ces dispositions comportent‑elles un risque véritable qu’une personne soit incarcérée en vue de son extradition, lorsque la preuve n’établit pas l’existence d’actes qui, s’ils avaient été commis au Canada, justifieraient le renvoi à procès : par. 29(1)?
2.2 La fiabilité : une question à deux volets
16 Le présent examen de la question de la justification de l’incarcération comporte deux volets relativement à la preuve : son admissibilité et son évaluation pour déterminer si elle justifie l’incarcération. Théoriquement, ce sont deux étapes distinctes. Mais en pratique le juge peut les aborder en même temps. La distinction théorique est d’importance en l’espèce, car les prétentions des appelants reposent sur l’admissibilité de la preuve, alors que la réponse à leurs prétentions réside dans l’évaluation par le juge du caractère suffisant de la preuve pour justifier l’incarcération.
17 En somme, la Loi sur l’extradition offre deux mesures de protection à la personne dont la liberté est en jeu : premièrement, des dispositions relatives à l’admissibilité qui visent à établir le seuil de fiabilité et, deuxièmement, l’exigence que le juge détermine le caractère suffisant de la preuve pour établir l’exigence légale pour l’extradition. Il s’agit de savoir si ces deux protections, considérées conjointement, offrent un processus équitable conforme aux principes fondamentaux de justice.
18 Cela nous amène à la principale question : qu’est‑ce qui constitue un processus équitable dans le contexte de l’extradition? Ou, autrement dit, quels sont les principes de justice fondamentale en matière d’extradition?
2.3 Processus judiciaire équitable dans le contexte d’extradition
19 Le droit de l’extradition requiert que les « exigences fondamentales de la justice » soient respectées : Canada c. Schmidt, [1987] 1 R.C.S. 500, p. 523. Le principe véritable qui émerge de l’historique de l’extradition et du critère applicable en matière d’incarcération est que nul ne peut être extradé sans avoir pu bénéficier d’un processus équitable, compte tenu de l’historique, des objets et des politiques qui se rapportent à l’extradition : voir Kindler c. Canada (Ministre de la Justice), [1991] 2 R.C.S. 779, p. 848. Dans ce contexte, un processus équitable signifie que l’État requérant doit établir qu’il existe des motifs raisonnables de conclure que l’intéressé peut avoir commis l’infraction. Comme il est mentionné dans Glucksman c. Henkel, 221 U.S. 508 (1911), p. 512 :
[traduction] De toute évidence, même si un homme ne doit pas être renvoyé du pays sur le fondement d’une simple demande ou hypothèse, si l’on nous présentait, même d’une façon qui nous paraît quelque peu informelle, des motifs raisonnables de supposer qu’il est coupable, de sorte qu’il s’impose de le traduire en justice, la loyauté envers le gouvernement requérant exige qu’il soit extradé.
Telles sont les exigences fondamentales de la justice dans le contexte de l’extradition. Nul ne peut être renvoyé du pays sur le fondement d’une simple demande ou hypothèse. Il n’est pas nécessaire que la preuve présentée au soutien de l’extradition revête une forme technique particulière. Mais il faut démontrer l’existence de motifs raisonnables pour renvoyer la personne à son procès. Une preuve suffisante à première vue permettant de justifier une déclaration de culpabilité doit être établie dans le cadre d’un processus judiciaire valable. C’est un ancien principe vénérable que nul ne peut être privé de sa liberté sans avoir pu bénéficier de l’application régulière de la loi, qui doit comporter un processus judiciaire valable. Cette idée est aussi vieille que la Magna Carta (1215), dont la clause 39 prévoit : [traduction] « Aucun homme libre ne sera saisi, ni emprisonné ou dépossédé de ses biens, déclaré hors‑la‑loi, exilé ou exécuté, de quelques manières que ce soit. Nous ne le condamnerons pas non plus à l’emprisonnement sans un jugement légal de ses pairs, conforme aux lois du pays. »
20 Par conséquent, avant qu’une personne puisse être extradée, il faut une décision judiciaire portant que l’État requérant a établi une preuve suffisante à première vue selon laquelle l’intéressé a commis le crime allégué et devrait subir un procès à cet égard.
21 Ces thèses illustrent non seulement l’historique du processus d’extradition, mais également ses deux objets. Le premier objet consiste à favoriser l’efficacité de l’extradition lorsque cette preuve est établie, conformément aux obligations internationales du Canada. Il faut pour cela une approche souple et non formaliste. Le second objet est de protéger contre l’expulsion toute personne se trouvant au Canada, du moins en l’absence d’une preuve suffisante à première vue établissant qu’elle a commis l’infraction alléguée, laquelle doit également constituer une infraction au Canada : Schmidt. Les deux objets sont complémentaires. Le principe de la courtoisie internationale n’oblige pas à extrader une personne sur le fondement d’une demande ou hypothèse. Le principe de l’équité fondamentale envers l’intéressé n’exige pas non plus l’application de toutes les garanties procédurales qu’offre la tenue d’un procès, pourvu que la preuve soit suffisante pour ordonner que la personne subisse son procès.
22 Le processus judiciaire valable que je viens de décrire implique trois exigences connexes : une étape judiciaire distincte et indépendante, un juge ou magistrat impartial et une audience équitable et valable.
23 La nécessité d’une étape judiciaire distincte et indépendante démontre bien que l’extradition comporte l’intervention à la fois de l’exécutif et du judiciaire. Le volet judiciaire du processus sert à refréner les excès de l’État en protégeant l’intégrité des procédures et les droits de la « personne désignée » contre l’action de l’État (voir Demande fondée sur l’art. 83.28 du Code criminel (Re), [2004] 2 R.C.S. 248, 2004 CSC 42, au sujet de la nécessité du rôle distinct et indépendant que doit jouer le pouvoir judiciaire dans le cadre des procédures d’enquête prévues par la Loi antiterroriste, L.C. 2001, ch. 41, laquelle permet que des déclarations forcées soient faites sous la supervision d’un juge au cours d’une enquête). Les étapes judiciaire et ministérielle établies par la Loi sur l’extradition reflètent cette exigence. Cependant, comme il ressort de Demande fondée sur l’art. 83.28 du Code criminel (Re), l’étape judiciaire doit être indépendante en apparence et en substance. Cette condition est également primordiale en matière d’extradition. L’étape judiciaire ne doit pas jouer un rôle de soutien par rapport à l’étape exécutive ni y être subordonnée. Elle doit offrir une véritable protection contre l’extradition lorsqu’il n’existe aucune preuve valable contre l’intéressé.
24 La nécessité d’une audience judiciaire indépendante englobe le droit d’être entendu par un juge neutre — droit qui a été énoncé pour la première fois par Sir Edward Coke, un des plus célèbres avocats et juges d’Angleterre, dans l’affaire Bonham (1610), 8 Co. Rep. 113b, 77 E.R. 646, p. 657‑658. Près de quatre siècles plus tard, l’art. 7 de la Charte incorpore ce principe en précisant qu’il ne peut être porté atteinte au droit à la liberté qu’en conformité avec les principes de justice fondamentale. Un juge neutre est un juge indépendant et impartial (voir Valente c. La Reine, [1985] 2 R.C.S. 673, p. 685, le juge Le Dain). L’essence de l’impartialité « est l’obligation qu’a le juge d’aborder avec un esprit ouvert l’affaire qu’il doit trancher » (voir Bande indienne Wewaykum c. Canada, [2003] 2 R.C.S. 259, 2003 CSC 45, par. 58).
25 Une étape judiciaire indépendante et un juge impartial sont des éléments du troisième et ultime droit — le droit à une « audience ». Le droit à une audience entraîne l’application des garanties procédurales pertinentes quant au contexte : voir Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817. Essentiellement, ce droit impose aux tribunaux au moins l’obligation de procéder à une appréciation valable de l’affaire en fonction de la preuve et du droit. Le juge examine les droits respectifs des parties et, d’après la preuve, tire des conclusions de fait auxquelles il applique le droit. Il doit examiner autant les faits que le droit pour arriver à une conclusion valable. Depuis l’affaire Bonham, l’essence d’une audience judiciaire est de traiter les faits révélés par la preuve selon les droits substantiels que la loi confère aux parties. Le juge d’extradition doit donc examiner les faits et le droit et être convaincu qu’ils justifient l’incarcération avant d’ordonner l’extradition. Il doit agir en tant que juge et ne pas se contenter d’entériner d’office.
26 Je conclus que les principes de justice fondamentale applicables à une audience d’extradition exigent que l’intéressé fasse l’objet d’une décision judiciaire valable quant à la question de savoir si la preuve nécessaire à son extradition, prévue au par. 29(1) de la Loi sur l’extradition, a été établie — c’est‑à‑dire s’il y a suffisamment d’éléments de preuve pour qu’un jury, ayant reçu des directives appropriées, puisse conclure à la culpabilité. Pour cela, il faut une étape judiciaire indépendante, un juge indépendant et impartial et une décision judiciaire fondée sur une appréciation de la preuve et sur le droit.
2.4 Les dispositions de la Loi sur l’extradition respectent‑elles les principes de justice fondamentale?
27 Il s’agit de déterminer si les al. 32(1)a) et b) et l’art. 33 de la Loi sur l’extradition, qui permettent au juge d’agir en fonction du dossier d’extradition ou des éléments de preuve présentés en conformité avec un traité, portent atteinte au droit constitutionnel des appelants à une audience judiciaire équitable, lorsqu’ils sont considérés conjointement avec l’obligation du juge de déterminer si la preuve est suffisante pour justifier l’extradition en vertu du par. 29(1).
28 La Loi prévoit que les éléments de preuve sont admissibles s’ils sont dûment certifiés conformément au par. 33(3), dans le cas d’une procédure fondée sur le dossier d’extradition, ou s’ils sont présentés en conformité avec un traité, dans le cas d’une procédure fondée sur un traité. Il peut s’agir de ouï‑dire, et selon les traités en litige dans les pourvois Ortega, il n’est pas nécessaire de certifier que les éléments de preuve sont disponibles pour le procès.
29 La Loi reconnaît l’exigence selon laquelle la preuve présentée au juge d’extradition doit posséder des indices quant au seuil de fiabilité. Selon l’ancienne loi, les dispositions relatives à la preuve du traité d’extradition pertinent doivent être respectées ou, en l’absence de telles dispositions dans le traité, le pays requérant doit attester, par affidavits, la fiabilité et la disponibilité de sa preuve d’après la connaissance directe qu’il a des faits. Selon la loi actuelle, la preuve respecte le seuil de fiabilité si elle est conforme à un traité ou s’il y a la certification par l’État requérant que la preuve justifie la poursuite dans l’État requérant ou bien qu’elle a été recueillie conformément au droit de cet État : al. 33(3)a).
30 La « certification » signifie que l’État requérant donne sa parole que la preuve satisfait aux exigences du par. 33(3). La Loi exige que la certification selon la méthode du dossier d’extradition soit faite par « une autorité judiciaire ou un poursuivant du partenaire » (al. 33(3)a)). Selon la méthode du traité, l’admissibilité de la preuve est assujettie aux accords d’extradition, dans lesquels les indices de fiabilité prennent également souvent la forme d’une certification. Les traités contestés en l’espèce permettent effectivement l’admission d’éléments de preuve sur le fondement d’un certificat (voir annexe B).
31 Le certificat de l’État requérant est censé servir d’indicateur du seuil de fiabilité en fonction des normes de cet État. Si l’État requérant permet qu’une poursuite soit intentée sur le fondement d’une preuve qui serait jugée non fiable au Canada, ou s’il ne le permet pas, mais permet néanmoins de recueillir des éléments de preuve non fiables, ceux‑ci sont admissibles au Canada lors de l’audience d’extradition. Ce respect à l’égard des règles et procédures de l’État requérant est, dit‑on, justifié par le principe de courtoisie et par la capacité du Canada de choisir ses partenaires en matière d’extradition.
32 Il est vrai que la certification peut donner une indication générale de la fiabilité, étant donné que le Canada se fie à la bonne foi et à la diligence de ses partenaires, mais elle ne fait qu’attester le respect des règles de l’État requérant et n’écarte pas la possibilité d’une erreur ou d’une falsification. En outre, dans le cas d’une extradition fondée sur les traités en litige dans les pourvois Ortega, il n’est même pas nécessaire de certifier la disponibilité de la preuve pour le procès.
33 L’absence d’indices particuliers de fiabilité ou de disponibilité de la preuve ne viole pas les principes de justice fondamentale applicables aux audiences d’extradition. Aucune forme ou qualité particulière de preuve n’est exigée pour l’extradition, qui, de tout temps, se caractérise par sa souplesse et se déroule dans un esprit de respect et de courtoisie envers les partenaires. Il est donc difficile de prétendre que les dispositions de la Loi relatives à l’admissibilité de la preuve, en soi, violent les normes fondamentales de justice applicables à l’extradition.
34 En fait, la justice fondamentale exige que l’intéressé bénéficie d’une décision judiciaire indépendante et impartiale, fondée sur les faits et la preuve, quant à l’ultime question de savoir si la preuve est suffisante pour justifier l’extradition. Cette exigence de base doit toujours être respectée; nul ne peut être extradé sur le fondement d’un soupçon, demande ou hypothèse : Glucksman. Si, selon les dispositions de la Loi considérées conjointement, la fonction judiciaire se limite à « entériner d’office » la demande de l’État étranger et à la transmettre au ministre pour qu’il ordonne l’incarcération, il y a violation de l’art. 7.
35 La Loi sur l’extradition prévoit :
29. (1) Le juge ordonne dans les cas suivants l’incarcération de l’intéressé jusqu’à sa remise :
a) si la personne est recherchée pour subir son procès, la preuve — admissible en vertu de la présente loi — des actes justifierait, s’ils avaient été commis au Canada, son renvoi à procès au Canada relativement à l’infraction mentionnée dans l’arrêté introductif d’instance et le juge est convaincu que la personne qui comparaît est celle qui est recherchée par le partenaire;
36 Comme nous l’avons mentionné, cette disposition oblige le juge à trancher deux questions : (1) Quelle est la preuve admissible en vertu de la Loi? (2) La preuve admissible suffit-elle à justifier l’incarcération?
37 L’examen de l’admissibilité de la preuve dépend de la nature de celle‑ci. Dans les pourvois Ferras, la question est de savoir si le « dossier d’extradition » respecte les exigences de certification prévues à l’art. 33. Dans l’affirmative, il est admissible. Dans les pourvois Ortega, il s’agit de déterminer si la preuve respecte les exigences des traités. Là encore, si c’est le cas, elle est admissible. La Loi ne précise pas si le juge dispose du pouvoir discrétionnaire résiduel d’écarter tout élément de preuve non fiable ou dangereux.
38 L’examen du caractère suffisant de la preuve pour justifier l’incarcération en vue de l’extradition suppose une appréciation de la question de savoir si les actes décrits dans la preuve admissible justifieraient un renvoi à procès au Canada : par. 29(1). Pour qu’un renvoi à procès soit justifié au Canada, il faut au moins quelque élément de preuve pour chaque élément du crime canadien équivalent — l’exigence de double incrimination. L’examen du juge est axé sur les « actes » — les actes révélés par la preuve admissible sont‑ils criminels au Canada (voir McVey (Re), [1992] 3 R.C.S. 475, p. 526)?
39 Selon la jurisprudence actuelle, il semble que, dans le cadre de ces deux examens, le juge ne peut guère, voire pas du tout, évaluer la preuve soumise par l’État étranger et refuser l’extradition s’il estime qu’elle n’est pas fiable ou qu’elle est autrement insuffisante. C’est l’opinion adoptée par la Cour à la majorité dans Shephard. Le litige portait sur la question de savoir si le juge d’extradition pouvait refuser d’ordonner une incarcération en vue de l’extradition lorsqu’il existait des éléments de preuve pour chaque élément de l’infraction, mais que le juge estimait néanmoins que la preuve était si faible que l’existence de motifs raisonnables justifiant l’extradition n’a pas été établie et qu’il serait dangereux de prononcer cette ordonnance. Le juge Ritchie, au nom d’une majorité de cinq juges contre quatre, a affirmé que la question de savoir si la preuve est « manifestement peu digne de foi » n’est pas le critère applicable pour soustraire des éléments de preuve à l’appréciation du jury (p. 1087). Rejetant le critère appliqué par le juge d’extradition et la minorité dissidente, la majorité dans Shephard a conclu que le juge d’extradition n’a pas le pouvoir discrétionnaire de rejeter des éléments de preuve au motif qu’ils sont si douteux qu’ils en sont dangereux, et qu’il doit ordonner l’incarcération si tous les éléments nécessaires de l’infraction sont étayés par la preuve. L’arrêt Shephard a été rendu avant l’adoption de la Charte. Il n’a jamais été infirmé ou modifié, sauf pour permettre au juge de procéder à une évaluation limitée de la preuve circonstancielle afin de s’assurer que les inférences tirées de cette preuve peuvent raisonnablement étayer l’existence d’une preuve à l’égard de tous les éléments nécessaires de l’infraction (voir R. c. Arcuri, [2001] 2 R.C.S. 828, 2001 CSC 54).
40 Selon cette interprétation du droit, l’effet combiné des dispositions pertinentes (art. 29, 32 et 33 de la Loi) pourrait avoir pour conséquence de priver l’intéressé de l’audience et de l’évaluation indépendantes requises par les principes de justice fondamentale applicables à l’extradition. Si le juge d’extradition n’a ni la possibilité de déclarer inadmissible la preuve non fiable ni celle de soupeser ou d’examiner le caractère suffisant de la preuve, l’incarcération en vue de l’extradition est possible dans les cas où le renvoi à procès au Canada ne serait pas justifié. Il est évident qu’au Canada nul ne peut être renvoyé à procès pour une infraction si la preuve est si manifestement peu digne de foi qu’il serait imprudent d’y fonder un verdict. Par conséquent, si le juge qui préside l’audience d’extradition conclut que la preuve est manifestement peu digne de foi, en vertu du par. 29(1), il ne devrait pas ordonner l’extradition. Pourtant, selon l’état actuel du droit énoncé dans Shephard, il semble qu’il n’ait pas cette possibilité. De même, il est évident qu’au Canada nul ne peut être renvoyé à procès pour une infraction si la preuve produite contre elle n’est pas disponible pour le procès. Comme l’a énoncé le juge Donald au par. 51 de sa dissidence dans Ortega :
[traduction] Si l’élément de preuve n’est pas disponible pour le procès, il ne devrait pas servir à justifier l’incarcération. Le problème dépasse de loin les modalités et les règles de preuve; il va au coeur de la question dont le juge est saisi : la preuve est‑elle suffisante pour renvoyer à procès la personne visée par la demande.
Pourtant, selon l’opinion majoritaire dans Shephard, l’incarcération peut être ordonnée en l’absence de certification que la preuve est disponible pour le procès. Cela est particulièrement préoccupant dans le contexte de l’extradition, car l’ordonnance d’incarcération devient la décision judiciaire finale qui renvoie l’intéressé du pays.
41 Il se pourrait donc que, dans certains cas, malgré les efforts déployés par le Parlement et le pouvoir exécutif pour que la Loi sur l’extradition et les traités entre le Canada et d’autres États offrent des garanties de fiabilité, le juge n’ait d’autre choix que d’ordonner l’incarcération en vue de l’extradition même s’il conclut que cette décision est dangereuse ou déraisonnable d’après les éléments de preuve présentés. En fait, Shephard faisait justement partie de ces cas. L’application combinée de l’arrêt Shephard, selon lequel le juge n’a aucun pouvoir discrétionnaire résiduel de refuser d’ordonner l’incarcération en raison du caractère douteux de la preuve, qui est néanmoins admissible, et des dispositions en matière de preuve contenues dans la Loi sur l’extradition de 1999, qui a effectivement retiré au juge une part importante de son pouvoir discrétionnaire de ne pas admettre des éléments de preuve, a incité certains commentateurs à déclarer que les juges d’extradition n’ont plus rien à faire : voir A. W. La Forest, « The Balance Between Liberty and Comity in the Evidentiary Requirements Applicable to Extradition Proceedings » (2002), 28 Queen’s L.J. 95, p. 172; et G. Botting, Extradition Between Canada and the United States (2005), p. 8. Le juge ne fait qu’entériner d’office la demande. Comme nous l’avons vu, cela viole les principes de justice fondamentale applicables aux audiences d’extradition et, par conséquent, l’art. 7 de la Charte. Pour que l’intéressé bénéficie d’une audience d’extradition équitable, le juge d’extradition doit être en mesure d’évaluer la preuve, y compris sa fiabilité, afin de déterminer si elle est suffisante pour justifier l’incarcération.
42 La Cour a confirmé à maintes reprises que les audiences d’extradition sont assujetties à la Charte et que le juge d’extradition — contrairement au juge présidant l’enquête préliminaire — a compétence pour appliquer la Charte et pour accorder les réparations appropriées fondées sur celle‑ci à l’étape du processus d’extradition concernant la décision sur l’incarcération (voir États‑Unis d’Amérique c. Cobb, [2001] 1 R.C.S. 587, 2001 CSC 19; États‑Unis d’Amérique c. Kwok, [2001] 1 R.C.S. 532, 2001 CSC 18, et États‑Unis d’Amérique c. Shulman, [2001] 1 R.C.S. 616, 2001 CSC 21). Il faut donc ensuite se demander si les dispositions de la Loi sur l’extradition peuvent être interprétées de façon à éviter des résultats inconstitutionnels dans la mesure du possible. Si l’on peut interpréter le par. 29(1) de telle sorte que le juge d’extradition est autorisé à évaluer la preuve et à refuser l’extradition si dans l’ensemble la preuve est insuffisante, c’est cette interprétation qu’il faudrait retenir. Dans le cas contraire, les dispositions de la Loi qui sont incompatibles avec la Charte sont inopérantes en vertu de l’art. 52 de la Loi constitutionnelle de 1982.
43 Comme nous l’avons vu, une preuve admissible ne peut, à elle seule, justifier l’incarcération dans le contexte de l’extradition. L’admissibilité ne constitue qu’un volet de la détermination de l’existence d’éléments de preuve au vu desquels un jury raisonnable, ayant reçu des directives appropriées, pourrait rendre un verdict de culpabilité. La justification de l’incarcération dépend d’une combinaison de facteurs, à savoir l’admissibilité, la double incrimination, l’équité fondamentale et les garanties constitutionnelles, qui, ensemble, éclairent le juge d’extradition dans sa décision d’ordonner ou non l’incarcération. Elle dépend essentiellement du processus judiciaire dirigé par un juge qui dispose du pouvoir discrétionnaire de refuser de faire incarcérer l’intéressé en vue de son extradition faute de preuve suffisante.
44 À mon avis, il est possible d’interpréter les dispositions de la loi de 1999 d’une manière qui permette de satisfaire à ces exigences — lesquelles sont inhérentes au droit à une audience devant un juge neutre. Selon le par. 29(1) de la Loi, le juge d’extradition doit déterminer si la preuve permet de « justifie[r] [. . .] [le] renvoi à procès ». On peut interpréter cette disposition de manière à permettre au juge d’extradition d’assurer l’examen des faits et le processus judiciaire nécessaires pour respecter les exigences de la Charte.
45 « Justifier » une chose signifie en prouver le bien‑fondé : voir Le Trésor de la langue française, t. 10, 1983, « justifier ». En droit pénal ou en droit de la responsabilité délictuelle, une « justification » décrit les « actes [que nous considérons comme] bons et non comme mauvais », parce qu’ils sont interprétés dans un contexte qui en fait ressortir le bien‑fondé, par exemple « [l]’agent de police qui abat celui qui retient des otages, la victime innocente d’une agression qui recourt à la force pour se défendre contre son agresseur, le bon samaritain qui réquisitionne une voiture et enfreint la limite de vitesse pour amener au plus tôt la victime d’un accident à l’hôpital . . . » (Perka c. La Reine, [1984] 2 R.C.S. 232, p. 246).
46 Au paragraphe 29(1), la directive imposant au juge d’extradition de déterminer s’il existe une preuve admissible qui « justifierait [. . .] le renvoi à procès » l’oblige à évaluer si la preuve admissible prouve le bien‑fondé de l’incarcération en vue de l’extradition. Il ne suffit pas qu’un élément de preuve existe simplement à l’égard de chaque élément du crime. La preuve doit pouvoir permettre à un jury raisonnable, ayant reçu des directives appropriées, de rendre un verdict de culpabilité. Si la preuve ne permet pas de démontrer le caractère suffisant pour justifier l’incarcération, elle ne saurait alors « justifier » cette dernière. Le juge d’extradition n’a pas besoin d’être convaincu par la preuve que l’intéressé est coupable des crimes allégués. Cette appréciation incombe au tribunal de première instance dans le pays étranger. Cependant, il doit être démontré que la cause pourrait faire l’objet d’un procès au Canada. Le juge d’extradition pourrait donc être tenu de procéder à une évaluation limitée des éléments de preuve pour statuer, non pas sur la culpabilité ultime, mais sur le caractère suffisant des éléments de preuve pour justifier le renvoi à procès.
47 Comme nous l’avons vu, le par. 29(1) de la Loi sur l’extradition exige que le juge d’extradition soit convaincu que les éléments de preuve justifieraient le renvoi à procès au Canada, si l’infraction y avait été commise. Les tribunaux canadiens ont adopté, au cours des dernières décennies, la pratique qui consiste à soumettre l’accusation ou le moyen de défense à l’appréciation du jury lorsqu’un élément de preuve permet de les étayer et ont dissuadé les juges de première instance d’évaluer la preuve et de soustraire une question à l’appréciation du jury du fait que la preuve n’est pas suffisamment fiable ou convaincante : voir Arcuri, par. 30, et R. c. L. (D.O.), [1993] 4 R.C.S. 419, p. 454‑455. Cela peut expliquer la conclusion dans Shephard, selon laquelle le juge d’extradition n’a pas le pouvoir discrétionnaire de refuser l’extradition s’il existe une preuve, même faible ou douteuse, à l’appui de chacun des éléments de l’infraction alléguée. À mon avis, cette façon stricte d’aborder le pouvoir judiciaire discrétionnaire ne devrait pas s’appliquer en matière d’extradition. La décision de retirer à un juge de première instance son pouvoir discrétionnaire reflète la certitude que, étant donné les règles strictes d’admissibilité de la preuve dans les procès criminels, le jury qui a reçu des directives appropriées est capable de s’acquitter de la tâche qui lui incombe d’évaluer la fiabilité de la preuve et de soupeser son caractère suffisant sans l’aide du juge. L’accusé n’est pas privé de la protection que procurent l’examen et l’appréciation de la preuve par le juge des faits. Par contre, l’application de ce critère dans des instances d’extradition a pour effet de priver l’intéressé de tout examen de la fiabilité ou du caractère suffisant de la preuve. Autrement dit, le pouvoir discrétionnaire limité qu’ont les juges de soustraire à l’appréciation d’un jury canadien un élément de preuve n’a pas les mêmes conséquences négatives sur le plan constitutionnel que la décision de lui retirer le pouvoir discrétionnaire de refuser d’ordonner l’incarcération en vue de l’extradition. Dans ce dernier cas, le retrait du pouvoir discrétionnaire peut priver l’intéressé de son droit constitutionnel à une décision judiciaire valable avant qu’il perde sa liberté et soit renvoyé du pays.
48 Il importe également de noter les différences entre les audiences d’extradition et les enquêtes préliminaires qui se déroulent au Canada. Dans les deux cas, il s’agit d’une étape préalable au procès servant de filtre et on utilise le même critère du caractère suffisant de la preuve pour le renvoi à procès : existe‑t‑il des éléments de preuve au vu desquels un jury raisonnable, ayant reçu des directives appropriées, pourrait rendre un verdict de culpabilité : Shephard. Dans sa version antérieure, la Loi sur l’extradition cimentait l’analogie entre les deux procédures en précisant que l’audience devant le juge d’extradition devait « se déroule[r], dans la mesure du possible [. . .] comme [si le fugitif] comparaissait devant un juge de paix pour un acte criminel commis au Canada » : Loi sur l’extradition, L.R.C. 1985, ch. E‑23, art. 13. Toutefois, la nouvelle Loi ne maintient pas ce parallèle étroit entre les procédures. Le paragraphe 24(2) de la Loi stipule : « [Le juge, pour procéder à l’audition de la demande est] investi, sous réserve des autres dispositions de la présente loi, des mêmes pouvoirs qu’un juge de paix en application de la partie XVIII du Code criminel, compte tenu des adaptations nécessaires. » Cette disposition confère au juge d’extradition les mêmes pouvoirs que ceux dont est investi le juge présidant l’enquête préliminaire, mais elle exige qu’il les exerce d’une manière qui convienne dans le contexte de l’extradition. Le juge ne se conforme plus « dans la mesure du possible » à la procédure d’une enquête préliminaire. La deuxième différence réside dans les règles d’admission de la preuve. À l’enquête préliminaire, l’admission de la preuve se fait selon les règles de preuve applicables au Canada, avec tout ce qu’elles comportent de garanties inhérentes quant au seuil de fiabilité. Par contre, la preuve présentée dans une instance d’extradition peut être dépourvue de ces garanties. La troisième différence tient au pouvoir des juges d’extradition d’accorder des réparations fondées sur la Charte. Étant donné ces différences, il n’est pas approprié d’assimiler la tâche du juge d’extradition à celle du juge présidant l’enquête préliminaire.
49 Je conclus que priver le juge d’extradition du pouvoir discrétionnaire de refuser d’ordonner l’incarcération faute de preuve suffisante viole le droit de l’intéressé d’être jugé par un juge indépendant et impartial — droit implicitement prévu à l’art. 7 de la Charte, lorsqu’il est question de liberté. Cela priverait le juge du pouvoir de procéder à un examen indépendant et impartial des faits en fonction du droit, compromettrait la nature judiciaire de l’audience et ferait du juge d’extradition un représentant administratif du pouvoir exécutif. La procédure qui consiste à examiner si toutes les cases sont cochées pour ensuite ordonner l’incarcération constitue non pas une décision, mais une simple confirmation officielle. Dans la mesure où la décision de la majorité dans la cause Shephard antérieure à la Charte tend à indiquer une position contraire, elle devrait être modifiée de manière à respecter les exigences de la Charte.
50 Je conclus que les al. 32(1)a) et b) et l’art. 33 de la loi de 1999 ne violent pas le droit garanti à l’intéressé par l’art. 7 de la Charte, parce que, selon l’interprétation qu’il convient de leur donner, les exigences relatives à l’incarcération prévues au par. 29(1) confèrent au juge d’extradition le pouvoir discrétionnaire de refuser d’ordonner l’extradition faute de preuve suffisante, par exemple lorsque la fiabilité de la preuve certifiée est contestée avec succès ou lorsque rien n’indique, par certification ou autrement, que la preuve est disponible pour le procès.
2.5 Évaluation du caractère suffisant de la preuve — Questions procédurales
51 Après avoir décrit le rôle que doit jouer le juge d’extradition en vertu du par. 29(1) de la Loi sur l’extradition, j’aborde maintenant la question procédurale plus concrète de la façon dont il devrait s’acquitter de cette tâche lorsque la preuve produite au soutien de l’extradition consiste en un dossier ou résumé certifié par l’État requérant. Plus particulièrement, j’utilise les exemples des présentes affaires : comment et quand des préoccupations quant à la fiabilité ou la disponibilité des éléments de preuve ont‑elles pour effet de les rendre insuffisants pour l’incarcération?
52 La certification de la preuve prévue à l’al. 33(3)a) crée une présomption de fiabilité à l’égard des éléments de preuve contenus dans le dossier d’extradition. Cette présomption découle des principes de courtoisie entre le Canada et l’État requérant. Comme nous l’avons déjà expliqué, la certification est l’indice de fiabilité de la preuve prescrit par le législateur dans ces circonstances. À moins d’être contestée, la certification établit un seuil de fiabilité.
53 Il est loisible à l’intéressé de contester le caractère suffisant de la preuve, y compris la fiabilité des éléments de preuve certifiés. L’alinéa 32(1)c) de la Loi l’autorise à présenter des éléments de preuve « que le juge estime dignes de foi ». Pour cela, il n’est pas nécessaire de conclure que la preuve présentée par l’intéressé est effectivement digne de foi. En l’espèce, le litige porte sur le seuil de fiabilité. Autrement dit, il s’agit de déterminer si l’élément de preuve produit présente suffisamment d’indices de fiabilité pour mériter d’être pris en considération par le juge à l’audience. Une fois admis, sa fiabilité pour l’extradition est déterminée d’après l’ensemble de la preuve présentée à l’audience. Considéré sous cet angle, l’al. 32(1)c) ne présente en fait pas plus de difficultés de preuve pour l’intéressé que n’en présentent les al. 32(1)a) ou b) pour l’État requérant.
54 La contestation de la justification d’une incarcération peut impliquer la production d’éléments de preuve ou la présentation d’arguments quant à la question de savoir si un jury raisonnable pourrait accepter les éléments de preuve. Lorsque de tels éléments de preuve sont produits ou que de tels arguments sont soulevés, le juge d’extradition peut procéder à une évaluation limitée de la preuve pour déterminer s’il existe des motifs plausibles. L’évaluation ultime de la fiabilité continuera à se faire au procès, là où il s’agit de trancher entre l’innocence et la culpabilité. Cependant, le juge d’extradition examine l’ensemble de la preuve présentée à l’audience d’extradition et détermine si elle établit l’existence d’une preuve permettant au jury de conclure à la culpabilité. Si la preuve est à ce point viciée ou semble si peu digne de foi qu’il conclut qu’il serait dangereux ou imprudent de déclarer l’accusé coupable, elle ne devrait pas être soumise à l’appréciation du jury et ne présente donc pas le caractère suffisant nécessaire pour satisfaire au critère applicable en matière d’incarcération.
55 L’absence d’une certification que la preuve est disponible pour le procès, soulevée dans les pourvois Ortega, pose un problème différent. En l’espèce, on ne se plaint pas de ce que la certification puisse parfois constituer un indice de fiabilité insuffisant pour autoriser l’extradition, mais de ce qu’il n’existe absolument aucune preuve. Il est fondamental pour l’extradition de démontrer que la preuve existe véritablement et qu’elle est disponible pour le procès. L’objectif même de l’extradition est de renvoyer l’intéressé dans le pays requérant pour qu’il y subisse son procès. Le renvoyer dans ce pays pour qu’il languisse en prison sans procès est l’antithèse des principes sur lesquels reposent l’extradition et la courtoisie qui y est sous‑jacente. Par conséquent, le juge d’extradition ne peut à bon droit faire incarcérer une personne en vue de son extradition en vertu du par. 29(1) à moins qu’une preuve suffisante à première vue n’ait établi l’existence d’éléments de preuve sur la foi desquels elle peut subir son procès. Il se peut que certains traités n’exigent pas que la disponibilité de la preuve soit certifiée. Mais cela ne modifie pas les exigences du par. 29(1) de la Loi selon lesquelles le juge d’extradition doit être convaincu du bien‑fondé de l’incarcération en vue de l’extradition.
56 Dans les pourvois Ortega, le ministère public prétend qu’il faudrait présumer de la disponibilité de la preuve en signe de courtoisie et présumer que, lors de la négociation du traité, le Canada a déjà déterminé si le partenaire est susceptible d’assurer un procès équitable à l’intéressé. Cependant, la préoccupation du juge d’extradition est d’assurer une audience d’extradition équitable au Canada : Cobb et Kwok. Si la disponibilité de la preuve pour le procès est un facteur crucial dont il faut prendre en compte pour déterminer si le critère applicable en matière de renvoi à procès est rempli (et, selon mon interprétation du par. 29(1), il l’est effectivement), ni l’évaluation des pratiques judiciaires d’un pays par le pouvoir exécutif, ni la présomption que l’État requérant est de bonne foi ne suffisent pour respecter le droit de l’intéressé à une évaluation par un juge neutre avant l’extradition.
57 Les dispositions relatives au dossier d’extradition ainsi que les traités modernes tel le Deuxième protocole modifiant le Traité d’extradition entre le gouvernement du Canada et le gouvernement des États‑Unis d’Amérique, R.T. Can. 2003 no 11, signé le 12 janvier 2001, reconnaissent l’exigence fondamentale de la preuve « disponible ». En effet, ils exigent que l’État requérant certifie la disponibilité de la preuve. Même si un traité ne l’exige pas expressément, il reste qu’il s’agit d’un élément fondamental à établir pour remplir le critère applicable en matière d’incarcération. Lorsque l’État requérant ne certifie pas ou n’établit pas autrement qu’une preuve suffisante à première vue existe et qu’elle est disponible pour le procès, la preuve au soutien de l’extradition est incomplète et devrait être refusée.
58 Il ne s’agit pas d’un lourd fardeau. En effet, lorsqu’une preuve originale (p. ex. une preuve documentaire ou des affidavits) est présentée au juge d’extradition, son existence va de soi et sa disponibilité pour le procès sera présumée. De même, lorsque l’État requérant certifie que la preuve est disponible, cette certification donne lieu à la présomption que la preuve est disponible pour le procès. Toutefois, il arrive que l’intéressé conteste à bon droit la présomption de disponibilité de la preuve pour le procès. Par exemple, lorsque l’intéressé peut démontrer que l’État requérant se fonde sur le témoignage d’une personne qui, avant l’audience d’extradition, a rétracté sa déclaration, il peut susciter un doute quant à la disponibilité de cet élément de preuve pour le procès. Un autre exemple serait celui où un État se contente d’affirmer que la preuve existe sans en décrire du tout le contenu ou la forme. Dans un tel cas, la disponibilité de la preuve peut être douteuse. En outre, le juge d’extradition ne fait pas de prédiction quant à l’état futur de la preuve. Il détermine selon le bon sens si la preuve existe et est disponible pour le procès — au moment de l’audience d’extradition — en se fondant sur la preuve elle‑même, sur toutes les garanties circonstancielles de disponibilité (telle une certification) et sur tous les éléments de preuve produits pour contester la présomption de disponibilité pour le procès.
59 Un autre aspect procédural consiste à déterminer si la personne qui conteste la fiabilité ou la disponibilité véritables d’un élément de preuve produit à l’audience relative à l’incarcération doit solliciter une réparation fondée sur l’art. 24 de la Charte. À mon avis, cela n’est pas nécessaire. Le paragraphe 29(1) de la Loi, selon l’interprétation qu’il convient de lui donner, respecte les valeurs exprimées dans la Charte et les principes de courtoisie, de réciprocité et de respect des différences sur lesquels repose l’extradition. Par conséquent, l’exercice par le juge d’extradition de son pouvoir discrétionnaire d’ordonner l’incarcération ne donne lieu à aucun conflit constitutionnel. Autrement dit, le juge d’extradition a le pouvoir discrétionnaire de ne pas tenir compte des éléments de preuve non disponibles ou non fiables lorsqu’il détermine si l’incarcération est justifiée au sens du par. 29(1). L’intéressé n’a donc pas besoin de demander une réparation constitutionnelle.
60 Néanmoins, le par. 24(2) de la Charte demeure un moyen permettant d’exclure un élément de preuve lors d’une audience d’extradition pour des raisons d’équité autres que celles de la disponibilité et de la fiabilité dont il est question dans les présents pourvois. Par exemple, dans l’affaire Cobb, où un procureur américain avait fait des commentaires publics qui constituaient des menaces et de l’intimidation à l’endroit des intéressés, ceux‑ci ne pouvaient bénéficier d’une audience d’extradition équitable compte tenu de la possibilité que les actes du procureur américain les aient intimidés et encouragés à ne pas défendre leurs droits aussi vigoureusement qu’ils en avaient le droit. Le juge d’extradition peut également exclure des éléments de preuve en vertu du par. 24(2) de la Charte si, par exemple, ils ont été recueillis de manière si abusive par des autorités étrangères que leur admission lors de l’audience relative à l’incarcération serait inéquitable selon l’art. 7 de la Charte (voir l’analyse dans Shulman, par. 56).
3. Application aux présents pourvois
3.1 Ferras c. États‑Unis d’Amérique
61 Les États‑Unis demandent l’extradition de l’appelant Ferras pour qu’il réponde à des accusations de complot de fraude en matière de valeurs mobilières, fraude en matière de valeurs mobilières et de blanchiment d’argent. Le juge d’extradition a reçu les éléments de preuve en trois volets : le dossier d’extradition et deux dossiers supplémentaires (collectivement appelés les « dossiers »). Chacun de ces documents portait la certification, faite sous serment devant notaire par la substitut du procureur général des États‑Unis Tanya Y. Hill, que [traduction] « les éléments de preuve résumés dans le dossier ci‑joint ou contenus dans celui‑ci sont disponibles pour le procès et sont suffisants pour justifier la poursuite en vertu du droit des États‑Unis » (D.A., p. 601, 620 et 630).
62 Le dossier d’extradition et le premier supplément ont été préparés par Joseph Jordan, agent spécial de l’IRS, et le deuxième supplément, par Vincent Girardi, agent spécial du FBI. Les dossiers ont été rédigés sous forme d’affidavits — à la première personne et d’après ce que savaient ces enquêteurs. Ils sont signés par les agents, mais n’ont pas été faits sous serment. Ils décrivent la preuve qu’il est prévu de produire au procès de M. Ferras, notamment les témoignages de diverses personnes que ces agents ont personnellement interviewées ou dont ils ont examiné les résumés d’interview avant de préparer les dossiers. Ceux‑ci décrivent également la preuve documentaire qu’ils ont examinée et qui est disponible pour la poursuite.
63 Selon les dossiers, les anciens collègues et clients de M. Ferras de la maison de courtage HGI témoigneront que ce dernier se livrait à des pratiques frauduleuses de vente « sous pression » pour vendre aux clients les actions que cherchait à promouvoir HGI, qu’il a formé d’autres courtiers pour qu’ils utilisent ces tactiques frauduleuses, ce qui était la politique de la société, et qu’il a tiré un avantage financier de plus de 800 000 $ de ces ventes frauduleuses, sous forme de commissions et de profit découlant de sa participation de 2 pour 100 dans HGI. D’après les dossiers, la preuve documentaire, dont des rapports de transactions, des documents de paie et des relevés bancaires, corroborera la déposition de ces témoins.
64 À l’audience d’extradition, M. Ferras a concédé que, s’ils étaient admissibles, les éléments de preuve étaient suffisants pour justifier son incarcération en vue de son extradition. Je comprends de cette concession qu’il n’y a pas de litige quant aux questions de double incrimination ou d’identité de l’intéressé. Par contre, comme nous l’avons déjà mentionné, M. Ferras a contesté l’admissibilité des dossiers pour des motifs de fiabilité. Comme sa concession concernant le caractère suffisant de la preuve découle vraisemblablement du fait qu’il a supposé à tort que la question portait sur le seuil de fiabilité auquel doit satisfaire la preuve pour être admise, il semblerait injuste de l’astreindre à cette concession.
65 Il faut donc se demander si les dossiers contiennent suffisamment d’éléments de preuve au vu desquels un jury raisonnable, ayant reçu des directives appropriées, pourrait conclure à la culpabilité. Comme nous l’avons vu, pour répondre à cette question par l’affirmative, le juge d’extradition doit considérer si les éléments de preuve produits renferment suffisamment d’indices de fiabilité pour justifier le renvoi à procès. À la forme négative, le juge ne devrait pas ordonner l’incarcération si, d’après l’ensemble de la preuve, il serait dangereux ou imprudent de le faire.
66 La certification par les États‑Unis, un partenaire du Canada, crée une présomption de fiabilité des dossiers. Un partenaire a attesté à l’intention de la Cour que la preuve satisfait aux critères requis pour justifier la tenue d’un procès aux États‑Unis. Le Canada a déjà évalué la probabilité que la poursuite aux États‑Unis procède sur la base d’éléments de preuve fiables. À moins d’être réfutée, cette présomption de fiabilité subsiste et la preuve sera jugée suffisante pour justifier l’incarcération en vue de l’extradition.
67 L’appelant Ferras tente de réfuter la présomption de fiabilité en soulignant que la preuve qui figure dans les dossiers consiste pour l’essentiel en ouï‑dire et que ce dernier porte en partie sur le témoignage que devraient apporter des coauteurs du complot, dont l’un a été déclaré coupable de parjure.
68 Cette preuve justifierait‑elle au Canada le renvoi à procès si les actes décrits y avaient été commis? Les dossiers eux‑mêmes ne donnent que des éléments de preuve secondaires de la preuve disponible pour le procès. Il ne s’agit pas toutefois de savoir si l’information au dossier est bel et bien véridique. Le juge d’extradition ne statue pas sur la culpabilité ou l’innocence de l’intéressé. La seule question à trancher est celle de savoir s’il existe des éléments de preuve au vu desquels un jury raisonnable, ayant reçu des directives appropriées, pourrait conclure à la culpabilité.
69 La preuve produite dans Ferras appuie la conclusion que les États‑Unis disposent de suffisamment de preuve pour justifier l’incarcération. Tout d’abord, en raison de la certification fournie par l’État requérant conformément au par. 33(3) de la Loi, il existe la présomption que les dossiers sont fiables. Rien dans la preuve n’indique que les enquêteurs n’étaient pas compétents pour préparer les dossiers. Au contraire, ils ont eu la possibilité d’examiner, de consigner et de communiquer les éléments de preuve que les États‑Unis avaient recueillis contre M. Ferras. Les dossiers produits portent le sceau des États‑Unis et ils ont été signés par les enquêteurs. Selon les dossiers, les témoins attesteront sous serment et les documents originaux seront portés à la connaissance du juge des faits. Même s’il est allégué que certains témoins sont des coauteurs du complot, beaucoup d’entre eux ne le sont pas. Certains sont des anciens clients de M. Ferras. Il y avait aussi une avocate qui travaillait pour la Securities and Exchange Commission et un enquêteur, de la National Association of Securities Dealers. Rien dans la preuve ne permet de contester la fiabilité de ces témoins ou de la preuve documentaire décrite dans les dossiers.
70 M. Ferras a eu l’occasion de présenter des éléments de preuve au juge d’extradition. Il a choisi de ne pas le faire. Dans l’état actuel des choses, le dossier ne donne aucune raison de réfuter la présomption de fiabilité de la preuve soumise pour satisfaire au critère applicable en matière d’incarcération. Au contraire, la preuve semble appuyer la présomption que la preuve produite au procès aura effectivement le degré de fiabilité qu’on attend d’une preuve soumise à l’appréciation du jury au Canada. Il ne s’agit pas d’un cas où, d’après le dossier, il serait imprudent de faire incarcérer l’intéressé.
71 En conséquence, je suis d’avis de rejeter le présent pourvoi.
3.2 Latty et Wright c. États‑Unis d’Amérique
72 Les États‑Unis demandent l’extradition des appelants Latty et Wright pour qu’ils répondent à des accusations de complot en vue de faire le trafic de la cocaïne et de complot pour possession de la cocaïne en vue d’en faire le trafic. Les dossiers d’extradition ont été certifiés par le substitut du procureur général des États‑Unis Kevin P. Dooley, selon lequel, [Traduction] « les éléments de preuve résumés dans le dossier ci‑joint ou contenus dans celui‑ci sont disponibles pour le procès et sont suffisants pour justifier la poursuite en vertu du droit des États‑Unis » (D.A., p. 153 et 228). Contrairement à Ferras, les certifications, bien que signées par M. Dooley, ne sont pas des déclarations sous serment.
73 Les dossiers ont été préparés par Lawrence R. Marsili, un enquêteur de la police de l’État de New York. Comme dans Ferras, les dossiers se présentaient sous la forme d’affidavits et ils étaient signés par l’enquêteur, mais n’ont pas été faits sous serment. Les dossiers décrivent la preuve qu’il est prévu de produire au procès des appelants — tant les témoignages que les documents.
74 Selon les dossiers, MM. Latty et Wright également connus sous les surnoms de « Scabby » et « Frankie », coordonnaient une opération de contrebande de cocaïne qui impliquait le transport de cocaïne des États‑Unis vers l’Angleterre avec l’aide d’agents de bord d’American Airlines qui assuraient le trajet entre New York et Londres. Au nombre des témoins figurent plusieurs coauteurs du complot, dont les agents de bord (Henry et Gary) et des personnes impliquées dans la livraison et le ramassage de la cocaïne, ainsi que des policiers des États‑Unis, du Canada et de l’Angleterre. La preuve documentaire comprend des documents du bureau de crédit et des documents d’incorporation qui lient les deux appelants à une société établie à Toronto, Universal Sports Wear, le numéro de téléphone que devaient composer les membres du réseau de trafiquants pour joindre « Scabby » et « Frankie » pour planifier le transport de la cocaïne. Il y avait aussi des relevés de téléphone, des renseignements sur les abonnés au téléphone et sur l’immatriculation de véhicules. Les dossiers contiennent des descriptions détaillées de la surveillance policière de la rencontre des appelants avec Henry à l’aéroport de Toronto ainsi que des rapports détaillés des conversations téléphoniques entre Henry et les appelants. Ils décrivent aussi la déposition de plusieurs témoins qui identifient les appelants comme « Scabby » et « Frankie », les coordonnateurs de l’opération de contrebande, tant par la voix que par des photos.
75 À l’audience d’extradition, les appelants ont admis que les dossiers d’extradition comportaient suffisamment d’éléments de preuve pour justifier leur incarcération. Ils ont contesté l’admissibilité de la preuve en invoquant des motifs constitutionnels. Il n’est pas possible de faire droit à leurs arguments relatifs au seuil de fiabilité auquel doit satisfaire la preuve pour être admise à l’audience d’extradition. Il faut répondre par l’affirmative à la question plus pertinente de savoir si la preuve offre suffisamment d’indices de fiabilité pour justifier l’incarcération.
76 Encore une fois, les certifications des États‑Unis créent une présomption de fiabilité. Les appelants soulèvent des questions relatives à l’utilisation de preuve par ouï‑dire et au fait que les certifications figurant au dossier n’ont pas été faites « sous serment ». Cependant, ces préoccupations ne suffisent pas pour réfuter la présomption de fiabilité.
77 Comme dans Ferras, l’utilisation de preuve par ouï‑dire ne porte pas atteinte à la fiabilité de la preuve nécessaire pour satisfaire au critère applicable en matière d’incarcération. Le juge d’extradition doit être convaincu qu’il existe une preuve au vu de laquelle un jury raisonnable pourrait conclure à la culpabilité. Les dossiers établissent de manière satisfaisante que les États‑Unis disposent effectivement de suffisamment d’éléments de preuve pour qu’un jury entende la cause. Ils ont été préparés par un enquêteur qui avait une connaissance approfondie de la preuve disponible, grâce à sa participation dans l’affaire. L’enquêteur a signé les dossiers, qui ont été certifiés par le procureur de district adjoint, puis authentifiés par le secrétaire d’État. Rien dans la preuve ne permet de contester la compétence de l’enquêteur qui a préparé le dossier, la fiabilité des témoins qui doivent déposer au procès ou celle de la preuve documentaire décrite dans les dossiers.
78 Contrairement aux certifications des dossiers dans Ferras, celles qui nous occupent ici n’ont pas été faites sous serment par le procureur de district adjoint des États‑Unis, qui les a simplement signés. Mais elles sont conformes aux exigences du par. 33(3) de la Loi. On ne peut reprocher au responsable américain de ne pas avoir fourni une certification faite sous serment lorsque la Loi ne l’exige pas.
79 En l’absence d’éléments de preuve de la part des appelants Latty et Wright, le dossier d’extradition appuie la présomption que la preuve qui sera présentée au procès aura le degré de fiabilité qu’on attend de celle présentée à un jury au Canada. Rien dans le dossier n’indique qu’il serait imprudent de faire incarcérer les appelants en vue de leur extradition en se fondant sur cette preuve.
80 En conséquence, je suis d’avis de rejeter les présents pourvois.
4. Autres questions
81 Deux autres questions concernant les pourvois Ferras nécessitent de brefs commentaires.
4.1 L’article 6 de la Charte
82 L’appelant Ferras, qui est citoyen canadien, conteste la constitutionnalité de l’al. 32(1)a) et du par. 33(3) en se fondant sur l’art. 6 de la Charte. L’extradition vers un autre pays porte atteinte au droit que garantit le par. 6(1) de la Charte au citoyen canadien de demeurer au Canada : voir États‑Unis d’Amérique c. Cotroni, [1989] 1 R.C.S. 1469. Dans le cadre du processus d’extradition, l’art. 6 entre en jeu non pas au stade de la décision sur l’incarcération, mais seulement à l’étape de l’extradition : Cobb, Kwok et Shulman.
83 Même si un arrêté d’extradition a été pris contre M. Ferras, la violation alléguée de la Charte concerne des dispositions législatives qui s’appliquent à l’audience d’extradition, à savoir au stade de la décision sur l’incarcération — et non à celui de l’extradition — du processus d’extradition. Une fois que le juge d’extradition a conclu à l’existence d’une preuve suffisante à première vue justifiant l’extradition, la décision ministérielle d’extrader est de « nature politique, diplomatique, ou les deux » : Kwok, par. 63. Dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, le ministre a, de par le par. 6(1), « l’obligation de s’assurer que la poursuite au Canada n’est pas une option réaliste » : Cotroni, p. 1498. Il n’est toutefois pas tenu de fonder sa décision d’extrader sur la preuve soumise lors de l’audience relative à l’incarcération. Les dispositions contestées ne peuvent donc porter atteinte au par. 6(1) de la Charte.
4.2 L’arrêté d’extradition relatif à MM. Latty et Wright
84 Les appelants Latty et Wright soulèvent deux questions concernant le contrôle judiciaire de l’arrêté d’extradition vers les États‑Unis pris contre eux par le ministre. Ils affirment que leur extradition vers les États‑Unis, où ils sont passibles, s’ils sont reconnus coupables, d’une peine variant entre 10 ans d’emprisonnement et l’emprisonnement à vie sans possibilité de libération conditionnelle, « choquerait la conscience » des Canadiens et irait à l’encontre de la justice fondamentale. Ils affirment aussi que le refus du ministre de demander des assurances que la peine serait davantage réduite compte tenu de la période de détention avant le procès contreviendrait à la justice fondamentale.
85 La Cour a adopté une méthode de pondération pour déterminer si les peines qui pourraient être infligées dans l’État requérant « choqueraient la conscience » des Canadiens. Tout en confirmant cette méthode dans États‑Unis c. Burns, [2001] 1 R.C.S. 283, 2001 CSC 7, la Cour a affirmé au par. 67 que « les mots “choc de la conscience” et autres expressions équivalentes ne doivent pas être pris hors contexte ni assimilés aux sondages d’opinion. Ces mots tendaient plutôt à souligner la nature très exceptionnelle de circonstances qui, sur le plan constitutionnel, limiteraient la portée de la décision du ministre dans les affaires d'extradition ».
86 Comme dans Burns, par. 72, plusieurs facteurs militent en faveur de l’extradition des appelants Latty et Wright aux États‑Unis : le principe qu’il faut traduire les accusés en justice pour qu’il soit statué sur la véracité des accusations, le principe selon lequel les intérêts de la justice sont mieux servis par la tenue du procès dans le ressort où le crime aurait été commis, le principe selon lequel les Canadiens doivent généralement accepter les lois et procédures des pays qu’ils visitent et le principe de la courtoisie, de la réciprocité et du respect des différences entre les États. Au nombre des facteurs qui militent contre l’extradition des appelants figurent la plus grande sévérité des peines qui pourraient leur être infligées s’ils sont condamnés aux États‑Unis et la possibilité que la preuve utilisée aux États‑Unis pourrait notamment comprendre la preuve obtenue par écoute électronique qui ne serait pas admissible au Canada.
87 Selon moi, c’est à bon droit que le ministre a décidé que [traduction] « l’extradition vers un partenaire dont le système de justice criminelle n’offre pas toutes les garanties procédurales du système de justice criminelle canadien n’enfreint pas, en soi, les principes de justice fondamentale. » Les appelants n’ont produit aucun élément de preuve et aucune jurisprudence au soutien de leurs arguments que les peines qui pourraient leur être infligées choqueraient la conscience des Canadiens. En outre, les facteurs qui militent en faveur de l’extradition en l’espèce l’emportent nettement sur ceux qui militent en sens inverse.
88 Quant à la réduction de peine à accorder pour la période de détention avant l’extradition, les appelants affirment que les conditions de cette détention sont particulièrement dures (parce que les personnes sont détenues dans des établissements à sécurité maximale) et qu’en conséquence, ils méritent une plus grande réduction de peine. Ils affirment que, dans ces circonstances, le refus du ministre de demander des assurances « choque la conscience » des gens raisonnablement bien informés.
89 L’alinéa 3585b) du titre 18 du United States Code prévoit [traduction] « Le défendeur bénéficie d’une réduction de peine compte tenu du temps passé en détention officielle avant la date du début de la peine . . . ». Les appelants sont préoccupés du fait que, même si le titre 18 accorde une réduction de peine pour le temps passé en détention avant le procès, il ne prévoit pas une plus grande réduction et ne tient pas compte non plus des conditions de la détention avant l’extradition.
90 Bien que la Cour ait approuvé la pratique qui consiste à réduire la peine d’une durée correspondant au double du temps passé en détention avant procès (voir R. c. Wust, [2000] 1 R.C.S. 455, 2000 CSC 18, par. 45), elle a énoncé clairement qu’il ne s’agissait pas d’une pratique consacrée, préférant que la question relève du pouvoir discrétionnaire judiciaire. Le refus du ministre de demander des assurances quant à une plus grande réduction de peine compte tenu de la détention avant procès n’est pas mal fondée, [traduction] « dans la mesure où nous ne garantissons pas nous‑mêmes une plus grande réduction des peines » : United States of America c. Adam (2003), 174 C.C.C. (3d) 445 (C.A. Ont.), par. 34.
91 En plus des facteurs qui militent en faveur de l’extradition, il est préférable de déterminer la peine à l’issue du procès, lorsque tous les faits ont été mis au jour. Le seul facteur qui milite en faveur de la demande d’assurances est le fait que le ministre serait dans une bonne position pour informer l’État requérant des conditions rigoureuses de détention avant l’extradition qui existent au Canada. Ce sont toutefois des questions que les appelants peuvent soulever eux‑mêmes lors de la détermination de la peine s’ils sont déclarés coupables d’un crime aux États‑Unis.
92 C’est à bon droit que le ministre a déterminé que son refus de demander des assurances ne viole pas les principes de justice fondamentale.
5. Conclusion
93 Je suis d’avis de rejeter les pourvois de MM. Ferras, Latty et Wright.
94 Les questions constitutionnelles reçoivent les réponses suivantes :
1. L’alinéa 32(1)a) et l’article 33 de la Loi sur l’extradition, L.C. 1999, ch. 18, portent‑ils atteinte aux droits et libertés garantis par l’art. 7 de la Charte canadienne des droits et libertés?
Réponse : Non.
2. Dans l’affirmative, cette atteinte constitue‑t‑elle une limite raisonnable prescrite par une règle de droit, dont la justification peut se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique, au sens de l’article premier de la Charte canadienne des droits et libertés?
Réponse : Il n’est pas nécessaire de répondre à cette question.
3. L’alinéa 32(1)a) et l’article 33 de la Loi sur l’extradition, L.C. 1999, ch. 18, portent‑ils atteinte aux droits et libertés garantis par l’art. 6 de la Charte canadienne des droits et libertés?
Réponse : Non.
4. Dans l’affirmative, cette atteinte constitue‑t‑elle une limite raisonnable prescrite par une règle de droit, dont la justification peut se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique, au sens de l’article premier de la Charte canadienne des droits et libertés?
Réponse : Il n’est pas nécessaire de répondre à cette question.
ANNEXE A
Loi sur l’extradition, L.C. 1999, ch. 18
32. (1) Sont admis comme faisant preuve au cours de l’audition de la demande, sous réserve du paragraphe (2), les éléments de preuve admissibles en vertu du droit canadien ainsi que les éléments de preuve suivants même si le droit canadien ne prévoit pas par ailleurs leur admissibilité :
a) le contenu des documents qui font partie du dossier d’extradition certifié en conformité avec le paragraphe 33(3);
b) le contenu des documents présentés en conformité avec un accord;
c) les éléments de preuve présentés par l'intéressé qui sont pertinents pour l’application du paragraphe 29(1) et que le juge estime dignes de foi.
(2) Les éléments de preuve obtenus au Canada sont admis en conformité avec le droit canadien.
33. (1) Le dossier d’extradition comporte obligatoirement :
a) dans le cas d’une extradition en vue d’un procès, un résumé des éléments de preuve dont dispose le partenaire aux fins de poursuite;
b) dans le cas d’une extradition en vue d’infliger une peine à l’intéressé ou de la lui faire purger, les éléments suivants :
(i) une copie de la déclaration de culpabilité,
(ii) la description des actes qui ont donné lieu à la déclaration de culpabilité.
. . .
(3) Le dossier n’est admissible en preuve que si :
a) dans le cas d’une extradition en vue d’un procès, une autorité judiciaire ou un poursuivant du partenaire certifie, d’une part, que les éléments de preuve résumés au dossier ou contenus dans celui‑ci sont disponibles pour le procès et, d’autre part, soit que la preuve est suffisante pour justifier la poursuite en vertu du droit du partenaire, soit qu’elle a été recueillie conformément à ce droit;
ANNEXE B
Traité d’extradition entre le gouvernement du Canada et le gouvernement des États‑Unis mexicains, R.T. Can. 1990 no 35
ARTICLE VIII
Pièces à produire
1. Les pièces suivantes sont produites à l’appui d’une demande d’extradition :
a) Dans tous les cas :
(i) des informations sur le signalement, l’identité et la nationalité de la personne réclamée et sur le lieu où elle se trouve,
(ii) une déclaration d’un officier de justice ou d’un officier public, exposant les faits constitutifs de l’infraction pour laquelle l’extradition est demandée, indiquant le lieu et le moment de sa commission, la nature de l’infraction et les dispositions légales décrivant l’infraction et la peine applicable. Cette déclaration indique également que ces dispositions, dont copie est annexée, étaient en vigueur au moment de la commission de l’infraction de même qu’au moment de la demande d’extradition.
b) Dans le cas d’une personne poursuivie pour une infraction :
(i) l’original ou une copie certifiée conforme du mandat d’arrêt lancé par la Partie requérante;
(ii) dans les cas où le droit de la Partie requise l’exige, des éléments de preuve qui justifieraient le “renvoi à procès” de la personne réclamée, y compris des preuves établissant son identité;
(iii) aux termes du sous‑paragraphe 1b)(ii) du présent Article, sont reçus en preuve devant les tribunaux de la Partie requise et font foi de leur contenu, les originaux ou copies certifiées conformes des pièces, déclarations, dépositions, minutes, procès‑verbaux, rapports, constats, annexes ou tout autre document reçus, recueillis ou obtenus par la Partie requérante, si une autorité judiciaire compétente de la Partie requérante a déterminé qu’ils ont été obtenus en conformité avec le droit de cette dernière Partie.
. . .
2. Toutes les pièces présentées à l’appui d’une demande d’extradition apparaissant émaner ou avoir été certifiées ou passées en revue par une autorité judiciaire de la Partie requise ou faites sous son autorité, sont admises en preuve devant les tribunaux de la Partie requise, sans qu’elles soient établies sous serment ou affirmation solennelle et sans qu’il soit nécessaire de prouver la signature ou la qualité du signataire.
3. Aucune authentification ni certification additionnelle des pièces présentées à l’appui d’une demande d’extradition n’est requise.
4. Toute traduction des pièces présentées à l’appui d’une demande d’extradition par la Partie requérante est admise à toutes fins dans les procédures d’extradition.
Traité d’extradition entre le Canada et les États‑Unis d’Amérique, R.T. Can. 1976 no 3
Article 10
. . .
(2) Les preuves documentaires à l'appui d’une demande d’extradition, qu’il s’agisse d’originaux ou de copies, doivent être admises en preuve lors de l’examen de la demande d’extradition lorsque, dans le cas d’une demande émanant du Canada, elles sont légalisées par un fonctionnaire du Ministère de la Justice du Canada et certifiées par le principal agent diplomatique ou consulaire des États‑Unis au Canada, ou que, dans le cas d’une demande émanant des États‑Unis, elles sont légalisées par un fonctionnaire du Département d’État des États‑Unis et certifiées par le principal agent diplomatique ou consulaire du Canada aux États‑Unis.
Pourvois rejetés.
Procureurs de l’appelant Ferras : Greenspan Humphrey Lavine, Toronto.
Procureurs des appelants Latty et Wright : Greenspan White, Toronto.
Procureur des intimés : Procureur général du Canada, Ottawa.
* Le juge Major n’a pas pris part au jugement.