Tremblay c. Syndicat des employées et employés professionnels‑les et de bureau, section locale 57, [2002] 2 R.C.S. 627, 2002 CSC 44
Valérie Tremblay Appelante
c.
Syndicat des employées et employés professionnels‑les et
de bureau, section locale 57 SIEPB, CTC‑FTQ, et ville de
Montréal Intimés
Répertorié : Tremblay c. Syndicat des employées et employés professionnels‑les et de bureau, section locale 57
Référence neutre : 2002 CSC 44.
No du greffe : 27965.
Audition et jugement : 13 février 2002.
Motifs déposés : 26 avril 2002.
Présents : Le juge en chef McLachlin et les juges L’Heureux‑Dubé, Gonthier, Iacobucci, Major, Bastarache, Binnie, Arbour et LeBel.
en appel de la cour d’appel du québec
POURVOI contre des arrêts de la Cour d’appel du Québec, [2000] R.J.Q. 1098, [2000] R.J.D.T. 460, [2000] J.Q. no 1198 (QL), [2000] J.Q. no 1223 (QL), qui ont infirmé une décision de la Cour supérieure, [1996] R.J.Q. 1850, [1996] A.Q. no 1282 (QL). Pourvoi rejeté.
Suzanne Côté et Patrick Girard, pour l’appelante.
Pierre Gingras, Serge Cadieux et Maria Cirino, pour l’intimé le Syndicat des employées et employés professionnels‑les et de bureau, section locale 57 SIEPB, CTC‑FTQ.
Philippe Berthelet et Benoît Dagenais, pour l’intimée la ville de Montréal.
Le jugement de la Cour a été rendu par
Le juge LeBel —
I. Introduction
1 Dans ce pourvoi, l’appelante, avocate au service de la ville de Montréal pendant quelques années, remet en cause la légalité d’une clause d’une convention collective conclue entre le Syndicat des employées et employés professionnels-les et de bureau, section locale 57 SIEPB, CTC-FTQ (le « syndicat ») et la ville de Montréal (la « ville ») et recherche en dommages-intérêts les deux parties à cette entente. Selon ses prétentions, une disposition de cet accord la privait de la rétroactivité salariale prévue à la convention parce que, comme d’autres employés, elle avait quitté son emploi avant la conclusion de la convention collective. La Cour supérieure lui a donné raison. À la majorité, la Cour d’appel a infirmé ce jugement et rejeté l’action dans toutes ses conclusions, à l’égard des deux défendeurs. Pour les motifs que j’expose ici, j’ai été d’avis comme mes collègues de rejeter le pourvoi à l’issue de l’audience. L’appelante, Me Valérie Tremblay, n’a pas établi que la clause litigieuse sur la rétroactivité violait le Code du travail du Québec, L.R.Q., ch. C-27, ou la Charte des droits et libertés de la personne, L.R.Q., ch. C-12 (la « Charte »). Elle n’a pas non plus démontré que le syndicat a mal exécuté son obligation de représentation et a ainsi engagé sa responsabilité civile à son endroit.
II. Les faits
2 Les faits pertinents à l’examen de ce pourvoi ne présentent guère de complexité. Me Tremblay, avocate, entre au service de la ville de Montréal le 21 novembre 1988. Aucun syndicat ne représente alors les avocats employés par la ville qui sont soumis aux règlements d’emploi adoptés par celle-ci. En 1990, le syndicat obtient une accréditation pour représenter les avocats salariés au sens du Code du travail faisant partie du module des affaires pénales et criminelles du service des affaires corporatives de la ville de Montréal. Me Tremblay devient alors membre du syndicat. Une négociation collective s’engage. Le syndicat dépose un projet de convention collective. Approuvé par l’assemblée générale des membres du syndicat, ce projet contient une clause sur la rétroactivité. L’article 25.02 du projet prévoit la pleine rétroactivité de l’entente à compter du 1er mai 1990.
3 La négociation de la convention s’effectue difficilement. Au cours de la période de négociation, Me Tremblay démissionne et quitte le service de la ville de Montréal. Par la suite, pour tenter de débloquer les négociations, le syndicat déclenche une grève. Finalement, après des pourparlers laborieux, une convention collective intervient. Cette entente prévoit des réajustements salariaux rétroactifs, mais son art. 24.08 en restreint l’application aux seuls salariés encore au service de la ville de Montréal, lors de la signature de la convention collective. Les employés qui ont quitté l’emploi de la ville de Montréal, comme Me Tremblay et deux autres avocats, n’ont droit à aucune rétroactivité. Cette stipulation reprend une règle de politique administrative de la ville, qui refuse aux employés ayant quitté son service tout droit aux réajustements de salaire accordés après leur départ.
III. Décisions antérieures
A. Cour supérieure du Québec, [1996] R.J.Q. 1850
4 Selon le juge Tellier, l’action de l’appelante était bien fondée à l’égard des deux intimés. Tout d’abord, l’art. 24.08 de la convention collective violait l’art. 46 de la Charte. En excluant Me Tremblay du bénéfice de la rétroactivité, les parties lui imposaient des conditions de travail injustes et déraisonnables ce qui entraînait la nullité de la clause litigieuse. Ensuite, en acceptant cette stipulation de non-rétroactivité, le syndicat violait son obligation de représentation à l’égard de son ancien membre. Cette violation constituait une faute délictuelle qui engageait la responsabilité civile du syndicat et pour laquelle il fut condamné à payer 11 176 $ à titre de dommages. Le juge Tellier considérait aussi que ce dernier avait également commis une faute, tout comme la ville, en concluant une entente contraire à la Charte. Sur cette base, la Cour supérieure retint la responsabilité solidaire des deux intimés. Elle les condamna à payer 5 000 $ à titre de dommages exemplaires. Les intimés firent appel.
B. Cour d’appel du Québec, [2000] R.J.Q. 1098
5 Pour les motifs exposés dans les opinions concurrentes des juges Beauregard et Denis (ad hoc), la majorité de la Cour d’appel accueillit les pourvois, infirma le jugement de première instance et rejeta l’action de Me Tremblay dans sa totalité. Dissidente en partie, la juge Thibault aurait confirmé la condamnation du syndicat, en annulant toutefois la condamnation à des dommages punitifs.
6 Selon les opinions majoritaires, la clause litigieuse ne violait aucune des dispositions du Code du travail ou de la Charte. En substance, elle représentait un exercice licite des pouvoirs de négociation des parties. Rien n’imposait la rétroactivité totale d’une convention collective en faveur des membres présents et passés du syndicat. De plus, le syndicat n’avait pas violé son obligation de représentation en donnant son accord à l’art. 24.08. Maître Tremblay n’avait pas prouvé que des efforts supplémentaires auraient amené la ville à modifier sa position sur la rétroactivité. Aucun motif ne justifiait la condamnation des intimés.
7 La juge Thibault reconnaissait la validité de la clause en litige. Elle se déclara aussi d’accord avec l’annulation de la condamnation de la ville. Cependant, à son avis, le syndicat avait engagé sa responsabilité civile à l’égard de Me Tremblay. En effet, toujours débiteur d’une obligation de représentation à l’égard de celle-ci, pour sa période d’emploi, il n’avait pas fait preuve de diligence raisonnable dans l’exécution de cette obligation. Bien qu’elle ait admis que le syndicat n’était pas tenu à une obligation de résultat à l’égard de ses membres, la juge Thibault estimait qu’il n’avait pas démontré qu’il n’aurait pu obtenir un meilleur résultat, en insistant sur une rétroactivité totale, ni que des efforts additionnels sur le sujet auraient empêché la conclusion d’une entente avec la ville. La juge Thibault notait d’ailleurs que la question de la rétroactivité pour les anciens employés n’avait même pas été soulevée en négociation. Se fondant sur la responsabilité délictuelle, elle aurait maintenu la condamnation du syndicat à des dommages égaux à la rétroactivité réclamée, en retranchant toutefois les dommages exemplaires.
IV. Dispositions législatives et contractuelles pertinentes
8 Charte des droits et libertés de la personne, L.R.Q., ch. C-12
10. Toute personne a droit à la reconnaissance et à l’exercice, en pleine égalité, des droits et libertés de la personne, sans distinction, exclusion ou préférence fondée sur la race, la couleur, le sexe, la grossesse, l’orientation sexuelle, l’état civil, l’âge sauf dans la mesure prévue par la loi, la religion, les convictions politiques, la langue, l’origine ethnique ou nationale, la condition sociale, le handicap ou l’utilisation d’un moyen pour pallier ce handicap.
Il y a discrimination lorsqu’une telle distinction, exclusion ou préférence a pour effet de détruire ou de compromettre ce droit.
13. Nul ne peut, dans un acte juridique, stipuler une clause comportant discrimination.
Une telle clause est réputée sans effet.
16. Nul ne peut exercer de discrimination dans l’embauche, l’apprentissage, la durée de la période de probation, la formation professionnelle, la promotion, la mutation, le déplacement, la mise à pied, la suspension, le renvoi ou les conditions de travail d’une personne ainsi que dans l’établissement de catégories ou de classifications d’emploi.
19. Tout employeur doit, sans discrimination, accorder un traitement ou un salaire égal aux membres de son personnel qui accomplissent un travail équivalent au même endroit.
Il n’y a pas de discrimination si une différence de traitement ou de salaire est fondée sur l’expérience, l’ancienneté, la durée du service, l’évaluation au mérite, la quantité de production ou le temps supplémentaire, si ces critères sont communs à tous les membres du personnel.
46. Toute personne qui travaille a droit, conformément à la loi, à des conditions de travail justes et raisonnables et qui respectent sa santé, sa sécurité et son intégrité physique.
49. Une atteinte illicite à un droit ou à une liberté reconnu par la présente Charte confère à la victime le droit d’obtenir la cessation de cette atteinte et la réparation du préjudice moral ou matériel qui en résulte.
En cas d’atteinte illicite et intentionnelle, le tribunal peut en outre condamner son auteur à des dommages exemplaires.
Code du travail, L.R.Q., ch. C-27
1. Dans le présent code, à moins que le contexte ne s’y oppose, les termes suivants signifient :
. . .
b) « association accréditée » — l’association reconnue par décision de l’agent d’accréditation, du commissaire du travail ou du tribunal comme représentant de l’ensemble ou d’un groupe des salariés d’un employeur;
47.2. Une association accréditée ne doit pas agir de mauvaise foi ou de manière arbitraire ou discriminatoire, ni faire preuve de négligence grave à l’endroit des salariés compris dans une unité de négociation qu’elle représente, peu importe qu’ils soient ses membres ou non.
59. À compter du dépôt d’une requête en accréditation et tant que le droit au lock-out n’est pas acquis ou qu’une sentence arbitrale n’est pas intervenue, un employeur ne doit pas modifier les conditions de travail de ses salariés sans le consentement écrit de chaque association requérante et, le cas échéant, de l’association accréditée.
62. La convention collective peut contenir toute disposition relative aux conditions de travail qui n’est pas contraire à l’ordre public ni prohibée par la loi.
67. La convention collective lie tous les salariés actuels ou futurs visés par l’accréditation.
L’association accréditée et l’employeur ne doivent conclure qu’une seule convention collective à l’égard du groupe de salariés visé par l’accréditation.
72. Une convention collective ne prend effet qu’à compter du dépôt, au greffe du bureau du commissaire général du travail, de cinq exemplaires ou copies conformes à l’original, de cette convention collective et d’une copie conforme de ses annexes. Il en est de même de toute modification qui est apportée par la suite à cette convention collective.
Convention collective de travail entre la Ville de Montréal et le Syndicat des employées et employés professionnels-les et de bureau, section locale 57 SIEPB, CTC-FTQ, pour la période du 1er mai 1990 au 30 avril 1993
24.08 La rétroactivité découlant des alinéas précédents est versée à chaque avocat, à l’emploi de la Ville à la date de la signature de la convention collective, dans les soixante (60) jours de ladite signature.
28.01 La présente convention est en vigueur de la date de la signature au 30 avril 1993.
Projet syndical de convention collective, juillet 1990
25.02 La présente convention collective de travail est d’une durée de vingt-quatre (24) mois soit du 1er mai 1990 au 30 avril 1992. Elle entre en vigueur à la date de la signature et a un effet rétroactif. Chaque employé recevra, en outre des sommes à recevoir, un montant forfaitaire de 750,00 $ et ce, dans les trente (30) jours suivant la signature de la présente convention collective.
V. Analyse
A. Les positions des parties
9 Des prétentions fondamentalement différentes se sont affrontées devant notre Cour. Tel qu’indiqué plus haut, Me Tremblay défend une argumentation fondée sur l’unicité de la convention collective et l’illégalité du traitement différentiel que lui réserverait celle-ci, au regard du Code du travail et de la Charte, ainsi que sur l’inexécution de l’obligation de représentation du syndicat. Vigoureusement contestée par les intimés qui défendent la légalité de leur entente sur la rétroactivité et, dans le cas du syndicat, la bonne exécution de son devoir de représentation, cette argumentation ne saurait être retenue en aucune de ses branches. J’examinerai d’abord la question de la licéité de la clause de rétroactivité (art. 24.08). Je passerai ensuite à l’étude de l’obligation de représentation du syndicat.
B. La légalité de la clause de rétroactivité
10 Pour l’appelante, la seule façon de structurer un recours qui permette des conclusions contre la ville, si hasardeux qu’il paraisse, dépendait d’une contestation de la légalité de la clause de rétroactivité en vertu non seulement du Code du travail, mais aussi de la Charte. Autrement, tout le débat se serait limité au problème de l’exécution de l’obligation de représentation du syndicat qui n’aurait impliqué qu’indirectement l’employeur, dans un contexte de négociation collective où celui-ci défend légitimement ses intérêts.
11 Devant cette argumentation, il importe d’abord de situer correctement le problème dans le contexte des faits pertinents et du droit applicable. Comme on l’a vu, le syndicat avait obtenu une première accréditation pour une nouvelle unité de négociation. Les conditions de travail préexistantes se résumaient à celles que la ville appliquait dans ses règles et politiques d’emploi. L’accréditation et le déclenchement de la négociation entraînaient le gel de ces conditions de travail en vertu de l’art. 59 du Code du travail. Pendant cette période de durée indéterminée, qui déboucherait soit sur un conflit, soit sur une entente négociée ou, successivement, sur l’un et l’autre, l’appelante exécutait ses fonctions dans ce cadre et avait droit à la rémunération que celui-ci prévoyait. La modification de cet encadrement constituait l’un des éléments de la négociation collective en cours. La durée et le point de départ de la future convention représenteraient nécessairement l’un de ses objets. Rien dans le Code du travail n’impose une obligation de rétroactivité de l’entente dans une telle situation de conclusion d’une première convention, comme d’ailleurs d’un renouvellement de celle-ci. Le Code du travail laisse les parties libres de stipuler qu’une entente ne s’appliquera que pour l’avenir.
12 Le texte de la convention confirme l’intention des parties de stipuler pour l’avenir. La convention entrait en vigueur à compter de sa signature, le 10 avril 1992, pour valoir jusqu’au 30 avril 1993. L’article 24 apportait une atténuation partielle à cette règle en stipulant des rajustements d’échelles de salaire pour les années 1990 à 1992 qui seraient versés aux employés en fonction à la signature de la convention.
13 Selon l’appelante, cette disposition viole le principe de l’unicité de la convention. L’article 67 du Code du travail prévoit, en effet, que l’employeur et le syndicat accrédité ne concluent qu’une seule convention applicable à l’ensemble de l’unité de négociation. En excluant les salariés démissionnaires du bénéfice de cette rétroactivité, les parties auraient passé une entente incompatible avec l’art. 67 puisqu’elle introduirait deux régimes de rémunération différents pour des employés qui exécutaient un travail identique. On se serait alors trouvé à prévoir l’équivalent de deux conventions différentes pour régir la même unité de négociation.
14 L’exigence d’unicité a été respectée. Comportant certaines modulations des conditions de travail, la convention demeurait un contrat unique définissant les conditions d’emploi de l’ensemble de l’unité de négociation. Pour l’ensemble de celle-ci, il prévoyait un réajustement des salaires calculé sur la base du service passé, mais payable uniquement aux employés alors en poste. Il s’agissait d’une stipulation que le Code du travail n’interdit pas. Les parties auraient pu ne stipuler aucun réajustement, continuer un gel des salaires ou même, comme cela arrive parfois en période de difficultés économiques, stipuler des modifications à la baisse des conditions de travail. Sous réserve de l’obligation de représentation syndicale, ainsi que des règles relevant de l’ordre public ou de la protection des droits fondamentaux, le Code du travail laisse la définition de ce que l’on qualifie de rétroactivité à la négociation des parties.
15 Le Code du travail ne comporte pas non plus de présomption de rétroactivité implicite. La question relève de la négociation. Si les clauses pertinentes d’une convention paraissent de sens douteux ou soulèvent des problèmes d’application, la matière relève habituellement des juridictions spécialisées compétentes comme les arbitres de griefs. L’intervention des tribunaux supérieurs se situe normalement dans le cadre du pouvoir de contrôle judiciaire. Celui-ci s’exercera selon des normes variables, suivant la nature du problème en cause. Par exemple, une norme d’exactitude de la décision s’appliquerait normalement si le problème de rétroactivité mettait en cause l’existence même d’une convention ou le point de départ de son application. On ne saurait donc, dans le contexte de ce dossier, ni développer des principes d’interprétation des clauses de rétroactivité ni approuver ou critiquer les courants d’interprétation qui se sont développés au Canada et dont on retrouve la manifestation dans certains jugements de tribunaux supérieurs. (Voir, par exemple, Association canadienne du contrôle du trafic aérien c. La Reine, [1985] 2 C.F. 84 (C.A.).) Il s’agit plutôt ici de discuter si une stipulation, qui semble claire et correctement rédigée, demeure conforme à la Charte et aux principes généraux régissant le devoir de représentation du syndicat.
C. La conformité avec la Charte des droits et libertés de la personne
16 L’appelante fait principalement valoir que la clause de rétroactivité viole l’art. 19 de la Charte, en créant une discrimination illégale entre des employés qui exécutent un travail identique. Cet argument a été écarté par tous les juges de la Cour d’appel. La Cour supérieure l’a également rejeté. Tel que présenté, il imposerait une obligation d’égalité totale entre des salariés qui auraient travaillé au même moment pour un employeur. Cette interprétation oublie que l’art. 19 de la Charte entend prévenir les formes de discrimination prévues à l’art. 10 comme celles qui découleraient du sexe ou de l’origine ethnique, ou encore d’un handicap par exemple. (Pour une étude du contenu du concept de discrimination en vertu de la Charte, voir Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Montréal (Ville), [2000] 1 R.C.S. 665, 2000 CSC 27.) En l’espèce, aucune preuve n’a été présentée quant à l’existence d’une situation de discrimination à l’égard des salariés démissionnaires. On sait uniquement que trois salariés ont laissé l’unité pendant la période de négociation. Sauf pour l’appelante, on ignore tout de leurs caractéristiques personnelles. On ne prétend pas que leur traitement différentiel découle d’un motif interdit par la Charte. Ce moyen n’a donc pas de base juridique.
17 Le second moyen fondé sur l’art. 46 est également dépourvu de fondement. Il faudrait conclure au caractère déraisonnable de la condition de travail alors qu’elle ne violerait ni le Code du travail, ni les dispositions impératives de la Charte, ni aucune disposition connue de la législation du travail, ni même par hypothèse l’obligation de représentation du syndicat. En définitive, l’art. 46 permettrait au juge saisi d’une demande en justice de réévaluer discrétionnairement la rémunération convenue à l’époque entre les parties, au nom de son sens personnel de l’équité. Sous réserve des exigences de l’ordre public et de la protection des droits fondamentaux, la définition des conditions de travail relève encore de la négociation individuelle ou collective dans le système de relations du travail canadien. Sans qu’il soit nécessaire de fixer l’interprétation de l’art. 46 de la Charte, dont la portée effective reste sujette à discussion, la solution étudiée dans le présent dossier n’avait pas de caractère déraisonnable.
18 À cette étape de l’analyse, on ne retrouve aucune base juridique qui justifierait une condamnation de la ville. Reste la question de l’obligation de représentation du syndicat.
D. L’obligation de représentation
19 Le dernier moyen de l’appelante se résume à une allégation de violation de l’obligation de représentation du syndicat. Ni la nature juridique de cette dernière ni les faits propres à ce dossier ne permettent de conclure en ce sens.
20 Dans le cadre du système de relations du travail canadien, cette obligation de représentation du syndicat constitue l’une des contreparties de la fonction représentative que lui attribue la loi à l’égard de l’unité de négociation et des salariés qu’elle comprend (voir Noël c. Société d’énergie de la Baie James, [2001] 2 R.C.S. 207, 2001 CSC 39, par. 46-55; Centre hospitalier Régina Ltée c. Tribunal du travail, [1990] 1 R.C.S. 1330). Le syndicat se trouve tenu à une obligation de représentation diligente et compétente envers l’ensemble de l’unité de négociation. Elle correspond cependant, en règle générale, à une obligation de moyen, dont la violation doit être démontrée par le demandeur lorsqu’il recherche un syndicat en dommages-intérêts.
21 Cette obligation résulte d’un mandat légal de représentation qui vaut pour l’ensemble d’une unité de négociation, dont la composition varie nécessairement dans le temps. La nature continue de cette obligation à l’égard de l’ensemble d’unités susceptibles de se modifier continuellement ne permet pas de conclure que le départ d’un salarié fait disparaître toute conséquence de l’exécution de l’obligation de représentation à son endroit. Une situation juridique peut s’être constituée de telle façon que le syndicat devra continuer à agir et à représenter le salarié pour en régler les conséquences. La reconnaissance d’une telle obligation découlant à l’origine de l’exécution du devoir de représentation s’imposerait d’autant plus que le syndicat continue alors à détenir le pouvoir exclusif de négociation à l’égard de l’employeur et, le plus souvent, à contrôler l’accès à la procédure de grief ainsi que son déroulement. La persistance, sous une telle forme, d’une obligation résiduelle de représentation à l’égard des employés qui cessent de travailler dans l’entreprise, au sujet de problèmes découlant de leur période d’emploi, correspond à l’économie générale de ce système de représentation exclusive et collective. Par ailleurs, dans le cadre d’une négociation collective, en exécutant son obligation de représentation, le syndicat accrédité fait souvent face aux conséquences de l’histoire et des problèmes vécus par le groupe qu’il représente. Certains intérêts peuvent s’être constitués, des situations juridiques s’être cristallisées, des engagements avoir été pris. Dans ce contexte, bien que l’obligation de représentation s’exécute dans le présent, mais dans la perspective de l’avenir prévisible de l’entente à négocier, il arrivera parfois que le syndicat doive prendre en compte ces intérêts ou ces droits dans la définition des solutions auxquelles la convention donnera forme et effet pour le futur.
22 Dans le cadre d’une négociation où les parties tentaient de définir une clause de rétroactivité, la situation des personnes qui avaient exécuté un travail régi par l’accréditation, mais laissé leur emploi, pouvait faire partie des intérêts affectés par l’issue des pourparlers. L’exécution d’un travail visé par l’accréditation ne créait cependant pas en faveur de ces salariés des droits primant ceux des membres présents de l’unité de négociation en poste à la conclusion de la convention. Le cadre juridique applicable à la négociation collective ne leur reconnaissait aucun droit acquis à l’égard de la rétroactivité. Leur présence temporaire dans l’unité de négociation, pendant une partie de la durée des pourparlers, n’imposait surtout pas au syndicat l’obligation de résultat de leur obtenir une augmentation rétroactive de traitement, à la fin de la négociation avec la ville.
23 Une telle extension de la responsabilité du syndicat se justifierait d’autant plus mal qu’elle serait imposée dans le cadre dynamique, complexe et conflictuel d’une convention collective. Celle-ci implique un dialogue, sinon parfois un affrontement avec l’employeur, la création de rapports de force et la prise en compte d’intérêts divers au sein de l’unité de négociation. Tenu de négocier de bonne foi dans le but de conclure une convention collective selon l’art. 53 du Code du travail, l’employeur n’a pas l’obligation légale d’accepter les propositions syndicales. (Voir R. P. Gagnon, Le droit du travail du Québec : pratiques et théories (4e éd. 1999), p. 365-366; Royal Oak Mines Inc. c. Canada (Conseil des relations du travail), [1996] 1 R.C.S. 369, p. 396-397, le juge Cory.) Le syndicat peut difficilement garantir l’issue d’une négociation et devra parfois accepter un accord discutable plutôt qu’un conflit ou sa prolongation.
24 Dans le contexte de cette négociation, Me Tremblay n’a pas établi que le syndicat avait commis une faute engageant sa responsabilité civile en signant une convention collective qui ne prévoyait pas de rétroactivité pour les employés démissionnaires. Comme le premier juge, l’appelante a reproché au syndicat d’avoir oublié ses intérêts. Le dossier n’indique pas qu’elle a communiqué avec le syndicat avant son départ. Elle n’a pas vécu non plus la grève que le syndicat dut déclencher pour débloquer la négociation. Cette dernière a clairement été difficile. La pleine rétroactivité aurait par ailleurs représenté une modification importante des politiques d’emploi de la ville. Dans une telle situation, on ne saurait reprocher au syndicat d’avoir conclu cette entente, en protégeant les salariés encore au service de la ville, sans prolonger la négociation au seul bénéfice d’une personne qui ne s’était préoccupée ni de près ni de loin du sort de la négociation depuis son départ. À l’instar des juges majoritaires de la Cour d’appel, je suis persuadé que le syndicat a exécuté correctement son obligation de représentation à l’égard de l’unité d’accréditation qu’il représentait au terme d’une négociation longue et délicate pour établir une première convention.
VI. Conclusion
25 Pour ces motifs, j’ai été d’accord pour rejeter le pourvoi avec dépens en faveur des intimés.
Pourvoi rejeté avec dépens.
Procureurs de l’appelante : Stikeman Elliott, Montréal.
Procureurs de l’intimé le Syndicat des employées et employés professionnels‑les et de bureau, section locale 57 SIEPB, CTC‑FTQ : Gingras Cadieux Bruneau, Montréal.
Procureurs de l’intimée la ville de Montréal : Jalbert, Séguin, Verdon, Caron, Mahoney, Montréal.