La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

01/04/2021 | FRANCE | N°19VE01800

France | France, Cour administrative d'appel de Versailles, 7ème chambre, 01 avril 2021, 19VE01800


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Dassault Systèmes SE a demandé au tribunal administratif de Montreuil la réduction, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés, de contribution sociale et de contribution exceptionnelle sur cet impôt, auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2012 et 2013, pour un montant global de 43 237 931 euros.

Par un jugement n° 1706810 du 21 mars 2019, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté la demande de la société Dassault Systèm

es SE.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés les 17...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Dassault Systèmes SE a demandé au tribunal administratif de Montreuil la réduction, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés, de contribution sociale et de contribution exceptionnelle sur cet impôt, auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2012 et 2013, pour un montant global de 43 237 931 euros.

Par un jugement n° 1706810 du 21 mars 2019, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté la demande de la société Dassault Systèmes SE.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés les 17 mai 2019, 4 mai 2020, 29 septembre 2020, 22 décembre 2020 et 12 mars 2021, ce dernier mémoire n'ayant pas été communiqué, la société Dassault Systèmes SE, représentée par le cabinet d'avocats CMS Francis Lefebvre, demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de prononcer la réduction, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés, de contribution sociale et de contribution exceptionnelle sur cet impôt, auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2012 et 2013, pour un montant global de 43 237 931 euros ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 10 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le tribunal administratif n'a pas répondu à l'ensemble des arguments soulevés en première instance ;

- le tribunal administratif a opéré une substitution de motifs et de base légale d'office sans mettre les parties à même de présenter leurs observations ;

- la lettre d'information datée du 25 janvier 2016 ne fait pas référence à la proposition de rectification ;

- le montant de la majoration pour abus de droit figurant dans la lettre d'information du 25 janvier 2016 ne correspond pas, pour l'exercice 2012, à 80% du montant des droits supplémentaires d'impôt sur les sociétés ;

- l'avis de mise en recouvrement méconnaît les dispositions de l'article R. 256-1 du livre des procédures fiscales ;

- il n'est pas suffisamment motivé ;

- en retenant, en appel, l'existence d'un montage artificiel pour établir l'existence d'un abus de droit, le ministre procède à une substitution de motifs qui ne peut pas être accueillie car elle la prive d'une garantie essentielle liée à la saisine du comité de l'abus de droit fiscal ;

- l'opération réalisée ne constitue pas une pension livrée ;

- la structuration retenue ne poursuivait pas un but exclusivement fiscal mais répond à des objectifs opérationnels impliquant la création de la société Holdings LLC ;

- à titre subsidiaire, sur le fondement de l'article L. 205 du livre des procédures fiscales, si l'opération devait être requalifiée en remise de titres en garantie d'un prêt, il y a lieu de tenir compte de la perte de change constatée à la clôture des exercices en litige, en application du 4 de l'article 38 du code général des impôts.

.........................................................................................................

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code monétaire et financier ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;

- le code de justice administrative.

Les parties a été régulièrement averties du jour de l'audience.

A été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. B...,

- les conclusions de M. Illouz, rapporteur public,

- et les observations de Me C... et de Me A..., avocats, pour la société Dassault Systèmes SE.

Considérant ce qui suit :

1. La société Dassault Systèmes SE, anciennement dénommée Dassault Systèmes SA, a fait l'objet d'une vérification de comptabilité portant sur la période allant du 1er janvier 2012 au 31 décembre 2013, à l'issue de laquelle le vérificateur a, notamment, remis en cause, sur le fondement de la notion d'abus de droit, le bénéfice du régime fiscal des sociétés mères à raison des dividendes reçus de deux filiales américaines. La société Dassault Systèmes SE fait appel du jugement du 21 mars 2019 par lequel le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande tendant à la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés, de contribution sociale et de contribution exceptionnelle sur cet impôt en découlant sur les années en cause.

Sur la régularité du jugement :

2. En premier lieu, le jugement, qui n'a pas à répondre à tous les arguments développés par la société Dassault Systèmes SE, mentionne les articles L. 64 du livre des procédures fiscales et 145 du code général des impôts et expose en détail les éléments qu'il retient pour constater que l'administration établit que l'acquisition par la société requérante des titres de préférence des sociétés Abaqus et DSAC avait un objectif exclusivement fiscal. Il est, par suite, suffisamment motivé.

3. En second lieu, d'une part, comme le service vérificateur, le tribunal administratif a fondé sa décision sur l'article L. 64 du livre des procédures fiscales et n'a donc pas procédé d'office à une substitution de base légale. D'autre part, les éléments sur lesquels le tribunal se fonde ont été exposés en détail dans la proposition de rectification du 30 septembre 2015, ainsi que dans le mémoire en défense de l'administrateur général des finances publiques chargé de la direction des vérifications nationales et internationales, enregistré au greffe du tribunal administratif le 7 février 2018. Les premiers juges pouvaient dès lors tenir compte de ces faits sans méconnaître, faute d'en avoir préalablement informé les parties dans les conditions prévues à l'article R. 611-7 du code de justice administrative portant sur les moyens relevés d'office, le principe du caractère contradictoire de la procédure.

Sur la régularité de la procédure d'imposition :

4. Aux termes de l'article R. 256-1 du livre des procédures fiscales : " L'avis de mise en recouvrement prévu à l'article L 256 indique pour chaque impôt ou taxe le montant global des droits, des pénalités et des intérêts de retard qui font l'objet de cet avis. / (...) / Lorsque l'avis de mise en recouvrement est consécutif à une procédure de rectification, il fait référence à la proposition prévue à l'article L 57 (...) et, le cas échéant, au document adressé au contribuable l'informant d'une modification des droits, taxes et pénalités résultant des rectifications (...) ".

5. En premier lieu, la lettre d'information du 25 janvier 2016 adressée à la société Dassault Systèmes en sa qualité de société mère, comporte, en ce qui concerne la majoration de 80 % pour abus de droit due au titre de l'année 2012, son montant ainsi que les modalités de détermination, par renvoi à la proposition de rectification du 30 septembre 2015, d'où il ressort, notamment des pages 19, 34 et 44, que la pénalité a été appliquée à la quote-part des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et de contributions additionnelles à cet impôt dues à raison de la réintégration, dans les bases imposables de la société Dassault Systèmes SE, des dividendes versés par les sociétés Abaqus et DSAC, déduction faite de la quote-part des frais et charges. La société Dassault Systèmes SE, disposait ainsi d'une information suffisante pour contester utilement la pénalité mise à sa charge et n'a été privée d'aucune garantie.

6. En deuxième lieu, il résulte de l'instruction que l'avis de mise en recouvrement du 15 février 2016 adressé à la société Dassault Systèmes SE mentionne la lettre d'information du 25 janvier 2016, laquelle, ainsi qu'il a été dit au point précédent, fait expressément référence à la proposition de rectification du 30 septembre 2015. La société ne soutient pas ne pas avoir reçu notification de cette lettre d'information. Ainsi, l'absence de mention de la proposition de rectification dans l'avis de mise en recouvrement n'a pas empêché la société Dassault Systèmes SE, d'une part, d'identifier sans aucune ambiguïté les sommes dont l'Etat poursuit le recouvrement et d'autre part, le fondement légal des pénalités mises à sa charge. L'absence de mention expresse de la proposition de rectification dans l'avis de mise en recouvrement n'a donc pas privé la société de la possibilité de contester utilement les impositions et les pénalités mises en recouvrement. Par suite et en tout état de cause, le moyen tiré de ce que l'absence de référence de la proposition de rectification dans l'avis de mise en recouvrement constitue une erreur de nature à entraîner la décharge des impositions litigieuses et des pénalités y afférentes doit être écarté.

7. Pour les mêmes motifs, le moyen tiré de ce que l'avis de mise en recouvrement serait insuffisamment motivé faute de mentionner expressément le fondement légal des pénalités appliquées à la société requérante doit être écarté.

Sur le bien-fondé des impositions :

En ce qui concerne l'existence d'un abus de droit :

8. D'une part, aux termes de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales : " Afin d'en restituer le véritable caractère, l'administration est en droit d'écarter, comme ne lui étant pas opposables, les actes constitutifs d'un abus de droit, soit que ces actes ont un caractère fictif, soit que, recherchant le bénéfice d'une application littérale des textes ou de décisions à l'encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, ils n'ont pu être inspirés par aucun autre motif que celui d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales que l'intéressé, si ces actes n'avaient pas été passés ou réalisés, aurait normalement supportées eu égard à sa situation ou à ses activités réelles ". Il résulte de ces dispositions que, lorsque l'administration use des pouvoirs que lui confère ce texte dans des conditions telles que la charge de la preuve lui incombe, elle est fondée à écarter comme ne lui étant pas opposables certains actes passés par le contribuable, dès lors que ces actes ont un caractère fictif ou que, recherchant le bénéfice d'une application littérale des textes à l'encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, ils n'ont pu être inspirés par aucun autre motif que celui d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales que l'intéressé, s'il n'avait pas passé ces actes, aurait normalement supportées, eu égard à sa situation ou à ses activités réelles. L'administration fiscale apporte cette preuve par la production de tous éléments suffisamment précis attestant du caractère fictif des actes en cause ou de l'intention du contribuable d'éluder ou d'atténuer ses charges fiscales normales. Dans l'hypothèse où l'administration s'acquitte de cette obligation, il incombe ensuite au contribuable, s'il s'y croit fondé, d'apporter la preuve de la réalité des actes contestés ou de ce que l'opération litigieuse est justifiée par un motif autre que celui d'éluder ou d'atténuer ses charges fiscales normales.

9. D'autre part, en vertu des dispositions combinées du 1 de l'article 38 et de l'article 209 du code général des impôts, le bénéfice imposable à l'impôt sur les sociétés est le bénéfice net, déterminé d'après les résultats d'ensemble des opérations de toute nature effectuées par les entreprises. Aux termes du premier alinéa du I de l'article 216 du même code : " Les produits nets des participations, ouvrant droit à l'application du régime des sociétés mères et visées à l'article 145, touchés au cours d'un exercice par une société mère, peuvent être retranchés du bénéfice net total de celle-ci, défalcation faite d'une quote-part de frais et charges. "

10. Enfin, issues du I de l'article 12 de la loi n° 93-1444 du 31 décembre 1993 portant diverses dispositions relatives à la Banque de France, à l'assurance, au crédit et aux marchés financiers, les dispositions codifiées, à compter du 1er janvier 2001, au premier alinéa de l'article L. 432-12 du code monétaire et financier puis, à compter du 10 janvier 2009, à l'article L. 211-27 du même code, définissent la pension de titres comme l'opération par laquelle, d'une part, et moyennant un prix convenu, des titres financiers sont cédés en pleine propriété, d'autre part, le cédant et le cessionnaire s'engagent respectivement et irrévocablement, le premier à reprendre les titres, le second à les lui rétrocéder pour un prix et à une date convenus. Selon des dispositions issues des VII et VIII de ce même article 12, codifiées aux articles L. 432-18 et L. 432-19 puis L. 211-32 et L. 211-33, la pension entraîne, chez le cédant, le maintien à l'actif de son bilan des titres financiers mis en pension et l'inscription au passif du bilan du montant de sa dette vis-à-vis du cessionnaire, tandis que les titres financiers reçus en pension ne sont pas inscrits au bilan du cessionnaire, qui enregistre à l'actif de son bilan le montant de sa créance sur le cédant. Aux termes des dispositions issues du VI de l'article 12, codifiées à l'article L. 432-17 puis à l'article L. 211-31 : " La rémunération du cessionnaire, quelle qu'en soit la forme, constitue un revenu de créance. Elle est traitée sur le plan comptable comme des intérêts. / Lorsque la durée de la pension couvre la date de paiement des revenus attachés aux titres financiers donnés en pension, le cessionnaire les reverse au cédant qui les comptabilise parmi les produits de même nature ". Par application de l'article 38 bis-0 A du code général des impôts, et indépendamment de son imposition sur le revenu de créance que, le cas échéant, il perçoit à raison de l'opération, le cessionnaire de titres financiers remis en pension dans ces conditions n'est pas imposé sur les éventuels revenus attachés à ces titres, qu'il lui appartient de reverser au cédant. Il en va notamment ainsi lorsque, à raison de sa détention d'autres titres de la société émettrice que ceux qu'il a pris en pension, le régime des sociétés mères lui est applicable.

11. Il résulte de l'instruction, qu'en 2005 et 2006, la société Dassault Systèmes SE a octroyé des prêts à sa filiale américaine, la société Dassault Système Corp Inc (DS Corp Inc) afin que cette dernière procède à l'acquisition des sociétés Abaqus et Matrix One. Ces prêts, portant sur des montants de 310 millions de dollars et de 354 millions de dollars, ont généré respectivement 7,2 millions de dollars d'intérêts qui ont été imposés en France entre le dernier trimestre de l'année 2005 et le 1er trimestre de l'année 2006, et plus de 4,9 millions de dollars d'intérêts qui ont été imposés en France au titre du premier trimestre de l'année 2006. La société DS Corp Inc a créé, le 16 mai 2006, une filiale aux Etats-Unis, la société DS Holding LLC, à qui elle a apporté 90 % des actions ordinaires d'Abaqus, avant de céder à la société Dassault Systèmes SE les 10 % restant de ces actions ordinaires pour un prix de 500 000 dollars, ainsi que toutes les actions de préférence A pour 310 millions de dollars, le prix d'acquisition des titres ayant été payé par compensation avec le montant des prêts, intégralement remboursés par ce biais. De même, s'agissant de la société Matrix One, la société DS Corp Inc a apporté, le 27 juillet 2006, l'ensemble des titres de cette société à la société DSAC, filiale à 100 % de la DS Holding LLC. Le 28 juillet 2006, la société Dassault Systèmes SE a fait un apport en numéraire à la société DSAC et reçu en contrepartie 10 % du capital social, et le 31 juillet 2006, la société DS Corp Inc a cédé à la société Dassault Systèmes SE les actions de préférence A et B de la société DSAC, pour un montant de 354 millions de dollars, remboursant ainsi, par compensation, le prêt contracté. La société Dassault Systèmes SE a alors bénéficié, en application des articles 145 et 206 du code général des impôts, du régime des sociétés mères à raison des dividendes reçus des sociétés Abaqus et DSAC. Toutefois, à la suite d'une vérification de comptabilité portant sur les exercices 2012 et 2013, après avoir analysé l'ensemble des actes de droit privé conclus par la société requérante avec ses filiales américaines, à savoir les contrats d'achat des actions de préférence, les pactes d'actionnaires, et les contrats de stabilité, l'administration fiscale a constaté que la société DS Holdings LLC avait souscrit l'engagement de racheter à la société Dassault Systèmes SE les actions de préférence acquises auprès de DS Corp Inc, à un prix fixé et garanti, dans un délai maximum de 7 ans. Elle a estimé que cet accord portant sur une rétrocession des actions de préférence acquises par la société Dassault Systèmes SE auprès de la société DS Corp Inc, nonobstant le fait qu'elle devait intervenir au profit de la société DS Holdings LLC et non au profit du cédant des titres (DS Corp Inc), révélait la véritable nature de l'opération qui était celle d'une " pension de titres " expressément exclue du régime des sociétés mères en application des dispositions du c du 1 de l'article 145 du code général des impôts. L'administration fiscale a ainsi décelé une fraude à la loi dans cette substitution d'un financement à un autre, ou d'un produit financier à un autre, n'ayant d'autre objet que de faire bénéficier la société Dassault Systèmes SE d'une exonération d'impôt sur les sociétés sur les dividendes perçus.

12. Pour établir l'existence d'un abus de droit, le ministre relève, dans ses dernières écritures, que les dividendes perçus par la société Dassault Systèmes SE sur les actions de préférence des sociétés Abaqus et DSAC viennent, en réalité, au terme d'un montage artificiel, en rémunération de titres pris en pension par la société Dassault Systèmes SE et sont, en conséquence, exclus du régime des sociétés mères. Il résulte de l'instruction, d'une part, que la société Dassault Systèmes SE, qui disposait des fonds propres suffisants pour acquérir les sociétés Abacus et Matrix One, a mis en place une ingénierie juridique destinée à lui assurer qu'elle ne paierait aucun impôt sur les sociétés en France, sous réserve de l'imposition de la quote-part de frais et charges, sur les produits qu'elle était appelée à tirer des concours financiers apportés à sa filiale DS Corp Inc. D'autre part, en souscrivant les actions en cause, la société Dassault Systèmes SE a conclu des pactes d'actionnaires avec la société DS Holding LLC, les 16 mai 2006 et 28 juillet 2006, aux termes desquels cette dernière s'engage à lui racheter, dans un délai maximum de 7 ans, les actions de préférences souscrites, à un prix fixé et garanti, indépendamment des résultats des sociétés Abaqus et DSAC, majoré des dividendes exigibles à la date de la cession et, s'il y a lieu, des dividendes cumulés demeurés impayés. En outre, elle a conclu avec la société DS Corp Inc, les 17 mai 2006 et 31 juillet 2006, des pactes de stabilité qui font référence aux pactes d'actionnaires, et dans lesquels la société DS Corp Inc, qui détient la totalité de la société DS Holding LLC, s'engage à ne pas vendre les actions de cette dernière société et à maintenir ses ratios de solvabilité afin que la société DS Holding LLC soit en mesure de respecter son engagement de rachat des actions de préférence. La société Dassault Systèmes SE était ainsi certaine de récupérer les sommes investies. Elle était également assurée de percevoir des dividendes, dès lors, d'une part, que si une échéance était impayée, elle faisait l'objet l'année suivante d'un rattrapage, et, d'autre part, que le non-paiement des dividendes constituait, en application de l'article 2.1 des pactes d'actionnaires, un " cas de défaillance " permettant à la société Dassault Systèmes SE d'exiger de la société DS Holding LLC qu'elle procède sans délai au rachat des titres. Ainsi, contrairement aux dividendes qui sont par nature aléatoire, la rémunération servie pour les actions de préférence en cause présentait un caractère de fixité et ne dépendait pas des performances des sociétés émettrices. Il ressort de ces constatations qu'à travers sa filiale DSAC, la société DS Holding LLC a cédé en pleine propriété des titres de préférence à la société Dassault Systèmes SE, moyennant un prix convenu, le cédant (DS Holding LLC via DSAC) et le cessionnaire (Dassault Systèmes SE) s'engageant respectivement et irrévocablement, le premier à reprendre les titres, le second à les rétrocéder pour un prix et à une date convenus. Cette opération caractérise une prise de pension de titres au sens des dispositions citées au point 10. La rémunération que la société DS Holding LLC, à travers sa filiale DS Corp Inc, devait reverser à la société Dassault Systèmes SE au titre de l'opération de pension, inclut, au prorata temporis, le montant des dividendes attachés aux actions de préférence ainsi prises en pension. Ces dividendes représentent donc un élément de la rémunération de la société Dassault Systèmes SE en tant que cessionnaire des titres pris en pension. Ils ont, par détermination de la loi, comptablement et fiscalement, la nature d'un revenu de créance dont il résulte du I de l'article 216 précité du code général des impôts, qu'ils ne peuvent pas être retranchés du bénéfice total de la société mère. Le ministre établit ainsi l'existence d'un montage artificiel constituant un indice essentiel du but exclusivement fiscal poursuivi par la société Dassaut Sytèmes SE et révélant, par lui-même, la contrariété à l'intention des auteurs du régime fiscal des sociétés mères.

13. En premier lieu, l'ensemble des faits rappelés au point précédent, sur lesquels s'appuie le ministre pour établir l'existence d'un montage artificiel, ont été détaillés dans la proposition de rectification du 30 septembre 2015. Il n'a donc procédé à aucune substitution de motifs en qualifiant ces faits, devant le juge d'appel, de montage artificiel. Le moyen tiré de ce que cette substitution de motifs ne pourrait être accueillie car elle priverait la société requérante d'une garantie essentielle liée à la saisine du comité de l'abus de droit fiscal doit, par suite, être écarté.

14. En deuxième lieu, pour combattre les constatations effectuées par le service vérificateur, la société Dassault Systèmes SE soutient que l'organisation ainsi mise en place n'a pas qu'un objectif fiscal, dès lors que le recours à des actions de préférence plutôt qu'à un mécanisme de prêt classique permet d'éviter l'exposition au risque de change et que le rendement de ces actions est bien supérieur à celui d'un prêt. Si en effet, il était loisible à la société requérante de recourir, comme elle l'a fait, à une mise en pension d'actions de préférence pour éviter une exposition à un risque de change et de percevoir à ce titre une rémunération, elle ne pouvait toutefois placer cette rémunération sous le régime fiscal des sociétés mères qu'en en dissimulant sa véritable nature et commettre ainsi un abus de droit.

15. En troisième lieu, la société requérante soutient également que la création de la société DS Holding LLC n'avait pas un but exclusivement fiscal mais présentait un intérêt juridique, économique et fonctionnel dans la mesure où elle s'inscrivait dans une organisation d'ensemble de ses activités américaines, avec la création de deux pôles d'activité, " PLM " et " 3D Mechanical ", chacun détenus par une société holding dédiée, à savoir respectivement les sociétés Holding LLC et Solidworks, elles-mêmes détenue par la société de droit américain, DS Corp Inc, et que la détention d'actions donnait accès de plein droit aux conseils d'administration des sociétés concernées. Toutefois, cette architecture d'ensemble ne confère aucune justification autre que fiscale à l'engagement, souscrit par la société DS Holding LLC auprès de la société Dassault Sytèmes SE, de rachat des titres des sociétés Abaqus Inc. et DSAC.

16. En quatrième lieu, la société requérante ne peut pas utilement soutenir qu'une opération tripartite ne peut pas caractériser une pension de titres dès lors que c'est précisément l'intervention de la société tierce DS Holding LLC qui a eu pour objet et pour effet de dissimuler cette pension de titres dans le cadre d'un montage artificiel destiné à placer la rémunération correspondante sous le régime fiscal des sociétés mères destiné à bénéficier indument du régime fiscal des sociétés mères.

17. En cinquième lieu, dès lors qu'elle a bénéficié indument du régime fiscal des sociétés mères pour les dividendes en litige par la mise en place d'un montage artificiel, la société Dassault Systèmes SE ne peut pas utilement soutenir qu'il n'y aurait pas méconnaissance de l'intention du législateur, que sa charge fiscale aurait été la même si elle avait procédé par voie de recapitalisation directe et que le traitement comptable qu'elle a appliqué n'est pas conforme à celui de la pension livrée.

18. Enfin, dès lors, ainsi qu'il vient d'être exposé, que l'abus de droit ne consiste pas à avoir fait application du régime fiscal des sociétés mères alors que les titres pris en pension en seraient exclus, mais à s'être placé à l'intérieur de ce régime alors qu'il s'applique exclusivement à des produits de participations et alors que les produits en cause devaient être regardés comme des revenus de créance, les moyens soulevés par la société requérante et tirés d'une part, de ce que les titres en pension n'étaient pas exclus de ce régime à la date de l'acquisition des actions de préférence, et d'autre part, que cette exclusion ne vaudrait que pour les mises en pension bénéficiant de la neutralité fiscale, sont inopérants.

En ce qui concerne la perte de change :

19. Au titre du 4 de l'article 38 du code général des impôts : " Pour l'application des 1 et 2, les écarts de conversion des devises ainsi que des créances et dettes libellées en monnaies étrangères par rapport aux montants initialement comptabilisés sont déterminés à la clôture de chaque exercice en fonction du dernier cours de change et pris en compte pour la détermination du résultat imposable de l'exercice ".

20. La société Dassault Systèmes SE fait valoir, à titre subsidiaire, sur le fondement de l'article L. 205 du livre des procédures fiscales relatif aux compensations, que si l'opération en litige devait être requalifiée en remise de titres en garantie d'un prêt, il y a lieu de tenir compte de la perte de change qu'elle aurait alors constatée à la clôture des exercices 2012 et 2013 pour des montants s'élevant respectivement à 9 918 159 euros et 21 785 632 euros. Cependant, ainsi que le relève le ministre, la société ne justifie pas de ces montants. La demande de compensation ne saurait par suite, et en tout état de cause, être accueillie.

21. Il résulte de tout ce qui précède que la société Dassault Systèmes SE n'est pas fondée à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande en décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2012 et 2013. Sa requête doit, par suite, être rejetée, y compris les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de la société Dassault Systèmes SE est rejetée.

N° 19VE01800 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Versailles
Formation : 7ème chambre
Numéro d'arrêt : 19VE01800
Date de la décision : 01/04/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

19-01-03-03 Contributions et taxes. Généralités. Règles générales d'établissement de l'impôt. Abus de droit et fraude à la loi.


Composition du Tribunal
Président : M. EVEN
Rapporteur ?: M. Nicolas TRONEL
Rapporteur public ?: M. ILLOUZ
Avocat(s) : CMS BUREAU FRANCIS LEFEBVRE

Origine de la décision
Date de l'import : 04/05/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.versailles;arret;2021-04-01;19ve01800 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award