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19/01/2021 | FRANCE | N°19PA02121

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 3ème chambre, 19 janvier 2021, 19PA02121


Vu la procédure suivante :

Procédure antérieure :

M. E... F... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du 27 février 2018 par laquelle la ministre du travail a autorisé la société Club Med à procéder à son licenciement.

Par un jugement n° 1811062/3-1 du 6 mai 2019, le tribunal administratif de Paris a annulé cette décision.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et des mémoires enregistrés les 3 juillet 2019, 5 mars 2020 et

31 juillet 2020, la société Club Med, représentée par la société d'avo

cats Flichy Grangé Avocats demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Pari...

Vu la procédure suivante :

Procédure antérieure :

M. E... F... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du 27 février 2018 par laquelle la ministre du travail a autorisé la société Club Med à procéder à son licenciement.

Par un jugement n° 1811062/3-1 du 6 mai 2019, le tribunal administratif de Paris a annulé cette décision.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et des mémoires enregistrés les 3 juillet 2019, 5 mars 2020 et

31 juillet 2020, la société Club Med, représentée par la société d'avocats Flichy Grangé Avocats demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Paris du 6 mai 2019 ;

2°) de rejeter la demande de M. F... et de confirmer la décision du ministre ;

3°) de mettre à la charge de M. F... la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- dès lors que M. F... avait pu présenter ses observations orales et écrites auprès de la DIRRECTE qui avait procédé à une contre-enquête préalablement au rejet implicite du recours hiérarchique formé par l'employeur, le ministre n'était pas tenu de procéder à une seconde enquête contradictoire avant de retirer sa décision implicite pour autoriser en définitive le licenciement ;

- en, effet, l'administration n'est pas tenue de faire droit aux demandes d'auditions abusives ou répétitives ;

- le jugement du tribunal qui a retenu le moyen tiré du vice de procédure doit donc être annulé et les autres moyens écartés ;

- M. B... A... était habilité à prendre la décision contestée ;

- le moyen tiré de la violation de l'article L. 8113-7 du code du travail est inopérant et le rapport du contrôleur du travail est un élément susceptible d'être pris en compte ;

- le mauvais comportement de M. F... est suffisamment établi par les témoignages de ses collaboratrices et le rapport du contrôleur du travail n'est pas remis en cause par les éléments qu'il produit ;

- le harcèlement et les vexations infligées à ses collaboratrices constituaient des faits suffisamment graves pour justifier un licenciement ;

- la demande d'autorisation de licencier M. F... est sans lien avec ses mandats.

Par des mémoires enregistrés les 18 octobre 2019 et 5 juin 2020, M. E... F... conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de la société Club Med la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le retrait du refus implicite d'autorisation de licenciement était subordonné à son audition, qu'il a expressément demandée et à laquelle il n'a pas été fait droit ; le jugement doit être dès lors confirmé ;

- le signataire de la décision ne justifie pas de sa compétence ;

- le rapport du contrôleur du travail était partial et biaisé ;

- les témoignages de ses accusatrices, infirmés par les attestations qu'il produit, ne sont pas probants ;

- il n'a jamais fait l'objet de plaintes et ses emportements ne présentaient pas le caractère qui leur est attribué ;

- la demande est motivée en réalité par des tensions qui l'opposaient à sa hiérarchie.

La requête a été communiquée à la ministre du travail qui n'a pas produit de mémoire.

La clôture de l'instruction est intervenue le 18 novembre 2020.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code du travail,

- le code des relations entre le public et l'administration,

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. C...,

- les conclusions de Mme Pena, rapporteur public,

- et les observations de Me G..., représentant la société Club Med.

Considérant ce qui suit :

1. M. F... occupait depuis le 1er avril 2009 au sein de la société Club Med le poste de responsable de la comptabilité-fournisseur. Il détenait les mandats de délégué syndical FO et de délégué du personnel de l'établissement de Lyon. Son employeur a, par courrier du 28 avril 2017, demandé à l'inspecteur du travail l'autorisation de le licencier pour faute grave. Par une décision du 29 juin 2017, l'inspecteur du travail a refusé d'autoriser son licenciement au motif que la réalité des griefs reprochés à M. F... n'était pas établie. La société Club Med a formé auprès de la ministre du travail un recours hiérarchique contre cette décision. Ce recours, qui n'a d'abord pas reçu de réponse, a fait l'objet d'une décision implicite de rejet. Cependant, par une décision du 27 février 2018, la ministre du travail a retiré sa décision implicite de rejet, annulé la décision de l'inspecteur du travail et autorisé le licenciement de M. F.... La société Club Med relève appel du jugement du 7 mai 2019 par lequel le tribunal administratif de Paris a annulé la décision de la ministre du travail du 27 février 2018.

Sur le motif d'annulation retenu par le tribunal administratif :

2. D'une part, aux termes des dispositions de l'article R. 2422-1 du code du travail : " Le ministre chargé du travail peut annuler ou réformer la décision de l'inspecteur du travail sur le recours de l'employeur, du salarié ou du syndicat que ce salarié représente ou auquel il a donné mandat à cet effet. / Ce recours est introduit dans un délai de deux mois à compter de la notification de la décision de l'inspecteur. / Le silence gardé pendant plus de quatre mois sur ce recours vaut décision de rejet ".

3. D'autre part, aux termes des dispositions de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration : " Les personnes physiques ou morales ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. / A cet effet, doivent être motivées les décisions qui : 4° Retirent ou abrogent une décision créatrice de droits ". L'article L. 122-1 du même code prévoit que : " Les décisions mentionnées à l'article L. 211-2 n'interviennent qu'après que la personne intéressée a été mise à même de présenter des observations écrites et, le cas échéant, sur sa demande, des observations orales. Cette personne peut se faire assister par un conseil ou représenter par un mandataire de son choix. L'administration n'est pas tenue de satisfaire les demandes d'audition abusives, notamment par leur nombre ou leur caractère répétitif ou systématique ".

4. Il résulte des dispositions citées au point précédent qu'il appartient à l'autorité administrative compétente pour adopter une décision individuelle entrant dans leur champ de mettre elle-même la personne intéressée en mesure de présenter des observations. Il en va de même, à l'égard du bénéficiaire d'une décision, lorsque l'administration est saisie par un tiers d'un recours gracieux ou hiérarchique contre cette décision. Ainsi, le ministre chargé du travail, saisi sur le fondement des dispositions de l'article R. 2422-1 du code du travail, d'un recours contre une décision autorisant ou refusant d'autoriser le licenciement d'un salarié protégé, doit mettre le tiers au profit duquel la décision contestée a créé des droits - à savoir, respectivement, l'employeur ou le salarié protégé - à même de présenter ses observations, notamment par la communication de l'ensemble des éléments sur lesquels le ministre entend fonder sa décision.

5. En l'espèce, il ressort des pièces du dossier que dans le cadre du recours hiérarchique formé par la société Club Med contre la décision du 29 juin 2017 par laquelle l'inspectrice du travail avait refusé d'accorder à l'employeur l'autorisation de licenciement, M. F... a été informé de l'ensemble des éléments que faisait valoir l'employeur et qu'il a été reçu le

12 octobre 2017 par les services de la direction interrégionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi d'Ile-de-France chargés d'instruire pour le compte du ministre le recours hiérarchique dont il était saisi, et dont le rapport consigne les observations orales du salarié protégé. La procédure contradictoire qui doit être suivie dans le cadre de l'instruction d'un recours hiérarchique a donc été respectée. Si, en raison du silence gardé pendant plus de quatre mois par le ministre, une décision implicite de rejet du recours hiérarchique était acquise au bénéfice de M. F... à compter du 1er décembre 2017, le ministre du travail, par lettre du 30 janvier 2018 a informé le salarié qu'il n'excluait pas de prononcer le retrait de cette décision implicite et il l'a invité à lui transmettre s'il le souhaitait des observations écrites. M. F... ayant présenté ses observations écrites le 8 février 2018, le ministre du travail, dans le cadre de la procédure de retrait de la décision implicite née le

1er décembre 2017, n'était pas tenu de faire droit à la demande du salarié qui avait exprimé le souhait d'être entendu une seconde fois dès lors qu'il l'avait déjà été par le service instructeur le 12 octobre 2017, que l'administration n'entendait pas se fonder sur des éléments nouveaux sur lesquels le salarié ne s'était pas déjà exprimé par oral et par écrit, et que, contrairement à ce qu'a estimé le tribunal administratif, le retrait d'une décision implicite née du silence gardé par l'administration sur un recours hiérarchique n'implique pas que la procédure contradictoire suivie pour l'instruction de ce recours doive être reprise dans son intégralité. En tout état de cause, la circonstance que le ministre n'ait pas donné suite à la demande de M. F... d'être entendu une seconde fois n'a pas privé l'intéressé d'une garantie et n'a pas été susceptible d'exercer, en l'espèce, une influence sur le sens de la décision prise.

6. Ainsi donc, le société Club Med est fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif a retenu le moyen tiré du vice de procédure pour annuler la décision de la ministre du travail du 27 février 2018.

Sur les autres moyens soulevés par M. F... :

7. Il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. F... tant en première instance qu'en appel.

S'agissant de l'existence d'une faute d'une gravité suffisante pour justifier le licenciement :

8. En vertu des dispositions du code du travail, les salariés légalement investis de fonctions représentatives bénéficient, dans l'intérêt de l'ensemble des salariés qu'ils représentent, d'une protection exceptionnelle. Lorsque le licenciement d'un de ces salariés est envisagé, ce licenciement ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou l'appartenance syndicale de l'intéressé. Dans le cas où la demande de licenciement est motivée par un comportement fautif, il appartient à l'inspecteur du travail, et le cas échéant au ministre, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si les faits reprochés au salarié sont d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement, compte tenu de l'ensemble des règles applicables au contrat de travail de l'intéressé et des exigences propres à l'exécution normale du mandat dont il est investi. Enfin, il résulte des dispositions de l'article

L. 1235-1 du code du travail que, lorsqu'un doute subsiste au terme de l'instruction diligentée par le juge sur l'exactitude matérielle des faits à la base des griefs formulés par l'employeur contre le salarié, ce doute profite au salarié.

9. Pour demander à la ministre du travail d'annuler la décision de l'inspecteur du travail et d'autoriser le licenciement de M. F..., la direction de la société Club Med a invoqué des méthodes de management inappropriées, le manquement de ce cadre à son devoir d'exemplarité, et des comportements vexatoires et injurieux se manifestant par des humiliations publiques et des intimidations à l'égard de certaines de ses subordonnées. Pour accorder l'autorisation de licencier M. F..., la ministre, qui n'a pas retenu les deux premiers griefs, a considéré qu'il était établi, au vu des témoignages, que ce salarié avait tenu des propos raillant l'appartenance de trois de ses collaboratrices à l'islam, qu'il avait formulé des remarques désobligeantes sur leur physique, et prononcé des paroles sexistes et à connotation raciste à l'encontre de l'une d'entre elle. Il a estimé que ce comportement humiliant et vexatoire de la part d'un cadre était constitutif d'une faute d'une gravité suffisante pour justifier un licenciement.

10. S'il n'est pas contestable que M. F... se laissait aller à des propos brutaux ou maladroits qui ont pu légitimement blesser la sensibilité et l'amour propre de celles à qui ils étaient destinés, les paroles retenues pour justifier le licenciement, prononcées dans un contexte qui ne ressort pas clairement des témoignages produits, ne sauraient caractériser l'injure proférée à raison de la race, du sexe, ou de la religion des intéressées. Il en va ainsi de la remarque selon laquelle " le porc c'est très bon, vous ne savez pas ce que vous manquez ", formulée on ne sait trop en quelle circonstance, qui ne saurait être regardée dès lors comme une pression sur les salariées de confession musulmane, et des propos dépourvus de tact sur ceux de ses collaborateurs qui résidaient dans des banlieues exposées à la délinquance. Si M. F... a cru opportun de relever que " les salariés hommes ne tomb(ai)ent pas enceintes ", et que certaines des salariées du service de comptabilité n'avaient pas le physique de l'emploi pour être recrutées dans un village de vacances, ces remarques, déplacées et sexistes, reflètent davantage la vulgarité de pensée et la trivialité d'expression de leur auteur qu'une misogynie ou un comportement effectivement discriminatoire, lesquels sont au demeurant démentis par des témoignages nombreux, circonstanciés et probants, émanant de personnes de sexe et de confessions différents. Enfin, les paroles prononcées dans un moment d'exaspération telles que " en quelle langue tu veux que je te parle, en arabe ' ! ", " tu n'es pas assez intelligente pour tenir une conversation professionnelle ! " ou " t'es blonde de l'intérieur ! ", si elles présentent un caractère blessant, ne sauraient être qualifiées de gravement injurieuses. Par ailleurs, il ressort notamment tant des conclusions du conseil de discipline que du compte-rendu du comité d'entreprise qui s'est prononcé à l'unanimité contre le licenciement que le comportement de M. F..., apprécié pour sa jovialité et sa liberté de ton dans une entreprise qui cultivait alors, peut-être à l'excès, la spontanéité et le franc-parler, s'était récemment altéré à la suite d'une réorganisation du service de la comptabilité, marquée par la dématérialisation des procédures et des compressions d'effectifs, qui avait provoqué un stress intense et de violentes tensions entre ce cadre et sa hiérarchie. Dans ce contexte, alors que le comportement de M. F..., auparavant apprécié par ses supérieurs pour avoir mené à bien une restructuration difficile de ce service et semble-t-il par ses subordonnés, n'avait pas fait l'objet d'avertissements formels ou de rappels à l'ordre, les paroles intempestives et blâmables retenues contre lui, si elles étaient susceptibles de justifier une sanction, n'étaient pas d'une gravité suffisante pour motiver le licenciement d'un salarié qui travaillait depuis vingt ans dans la société sans que des écarts de comportement n'aient été signalés. Enfin, s'il est vrai que les témoignages conduisent à s'interroger sur la capacité, la dernière année, de M. F... à gérer sereinement son service sans répercuter son stress sur ses subordonnés par ses sorties langagières et un management clivant, ce motif de licenciement, avancé par l'employeur, n'est pas celui qu'a retenu en définitive la ministre qui s'est fondée, en l'occurrence à tort, au vu de témoignages lapidaires et répétitifs, sans prise en compte du contexte dans lequel ils ont été formulés par les plaignants et recueillis par l'employeur, sur le caractère gravement fautif des propos dont il vient d'être fait état.

11. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens soulevés par M. F... que la société Club Med n'est pas fondée à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a annulé la décision de la ministre du travail du 27 février 2018 autorisant le licenciement de ce salarié.

Sur les frais de justice :

12. Les dispositions de l'article L. 761-1 font obstacle à ce que soit mises à la charge de M. F..., qui n'est pas la partie perdante, la somme que réclame la société Club Med sur ce fondement. Il n'y a pas lieu dans les circonstances de l'espèce de faire droit aux conclusions de M. F... tendant à ce que soit mise à la charge de la société Club Med les frais exposés par lui et non compris dans les dépens.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de la société Club Med est rejetée.

Article 2 : Les conclusions des parties présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société Club Med, à la ministre du travail et à

M. E... F.... Copie en sera adressée pour information à la direction interrégionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi d'Ile-de-France.

Délibéré après l'audience du 5 janvier 2021, à laquelle siégeaient :

- M. D..., premier vice-président,

- M. C..., président assesseur,

- Mme Jayer, premier conseiller,

Rendu public par mise à disposition au greffe le 19 janvier 2021.

Le rapporteur,

Ch. C...Le président,

M. D...

Le greffier,

A. DUCHER

La République mande et ordonne à la ministre du travail en ce qui la concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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N° 10PA03855

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N° 19PA02121


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