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20/12/2019 | FRANCE | N°19PA01394

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 8ème chambre, 20 décembre 2019, 19PA01394


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... D... a demandé au tribunal administratif de Melun d'annuler la décision du 20 septembre 2017 par laquelle l'inspecteur du travail a autorisé son licenciement.

Par un jugement n° 1709008 du 5 avril 2019, le tribunal administratif de Melun a annulé la décision du 20 septembre 2017 par laquelle l'inspecteur du travail a autorisé son licenciement et a mis à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre de l'article

L. 761-1 du code de justice administrative.

Procédure deva

nt la Cour :

Par une requête, un mémoire et un mémoire récapitulatif, enregistrés les 23...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... D... a demandé au tribunal administratif de Melun d'annuler la décision du 20 septembre 2017 par laquelle l'inspecteur du travail a autorisé son licenciement.

Par un jugement n° 1709008 du 5 avril 2019, le tribunal administratif de Melun a annulé la décision du 20 septembre 2017 par laquelle l'inspecteur du travail a autorisé son licenciement et a mis à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre de l'article

L. 761-1 du code de justice administrative.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, un mémoire et un mémoire récapitulatif, enregistrés les 23 avril 2019, 19 juillet 2019 et 21 novembre 2019, la société Chronopost, représentée par Me C..., demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1709008 du 5 avril 2019 du tribunal administratif de Melun ;

2°) de rejeter la demande présentée par M. D... devant le tribunal administratif de Melun ;

3°) de mettre à la charge de M. D... la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la société Chronopost et la société Labo Express sont directement concurrentes sur le marché du transport des colis et M. D... a ainsi méconnu son obligation de loyauté découlant de son contrat de travail ; il était susceptible de transmettre à la société Labo Express des informations confidentielles et un savoir-faire acquis au sein de la société Chronopost ; elle a ainsi subi un préjudice, notamment en termes d'image et de réputation ; il devait, en outre, avoir un comportement irréprochable vis-à-vis de ses collègues de travail dont il était censé défendre les droits ;

- en application de l'article L. 8261-1 du code du travail, le cumul irrégulier d'emplois est une infraction constitutive de travail illégal ; en raison du comportement de M. D..., elle était passible de sanctions pénales ;

- M. D... ne peut pas sérieusement soutenir qu'il a travaillé au sein de la société Labo Express en vue d'une reconversion professionnelle au motif qu'elle n'aurait pas respecté les aménagements de son poste de travail préconisés par le médecin du travail le 26 mai 2016 alors que les restrictions en poids des colis et en termes d'horaires n'étaient pas respectées par son second employeur ;

- M. D..., qui n'établit pas avoir subi un harcèlement ou avoir présenté un trouble anxio-dépressif en lien avec son emploi au sein de la société Chronopost, ne saurait soutenir qu'il tendait à une reconversion professionnelle en raison de sa souffrance au travail ; en tout état de cause, en juillet 2017, il était toujours salarié de la société Chronopost ;

- l'inspecteur du travail n'a pas méconnu le principe du contradictoire, ni les droits de la défense ; en particulier, M. D... a bénéficié d'un délai suffisant pour faire valoir ses observations ;

- la décision de l'inspecteur du travail est suffisamment motivée ;

- la mesure de licenciement n'a aucun lien avec le mandat exercé par le salarié.

Par un mémoire, enregistré le 21 mai 2019, la ministre du travail s'associe aux conclusions de la société Chronopost tendant à l'annulation du jugement du 5 avril 2019 du tribunal administratif de Melun et au rejet de la demande présentée par M. D... devant ce tribunal.

La ministre du travail, qui déclare reprendre les observations produites devant les premiers juges, soutient qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 21 juin 2019 et 8 novembre 2019, M. D..., représenté par Me A..., conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de la société Chronopost et de l'Etat la somme de 3 000 euros chacun au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- les moyens de la requérante ne sont pas fondés ;

- l'inspecteur du travail a méconnu le principe du contradictoire et les droits de la défense ;

- la décision de l'inspecteur du travail est insuffisamment motivée ;

- l'absence de référence à ses mandats dans la demande de la société Chronopost et la décision de l'inspecteur du travail est de nature à affecter la régularité de cette dernière en ce que ses mandats n'étaient pas dépourvus de tout lien avec la mesure de licenciement ;

- c'est à partir d'une surveillance illicite dont il a fait l'objet que la société Chronopost a découvert qu'il avait effectué des missions pour la société Labo Express.

Par une décision du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal de grande instance de Paris du 30 août 2019, modifiée le 8 novembre 2019, M. D... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale.

Vu les autres pièces des dossiers.

Vu :

- le code du travail ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 et son décret d'application n° 91-1266 du 19 décembre 1991 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme E...,

- les conclusions de Mme Bernard, rapporteur public,

- et les observations de Me Montagnier, avocat de la société Chronopost et de Me A..., avocat de M. D....

Considérant ce qui suit :

1. La société Chronopost, qui a pour activité le transport et la livraison de marchandises de moins de trente kg, a engagé M. D... en qualité de chauffeur livreur à compter du 7 octobre 2002 par des contrats à durée déterminée successifs, puis par un contrat à durée indéterminée conclu le 26 mai 2003. M. D... a exercé plusieurs mandats de représentation des salariés, et en particulier, il était titulaire du mandat de délégué syndical d'établissement CFDT du 15 juin 2015 au 24 avril 2017. Estimant que M. D... avait méconnu son obligation de loyauté à laquelle il était soumis par son contrat de travail en ayant travaillé à deux reprises pour la société Labo Express alors qu'il était en congés ou en arrêt maladie, la société Chronopost a sollicité, le 17 juillet 2017, de l'inspecteur du travail, l'autorisation de le licencier. Par une décision du 20 septembre 2017, l'inspecteur du travail a accordé l'autorisation sollicitée. La société Chronopost relève appel du jugement du 5 avril 2019 par lequel le tribunal administratif de Melun a, à la demande de M. D..., annulé cette décision.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

2. En vertu des dispositions du code du travail, le licenciement des salariés légalement investis de fonctions représentatives, qui bénéficient d'une protection exceptionnelle dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent, ne peut intervenir que sur autorisation de l'inspecteur du travail. Lorsque leur licenciement est envisagé, celui-ci ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou avec leur appartenance syndicale. Dans le cas où la demande de licenciement est motivée par un comportement fautif, il appartient à l'inspecteur du travail saisi et, le cas échéant, au ministre compétent, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si les faits reprochés au salarié sont d'une gravité suffisante pour justifier le licenciement, compte tenu de l'ensemble des règles applicables au contrat de travail de l'intéressé et des exigences propres à l'exécution normale du mandat dont il est investi. Un agissement du salarié intervenu en-dehors de l'exécution de son contrat de travail ne peut motiver un licenciement pour faute, sauf s'il traduit la méconnaissance par l'intéressé d'une obligation découlant de ce contrat.

3. A ce dernier titre, l'exercice par un salarié d'une activité rémunérée pendant des périodes de congés payés ou d'arrêt de travail provoqué par la maladie ou un accident de travail ne constitue pas en lui-même un manquement à l'obligation de loyauté découlant du contrat de travail qui subsiste pendant ces périodes. Pour fonder un licenciement pour faute, l'acte commis par un salarié durant la suspension du contrat de travail doit causer un préjudice à l'employeur ou à l'entreprise.

4. Il est constant que M. D..., dont le contrat de travail conclu avec la société Chronopost ne comportait pas de clause d'exclusivité, a exercé l'activité de coursier pour le compte de la société Labo Express, d'une part, du 16 au 30 août 2016 alors qu'il était soit en congés payés, en repos compensateur ou en journée " enfant malade " et, d'autre part, du 9 au 27 mai 2017 alors qu'il était en arrêt de travail pour accident de travail. Il ressort des pièces du dossier, en particulier du document de présentation générale de la société Labo Express, de la fiche de poste de M. D... au sein de cette société et de l'attestation de formation du 16 août 2016 relative aux " bonnes pratiques de transport des produits sanguins labiles et des échantillons issus de sang humain en conformité avec l'arrêté du 4 avril 2002 " délivrée à M. D... par l'institut national de la transfusion sanguine, que la mission de ce salarié était d'assurer le transport médical urgent par route de produits sanguins labiles et produits d'origine humaine vers les professionnels de santé et que la société Labo Express exerçait exclusivement une activité de transport de " prélèvements, produits et échantillons issus de sang humain ", de matériel médical et de plis et documents administratifs dans le seul domaine de la santé. Par suite, même si les contrats de travail de M. D... conclus avec la société Labo Express ne précisaient pas la nature des produits et des marchandises à livrer, la société Labo Express ne saurait être regardée comme une société concurrente de la société Chronopost. Si cette dernière soutient avoir subi un préjudice en termes d'image et de réputation, elle ne l'établit pas alors que sa clientèle était différente de celle de la société Labo Express. La circonstance que M. D... n'a pas eu le comportement exemplaire attendu de la part d'un représentant des salariés n'est pas constitutive, en elle-même, d'un préjudice pour la société Chronopost. Enfin, il ne ressort pas des pièces du dossier que M. D..., du fait de la nature de son emploi de chauffeur livreur, ait, en tout état de cause, été susceptible de transmettre des informations confidentielles à la société Labo Express. Dans ces conditions, M. D..., dont les fonctions exercées au sein de la société Labo Express n'ont pas causé de préjudice à la société Chronopost, n'a pas méconnu son obligation de loyauté vis-à-vis de son employeur. Il s'ensuit que c'est à juste titre que les premiers juges ont, pour ce motif, annulé la décision de l'inspecteur du travail du 20 septembre 2017 autorisant le licenciement de M. D....

5. Si la société Chronopost soutient qu'en raison du comportement de M. D..., elle était passible de sanctions pénales en vertu de l'article L. 8261-1 du code du travail, elle n'établit pas, en tout état de cause, que M. D... aurait accompli pour son compte des travaux rémunérés au-delà de la durée maximale du travail.

6. Il résulte de tout ce qui précède que la société Chronopost n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Melun a annulé la décision du 20 septembre 2017 par laquelle l'inspecteur du travail a autorisé son licenciement.

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

7. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de M. D..., qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que la société Chronopost sollicite au titre des frais liés à l'instance.

8. Par ailleurs, il résulte des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et des articles 37 et 43 de la loi du 10 juillet 1991 que le bénéficiaire de l'aide juridictionnelle ne peut demander au juge de condamner à son profit la partie perdante qu'au paiement des seuls frais qu'il a personnellement exposés, à l'exclusion de la somme correspondant à la part contributive de l'Etat à la mission d'aide juridictionnelle confiée à son avocat. L'avocat de ce bénéficiaire peut demander au juge de condamner la partie perdante à lui verser la somme correspondant à celle qu'il aurait réclamée à son client, si ce dernier n'avait eu l'aide juridictionnelle, à charge pour l'avocat qui poursuit, en cas de condamnation, le recouvrement à son profit de la somme qui lui a été allouée par le juge, de renoncer à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat à la mission d'aide juridictionnelle qui lui a été confiée.

9. D'une part, M. D..., pour le compte de laquelle les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ont été explicitement présentées, n'allègue pas avoir exposé de frais autres que ceux pris en charge par l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle totale qui lui a été allouée. D'autre part, l'avocate de M. D... n'a pas demandé que soit mis à la charge de la société Chronopost et de l'Etat le versement de la somme correspondant aux frais liés à l'instance qu'elle aurait réclamés à son client si ce dernier n'avait pas bénéficié d'une aide juridictionnelle totale. Dans ces conditions, les conclusions présentées par M. D... sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de la société Chronopost est rejetée.

Article 2 : Les conclusions présentées par M. D... sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société Chronopost, à M. B... D... et à la ministre du travail.

Délibéré après l'audience du 2 décembre 2019, à laquelle siégeaient :

- M. Lapouzade, président de chambre,

- Mme Collet, premier conseiller,

- Mme E..., premier conseiller.

Lu en audience publique, le 20 décembre 2019.

Le rapporteur,

V. E...Le président,

J. LAPOUZADE

Le greffier,

C. POVSELa République mande et ordonne à la ministre du travail en ce qui la concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 19PA01394


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 8ème chambre
Numéro d'arrêt : 19PA01394
Date de la décision : 20/12/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

66-07-01-04 Travail et emploi. Licenciements. Autorisation administrative - Salariés protégés. Conditions de fond de l'autorisation ou du refus d'autorisation.


Composition du Tribunal
Président : M. LAPOUZADE
Rapporteur ?: Mme Virginie LARSONNIER
Rapporteur public ?: Mme BERNARD
Avocat(s) : TEYTAUD-SALEH

Origine de la décision
Date de l'import : 21/01/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2019-12-20;19pa01394 ?
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