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21/05/2021 | FRANCE | N°19NT03599

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 3ème chambre, 21 mai 2021, 19NT03599


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme E... A... et l'association HELIOS ont demandé au tribunal administratif d'Orléans de condamner solidairement la société des autoroutes Paris-Rhin-Rhône et l'Etat à leur verser la somme de 2 700 000 euros en réparation des préjudices subis par Mme A... du fait de l'existence de l'autoroute A71 et de leur enjoindre de réaliser dans cet ouvrage public des passages à faune permettant de restaurer une voie de migration du grand gibier entre les forêts de Tronçais et de Bornacq.

Par un jugement n

1701203 du 7 mai 2019, le tribunal administratif d'Orléans a condamné la sociét...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme E... A... et l'association HELIOS ont demandé au tribunal administratif d'Orléans de condamner solidairement la société des autoroutes Paris-Rhin-Rhône et l'Etat à leur verser la somme de 2 700 000 euros en réparation des préjudices subis par Mme A... du fait de l'existence de l'autoroute A71 et de leur enjoindre de réaliser dans cet ouvrage public des passages à faune permettant de restaurer une voie de migration du grand gibier entre les forêts de Tronçais et de Bornacq.

Par un jugement n° 1701203 du 7 mai 2019, le tribunal administratif d'Orléans a condamné la société des autoroutes Paris-Rhin-Rhône à verser à Mme A... la somme de 45 000 euros, a ordonné une expertise afin d'évaluer l'étendue et le montant de son préjudice financier et a décidé, avant de statuer sur les conclusions à fin d'injonction, un supplément d'instruction " aux fins de mettre en mesure les parties de se prononcer sur l'opportunité d'une médiation, et, le cas échéant, d'y procéder (...) ".

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires enregistrés les 6 septembre 2019, 10 août 2020,

14 septembre 2020, 18 décembre 2020 et 25 février 2021 la société des autoroutes

Paris-Rhin-Rhône, représentée par Me C..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif d'Orléans du 7 mai 2019 ;

2°) de rejeter la demande présentée par Mme A... et l'association HELIOS devant le tribunal administratif d'Orléans ;

3°) à titre subsidiaire, de limiter à 8 805 euros, voire à 30 000 euros, la somme qu'elle devra verser à Mme A... au titre de son préjudice économique ;

4°) de mettre à la charge de Mme A... et de l'association HELIOS la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le délai de prescription de six mois instauré par l'article L. 426-4 du code de l'environnement est applicable aux dommages causés par le gibier aux cultures et aux récoltes dont Mme A... demande la réparation ; la créance de Mme A... était donc prescrite lorsqu'elle a présenté sa demande indemnitaire le 9 novembre 2016 ; il en irait de même en cas d'application du délai de la prescription quadriennale fixée par la loi du 31 décembre 1968 ou du délai de la prescription quinquennale prévue à l'article 2224 du code civil ; si les dommages subis par Mme A... devaient être regardés comme présentant un caractère évolutif, seuls ceux postérieurs au 8 novembre 2012 ou au 8 novembre 2011, selon le délai de prescription appliqué, pourraient être indemnisés ;

- c'est à tort que le tribunal a admis la recevabilité de la demande de Mme A... qui, pas plus que l'association HELIOS, n'avait intérêt à agir ;

- c'est également à tort que les premiers juges ont retenu sa responsabilité en sa qualité de concessionnaire d'un ouvrage public ; au demeurant, le préjudice économique invoqué par Mme A... en lien avec une baisse de rendement de ses terres agricoles et la diminution de la valeur vénale de sa propriété n'est pas établi ; en outre, le lien de causalité entre le préjudice invoqué et l'ouvrage public n'est pas démontré, dès lors notamment que des passages à faune ont été aménagés sur le territoire concerné ; enfin, Mme A... n'établit pas le caractère anormal et spécial des dommages, d'autant qu'elle ne pouvait ignorer l'existence de l'ouvrage public lorsqu'elle a acquis sa propriété le 21 septembre 1988 ;

- en tout état de cause, en nourrissant les animaux sauvages présents sur sa propriété et en refusant de prendre ou de laisser prendre les mesures nécessaires à la destruction de ce gibier ou à la protection de sa propriété, Mme A... a commis une faute de nature à l'exonérer intégralement de sa responsabilité ;

- Mme A... n'est pas fondée à demander la réparation des dégâts causés par le gibier à ses cultures, celle-ci relevant de la compétence de la fédération départementale des chasseurs en vertu de l'article L. 426-1 du code de l'environnement ;

- Mme A... ne justifie pas avoir exposé une somme au titre des bracelets de chasse qu'elle aurait été contrainte d'acquérir ;

- les sommes exposées par Mme A... pour contester des arrêtés préfectoraux ne peuvent être mises à sa charge ;

- Mme A... ne justifie pas de la réalité du préjudice moral dont elle demande la réparation ;

- elle ne peut se voir enjoindre de réaliser des passages à faune, ouvrages qui nécessitent l'accord d'autres acteurs comme l'Etat, la commune d'Epineuil-le-Fleuriel et la fédération départementale des chasseurs ; en tout état de cause, le schéma régional de cohérence écologique (SRCE) de la région Centre n'a identifié aucun besoin en la matière dans le secteur concerné.

Par des mémoires enregistrés les 12 décembre 2019 et 19 août 2020 le ministre de la transition écologique conclut à la mise hors de cause de l'Etat.

Il soutient que :

- les premiers juges ont à bon droit mis l'Etat hors de cause ;

- les conclusions dirigées par Mme A... contre l'Etat, tendant à la réparation du préjudice écologique, nouvelles en appel, ne sont pas recevables ; en tout état de cause,

Mme A... ne peut invoquer directement la méconnaissance de l'objectif de valeur constitutionnelle que constitue la protection de l'environnement et ne justifie de l'existence d'aucun dommage grave et irréversible pour l'environnement justifiant l'application du principe de précaution.

Par des mémoires en défense enregistrés les 5 juillet 2020 et 7 janvier 2021 Mme A... et l'association HELIOS, représentées par Me B..., concluent :

1°) au rejet de la requête ;

2°) par la voie de l'appel incident, à la condamnation solidaire de la société des autoroutes Paris-Rhin-Rhône et de l'Etat à leur verser la somme de 710 844,32 euros, au besoin après avoir ordonné de nouvelles expertises afin d'évaluer le préjudice psychologique de

Mme A... ainsi que le préjudice écologique causé par la présence de l'ouvrage public ;

3°) à ce que soit mise à la charge de la société des autoroutes Paris-Rhin-Rhône et de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elles soutiennent que :

- c'est à tort que les premiers juges ont considéré que la demande de l'association HELIOS n'était pas recevable, faute d'intérêt à agir ;

- la responsabilité de l'Etat, propriétaire de l'ouvrage public en cause, est engagée en raison de l'atteinte portée à la protection de l'environnement ;

- elle a droit aux indemnités supplémentaires suivantes : 696 444,32 euros au titre de son préjudice économique et 14 400 euros au titre des bracelets de chasse qu'elle a été contrainte d'acheter ;

- il y a lieu de désigner un expert dont la mission sera d'évaluer le préjudice moral et psychologique qu'elle a subi ;

- le préjudice écologique provoqué par la présence de l'A71, qui devra être évalué par un expert, doit être réparé par la construction de passages à faune ;

- les moyens soulevés par la société des autoroutes Paris-Rhin-Rhône ne sont pas fondés.

Les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré de ce que la juridiction administrative n'est pas compétente pour statuer sur la demande de Mme A... tendant à ce que les indemnités qui lui ont été accordées par la fédération départementale des chasseurs en réparation des dégâts causés à ses cultures par le grand gibier soient majorées.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code civil ;

- le code de l'environnement ;

- la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. D...,

- les conclusions de M. Gauthier, rapporteur public,

- et les observations de Me C..., représentant la société des autoroutes

Paris-Rhin-Rhône.

Considérant ce qui suit :

1. Mme A... a acheté en 1988 le domaine du Feuilloux, exploitation agricole de 125 hectares, dont 32 hectares de bois, située sur le territoire de la commune d'Epineuil-le-Fleuriel (Cher). Le 9 novembre 2016, elle a adressé à la société des autoroutes Paris-Rhin-Rhône, concessionnaire de l'autoroute A 71, une réclamation indemnitaire tendant à la réparation des préjudices qu'elle estimait subir depuis la mise en service de cet ouvrage public, le 11 décembre 1989, en raison d'une surpopulation de cervidés et de sangliers sur sa propriété. Cette réclamation étant restée sans réponse, Mme A... et l'association HELIOS ont demandé au tribunal administratif d'Orléans de condamner solidairement la société des autoroutes

Paris-Rhin-Rhône et l'Etat à leur verser la somme de 2 700 000 euros et de leur enjoindre de réaliser des passages permettant à la faune de traverser l'autoroute A71. Par un jugement du

7 mai 2019, le tribunal administratif d'Orléans, après avoir mis l'Etat hors de cause, a condamné la société des autoroutes Paris-Rhin-Rhône à verser à Mme A... la somme totale de 45 000 euros au titre d'un complément d'indemnisation des dégâts causés à ses récoltes par le grand gibier, du remboursement de l'acquisition de bracelets de chasse et du préjudice moral et, avant dire droit, a ordonné une expertise dans le but d'évaluer l'étendue et le montant de son préjudice financier ainsi qu'un supplément d'instruction sur les conclusions à fin d'injonction de la requête " aux fins de mettre en mesure les parties de se prononcer sur l'opportunité d'une médiation, et, le cas échéant, d'y procéder ". La société des autoroutes Paris-Rhin-Rhône relève appel de ce jugement. Par la voie de l'appel incident, Mme A... et l'association HELIOS demandent à la cour de condamner solidairement la société des autoroutes Paris-Rhin-Rhône et l'Etat à leur verser la somme de 710 844,32 euros et d'ordonner de nouvelles expertises afin d'évaluer le préjudice psychologique de Mme A... et le préjudice écologique causé par la présence de l'ouvrage public.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. En premier lieu, aux termes de l'article 1248 du code civil, dans sa rédaction applicable : " L'action en réparation du préjudice écologique est ouverte à toute personne ayant qualité et intérêt à agir, telle que l'Etat, l'Agence française pour la biodiversité, les collectivités territoriales et leurs groupements dont le territoire est concerné, ainsi que les établissements publics et les associations agréées ou créées depuis au moins cinq ans à la date d'introduction de l'instance qui ont pour objet la protection de la nature et la défense de l'environnement. "

3. En application de ces dispositions, l'association HELIOS, dès lors qu'elle a été créée moins de cinq ans avant l'introduction de l'instance devant le tribunal administratif d'Orléans, n'avait pas, alors même que son objet social est la protection animale, qualité pour engager une action en réparation du préjudice écologique causé par la présence de l'autoroute A71. Elle ne justifiait pas davantage d'un intérêt à demander la condamnation de la société des autoroutes Paris-Rhin-Rhône à réparer les préjudices propres à Mme A... au titre de l'indemnisation des dommages de travaux publics. C'est donc à bon droit que les premiers juges ont écarté sa demande comme irrecevable, sans entacher par conséquent leur jugement d'irrégularité sur ce point.

4. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 426-1 du code de l'environnement : " En cas de dégâts causés aux cultures, aux inter-bandes des cultures pérennes, aux filets de récoltes agricoles ou aux récoltes agricoles soit par les sangliers, soit par les autres espèces de grand gibier soumises à plan de chasse, l'exploitant qui a subi un dommage nécessitant une remise en état, une remise en place des filets de récolte ou entraînant un préjudice de perte de récolte peut réclamer une indemnisation sur la base de barèmes départementaux à la fédération départementale ou interdépartementale des chasseurs. ". Selon l'article L. 426-6 du même code : " Tous les litiges nés de l'application des articles L. 426-1 à L. 426-4 sont de la compétence des tribunaux de l'ordre judiciaire. ".

5. Il résulte de ces dispositions que la juridiction administrative n'est pas compétente pour statuer sur les litiges relatifs à l'attribution par une fédération départementale ou interdépartementale des chasseurs d'une indemnité à un agriculteur au titre des dégâts causés à ses récoltes par le grand gibier. Par suite, le tribunal ne pouvait, sans entacher son jugement d'irrégularité, statuer sur les refus d'indemnisation opposés à Mme A... par la fédération départementale des chasseurs du Cher et condamner la société des autoroutes Paris-Rhin-Rhône à verser à l'intéressée une somme de 15 000 euros à ce titre. Le jugement attaqué doit donc être annulé dans cette mesure.

6. En troisième lieu, l'instruction ne permettant pas d'évaluer les conséquences des destructions causées par le grand gibier sur le bénéfice net de l'exploitation agricole de Mme A..., l'expertise comptable décidée par les premiers juges paraît utile à la solution du litige. La société des autoroutes Paris-Rhin-Rhône n'est donc pas fondée à contester le jugement attaqué sur ce point.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

En ce qui concerne l'exception de prescription :

7. Aux termes du premier alinéa de l'article 2270-1 du code civil, en vigueur jusqu'à l'entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile : " Les actions en responsabilité civile extracontractuelle se prescrivent par dix ans à compter de la manifestation du dommage ou de son aggravation ". Selon l'article 2224 du même code résultant de la loi du 17 juin 2008 : " Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer ". Aux termes du II de l'article 26 de cette loi : " Les dispositions de la présente loi qui réduisent la durée de la prescription s'appliquent aux prescriptions à compter du jour de l'entrée en vigueur de la présente loi, sans que la durée totale puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure ".

8. Il résulte de la combinaison de ces dispositions que, jusqu'à l'entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008, les actions en responsabilité civile extracontractuelle se prescrivaient par dix ans à compter de la manifestation du dommage, en application de l'article 2270-1 du code civil. Depuis l'entrée en vigueur de cette loi, une telle action se prescrit par cinq ans en vertu des dispositions de l'article 2224 du code civil. Toutefois, lorsque la prescription de dix ans n'était pas acquise à la date d'entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008, l'application de l'article 2224 du code civil ne saurait conduire à prolonger la prescription au-delà de la durée de dix ans résultant des dispositions antérieures.

9. Il résulte de l'instruction que les dommages dont Mme A... demande la réparation résultent de la présence chaque année, particulièrement entre septembre et mai, de cervidés et de sangliers en très grand nombre sur sa propriété et doivent donc être rattachés à chacune des années durant lesquelles ils ont été subis.

10. En application des dispositions citées au point 7, le nouveau délai de prescription de cinq ans pour les actions personnelles, prévu par l'article 2224 du code civil, court à compter de l'entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008, soit le 19 juin 2008. Ce délai de prescription quinquennale a ainsi expiré au plus tard le 19 juin 2013 en ce qui concerne les préjudices allégués dont le fait générateur est survenu avant 2008. La demande de Mme A... ayant été adressée à la société des autoroutes Paris-Rhin-Rhône le 9 novembre 2016, toutes les créances rattachables aux années 2008,2009 et 2010 sont également prescrites.

En ce qui concerne la responsabilité de la société des autoroutes Paris-Rhin-Rhône :

11. Le maître de l'ouvrage est responsable, même en l'absence de faute, des dommages que les ouvrages publics dont il a la garde peuvent causer aux tiers tant en raison de leur existence que de leur fonctionnement. Il ne peut dégager sa responsabilité que s'il établit que ces dommages résultent de la faute de la victime ou d'un cas de force majeure. Les dommages permanents de travaux publics doivent, en outre, revêtir un caractère anormal et spécial pour ouvrir droit à réparation.

12. Il résulte de l'instruction, comme en témoignent les nombreuses réunions organisées depuis les années 1990 par le préfet du Cher ainsi que les mesures régulièrement prises par cette même autorité pour tenter de réguler la population de cervidés et de sangliers présente en excès sur le territoire de la commune d'Epineuil-le-Fleuriel, et en particulier sur le domaine du Feuilloux, que l'autoroute A71 constitue depuis sa mise en service en 1989 un obstacle à la circulation de ces animaux entre les forêts de Tronçais et de Bornacq, auquel la présence de plusieurs passages à faune ne suffit pas à remédier. Il est également établi que cette situation a pour effet de concentrer entre septembre et mai le grand gibier sur le territoire de la commune, en particulier sur les 32 hectares de bois appartenant à Mme A.... Enfin, il ne saurait être sérieusement contesté que cette surpopulation de grand gibier a causé des dégâts notables à la propriété de Mme A.... Ces dommages revêtant un caractère anormal, de par leur durée et leur ampleur, et spécial, dès lors qu'ils affectent avec une intensité particulière la propriété de Mme A..., la responsabilité de la société des autoroutes Paris-Rhin-Rhône est engagée.

13. Il résulte toutefois de l'instruction que Mme A... s'est régulièrement opposée aux mesures de régulation du grand gibier prises par le préfet du Cher, en contestant le nombre de bracelets qui lui a été attribué, en exécutant incomplètement ses plans de chasse et en s'opposant aux battues administratives décidées en complément de ceux-ci. En revanche, il n'est pas établi qu'elle aurait acquis son domaine en toute connaissance de cause ou qu'elle aurait eu la volonté de créer un refuge pour animaux sauvages sur sa propriété. Dans ces conditions, si Mme A... a bien commis une faute de nature à exonérer la société des autoroutes

Paris-Rhin-Rhône de sa responsabilité, comme le soutient la société des autoroutes Paris-Rhin-Rhône, cette exonération ne saurait excéder 25% des dommages.

En ce qui concerne la responsabilité de l'Etat :

14. Le concessionnaire est seul responsable des dommages causés aux tiers par l'existence ou le fonctionnement des ouvrages concédés. La responsabilité de la collectivité concédante ne peut être engagée de ce fait qu'à titre subsidiaire, en cas d'insolvabilité du concessionnaire. Il s'ensuit que la responsabilité de l'Etat ne peut être recherchée à raison des dommages causés aux tiers par la présence de l'autoroute A71, ouvrage public concédé à la société des autoroutes Paris-Rhin-Rhône, dont il n'est ni établi ni même allégué qu'elle serait insolvable. Par voie de conséquence, les conclusions indemnitaires dirigées par Mme A... contre l'Etat ne peuvent qu'être rejetées.

En ce qui concerne les préjudices :

S'agissant du préjudice économique :

15. Il ne relève pas de l'office du juge d'appel, saisi de la contestation d'un jugement avant-dire-droit, de statuer sur les droits de Mme A... au titre de son préjudice économique, droits qui ont été réservés par le tribunal administratif à l'article 4 du jugement attaqué. Il en résulte que Mme A... n'est pas fondée à demander, par la voie de l'appel incident et en l'état actuel de la procédure, que la cour condamne la société des autoroutes

Paris-Rhin-Rhône à lui verser une somme à ce titre.

S'agissant des frais divers :

16. Il résulte de l'instruction qu'en raison de la nécessité de réguler le grand gibier concentré sur sa propriété, Mme A... a dû prendre à sa charge, entre 2011 et 2016, les créances rattachables aux années antérieures étant prescrites ainsi qu'il a été dit au point 10, le coût de 216 bracelets de chasse aux cervidés pour un montant non contesté de 21 600 euros. Après application du partage de responsabilité indiqué au point 13, il y a lieu de condamner la société des autoroutes Paris-Rhin-Rhône à lui verser la somme de 16 200 euros.

S'agissant du préjudice moral :

17. Mme A... a subi depuis 1990 un important préjudice moral en raison des dommages qu'elle a subis, de la dégradation de ses relations avec ses voisins à la suite des destructions causées par les animaux sauvages présents sur son domaine, et des nombreuses démarches qu'elle a engagées en vain pour obtenir l'aménagement de passages à faune complémentaires, seule solution permettant de remédier de manière pérenne au désordre écologique provoqué par la présence de l'autoroute A71. Il y a donc lieu, sans qu'il soit utile d'ordonner une expertise de l'état de santé psychologique de Mme A..., de condamner la société des autoroutes Paris-Rhin-Rhône à lui verser, au titre du préjudice moral qu'elle a subi à partir de l'année 2011, et après prise en compte du partage de responsabilité indiqué au point 13, une somme de 4 500 euros.

18. Il résulte de ce qui précède que la somme de 45 000 euros que le tribunal administratif d'Orléans a condamné la société des autoroutes Paris-Rhin-Rhône à verser à

Mme A... doit être ramenée à 20 700 euros.

En ce qui concerne le préjudice écologique et la mesure d'injonction demandée par Mme A... :

19. Aux termes de l'article 1246 du code civil : " Toute personne responsable d'un préjudice écologique est tenue de le réparer. ". Selon l'article 1249 du même code : " La réparation du préjudice écologique s'effectue par priorité en nature. (...) ".

20. Mme A... doit être regardée comme demandant, depuis l'introduction de son recours devant le tribunal administratif d'Orléans, que soit réparé le préjudice écologique causé par la présence de l'autoroute A71 par une décision de justice enjoignant à la société des autoroutes Paris-Rhin-Rhône et à l'Etat d'y aménager de nouveaux passages à faune afin que soit restauré un couloir de migration du grand gibier entre les forêts de Tronçais et de Bornacq.

21. Le tribunal administratif d'Orléans, saisi de cette demande, a jugé à l'article 3 du jugement attaqué que : " Avant-dire-droit sur les conclusions à fin d'injonction, il y a lieu de prescrire un supplément d'instruction aux fins de mettre en mesure les parties de se prononcer sur l'opportunité d'une médiation, et, le cas échéant, d'y procéder, en application des dispositions de la section 3 du chapitre III du titre I du Livre II du code de justice administrative ".

22. Or, d'une part, il ne relève pas de l'office du juge d'appel, saisi de la contestation d'un jugement avant dire droit, de statuer sur une demande d'injonction qui a été réservée par le tribunal administratif et, d'autre part, il résulte des dispositions de l'article L. 213-10 du code de justice administrative que les mesures de médiation prises à l'initiative du juge, sur le fondement de l'article L. 213-7 du même code, ne sont pas susceptibles de recours. Il en résulte, et sans qu'il soit besoin d'examiner la recevabilité de la demande de Mme A... ou d'ordonner une expertise du préjudice écologique, que ni la société des autoroutes Paris-Rhin-Rhône ni

Mme A... ne sont fondées à demander la réformation du jugement attaqué sur ce point.

Sur les frais liés au litige :

23. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de laisser à la charge de chacune des parties les sommes exposées par elles au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1701203 du tribunal administratif d'Orléans du 7 mai 2019 est annulé en tant qu'il a condamné la société des autoroutes Paris-Rhin-Rhône à verser à Mme A... la somme de 15 000 euros en réparation des dégâts causés à ses cultures par le grand gibier.

Article 2 : Ce même jugement est réformé en ce qu'il a, pour le surplus, condamné la société des autoroutes Paris-Rhin-Rhône à verser à Mme A... la somme de 30 000 euros, qui est ramenée à 20 700 euros.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête et les conclusions incidentes présentées par Mme A... sont rejetés.

Article 4 : Les conclusions présentées par les parties au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la société des autoroutes Paris-Rhin-Rhône, à

Mme E... A..., à l'association HELIOS et au ministre de la transition écologique.

Délibéré après l'audience du 22 avril 2021, à laquelle siégeaient :

- Mme Perrot, président de chambre,

- Mme Brisson, président-assesseur,

- M. D..., premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 21 mai 2021.

Le rapporteur

E. D...Le président

I. PerrotLe greffier

R. Mageau

La République mande et ordonne au ministre de la transition écologique en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 19NT03599


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 19NT03599
Date de la décision : 21/05/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme la Pdte. PERROT
Rapporteur ?: M. Eric BERTHON
Rapporteur public ?: M. GAUTHIER
Avocat(s) : ROUX

Origine de la décision
Date de l'import : 29/05/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2021-05-21;19nt03599 ?
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