Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société à responsabilité limitée (SARL) Majesty Pizza a demandé au tribunal administratif d'Orléans l'annulation de la décision du 19 février 2018 par laquelle le directeur de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) a mis à sa charge la somme de 17 700 euros au titre de la contribution spéciale prévue à l'article L. 8253-1 du code du travail pour l'emploi irrégulier d'un salarié et la somme de 2 214 euros au titre de la contribution forfaitaire représentative des frais de réacheminement d'un étranger dans son pays d'origine, ainsi que la décision du 14 mai 2018 rejetant son recours gracieux.
Par un jugement n° 1802578 du 21 mars 2019, le tribunal administratif d'Orléans a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 3 mai et le 7 novembre 2019, la SARL Majesty Pizza, représentée par Me B..., doit être regardée comme demandant à la cour :
1°) l'annulation du jugement du tribunal administratif d'Orléans du 21 mars 2019 ;
2°) à titre principal, l'annulation de la décision du 19 février 2018 par laquelle le directeur de l'OFII a mis à sa charge la somme de 17 700 euros au titre de la contribution spéciale prévue à l'article L. 8253-1 du code du travail pour l'emploi irrégulier d'un salarié et la somme de 2 214 euros au titre de la contribution forfaitaire représentative des frais de réacheminement d'un étranger dans son pays d'origine, ainsi que la décision du 14 mai 2018 rejetant son recours gracieux ou, à titre subsidiaire, la réduction des sommes réclamées ;
3°) de mettre à la charge de l'Office français de l'immigration et de l'intégration la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le jugement est irrégulier, le tribunal ayant omis de statuer sur ses conclusions tendant à l'annulation de la décision du 19 février 2018 dont il était saisi, qui devaient s'analyser également comme des conclusions tendant à la réduction des sommes réclamées, en sa qualité de juge de pleine juridiction ;
- l'article R. 8253-1 du code du travail, qui crée une sanction automatique, caractérisée par un taux unique qui ne peut être modulé pour tenir compte des circonstances de l'espèce méconnait l'article 5 de la directive 2009/52/CE du 18 juin 2009 prévoyant que les sanctions doivent être " proportionnées " ;
- la sanction prononcée à son encontre au titre de la contribution spéciale prévue par les dispositions de l'article L. 8253-1 du code du travail est disproportionnée, notamment parce qu'elle accueille régulièrement des jeunes en réinsertion ;
- la sanction prononcée à son encontre au titre la contribution forfaitaire représentative des frais de réacheminement de l'étranger prévue par l'article L. 626-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile est infondée, dès lors que cette sanction ne peut être appliquée que dans l'hypothèse où une procédure de retour est effectivement engagée.
Par des mémoires en défense, enregistrés le 20 septembre et le 12 novembre 2019, l'Office français de l'immigration et de l'intégration conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 3 000 euros soit mise à la charge de la SARL Majesty Pizza au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que les moyens soulevés par la société requérante ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la directive 2009/52/CE du Parlement européen et du Conseil du 18 juin 2009 ;
- le code du travail ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. A...,
- les conclusions de M. Lemoine, rapporteur public,
- et les observations de Me B..., représentant la SARL Majesty Pizza.
Considérant ce qui suit :
1. A l'occasion d'un contrôle effectué le 4 janvier 2017 dans le restaurant exploité par la SARL Majesty Pizza à La Chapelle Saint-Mesmin (Loiret), les services de police ont constaté la présence d'un ressortissant marocain travaillant au sein du restaurant, non autorisé à travailler en France, non autorisé à y séjourner et non déclaré. Par une décision du 19 février 2018, le directeur général de l'OFII a mis à la charge de la société requérante la contribution spéciale prévue à l'article L. 8253-1 du code du travail et la contribution forfaitaire prévue à l'article L. 626-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile pour des montants respectifs de 17 700 et 2 214 euros. Par sa requête, la SARL Majesty Pizza demande à la cour l'annulation du jugement du 21 mars 2019 par lequel le tribunal administratif d'Orléans a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 19 février 2018, ainsi que la décision du 14 mai 2018 rejetant son recours gracieux.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Il résulte de l'instruction que la SARL Majesty Pizza n'a soutenu ni même allégué dans ses écritures devant le tribunal que la sanction financière qui lui a été infligée aurait été disproportionnée. Dans ces conditions, le tribunal, dans le cadre de son office de juge de plein contentieux, n'était nullement tenu d'examiner d'office un tel moyen pour rejeter la demande de la requérante, qui tendait uniquement à l'annulation de la décision du 19 février 2018 précitée. Par suite, la SARL Majesty Pizza n'est pas fondée à soutenir que le jugement en cause serait irrégulier.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
En ce qui concerne la contribution spéciale :
3. En premier lieu, et d'une part, aux termes de l'article 5 de la directive 2009-52/CE du 18 juin 2009 susvisée : " 1. Les Etats membres prennent les mesures nécessaires pour s'assurer que les violations de l'interdiction visée à l'article 3 sont passibles de sanctions effectives, proportionnées et dissuasives à l'encontre de l'employeur concerné. 2. Les sanctions infligées en cas de violation de l'interdiction visée à l'article 3 comportent : a. des sanctions financières dont le montant augmente en fonction du nombre de ressortissants de pays tiers employés illégalement ; et b. le paiement des frais de retour des ressortissants de pays tiers employés illégalement dans les cas où une procédure de retour est engagée. Les Etats membres peuvent alternativement décider de refléter au moins les coûts moyens du retour dans les sanctions financières prises conformément au point a). 3. Les Etats membres peuvent prévoir une réduction des sanctions financières lorsque l'employeur est une personne physique qui emploie un ressortissant de pays tiers en séjour irrégulier à ses fins privées et lorsqu'il n'y a pas de conditions de travail particulièrement abusives. "
4. D'autre part, aux termes du premier alinéa de l'article L. 8251-1 du code du travail : " Nul ne peut, directement ou indirectement, embaucher, conserver à son service ou employer pour quelque durée que ce soit un étranger non muni du titre l'autorisant à exercer une activité salariée en France ". Aux termes de l'article L. 8253-1 du même code, dans sa rédaction applicable aux faits de l'espèce : " Sans préjudice des poursuites judiciaires pouvant être intentées à son encontre, l'employeur qui a employé un travailleur étranger en méconnaissance des dispositions du premier alinéa de l'article L. 8251-1 acquitte, pour chaque travailleur étranger sans titre de travail, une contribution spéciale. Le montant de cette contribution spéciale est déterminé dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat. Il est, au plus, égal à 5 000 fois le taux horaire du minimum garanti prévu à l'article L. 3231-12. Ce montant peut être minoré en cas de non-cumul d'infractions ou en cas de paiement spontané par l'employeur des salaires et indemnités dus au salarié étranger sans titre mentionné à l'article R. 8252-6. Il est alors, au plus, égal à 2 000 fois ce même taux. Il peut être majoré en cas de réitération et est alors, au plus, égal à 15 000 fois ce même taux. / L'Office français de l'immigration et de l'intégration est chargé de constater et de liquider cette contribution. (...) ". Enfin, aux termes de l'article R. 8253-2 du même code : " I.- Le montant de la contribution spéciale prévue à l'article L. 8253-1 est égal à 5 000 fois le taux horaire, à la date de la constatation de l'infraction, du minimum garanti prévu à l'article L. 3231-12. II.- Ce montant est réduit à 2 000 fois le taux horaire du minimum garanti dans l'un ou l'autre des cas suivants : 1° Lorsque le procès-verbal d'infraction ne mentionne pas d'autre infraction commise à l'occasion de l'emploi du salarié étranger en cause que la méconnaissance des dispositions du premier alinéa de l'article L. 8251-1 ; 2° Lorsque l'employeur s'est acquitté des salaires et indemnités mentionnés à l'article L. 8252-2 dans les conditions prévues par les articles R. 8252-6 et R. 8252-7. III.- Dans l'hypothèse mentionnée au 2° du II, le montant de la contribution spéciale est réduit à 1 000 fois le taux horaire du minimum garanti lorsque le procès-verbal d'infraction ne mentionne l'emploi que d'un seul étranger sans titre l'autorisant à exercer une activité salariée en France. IV.-Le montant de la contribution spéciale est porté à 15 000 fois le taux horaire du minimum garanti lorsqu'une méconnaissance du premier alinéa de l'article L. 8251-1 a donné lieu à l'application de la contribution spéciale à l'encontre de l'employeur au cours de la période de cinq années précédant la constatation de l'infraction. ".
5. L'article L. 8253-1 du code du travail se borne à fixer le minimum de la contribution spéciale exigible de l'employeur pour chaque travailleur étranger dépourvu de titre de travail. Cet article, qui prévoit que le montant de la sanction financière globale est fonction du nombre de travailleurs embauchés ou employés en situation irrégulière, n'interdit pas, au-delà de ce minimum et sous le contrôle du juge administratif, la modulation de cette sanction en fonction de la gravité des comportements réprimés. Le juge administratif peut décider, dans chaque cas, après avoir exercé son plein contrôle sur les faits invoqués et la qualification retenue par l'administration, soit de maintenir la sanction prononcée, soit d'en diminuer le montant jusqu'au minimum prévu par l'article en litige, soit d'en décharger l'employeur. Dans ces conditions, la société requérante n'est pas fondée à soutenir que l'article R. 8253-1 du code du travail, qui prévoit que la contribution spéciale prévue à l'article L. 8253-1 est due pour chaque étranger employé en méconnaissance du premier alinéa de l'article L. 8251-1, serait contraire aux dispositions de l'article 5 de la directive 2009/52/CE du 18 juin 2009.
6. En deuxième lieu, il ressort notamment du procès-verbal d'infraction du 4 janvier 2017 transmis à l'OFII, que M. C... n'était pas autorisé à travailler en France et n'était pas déclaré à la date du contrôle. Ces faits caractérisent un cumul d'infractions au code du travail. En outre, la SARL Majesty Pizza n'établit pas avoir versé à ce salarié, dans le délai de trente jours prévu par l'article L. 8252-4 du code du travail, l'intégralité des salaires et indemnités prévus par l'article L. 8252-2 du même code, ce qui exclut l'application d'un montant réduit de la contribution spéciale. Dans ces conditions, eu égard au cumul d'infractions constatées et en l'absence de paiement au salarié concerné de l'ensemble des salaires, accessoires et indemnités de rupture prévus par le code du travail, le montant de la contribution spéciale fixé par l'OFII à 5 000 fois le taux horaire minimum garanti applicable à la date de commission de l'infraction, soit 17 700 euros, n'apparait pas, en l'espèce, disproportionné. Les circonstances que la société requérante n'ait pas eu conscience de commettre l'infraction reprochée, qu'elle accueillerait des jeunes en réinsertion et serait confrontée à des difficultés financières, sont sans incidence sur le caractère proportionné de la sanction en cause. Enfin, si la société requérante fait valoir que M. C... aurait été employé pour une seule et unique journée de travail, elle n'apporte aucun élément à l'appui de ses allégations.
En ce qui concerne la contribution forfaitaire représentative des frais de réacheminement de l'étranger :
7. Aux termes de l'article L. 626-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction applicable aux faits de l'espèce : " Sans préjudice des poursuites judiciaires qui pourront être engagées à son encontre et de la contribution spéciale prévue à l'article L. 8253-1 du code du travail, l'employeur qui aura occupé un travailleur étranger en situation de séjour irrégulier acquittera une contribution forfaitaire représentative des frais de réacheminement de l'étranger dans son pays d'origine. / Le montant total des sanctions pécuniaires pour l'emploi d'un étranger en situation de séjour irrégulier ne peut excéder le montant des sanctions pénales prévues par les articles L. 8256-2, L. 8256-7 et L. 8256-8 du code du travail ou, si l'employeur entre dans le champ d'application de ces articles, le montant des sanctions pénales prévues par le chapitre II du présent titre. / L'Office français de l'immigration et de l'intégration est chargé de constater et de liquider cette contribution. (...) ". Selon l'article R. 6261 du même code : " I.- La contribution forfaitaire représentative des frais de réacheminement de l'étranger dans son pays d'origine prévue à l'article L. 626-1 est due pour chaque employé en situation irrégulière au regard du droit au séjour. / Cette contribution est à la charge de l'employeur qui, en violation de l'article L. 8251-1 du code du travail, a embauché ou employé un travailleur étranger dépourvu de titre de séjour. / II-Le montant de cette contribution forfaitaire est fixé par arrêté du ministre chargé de l'immigration et du ministre chargé du budget, en fonction du coût moyen des opérations d'éloignement vers la zone géographique de réacheminement du salarié, dans la limite prescrite à l'alinéa 2 de l'article L. 626-1 ". Il résulte de ces dispositions que la contribution forfaitaire est due par l'employeur qui a embauché, conservé à son service ou employé pour quelque durée que ce soit un travailleur étranger dépourvu de titre de séjour et de titre l'autorisant à exercer une activité salariée en France.
8. Les dispositions de l'article L. 626-1 précitées ne subordonnent pas la mise à la charge de l'employeur de la contribution forfaitaire représentative des frais de réacheminement des étrangers dans leur pays d'origine qu'elles prévoient, et qui présente le caractère d'une sanction, à la justification par l'administration du caractère effectif de ce réacheminement. Par suite, le moyen selon lequel la sanction prononcée à l'encontre de la société requérante au titre la contribution forfaitaire représentative des frais de réacheminement de l'étranger prévue par l'article L. 626-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile serait infondée, dès lors qu'aucune procédure de retour de M. C... n'aurait effectivement été engagée, ne peut qu'être écarté.
9. Il résulte de tout ce qui précède que la SARL Majesty Pizza n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif d'Orléans a rejeté sa demande.
Sur les frais liés au litige :
10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de Office français de l'immigration et de l'intégration, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que la SARL Majesty Pizza demande au titre des frais liés au litige. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la SARL Majesty Pizza la somme de 1 500 euros au titre des mêmes frais.
DECIDE :
Article 1er : La requête de la SARL Majesty Pizza est rejetée.
Article 2 : La SARL Majesty Pizza versera à l'Office français de l'immigration et de l'intégration la somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le surplus des conclusions de l'Office français de l'immigration et de l'intégration est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la SARL Majesty Pizza et à l'Office français de l'immigration et de l'intégration.
Délibéré après l'audience du 27 novembre 2020, à laquelle siégeaient :
- M. Gaspon, président de chambre,
- M. Coiffet, président-assesseur,
- M. A..., premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 15 décembre 2020.
Le rapporteur,
F. A...Le président,
O. GASPON
La greffière,
E. HAUBOIS
La République mande et ordonne au ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion, en ce qui le concerne, ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 19NT01696