Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société à responsabilité limitée (SARL) D3P a demandé au tribunal administratif de Montpellier de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre de l'exercice clos le 31 décembre 2013.
Par un jugement n° 1801408 en date du 20 mai 2019, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et des mémoires, enregistrés le 12 juillet 2019, le 20 décembre 2019 et le 4 juin 2020, la SARL D3P représentée par Me A..., demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du 20 mai 2019 du tribunal administratif de Montpellier ;
2°) de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des impositions en litige ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- l'indemnité provisionnelle d'expropriation de 4 millions d'euros ne peut être rattachée qu'à l'exercice 2012 dès lors qu'elle a été fixée en application des articles L. 15-4 et L. 15-5 du code de l'expropriation, qui constituent un fondement légal distinct de l'indemnité définitive ; à ce titre, elle dispose d'une autonomie comptable et fiscale ; conformément aux principes dégagés par le Conseil d'Etat et à la doctrine administrative référencée BOI-BIC-BASE-20-10 publiée le 4 décembre 2012, elle revêt le caractère d'une créance acquise dès lors qu'elle était certaine dans son principe et déterminée dans son montant dès l'exercice 2012 par l'effet de l'autorité de la chose jugée s'attachant au jugement du juge de l'expropriation du 16 octobre 2012, non susceptible d'appel ; le transfert de propriété du fonds de commerce s'est produit dès le 13 septembre 2012 par l'effet de l'ordonnance d'expropriation prononcée à cette même date ; l'indemnité a été prononcée au visa de l'article R. 15-7 3 du code de l'expropriation qui " correspond au préjudice causé aux intéressés tel qu'il paraît établi à l'issue des débats ", nonobstant l'examen d'autres chefs de préjudice lors de la fixation de l'indemnisation définitive ;
- les pénalités pour manquement délibéré qui ont assorti les impositions litigieuses sont illégales par voie de conséquence de la contestation en droit des rectifications ;
- elles ne sont pas motivées, en méconnaissance des dispositions de l'article 3 de la loi du 11 juillet 1979, de l'article L. 80 D du livre des procédures fiscales et de la doctrine administrative référencée BOI-CF-INF-30-20 §40 publiée le 3 janvier 2018 ;
- la preuve d'un manquement délibéré n'est pas rapportée par l'administration fiscale en méconnaissance de l'instruction administrative référencée BOI-CF-INF-10-20-20 du 12 septembre 2012.
Par un mémoire en défense, enregistré le 19 novembre 2019, le ministre de l'action et des comptes publics, conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que les moyens soulevés ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'expropriation ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme B...,
- les conclusions de Mme Courbon, rapporteur public,
- et les observations de Me A... représentant la SARL D3P.
Considérant ce qui suit :
1. La SARL D3P qui a exploité, jusqu'au 30 novembre 2013, le fonds de commerce d'un bar discothèque à l'enseigne " O BAR " situé à Lattes (34), a fait l'objet d'une vérification de comptabilité portant sur l'ensemble des déclarations fiscales et opérations susceptibles d'être examinées au titre de la période du 1er janvier 2013 au 31 décembre 2015. Au cours de ces investigations, l'administration a constaté que la SARL avait déduit extra-comptablement du résultat imposable de l'exercice 2013, le montant d'une indemnité perçue au titre de son expropriation, estimant qu'elle n'était pas imposable. A l'issue du contrôle, l'administration a considéré que la plus-value d'expropriation avait été exonérée à tort par la SARL et l'a réintégrée dans le résultat imposable de l'exercice 2013. Par proposition de rectification du 29 novembre 2016, la SARL D3P a été assujettie à des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés ainsi que des contributions sociales au titre de l'exercice 2013, selon la procédure de rectification contradictoire. Suite à la réclamation présentée par la SARL, par décision du 1er février 2018, l'imposition relative à la contribution sociale sur l'impôt sur les sociétés a fait l'objet d'un dégrèvement total en application de l'article 235 ter ZC du code général des impôts. La SARL D3P a demandé au tribunal administratif de Montpellier de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre de l'exercice clos le 31 décembre 2013. Par un jugement du 20 mai 2019, le tribunal a rejeté sa demande. La SARL D3P relève appel de ce jugement.
Sur le bien-fondé des impositions :
2. Aux termes de l'article 38 du code général des impôts : " 1. (...) le bénéfice imposable est le bénéfice net, déterminé d'après les résultats d'ensemble des opérations de toute nature effectuées par les entreprises, y compris notamment les cessions d'éléments quelconques de l'actif soit en cours, soit en fin d'exploitation. 2. Le bénéfice net est constitué par la différence entre les valeurs de l'actif net à la clôture et à l'ouverture de la période dont les résultats doivent servir de base à l'impôt diminuée des suppléments d'apport et augmentée des prélèvements effectués au cours de cette période par l'exploitant ou par les associés. L'actif net s'entend de l'excédent des valeurs d'actif sur le total formé au passif par les créances des tiers, les amortissements et les provisions justifiés. (...) ". Aux termes de l'article 39 duodecies du même code : " 1. Par dérogation aux dispositions de l'article 38, les plus-values provenant de la cession d'éléments de l'actif immobilisé sont soumises à des régimes distincts suivant qu'elles sont réalisées à court ou à long terme. ".
3. Il résulte de ces dispositions que le bénéfice net imposable est déterminé en prenant en compte non pas les seules opérations afférentes à la période d'imposition et qui ont fait l'objet d'un règlement au cours de cette période, mais l'ensemble des produits définitivement acquis et des dépenses engagées, autrement dit les créances et les dettes devenues certaines dans leur principe et dans leur montant au cours de la période considérée.
4. Il résulte de l'instruction que le fonds de commerce du bar discothèque que la SARL D3P exploitait sous l'enseigne " O BAR " à Lattes, a fait l'objet le 13 septembre 2012 d'une ordonnance d'expropriation pour cause d'utilité publique prévue aux articles L. 15-4 et L. 15-5 du code de l'expropriation. A l'issue du transport sur les lieux et de l'audition des parties, par un jugement du 16 octobre 2012, le juge de l'expropriation du tribunal de grande instance de Montpellier a fixé le montant de l'indemnité provisionnelle dû à la SARL à 4 000 000 euros et a autorisé l'expropriant (le concessionnaire Autoroutes du Sud de la France) à prendre immédiatement possession des biens expropriés moyennant le paiement de l'indemnité prévisionnelle ou sa consignation. En l'absence d'accord amiable entre les parties sur le montant total de l'indemnité définitive, l'Etat a saisi le juge de l'expropriation d'une demande de fixation de l'indemnité d'éviction. Toutefois, un accord ayant été signé par les deux parties le 10 avril 2013, fixant le montant total de l'indemnité à la somme globale de 5 195 000 euros, le juge de l'expropriation a donné acte du désistement de l'Etat de sa demande de fixation de l'indemnité d'éviction et à la SARL D3P de son acquiescement. Dans le cadre de cet accord, la prise de possession a été fixée au 16 septembre 2013. L'administration a considéré que l'indemnité d'expropriation litigieuse d'un montant total alloué de 5 195 000 euros, et la plus-value professionnelle en résultant d'un montant de 3 965 196 euros devaient être intégralement imposées au titre de l'exercice 2013, exercice au cours duquel a été conclu l'accord entre les parties sur le montant définitif alloué. La SARL D3P qui a déduit extra-comptablement du résultat imposable de l'exercice 2013, le montant de l'indemnité perçue au titre de son expropriation, estimant qu'elle n'était pas imposable, a finalement admis dans le cadre de ses observations formulées le 26 janvier 2017, avoir commis une erreur en considérant la plus-value d'expropriation non imposable, et soutient qu'une partie de cette indemnité, soit les 4 millions d'euros d'indemnité provisionnelle, devait être rattachée à l'exercice 2012 au cours duquel elle a été fixée par le juge de l'expropriation et que seul le solde de l'indemnité d'un montant de 1 195 000 euros doit être rattaché à l'exercice 2013. Toutefois, d'une part, l'indemnité d'expropriation en litige étant perçue en contrepartie de la cession d'éléments de l'actif immobilisé, il y a lieu d'imposer non pas l'indemnité provisionnelle elle-même, mais la plus-value ou la moins-value résultant de la différence entre le montant de cette indemnité et la valeur nette comptable du bien exproprié selon le régime fiscal des plus-values ou moins-values, prévu par les articles 39 duodecies et suivants du code général des impôts. D'autre part, le caractère provisoire d'une indemnisation n'étant pas de nature à justifier une inscription partielle du montant de la créance à l'actif du bilan, la plus-value ou la moins-value ne peut être constatée qu'à la date à laquelle l'exploitant acquière une créance certaine dans son principe et déterminée dans son montant. L'indemnité d'expropriation en litige, si elle était certaine dans son principe à la date du jugement du 16 octobre 2012, n'a été déterminée dans son montant que le 10 avril 2013 lors de l'accord transactionnel conclu entre les parties. La circonstance que ce jugement du 16 octobre 2012 fixant l'indemnité provisionnelle soit définitif et revêtu de l'autorité de la chose jugée est sans incidence sur le caractère incertain du montant de la créance. En outre, la qualification fiscale ne pouvant pas dépendre automatiquement de la qualification que le droit civil confère au transfert de propriété des immeubles résultant d'une procédure d'expropriation, l'indemnité provisionnelle ne correspond pas fiscalement à des dommages et intérêts perçus en réparation d'un préjudice subi. Dans ces conditions, c'est à bon droit que l'administration a considéré que l'indemnité d'expropriation litigieuse d'un montant total alloué de 5 195 000 euros, et la plus-value professionnelle en résultant d'un montant de 3 965 196 euros devaient être intégralement imposées au titre de l'exercice 2013.
5. Eu égard à ce qui vient d'être dit, la SARL D3P ne saurait se prévaloir utilement de la documentation administrative référencée BOI-BIC-BASE-20-10 du 4 décembre 2012, qui ne fait pas des textes applicables une interprétation différente de celle qui en est faite dans le présent arrêt. La SARL D3P n'est, par suite, pas fondée à s'en prévaloir sur le fondement de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales, si elle a entendu le faire.
Sur les pénalités pour manquement délibéré :
6. Aux termes de l'article L. 80 D du livre des procédures fiscales, dans sa rédaction alors applicable : " Les décisions mettant à la charge des contribuables des sanctions fiscales sont motivées au sens de la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 relative à la motivation des actes administratifs et à l'amélioration des relations entre l'administration et le public, quand un document ou une décision adressés au plus tard lors de la notification du titre exécutoire ou de son extrait en a porté la motivation à la connaissance du contribuable. (...) ".
7. La proposition de rectification adressée à la requérante mentionne expressément, dans un paragraphe spécifiquement consacré aux pénalités, le fondement juridique de la majoration appliquée, les motifs de fait et de droit qui la fondent ainsi que son taux de 40 %. Elle précise notamment que la requérante a dans un premier temps enregistré comptablement une plus-value de 3 965 196 euros avant de la déduire fiscalement sans aucun fondement juridique, lui permettant d'éluder pour un montant important (1 197 046 euros en droits) la totalité de l'impôt sur les sociétés exigibles au titre de l'exercice 2013. Par suite, l'administration fiscale a suffisamment motivé les pénalités appliquées à la SARL D3P.
8. La requérante ne peut utilement, sur ce point, se prévaloir de la doctrine administrative relative à la motivation des pénalités fiscales, laquelle a trait à la procédure d'établissement des pénalités et ne comporte, par conséquent, aucune interprétation de la loi fiscale invocable sur le fondement de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales.
9. Aux termes de l'article 1729 du code général des impôts : " Les inexactitudes ou les omissions relevées dans une déclaration ou un acte comportant l'indication d'éléments à retenir pour l'assiette ou la liquidation de l'impôt ainsi que la restitution d'une créance de nature fiscale dont le versement a été indûment obtenu de l'Etat entraînent l'application d'une majoration de : / a. 40 % en cas de manquement délibéré (...) ".
10. D'une part, la SARL D3P conteste les pénalités afférentes aux impositions en litige par voie de conséquence de la contestation des rectifications en droits. Eu égard à ce qui vient d'être dit, ce moyen ne peut qu'être écarté.
11. D'autre part, l'administration fait valoir que la SARL D3P ne pouvait ignorer de bonne foi, le caractère imposable de la plus-value d'expropriation dans le résultat passible de l'impôt sur les sociétés au titre de l'exercice 2013, eu égard au montant important et à la nature même de l'indemnité en cause dont la réglementation comptable et fiscale d'enregistrement de ce type de produits est suffisamment connue des entreprises et ne présentait aucune difficulté d'interprétation, d'autant que son dirigeant, M. D..., disposait d'une expérience en la matière en sa qualité de dirigeant de plusieurs sociétés et bénéficiait de l'assistance d'un comptable. La circonstance que la déclaration fiscale ait été explicite ne saurait atténuer le caractère délibéré du manquement, la plus-value en litige, ayant été neutralisée fiscalement lors de la détermination du résultat fiscal, sans aucun fondement juridique. En outre, la circonstance que l'administration se soit trompée dans ses rectifications concernant la SCI Alpha est sans aucune incidence sur la caractérisation du manquement délibéré. Dans ces conditions, le caractère intentionnel de la volonté d'éluder l'impôt sont établis. Par suite, l'administration fiscale justifie l'application des pénalités prévues par l'article 1729 du code général des impôts.
12. La SARL D3P n'est, enfin, pas fondée à se prévaloir de l'instruction administrative référencée BOI-CF-INF-10-20-20 § 30 et 40 du 12 septembre 2012, qui ne comporte aucune interprétation de la loi fiscale différente de celle qui lui a été appliquée.
13. Il résulte de ce tout qui précède que, la SARL D3P n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions tendant à l'allocation de frais liés à l'instance doivent également être rejetées.
D É C I D E :
Article 1er : La requête de la SARL D3P est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la SARL D3P et au ministre de l'économie, des finances et de la relance.
Copie en sera adressée à la direction de contrôle fiscal Sud-Est Outre-mer.
Délibéré après l'audience du 11 mars 2021, où siégeaient :
- M. Lascar, président,
- Mme C..., présidente assesseure,
- Mme B..., première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 18 mars 2021.
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N° 19MA03133
mtr