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25/02/2021 | FRANCE | N°19LY00737

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 6ème chambre, 25 février 2021, 19LY00737


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. E... F... a demandé au tribunal administratif de Dijon de condamner le centre hospitalier de Mâcon à lui verser la somme de 1 347 330,91 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter de l'introduction de sa demande, en réparation des préjudices subis à la suite d'une intervention chirurgicale du 27 août 2009.

La caisse primaire d'assurance maladie de la Côte-d'Or, appelée à l'instance, a demandé au tribunal administratif de Dijon de condamner le centre hospitalier de Mâcon à lui ve

rser la somme de 128 236,27 euros en remboursement des débours versés à M. F..., asso...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. E... F... a demandé au tribunal administratif de Dijon de condamner le centre hospitalier de Mâcon à lui verser la somme de 1 347 330,91 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter de l'introduction de sa demande, en réparation des préjudices subis à la suite d'une intervention chirurgicale du 27 août 2009.

La caisse primaire d'assurance maladie de la Côte-d'Or, appelée à l'instance, a demandé au tribunal administratif de Dijon de condamner le centre hospitalier de Mâcon à lui verser la somme de 128 236,27 euros en remboursement des débours versés à M. F..., assortie des intérêts au taux légal à compter du jugement et la somme de 1 066 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion.

Par un jugement n° 1800230 du 21 décembre 2018, le tribunal administratif de Dijon a condamné le centre hospitalier de Mâcon à verser à M. F... la somme de 59 000 euros, somme augmentée des intérêts au taux légal à compter du 30 janvier 2018, outre une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, à la caisse primaire d'assurance maladie de Côte-d'Or la somme de 128 236,27 euros, somme augmentée des intérêts au taux légal à compter du 27 juin 2018 et la somme de 1 066 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion, à verser à Adrea Mutuelle la somme de 14 454,52 euros et a rejeté le surplus des conclusions de la requête, des conclusions du centre hospitalier de Mâcon et d'Adrea Mutuelle.

Procédure devant la cour :

I - Par une requête, enregistrée le 18 février 2019 sous le n° 19LY00737, le centre hospitalier de Mâcon, représenté par Me H..., demande à la cour :

1°) de réformer le jugement du 21 décembre 2018 en tant que le tribunal administratif de Dijon a retenu l'existence d'une seconde infection à caractère nosocomial ;

2°) de rejeter les demandes présentées par M. F... devant le tribunal administratif de Dijon en lien avec la seconde complication ;

3°) de rejeter les demandes présentées par M. F... devant le tribunal administratif de Dijon non fondées et non justifiées ;

4°) à titre subsidiaire, d'ordonner une nouvelle expertise afin de déterminer l'origine de la seconde pseudarthrose et si la seconde complication a une origine infectieuse ou si d'autres origines peuvent être évoquées.

Il soutient que :

- s'il ne conteste pas que M. F... a été victime d'une infection à caractère nosocomial dans les suites de la première intervention chirurgicale, il n'est pas établi que le patient a été victime d'une seconde infection à l'origine d'une lourde prise en charge et de nombreux séjours hospitaliers ; le rapport des experts est contradictoire dès lors qu'ils indiquent qu'ils ne peuvent pas formellement affirmer qu'il y a eu une deuxième infection mais qu'ils retiennent tout de même une infection associée aux soins et pour eux non nosocomiale ; l'infection à propionibacterium acnes a été un épisode peu étendu qui a guéri rapidement ; il y a eu une seconde fracture dont il n'est pas démontré qu'elle a pour origine un phénomène infectieux ; la deuxième fracture est sans doute la conséquence de la fragilisation osseuse due à la présence des trous de vis de la plaque initiale et son origine est mécanique et en lien avec l'accident initial ; aucun élément radiologique ne témoigne d'une éventuelle ostéite au niveau du foyer de pseudarthrose ; les interventions pour traiter cette pseudarthrose, soit la greffe inter-tibiopéronière du 29 mars 2012 et la dernière intervention au niveau des orteils le 13 février 2013, sont sans rapport avec les infections précédentes ; il en va de même des interventions chirurgicales et des hospitalisations de 2011 ; au maximum, si une seconde infection était admise, elle n'était que limitée et a guéri rapidement de sorte qu'il n'y a que quelques interventions et périodes d'hospitalisation en mai et juin 2011 qui pourraient être imputées à la deuxième infection ;

- si la cour devait entrer en voie de condamnation, seuls les préjudices en lien direct et certain avec une infection à caractère nosocomial pourraient être mis à sa charge, soit le déficit fonctionnel temporaire partiel à 10% du 15 novembre au 7 décembre 2009, du 8 au 14 décembre 2009, le déficit fonctionnel temporaire partiel à 50% du 15 décembre 2009 au 9 septembre 2010, l'assistance par une tierce personne du 15 décembre 2009 au 9 septembre 2010, les souffrances endurées évaluées à 2,5 sur une échelle de 7, le préjudice esthétique temporaire pendant les périodes de déficit fonctionnel temporaire partiel de 50% et un déficit fonctionnel permanent de 3% ; le préjudice d'agrément, l'incidence professionnelle et la perte de gains futurs sont la conséquence de la pseudarthrose ;

- s'agissant des frais de déplacement entre la France et l'Ecosse, seule une partie de la période de soins peut être imputée à une infection à caractère nosocomial ; il ne peut être fait droit à la demande de remboursement des frais de transport que sur justificatifs ; l'indemnisation de l'assistance par une tierce personne sera évaluée à 3 228 euros ; s'agissant de la perte de gains, il n'est pas établi que M. F... aurait pu occuper le même emploi saisonnier pendant l'été 2010 et en tout état de cause seule une indemnisation pour l'été 2010 peut être proposée ; s'agissant du préjudice universitaire, s'il n'a pas obtenu son master 2 en septembre 2012, c'est en raison des hospitalisations qui ne sont pas la conséquence de l'infection nosocomiale ; le déficit fonctionnel temporaire sera indemnisé sur la base de 15 euros par jour et pour les périodes susmentionnées, les autres périodes se rattachant à l'épisode de pseudarthrose ; les souffrances endurées seront évaluées à 2 000 euros ; le préjudice esthétique temporaire sera évalué à de plus justes proportions ; s'agissant de l'incidence professionnelle et de la perte de gains futurs, c'est en raison de la seconde fracture que M. F... n'a pas pu accomplir son troisième cycle et que, selon lui, il ne pourrait plus exercer la profession de conducteur de travaux ; il n'est pas établi qu'il aurait pu percevoir les salaires revendiqués ; l'état de santé de M. F... ne lui interdit pas, depuis le 1er juin 2013, date de la consolidation, de suivre une formation universitaire complémentaire ; si une indemnisation pour une pénibilité accrue peut être envisagée, il n'y a pas lieu de faire droit à la demande de perte de gains futurs ; le préjudice fonctionnel permanent sera évalué à 5 500 euros ; le préjudice d'agrément en lien avec l'infection sera évalué à la somme de 3 000 euros.

Par un mémoire, enregistré le 20 mai 2019, la caisse primaire d'assurance maladie de Côte-d'Or, représentée par Me C... G..., conclut au rejet de la requête, à ce que les intérêts sur la somme de 128 236,27 euros que le centre hospitalier de Mâcon a été condamné à lui verser par le jugement attaqué soient capitalisés, à la condamnation du centre hospitalier de Mâcon à lui verser la somme de 1 080 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion et la somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- aucune critique n'est formée contre sa créance par le centre hospitalier ;

- les premiers juges ont fait une parfaite appréciation des éléments qui leur étaient soumis concernant les prestations servies à l'assuré eu égard à l'attestation d'imputabilité du médecin conseil.

II - Par une requête, enregistrée le 20 février 2019 régularisé le 25 mars 2019 sous le n° 19LY00743, et un mémoire complémentaire, enregistré le 2 septembre 2020, M. E... F..., représenté par Me D..., demande à la cour :

1°) de réformer le jugement du 21 décembre 2018 en tant que le tribunal administratif de Dijon n'a pas fait droit à la totalité de ses demandes indemnitaires ;

2°) de condamner le centre hospitalier de Mâcon à lui verser la somme de 1 407 773,34 euros en réparation des infections nosocomiales contractées au décours de l'intervention du 27 août 2009, somme assortie des intérêts à compter de la date d'enregistrement de sa demande ;

3°) de mettre à la charge du centre hospitalier de Mâcon la somme de 5 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et les entiers dépens.

Il soutient que :

- c'est à bon droit que les premiers juges ont retenu que les deux infections avaient pour origine le geste chirurgical du 27 août 2009 et présentaient un caractère nosocomial ; les experts ont retenu deux épisodes infectieux successifs, l'infection sur la plaque de la première ostéosynthèse par un staphylocoque S caprae et, pendant l'été 2010, un second épisode infectieux à type de pseudarthrose ; le germe en cause dans ce second épisode est un propionibacterium acnes ; pour les experts, ce second épisode infectieux correspond à une infection associée aux soins et n'est pas constitutive d'une infection nosocomiale au sens de " contractée à l'hôpital " ; il a été victime d'une infection à staphylococcus caprae lors de la chirurgie du 27 août 2009 de nature nosocomiale à l'origine d'une contamination secondaire associée aux soins et responsable d'une pseudarthrose septique à l'origine de complications gravissimes ayant donné lieu à des soins et hospitalisations entre décembre 2009 et février 2013 ; l'infection contractée lors de la mise en place de la plaque le 27 août 2009 a nécessité de procéder à l'ablation du matériel et de mettre en place un fixateur externe ; les trous du fixateur, placé au-dessus du foyer de fracture initiale afin de pouvoir planter les fiches dans un os cortical solide, ont fragilisé le tibia dans la partie sus jacente à la fracture initiale ; les fiches du fixateur externe se sont infectées alors qu'elles étaient encore en place ; cette seconde infection survenue sur un site osseux fragilisé a provoqué un second foyer de fracture ou pseudarthrose septique ; la seconde fracture a été favorisée par cette infection car le tibia dans sa partie sus jacente à la fracture initiale était fragilisé par les trous du fixateur ; en l'absence d'infection du matériel d'ostéosynthèse mis en place le 27 août 2009, M. F... aurait conservé sa plaque jusqu'à la consolidation, le fixateur n'aurait pas été posé et ne se serait pas infecté ; les antibiothérapies lourdes prescrites n'ont pas été réalisées préventivement mais pour venir à bout d'un processus infectieux réel ; le second épisode infectieux est objectivé par un érythème avec un écoulement au niveau des orifices supérieurs des anciennes fiches du fixateur qui se sont infectées et l'analyse bactériologique ; le second foyer de fracture a une origine septique et non mécanique ;

- les complications septiques qui ont perduré entre décembre 2009 et février 2013 ainsi que les interventions et traitements lourds nécessaires pour traiter la pseudarthrose sont bien la conséquence de la première infection, peu important que la seconde infection n'ait pas été contractée à l'hôpital ;

S'agissant des préjudices extra-patrimoniaux :

- sur les préjudices extrapatrimoniaux temporaires avant consolidation ; le déficit fonctionnel temporaire sera évalué à 13 558,50 euros ; les souffrances endurées seront indemnisées à hauteur de 18 000 euros eu égard à l'évaluation globale de ce poste de préjudice pour les deux infections à 5,5 sur une échelle de 7 ; le préjudice esthétique temporaire sera évalué à 5 000 euros pour tenir compte de ce qu'il a dû se déplacer à l'aide de deux cannes anglaises ;

- sur les préjudices extrapatrimoniaux permanents après consolidation ; le déficit fonctionnel permanent sera évalué à 16 400 euros ; le préjudice esthétique sera évalué à 3 000 euros ; le préjudice d'agrément sera évalué à 8 000 euros compte tenu de l'impossibilité de pratiquer le canoë-kayak et d'autres sports ;

S'agissant des préjudices patrimoniaux :

- sur les préjudices patrimoniaux temporaires avant consolidation ; les frais divers de transport seront évalués à 2 752,26 euros pour le suivi médical, à 196,20 euros pour se rendre à l'expertise, à 91,18 euros pour la réunion devant la commission de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (CCI) de Bourgogne ; l'assistance par une tierce personne sera évaluée à la somme de 9 888 euros ; les pertes de gains professionnels pendant les périodes d'interruption des activités professionnelles seront évaluées à la somme de 10 000 euros compte tenu de ce qu'il n'a pas été en mesure d'exercer une activité rémunérée accessoire lui permettant de financer ses études entre le 15 novembre 2009 et le 14 avril 2013 ; le préjudice universitaire sera indemnisé à hauteur de 10 000 euros dès lors qu'il n'a jamais pu reprendre son cursus pour obtenir un master of sciences et n'a jamais pu terminer sa spécialisation de conducteur de travaux spécialisé dans les immeubles de grande hauteur ; comme il n'a pas pu travailler durant les trois étés pour financer ses études, il a été obligé d'entrer dans la vie active ; son préjudice universitaire ne se limite pas à la seule perte d'une année universitaire mais s'accompagne d'une perte de chance majeure d'avoir pu obtenir un diplôme de grade supérieur ;

- sur les préjudices patrimoniaux permanents après consolidation ; les pertes de gains professionnels futurs seront évaluées à hauteur de 1 246 120 euros dès lors qu'en l'absence des infections dont il a été victime, il aurait intégré le marché du travail avec un niveau bac + 5 et non un niveau bac + 4 en qualité de conducteur de travaux et aurait pu prétendre à un salaire supérieur à celui auquel il a débuté ; il aurait été fondé à percevoir la somme de 57 000 euros par an alors que ses revenus effectifs se sont en réalité élevés à 18 043 euros en 2017 ; sa perte de revenus annuels doit s'apprécier à la somme de 40 000 euros qu'il convient de capitaliser ; l'incidence professionnelle sera évaluée à la somme de 74 767,20 euros compte tenu des difficultés pour marcher et de sa fatigabilité.

Par un mémoire, enregistré le 16 juin 2020, le centre hospitalier de Mâcon, représenté par Me H..., conclut :

1°) à titre principal au rejet de la requête ;

2°) à titre subsidiaire, et par la voie de l'appel incident, à la réformation du jugement du 21 décembre 2018 en tant que le tribunal administratif de Dijon a retenu l'existence d'une seconde infection à caractère nosocomial et au rejet des demandes présentées par M. F... devant le tribunal administratif de Dijon en lien avec la seconde complication ;

3°) à titre infiniment subsidiaire, à ce qu'une nouvelle expertise soit ordonnée afin de déterminer l'origine de la seconde pseudarthrose et si la seconde complication a une origine infectieuse ou si d'autres origines peuvent être évoquées.

Il soutient des moyens identiques à ceux qu'il a présentés dans l'instance n° 19LY00737.

Par un mémoire, enregistré le 25 janvier 2021, la caisse primaire d'assurance maladie de Côte-d'Or, représentée par Me C... G..., conclut au rejet de la requête, à ce que les intérêts sur la somme de 128 236,27 euros que le centre hospitalier de Mâcon a été condamné à lui verser par le jugement attaqué soient capitalisés, à la condamnation du centre hospitalier de Mâcon à lui verser la somme de 1 098 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion et la somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient qu'elle justifie par une attestation d'imputabilité du médecin-conseil du lien de causalité entre les frais exposés et l'infection nosocomiale.

Par une lettre du 14 janvier 2021, les parties ont été informées dans les requêtes enregistrées sous les n° 19LY00737 et 19LY00743, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office tiré de ce qu'en application de la jurisprudence Mergui (CE, Section, 19 mars 1971) selon laquelle une personne publique ne peut pas être condamnée à payer une somme qu'elle ne doit pas, dans l'hypothèse où la cour administrative d'appel ne retiendrait pas l'entière responsabilité du centre hospitalier de Mâcon dans les préjudices subis en lien avec la seconde infection dont M. F... a été victime, la somme demandée par la caisse primaire d'assurance maladie de la Côte-d'Or et allouée par le tribunal administratif de Dijon pourrait être remise en cause.

Par un mémoire, enregistré le 21 janvier 2021, en réponse au moyen d'ordre public, M. F... fait valoir que dans l'hypothèse où la cour ne retiendrait pas l'entière responsabilité du centre hospitalier dans les préjudices subis en lien avec la seconde infection, cette hypothèse apparaît contradictoire avec le rapport d'expertise et ce alors que la seconde infection est une conséquence de la première infection et des contraintes thérapeutiques imposées.

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :

- le code civil ;

- le code de la santé publique ;

- le code de la sécurité sociale ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme B...,

- les conclusions de Mme Cottier, rapporteur public ;

- et les observations de Me A..., substituant Me H..., représentant le centre hospitalier de Mâcon, et celles de Me D..., représentant M. F....

Considérant ce qui suit :

1. Les deux requêtes visées ci-dessus sont dirigées contre le même jugement et ont fait l'objet d'une instruction commune. Il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul arrêt.

2. Le 26 août 2009, M. E... F..., né le 2 juin 1988, a été victime d'un accident de canoë-kayak et a ressenti une douleur brutale à la face antérieure du tibia gauche. Initialement pris en charge par le centre hospitalier de Montalieu qui a diagnostiqué une fracture transverso-oblique du tibia gauche, il a été transféré dans le service de chirurgie orthopédique du centre hospitalier de Mâcon. Le 27 août 2009, il a subi une ostéosynthèse par plaque vissée. Le 8 décembre 2009, il a été admis à nouveau au centre hospitalier de Mâcon compte tenu de l'inflammation de la cicatrice de la jambe gauche pour y subir l'ablation de la plaque d'ostéosynthèse, un curetage et une nouvelle ostéosynthèse par fixateur externe. Les prélèvements effectués ont révélé la présence d'un staphylocoque caprae. Le 14 décembre 2009, il a été autorisé à regagner son domicile avec la poursuite de l'antibiothérapie jusqu'au 3 mars 2010. Le 30 mai 2010, M. F... s'est présenté aux urgences du centre hospitalier de Mâcon en raison d'un prurit avec suintement au niveau des fiches du fixateur. Le 3 juin 2010, le fixateur externe a été ôté et remplacé par une résine sur la jambe gauche. A la suite de la sensation de nouvelles douleurs le 22 décembre 2010, un scanner a été réalisé le 26 janvier 2011 et a mis en évidence une pseudarthrose environ deux centimètres au-dessus du foyer de fracture initiale. A compter de la fin janvier 2011, M. F... a été pris en charge par l'hôpital Edouard Herriot à Lyon où il a subi plusieurs hospitalisations. Le 8 juin 2011, six prélèvements microbiologiques ont retrouvé un propionibacterium acnes. Le 29 mars 2012, M. F... a subi une greffe inter-tibio-péronière. Un scanner réalisé le 7 janvier 2013 a permis de constater la solidité des différents foyers de fracture, M. F... se déplaçant sans canne, sans douleur et sans limitation du périmètre de marche mais présentant une griffe du gros orteil qui a fait l'objet, le 13 février 2013, d'une ténotomie du fléchisseur profond du gros orteil avec extension maintenue par pansement. Estimant avoir subi une infection au décours du geste chirurgical du 27 août 2009, M. F... a saisi, le 3 mars 2017, la commission de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (CCI) de Bourgogne qui a ordonné une expertise confiée au professeur Lemerle, chirurgien orthopédique, et au docteur Gachot, infectiologue. A la suite du dépôt du rapport le 11 juillet 2017, la commission de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (CCI) a estimé, dans son avis du 3 octobre 2017, qu'il appartenait à l'assureur du centre hospitalier de Mâcon de réparer les préjudices subis par M. F... et de faire une offre au requérant compte tenu de ce que la première infection présentait un caractère nosocomial et que la seconde infection ayant concerné le fixateur externe posé le 8 décembre 2009 ne serait pas survenue si la première infection, de nature nosocomiale, n'avait pas nécessité la dépose du matériel d'ostéosynthèse initial. Par un courrier du 30 novembre 2017, l'assureur du centre hospitalier de Mâcon, Axa France, s'il a accepté de prendre en charge les conséquences de la première infection, a refusé la prise en charge des conséquences de la seconde infection. Par un jugement du 21 décembre 2018, le tribunal administratif de Dijon a condamné le centre hospitalier de Mâcon à verser à M. F... la somme de 59 000 euros, somme augmentée des intérêts au taux légal à compter du 30 janvier 2018, à verser à la caisse primaire d'assurance maladie de la Côte-d'Or la somme de 128 236,27 euros, somme augmentée des intérêts au taux légal à compter du 27 juin 2018 et la somme de 1 066 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion, à verser à Adrea Mutuelle la somme de 14 454,52 euros et a rejeté le surplus des conclusions de la requête, des conclusions du centre hospitalier de Mâcon et d'Adrea Mutuelle. Par une première requête, enregistrée sous le n° 19LY00737, le centre hospitalier de Mâcon relève appel de ce jugement en tant que le tribunal administratif de Dijon a retenu l'existence d'une seconde infection à caractère nosocomial et l'a condamné à indemniser M. F... des préjudices subis en lien avec cette seconde infection. Par une seconde requête, enregistrée sous le n° 19LY00743, M. F... relève appel du même jugement en tant que le tribunal administratif de Dijon n'a pas entièrement fait droit à ses demandes indemnitaires.

Sur la responsabilité du centre hospitalier de Mâcon :

3. Aux termes du I de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute. / Les établissements, services et organismes susmentionnés sont responsables des dommages résultant d'infections nosocomiales, sauf s'ils rapportent la preuve d'une cause étrangère ". Aux termes de l'article L. 1142-1-1 du même code : " Sans préjudice des dispositions du septième alinéa de l'article L. 1142-17, ouvrent droit à réparation au titre de la solidarité nationale : / 1° Les dommages résultant d'infections nosocomiales dans les établissements, services ou organismes mentionnés au premier alinéa du I de l'article L. 1142-1 correspondant à un taux d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique supérieur à 25 % déterminé par référence au barème mentionné au II du même article, ainsi que les décès provoqués par ces infections nosocomiales (...) ". Ces dispositions font peser sur l'établissement de santé la responsabilité des dommages résultant des infections nosocomiales, ayant entrainé un taux d'incapacité permanente partielle inférieur ou égal à 25 %, qu'elles soient exogènes ou endogènes, à condition que l'infection survenant au cours ou au décours d'une prise en charge n'ait été ni présente, ni en incubation au début de cette prise en charge, sauf s'il est établi qu'elle a une autre origine que la prise en charge.

4. Il est constant, d'une part, que, selon le rapport d'expertise, " l'infection sur plaque de la première ostéosynthèse est due à un staphylocoque à coagulase négative de l'espèce S. caprae. Elle était absente à l'admission au centre hospitalier de Mâcon le 26 août 2009 et lors de l'intervention pratiquée le 27 août 2009. Les premiers signes en sont apparus courant novembre 2009. L'existence de cette infection peut être affirmée sur [l'aspect] clinique : douleur et signes inflammatoires locaux ; sur [l'aspect biologique] : discret syndrome inflammatoire et par les prélèvements per opératoires du 8 décembre 2009 parfaitement concordants. Le traitement de cette infection a comporté l'ablation du matériel d'ostéosynthèse (avec mise en place d'un fixateur externe) et une antibiothérapie prolongée. Le germe en cause, staphylococcus caprae, est un staphylocoque non doré, très peu virulent dont le pouvoir pathogène s'exprime ici en raison de la présence de matériel étranger. Il fait partie de la flore cutanée normale. Il s'agit sans aucun doute d'une infection nosocomiale du site opératoire acquise au centre hospitalier de Mâcon ". Les experts retiennent, sans que cela soit contesté par le centre hospitalier de Mâcon, le caractère nosocomial de cette première infection ressentie en novembre 2009 et traitée le 8 décembre 2009. Il ne résulte pas de l'instruction que cette infection était présente ou en incubation au début de la prise en charge ou qu'elle procéderait d'une autre origine. Par suite, il y a lieu de confirmer l'appréciation des premiers juges sur ce point.

5. Il résulte de l'instruction, d'autre part, que le 8 décembre 2009, après qu'il a été procédé à l'ablation de la plaque d'ostéosynthèse, M. F... a subi une nouvelle immobilisation par fixateur externe Orthofix consistant en la mise en place de deux broches supérieures très à distance du foyer et de deux broches dans la métaphyse inférieure du tibia et a été placé sous antibiothérapie. Le 3 juin 2010, le fixateur externe mal toléré par M. F... est ôté et remplacé par une résine sur la jambe gauche. Une radiographie réalisée le 30 juin 2010 montre un aspect très rassurant de face mais l'expert note que " l'étude attentive du cliché montre la persistance du trait oblique " et que le patient avait " constaté la présence d'une rougeur sur la jambe gauche avec un petit écoulement au niveau des trous du fixateur à la partie supérieure ". Compte tenu de la persistance des douleurs, un scanner est réalisé le 26 janvier 2011 et met en évidence une pseudarthrose environ 2 cm au-dessus du foyer de la fracture initiale. Après avoir réalisé un scanner le 11 mai 2011, une IRM le 12 mai 2011 et une scintigraphie osseuse les 10 et 12 mai 2011, une biopsie est réalisée le 8 juin 2011, à la demande de l'hôpital Edouard Herriot, et quelques colonies de propionibacterium acnes sont retrouvées. Si les experts font état de leur interrogation quant à l'existence d'un processus infectieux en notant qu'il " semble y avoir eu un deuxième épisode infectieux en regard des orifices supérieurs des fiches du fixateur externe apparu à l'été 2010 ", que " le prélèvement réalisé le 8 juin 2010 n'emporte pas la conviction car seulement 2 ou 3 prélèvements microbiologiques sur les 6 réalisés ont poussé à propionibacterum acnes (...) et l'histologie n'était pas en faveur d'une infection " ou encore que " la scintigraphie aux polynucléaires marqués réalisée en mai 2011 n'était pas en faveur d'un processus infectieux ", ils concluent toutefois " sur la base de l'ensemble de ces éléments, (...) à l'existence d'une infection à P. acnes, mais probablement limitée dans son étendue et peu évolutive " en relevant que " cette infection était absente à l'admission au centre hospitalier de Mâcon le 8 décembre 2009 et lors de la pose du fixateur externe. Les premiers signes ont été observés à l'été 2010, quelques semaines après l'ablation du fixateur. Mais l'infection avait certainement débuté alors que les fiches étaient encore en place. Ce type d'infection se développe volontiers très à distance de la pose du matériel alors que le patient n'est plus hospitalisé. " Le rapport critique établi par le docteur Jean-Charles Toesca à la demande du centre hospitalier de Mâcon qui se borne à relever les contradictions du rapport d'expertise sans procéder à aucune démonstration pour conclure que " la pseudarthrose est mécanique et serait survenue en dehors de tout problème infectieux " n'est pas suffisamment étayé pour établir l'absence de toute infection et ce alors que les comptes rendus du 24 août et du 7 septembre 2011 du groupement hospitalier nord, hôpital de la Croix-Rousse, font état d'une pseudarthrose septique du tibia gauche à propionibacterium acnes. Par suite, il doit être regardé comme suffisamment établi que M. F... a été victime d'une seconde infection en 2010 et que cette seconde infection présente également un caractère nosocomial compte tenu de ce qu'elle n'était ni présente ni en incubation lors de l'admission de M. F... au centre hospitalier de Mâcon le 8 décembre 2009 et lors de la pose du fixateur externe.

6. Le centre hospitalier de Mâcon fait valoir que la deuxième fracture est la conséquence de la fragilisation osseuse due à la présence des trous de vis de la plaque initiale et n'est pas en lien avec la seconde infection. Si le centre hospitalier de Mâcon s'appuie sur le rapport critique du docteur Toesca qui indique que " La pseudarthrose est mécanique et serait survenue en dehors de tout problème infectieux " compte tenu de ce qu'aucun élément objectif de type ostéolyse au niveau du tibia ne témoigne d'une lyse osseuse traduisant une éventuelle ostéite au niveau du foyer de pseudarthrose, les experts missionnés par la commission régionale de conciliation et d'indemnisation ont conclu, après avoir relevé que le deuxième foyer de fracture correspond aux trous supérieurs de la plaque initiale, que la seconde infection a pu favoriser ce dernier épisode de fracture. Par suite, le centre hospitalier de Mâcon n'est pas fondé à soutenir que les préjudices subis seraient sans lien direct et certain avec la seconde infection nosocomiale dont M. F... a été victime.

Sur l'évaluation des préjudices :

En ce qui concerne la perte de chance :

7. Dans le cas où une infection nosocomiale a compromis les chances d'un patient d'obtenir une amélioration de son état de santé ou d'échapper à son aggravation, le préjudice résultant directement de cette infection et qui doit être intégralement réparé n'est pas le dommage corporel constaté mais la perte de chance d'éviter la survenue de ce dommage. La réparation qui incombe à l'hôpital doit alors être évaluée à une fraction du dommage corporel déterminée en fonction de l'ampleur de la chance perdue.

8. M. F... soutient qu'en l'absence d'infection du matériel d'ostéosynthèse mise en place le 27 août 2009, il aurait conservé sa plaque jusqu'à la consolidation et que le fixateur n'aurait pas été posé et ne se serait pas infecté et que dès lors les deux infections engagent l'entière responsabilité de l'établissement hospitalier. Toutefois, les experts relèvent que l'infection à propionibacterium acnes est probablement limitée dans son étendue et peu évolutive et que le site du deuxième foyer de fracture était déjà fragilisé par les trous de l'ancien fixateur, à savoir la plaque initiale qui a été posée en vue de la résorption de la première fracture liée à l'accident initial. Par suite, l'infection nosocomiale qui a favorisé le dernier épisode de fracture, dans un contexte infectieux préalable, a compromis les chances du patient d'échapper à cette seconde fracture. Dès lors, et compte tenu de ce que les experts ont relevé le caractère limité et peu évolutif de la seconde infection et que le site de la seconde fracture était déjà fragilisé par les trous de la plaque initiale, il sera fait une juste appréciation de la perte de chance du fait de la seconde infection nosocomiale en la fixant à 30% des préjudices subis en lien avec cette seconde fracture.

En ce qui concerne les préjudices de M. F... :

9. Il résulte de l'instruction et notamment du rapport d'expertise que la date de consolidation de l'état de santé de M. F... a été fixée au 1er juin 2013.

10. Il résulte également de l'instruction qu'à compter du 22 décembre 2010, M. F... s'est plaint de douleurs un peu au-dessus du foyer initial et qu'à compter de cette date il a été principalement suivi en raison de séquelles en lien avec la seconde infection à propionibacterium acnes.

S'agissant des préjudices patrimoniaux avant consolidation :

Quant aux dépenses de santé :

11. M. F... n'établit ni même n'allègue que des dépenses de santé seraient restées à sa charge.

Quant aux frais divers :

12. M. F... fait valoir qu'il a été contraint d'engager des frais de transport pour son suivi médical alors qu'il était domicilié à Glasgow en Ecosse et produit un tableau faisant état de tels frais pour un montant total de 2 039,64 euros. Il résulte de l'instruction qu'après avoir obtenu son diplôme universitaire d'études technologiques internationales à l'université de Grenoble 1 en 2009-2010, M. F... a suivi un cursus universitaire à l'université de Glasgow en Ecosse où il a obtenu le bachelor of science (BSC Honors) en juin 2011, équivalent à un master 1, et que, par la suite, il a choisi de s'installer en Ecosse pour y travailler. A la suite des deux infections dont il a été victime, M. F... a été contraint d'engager des frais de déplacement entre l'Ecosse et la France justifiés par les périodes d'hospitalisation et le nécessaire suivi médical de ses fractures.

13. Pour la période antérieure au 22 décembre 2010, M. F... justifie avoir engagé des frais de transport pour une consultation au centre hospitalier de Mâcon le 3 mars 2010 d'un montant de 79 euros pour un aller Edinburgh-Lyon et de 89 euros pour un retour Paris-Glasgow, pour une consultation au centre hospitalier de Mâcon le 30 mai 2010 d'un montant de 113,98 euros pour un aller Edinburgh-Lyon et de 25,60 euros et de 43,99 euros pour un retour TGV Mâcon-Paris et un vol Paris-Glasgow, pour une consultation le 30 juin 2010 au centre hospitalier de Mâcon pour un montant de 193,91 euros, pour une consultation au centre hospitalier de Mâcon le 10 septembre 2010 pour un montant de 202,65 euros. Par suite, il y a lieu de mettre à la charge du centre hospitalier de Mâcon la somme de 748,13 euros au titre des frais de déplacement engagés en lien avec la première infection dont il est entièrement responsable.

14. Pour la période postérieure au 22 décembre 2010, M. F... justifie avoir engagé des frais de transport pour une consultation au centre hospitalier de Mâcon le 22 décembre 2010 pour un montant de 123,47 euros, pour une consultation d'allergologie le 13 octobre 2011 pour un montant de 182,22 euros, pour un arthroscanner et des consultations au centre hospitalier Lyon sud du 17 au 27 janvier 2012 pour un montant de 95,31 euros, pour une consultation au centre hospitalier Lyon Sud, au centre hospitalier de la Croix-Rousse et pour des séjours en centre de réadaptation fonctionnelle à Hauteville et au Val Rosay du 6 février au 25 mai 2012 pour un montant de 130,99 euros, pour une consultation le 26 juin 2012 à Lyon pour un montant de 131,04 euros, pour un scanner et une consultation à Lyon le 7 et le 9 janvier 2013 pour un montant de 148,27 euros et pour la ténotomie du fléchisseur profond du gros orteil le 13 février 2013 pour un montant de 166,81 euros. Par suite, il y a lieu de mettre à la charge du centre hospitalier de Mâcon la somme de 293,43 euros, tenant compte du taux de la perte de chance retenu, au titre des frais de déplacement engagés en lien avec la seconde infection.

15. M. F... sollicite l'octroi d'une somme supplémentaire forfaitaire de 1 000 euros en réparation de l'ensemble de ces frais de déplacements que sa prise en charge médicale a nécessité durant près de quatre années et pour lesquels il n'a pas toujours conservé les justificatifs. Il sera fait une juste appréciation des frais de déplacements de M. F... et pour lesquels il n'a pas été mesure de produire des justificatifs en lui allouant la somme forfaitaire de 300 euros tenant compte du taux de perte de chance retenu.

16. Il y a lieu également lieu de mettre à la charge entière du centre hospitalier de Mâcon la somme de 196,20 euros correspondant aux frais de déplacement pour se rendre à l'expertise qui a eu lieu le 11 mai 2017 à l'hôpital Saint-Antoine à Paris et la somme de 91,18 euros correspondant aux frais pour se rendre à la réunion de la commission de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (CCI) qui s'est tenue à Lyon le 2 octobre 2017.

Quant à l'assistance par une tierce personne :

17. Il résulte de l'instruction et notamment du rapport d'expertise que l'expert a retenu, au titre des préjudices temporaires avant consolidation, la nécessité d'une aide humaine non médicalisée à raison d'une heure par jour pour les périodes de déficit fonctionnel temporaire partiel à 50% imputables au premier épisode infectieux (du 15 décembre 2009 au 9 septembre 2010) et au second épisode infectieux (du 13 juin au 20 juillet 2011, du 23 septembre au 9 novembre 2011 et du 26 mai 2012 au 12 février 2013).

18. Le coût d'une telle assistance, compte tenu du salaire minimum interprofessionnel de croissance durant cette période augmenté des charges sociales, doit être fixé au taux horaire de 12,34 en 2009, de 12,40 euros en 2010, de 12,86 euros en 2011, de 13,16 euros en 2012, de 13,20 euros en 2013 et doit être calculé sur la base de 412 jours par an pour tenir compte des congés payés annuels, soit un taux horaire de 13,92 en 2009, de 13,99 euros en 2010, de 14,51 euros en 2011, de 14,85 euros pour 2012, de 14,90 en 2013. Dans ces conditions, et alors qu'il n'est pas établi que M. F... aurait perçu une prestation de compensation du handicap ni d'autre aide finançant l'assistance par une tierce personne à domicile, M. F... a droit au titre de cette assistance à une somme de 3 762,12 euros au titre du premier épisode infectieux et à une somme de 1 546,66 euros au titre du second épisode infectieux et tenant compte du taux de perte de chance retenu.

Quant à la perte de gains professionnels :

19. Le principe de la réparation intégrale du préjudice doit conduire le juge à déterminer, au vu des éléments de justification soumis à son appréciation, le montant de la perte de revenus dont la victime ou ses ayants droit ont été effectivement privés du fait du dommage qu'elle a subi. Ce montant doit en conséquence s'entendre comme correspondant aux revenus nets perdus par elle.

20. M. F... fait valoir sans être contredit que, pendant ses études, il était boursier et travaillait l'été pour financer ses études et qu'il n'a pu occuper des emplois saisonniers de 2010 à 2012.

21. Il résulte de l'instruction que M. F... travaillait pendant l'été ainsi qu'en attestent les bulletins de salaires des étés 2003, 2004, 2005, 2006, 2008 et 2009, M. F... indiquant qu'il n'a pas été en mesure de retrouver ses bulletins de salaire pour l'été de l'année 2007. S'il travaillait dans le cadre de contrat à durée déterminée ou de contrat d'intérim, l'exercice d'une activité rémunérée durant l'été était constant depuis 2003. Les experts relèvent que " M. F... travaillait également pour payer ses études et son état de santé du 15 novembre 2009 au 14 avril 2013 a rendu extrêmement difficile, voire impossible, certains jobs d'été ". Au cours de l'été 2010, M. F... a présenté un déficit fonctionnel temporaire partiel de 50%, au cours de l'été 2011, il a présenté un déficit fonctionnel temporaire partiel de 50% du 13 juin au 20 juillet 2011 puis un déficit fonctionnel temporaire total jusqu'au 22 septembre 2011 et au cours de l'été 2012, il a présenté un déficit fonctionnel temporaire partiel de 50%. Il ressort de l'ensemble de ces éléments que les infections ont entrainé des pertes de revenus ouvrant droit à une indemnisation.

22. Il résulte de l'instruction que durant les étés des années 2008 et 2009, M. F... a perçu en moyenne la somme mensuelle de 2 161 euros. Il s'ensuit que la perte de revenu subie pour l'été 2010 en lien avec la première infection doit être évaluée à la somme de 4 322 euros. La perte de revenu subi pour les étés des années 2011 et 2012 doit être évaluée à la somme de 8 644 euros, soit compte tenu du taux de perte de chance retenu la somme de 2 593,20 euros.

Quant au préjudice universitaire :

23. M. F... fait valoir qu'à la suite de l'obtention du bachelor of science en management de la construction en juin 2011, spécialisé dans la planification des travaux sur les immeubles de grande hauteur à la Glasgow Caledonian University, équivalent à un master 1, il n'a pas pu poursuivre son cursus en MSc-Master of science contrairement à ses camarades de promotion qui ont pu terminer leur parcours universitaire et se spécialiser et a été contraint, compte tenu de sa situation financière, de renoncer à reprendre un cursus universitaire et que, par suite, il a perdu une chance d'obtenir un diplôme de niveau supérieur.

24. Il résulte de l'instruction qu'à l'issue d'un examen pratiqué le 7 septembre 2011, il est constaté que le foyer de la fracture inférieure est solide, ce qui confirme un scanner réalisé le 13 septembre 2011, mais que le trait de fracture supérieure est toujours visible.

25. Il résulte également de l'instruction que M. F... a été hospitalisé, le 21 juillet 2011, au centre de réadaptation du Val Rosay. Le 24 août 2011, un cathéter veineux central est inséré par voie périphérique. Le 20 septembre 2011, il est transféré en infectiologie à l'hôpital de la Croix-Rousse pour suspicion de réaction allergique à un traitement antibiotique. Le 22 septembre 2011, il est autorisé à regagner son domicile. Le 18 janvier 2012, en l'absence de consolidation osseuse, une intervention de décortication greffe du foyer non solide est envisagée. Du 23 au 27 janvier et du 6 au 8 février 2012, il est hospitalisé en service d'allergologie au centre hospitalier Sud, puis il est transféré du 9 au 27 février 2012 dans le service d'infectiologie du centre hospitalier de la Croix-Rousse. Le 27 février 2012, il est transféré en réadaptation fonctionnelle à Hauteville où il séjournera jusqu'au 15 mars 2012. Le 29 mars 2012, il est hospitalisé dans le service d'orthopédie de l'hôpital de la Croix-Rousse pour subir une greffe inter-tibio-péronière. Le 16 mai 2012, il est transféré en réadaptation fonctionnelle au Val Rosay où il séjournera jusqu'au 25 mai 2012.

26. Il en résulte que la perte d'une année d'étude en MSc-Master of science est liée à la seconde fracture. Par suite, et compte tenu du taux de perte de chance retenu en lien avec l'infection dont M. F... a été victime, il sera fait une juste appréciation du préjudice consécutif à la perte d'une année d'étude et à la perte de chance d'obtenir son MSc-Master of Science en l'évaluant à la somme de 3 000 euros.

S'agissant des préjudices patrimoniaux après consolidation :

Quant aux dépenses de santé :

27. M. F... n'établit ni même n'allègue que des dépenses de santé seraient restées à sa charge.

Quant aux pertes de gains professionnels futurs et l'incidence professionnelle :

28. M. F... fait valoir que l'exercice de l'activité professionnelle de conducteur de travaux, activité à laquelle il se destinait, est incompatible avec son état de santé et qu'il a dû s'orienter vers un métier plus administratif alors qu'il avait une chance sérieuse, avant ses problèmes de santé, d'intégrer le marché du travail en qualité de conducteur de travaux avec un salaire supérieur à celui auquel il a débuté. Il produit au soutien de ses prétentions des offres d'emploi pour des postes de " construction manager " au Royaume-Uni et dans les Emirats Arabes Unis et indique que la différence de revenu annuel avec son revenu actuel est de l'ordre de 40 000 euros.

29. Toutefois, il ne résulte pas de l'instruction que l'exercice de l'activité de conducteur de travaux serait incompatible avec son état de santé et ce alors que les experts ont évalué le taux d'incapacité permanente partielle globale à 8% en retenant que 2% résultait de l'état antérieur, 2% résultait du premier épisode infectieux et 4% du second épisode infectieux. Par ailleurs, M. F... est entré sur le marché du travail en étant titulaire d'un diplôme équivalent à un master 1 sans pouvoir faire valoir une expérience professionnelle sur le long terme ainsi que l'exigent les offres d'emploi produites. Par suite, les pertes de gains professionnels futurs alléguées ne sont pas suffisamment établies et n'ouvrent pas droit à indemnisation.

30. Si M. F... fait également valoir l'existence d'une incidence professionnelle en lien avec les séquelles dont il reste atteint eu égard à la pénibilité et une fatigabilité accrue des emplois qu'il sera amené à occuper, il résulte de l'instruction, ainsi qu'il a été dit au point 29, que les experts ont évalué le taux d'incapacité permanente partielle globale à 8% en retenant que 2% résultait de l'état antérieur, 2% résultait du premier épisode infectieux et 4% du second épisode infectieux. Par suite, il sera fait une juste appréciation de ce préjudice en l'évaluant à la somme de 2 000 euros.

S'agissant des préjudices extrapatrimoniaux :

Quant au déficit fonctionnel temporaire :

31. Il résulte de l'instruction et notamment du rapport d'expertise que M. F... a présenté un déficit fonctionnel temporaire partiel de 10% du 15 novembre au 7 décembre 2009, un déficit fonctionnel temporaire total du 8 au 14 décembre 2009 et un déficit fonctionnel temporaire partiel de 50% du 15 décembre 2009 au 9 septembre 2010. Ces périodes de déficit sont imputables au premier épisode infectieux. Il sera fait une juste appréciation de ces préjudices en lien avec le premier épisode infectieux en les évaluant à la somme globale de 2 900 euros.

32. Il résulte de l'instruction et notamment du rapport d'expertise que M. F... a présenté des déficits fonctionnels temporaires, partiel de 25% du 22 décembre 2010 au 8 mai 2011, total du 9 au 13 mai 2011, partiel de 25% du 14 mai au 7 juin 2011, total du 8 au 12 juin 2011, total du 21 juillet au 22 septembre 2011, partiel de 50% du 23 septembre au 9 novembre 2011, partiel de 25% du 10 novembre 2011 au 22 janvier 2012, total du 23 au 27 janvier 2012, partiel de 25% du 28 janvier au 5 février 2012, total du 6 février au 25 mai 2012, partiel de 50% du 26 mai 2012 au 12 février 2013, total le 13 février 2013, partiel de 25% du 14 février au 14 avril 2013 et partiel de 10% du 15 avril au 1er juin 2013. Ces périodes de déficits fonctionnels temporaires sont imputables au second épisode infectieux. Il sera fait une juste appréciation de ce préjudice en lien avec le second épisode infectieux en l'évaluant à la somme de 9 000 euros. Il y a lieu, compte tenu du taux perte de chance retenu, de mettre à la charge du centre hospitalier de Mâcon la somme de 2 700 euros.

Quant au déficit fonctionnel permanent :

33. Il résulte de l'instruction et notamment du rapport d'expertise que le déficit fonctionnel permanent global que présente M. F... a été fixé par les experts à 8% dont 2% résultant de l'état antérieur, 2% résultant de la première infection et 4% résultant du second épisode infectieux. Compte tenu de l'âge de l'intéressé à la date de sa consolidation le 1er juin 2013, il sera fait une juste appréciation de ce préjudice en l'évaluant à la somme de 3 000 euros pour le déficit fonctionnel permanent en lien avec le premier épisode infectieux et à la somme de 5 500 euros pour le second épisode infectieux, soit compte tenu du taux de perte de chance retenu, la somme de 1 650 euros.

Quant aux préjudices esthétiques temporaire et permanent :

34. Il résulte de l'instruction et notamment du rapport d'expertise que le préjudice esthétique temporaire, évalué à 2 sur une échelle de 7 par les experts, résulte de la déambulation avec deux cannes anglaises pendant les périodes de déficit fonctionnel temporaire partiel de 50%. Il résulte également de l'instruction que les experts ont fixé le préjudice esthétique permanent à 1 sur une échelle de 7 en retenant la cicatrice de prélèvement de greffon iliaque imputable au second épisode infectieux. Il sera fait une juste appréciation du préjudice esthétique temporaire et permanent en tenant compte du taux de perte de chance retenu de 30% en lien avec la seconde infection en l'évaluant à la somme globale de 1 500 euros.

Quant aux souffrances endurées :

35. Il résulte de l'instruction et notamment du rapport d'expertise que les experts ont évalué les souffrances endurées en lien avec le premier épisode infectieux à 2,5 sur une échelle de 7 et en lien avec le second épisode infectieux à 3 sur une échelle de 7. Il sera fait une juste appréciation des souffrances endurées, en tenant compte du taux de perte de chance retenu pour le second épisode infectieux, en les évaluant à 3 050 euros.

Quant au préjudice d'agrément :

36. M. F... fait valoir qu'il est dans l'impossibilité de pratiquer le canoë-kayak et qu'il ne peut plus pratiquer le ski, le vélo, la course à pied et le tennis.

37. S'il résulte de l'instruction et notamment du rapport d'expertise que M. F... est dans l'impossibilité de pratiquer le canoë-kayak, il n'établit pas qu'il pratiquait avant ses fractures de manière assidue le ski, le vélo, la course à pied ou encore le tennis. Il sera fait une juste appréciation du préjudice d'agrément de M. F... consistant dans l'impossibilité de pratiquer le canoë-kayak à la suite du premier et du second épisodes infectieux, et pour le dernier épisode infectieux, dans la limite du taux de perte de chance retenu, en l'évaluant à la somme de 2 000 euros.

38. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'ordonner une expertise, que le centre hospitalier de Mâcon, qui n'a pas demandé la réformation du jugement attaqué en tant qu'il concerne l'indemnisation accordée à la caisse primaire d'assurance maladie de Côte d'Or, est seulement fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Dijon l'a condamné à réparer entièrement les conséquences dommageables résultant de la seconde infection nosocomiale dont M. F... a été victime. M. F... est seulement fondé à demander la condamnation du centre hospitalier de Mâcon à lui verser la somme totale de 35 652,92 euros.

Sur les intérêts et la capitalisation des intérêts :

39. Le requérant a droit aux intérêts sur la somme de 35 652,92 euros à compter du 30 janvier 2018, date de l'enregistrement de sa requête devant le tribunal administratif de Dijon.

40. La caisse primaire d'assurance maladie de Côte-d'Or a droit aux intérêts au taux légal sur la somme non contestée en appel de 128 236,27 euros à compter du 27 juin 2018, date de sa demande. La capitalisation des intérêts a été demandée le 20 mai 2019. A cette date, il n'était pas dû au moins une année d'intérêts. Dès lors, conformément aux dispositions de l'article 1343-2 du code civil, il y a lieu de faire droit à cette demande, seulement à compter du 27 juin 2019 et à chaque échéance annuelle à compter de cette date.

Sur l'indemnité forfaitaire de gestion :

41. Dès lors que la caisse primaire d'assurance maladie de Côte-d'Or n'obtient pas en appel de majoration de la somme due au titre de ses débours, elle n'est pas fondée à demander le rehaussement de la somme mise à la charge du centre hospitalier de Mâcon au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion prévue par les dispositions de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale afin de tenir compte de sa revalorisation postérieurement au jugement du tribunal administratif de Dijon.

Sur les dépens :

42. M. F... n'établit pas que des dépens seraient restés à sa charge. Par suite, les conclusions tendant à ce que les frais liés aux dépens soient mis à la charge du centre hospitalier de Mâcon ne peuvent qu'être rejetés.

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

43. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions des parties présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DECIDE :

Article 1er : La somme de 59 000 euros que le centre hospitalier de Mâcon a été condamné à verser à M. F... par le jugement du 21 décembre 2018 du tribunal administratif de Dijon est ramenée à la somme de 35 652,92 euros. Cette somme sera assortie des intérêts au taux légal à compter du 30 janvier 2018.

Article 2 : Les intérêts sur la somme de 128 236,27 euros que le centre hospitalier de Mâcon a été condamné à verser à la caisse primaire d'assurance maladie de Côte-d'Or par le jugement du 21 décembre 2018 du tribunal administratif de Dijon sont capitalisés à compter du 27 juin 2019.

Article 3 : Le jugement du 21 décembre 2018 du tribunal administratif de Dijon est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 4 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. E... F..., au centre hospitalier de Mâcon, à la caisse primaire d'assurance maladie de Côte-d'Or, à Adrea Mutuelle Bourgogne et à Axa France.

Délibéré après l'audience du 4 février 2021, à laquelle siégeaient :

M. Pourny, président de chambre,

M. Gayrard, président assesseur,

Mme B..., premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 25 février 2021 .

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N° 19LY00737...


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 19LY00737
Date de la décision : 25/02/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

60-02-01-01-005 Responsabilité de la puissance publique. Responsabilité en raison des différentes activités des services publics. Service public de santé. Établissements publics d'hospitalisation. Responsabilité sans faute.


Composition du Tribunal
Président : M. POURNY
Rapporteur ?: Mme Rozenn CARAËS
Rapporteur public ?: Mme COTTIER
Avocat(s) : SCP BEZIZ-CLEON et CHARLEMAGNE

Origine de la décision
Date de l'import : 06/03/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2021-02-25;19ly00737 ?
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