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25/06/2020 | FRANCE | N°19DA00282

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 3ème chambre, 25 juin 2020, 19DA00282


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme F... A... a demandé au tribunal administratif de Lille, par trois requêtes identiques enregistrées sous les n° 1601003, 1601004, 1601005, d'annuler l'arrêté du maire de la commune de Loos n° 2015/1246 du 18 novembre 2015 la plaçant en congé maladie ordinaire ainsi que les arrêtés n° 2015/1252 du 18 novembre 2015 et n° 2015/1302 du 8 décembre 2015, réduisant les primes et indemnités liées à l'exercice effectif de ses fonctions pour les mois de novembre et décembre 2015 et de condamner la commu

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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme F... A... a demandé au tribunal administratif de Lille, par trois requêtes identiques enregistrées sous les n° 1601003, 1601004, 1601005, d'annuler l'arrêté du maire de la commune de Loos n° 2015/1246 du 18 novembre 2015 la plaçant en congé maladie ordinaire ainsi que les arrêtés n° 2015/1252 du 18 novembre 2015 et n° 2015/1302 du 8 décembre 2015, réduisant les primes et indemnités liées à l'exercice effectif de ses fonctions pour les mois de novembre et décembre 2015 et de condamner la commune de Loos à l'indemniser des préjudices matériel et moral qu'elle estime avoir subis.

Par un jugement n° 1601003, 1601004, 1601005 du 6 décembre 2018, le tribunal administratif de Lille a prononcé un non-lieu à statuer les conclusions d'annulation de la requête et a rejeté le surplus des conclusions des parties.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 5 février 2019 et 2 août 2019, Mme A..., représentée par Me E... B..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement en tant qu'il a rejeté ses conclusions indemnitaires ;

2°) de condamner la commune de Loos à lui verser la somme de 24 000 euros en réparation des préjudices subis ;

3°) de mettre à la charge de la commune de Loos la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

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Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi n°83-634 du 13 juillet 1983 ;

- la loi n°84-53 du 26 janvier 1984 ;

- l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Paul-Louis Albertini, président-rapporteur,

- les conclusions de M. Hervé Cassara, rapporteur public,

- les observations de Me E... B..., représentant Mme A... et Me D... C..., représentant la commune de Loos.

Considérant ce qui suit :

1. Mme A..., assistante territoriale spécialisée d'enseignement artistique principale de 1ère classe titulaire, employée par la commune de Loos intervient au sein du conservatoire municipal et des écoles de la commune. Par un arrêté n° 2015/1246 du 18 novembre 2015, le maire de Loos l'a placée en congé maladie ordinaire. Par deux arrêtés n° 2015/1252 et n° 2015/1302 des 18 novembre 2015 et 8 décembre 2015, les primes et indemnités liées à l'exercice effectif de ses fonctions pour les mois de novembre et décembre 2015 ont été également réduites. Mme A... a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler ces trois arrêtés et de condamner la commune de Loos à lui verser une somme de 24 000 euros en raison des préjudices matériel et moral qu'elle estime avoir subis. Par un jugement du 6 décembre 2018, le tribunal administratif de Lille a prononcé un non-lieu à statuer sur les conclusions d'annulation de la requête de Mme A... et a rejeté ses conclusions indemnitaires. Mme A... relève appel de ce jugement en tant seulement que le tribunal administratif de Lille a rejeté ses conclusions indemnitaires.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Il ressort des pièces du dossier de première instance que les premiers juges ont accueilli la fin de non-recevoir opposée en défense par la commune de Loos et rejeté comme irrecevables les conclusions indemnitaires de Mme A... au motif qu'elle n'apportait pas la preuve du dépôt de sa demande indemnitaire préalable auprès de la commune, en se bornant à produire cette demande datée du 14 janvier 2016. Mme A... produit désormais en appel l'avis de réception signé par le destinataire de la lettre recommandée et daté au 16 janvier 2016. Bien qu'assez peu lisibles, les mentions apparentes et la date figurant sur cet avis permettent d'établir que la commune de Loos a reçu notification de la demande indemnitaire préalable de Mme A.... Par suite, et dès lors qu'il est loisible à la requérante d'apporter pour la première fois en appel la preuve de ses diligences effectuées pour lier le contentieux indemnitaire, Mme A... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande comme irrecevable. Il s'ensuit, et sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre moyen d'irrégularité du jugement soulevé, que le jugement doit être annulé en tant qu'il a rejeté les conclusions indemnitaires de Mme A....

3. Il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par Mme A... devant le tribunal administratif de Lille.

Sur les conclusions indemnitaires :

En ce qui concerne le harcèlement moral :

4. Aux termes de l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, issu de la loi du 17 janvier 2002 de modernisation sociale : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. Aucune mesure concernant notamment le recrutement, la titularisation, la formation, la notation, la discipline, la promotion, l'affectation et la mutation ne peut être prise à l'égard d'un fonctionnaire en prenant en considération : /1° Le fait qu'il ait subi ou refusé de subir les agissements de harcèlement moral visés au premier alinéa ; / 2° Le fait qu'il ait exercé un recours auprès d'un supérieur hiérarchique ou engagé une action en justice visant à faire cesser ces agissements ; / 3° Ou bien le fait qu'il ait témoigné de tels agissements ou qu'il les ait relatés. / Est passible d'une sanction disciplinaire tout agent ayant procédé ou ayant enjoint de procéder aux agissements définis ci-dessus. (...) ".

5. Il appartient à un agent public qui soutient avoir été victime d'agissements constitutifs de harcèlement moral, de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence d'un tel harcèlement. Il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile.

6. Pour apprécier si des agissements dont il est allégué qu'ils sont constitutifs d'un harcèlement moral revêtent un tel caractère, le juge administratif doit tenir compte des comportements respectifs de l'agent auquel il est reproché d'avoir exercé de tels agissements et de l'agent qui estime avoir été victime d'un harcèlement moral. En revanche, la nature même des agissements en cause exclut, lorsque l'existence d'un harcèlement moral est établie, qu'il puisse être tenu compte du comportement de l'agent qui en a été victime pour atténuer les conséquences dommageables qui en ont résulté pour lui. Le préjudice résultant de ces agissements pour l'agent victime doit alors être intégralement réparé.

7. Mme A... soutient qu'elle aurait été victime de harcèlement moral à compter des élections municipales de 2014 de la part du directeur du conservatoire municipal, qui souhaitait confier ses responsabilités à un autre agent, appartenant à la famille du directeur des ressources humaines de la commune. Elle avance que sa discipline, à savoir l'intervention en milieu scolaire, n'apparaît plus sur l'organigramme et que son nom n'est plus associé à la chorale des enfants. Elle aurait aussi été agressée verbalement, en mars 2014, par le directeur du conservatoire et cet agent. Elle aurait de surcroît été menacée de sanction après qu'un rapport de son supérieur hiérarchique du 19 juin 2014 ait été adressé au directeur général des services de la commune. Selon elle, sa convocation devant le directeur général des services le 3 juillet 2014, destinée à maintenir une pression, coïncide avec l'avis du 24 juin 2014 du médecin du travail, qui estimait que son état de santé était compatible avec son poste de travail mais préconisait l'intervention d'un psychologue du travail. Elle s'est également vue notifier, le jour même de son retour au travail, après un congé de maladie, une fiche de poste qui n'était pas conforme à ses fonctions telles qu'exercées depuis 2005.

8. Toutefois, les allégations de Mme A... selon lesquelles son supérieur hiérarchique aurait eu pour objectif de la priver de ses responsabilités, s'agissant notamment de l'aspect coordination, ne sont pas établies. La requérante ne produit aucun organigramme, ni aucune pièce ou témoignage pour étayer ses affirmations quant à une supposée agression verbale en mars 2014. La commune de Loos verse, quant à elle, un extrait du projet d'établissement du conservatoire pour 2015-2021 qui comporte un organigramme de l'équipe dans lequel Mme A... figure en bonne place en qualité de référente Education Nationale. La préface du projet rédigée par le directeur du conservatoire salue d'ailleurs la contribution de Mme A....

9. Il résulte du rapport établi le 19 juin 2014 que le directeur du conservatoire, après avoir souligné les compétences de Mme A... en tant qu'enseignante, proposait un simple rappel à l'ordre, et non une sanction disciplinaire, compte tenu des difficultés grandissantes de travailler avec elle. Elle n'a pas ainsi assuré un cours le 12 juin 2014, qui contrairement à ce qu'elle prétend, n'avait pas été annulé. Elle a en outre fait preuve d'un comportement agressif à l'égard de ses collègues, un affichage ayant dû être mis en place pour rappeler les règles élémentaires de respect. L'intéressée, qui a été reçue le 3 juillet 2014 par le directeur général des services, est restée mutique tout au long de l'entretien.

10. Si Mme A... prétend que ses difficultés ont coïncidé avec la nouvelle municipalité en place en 2014, il résulte de l'instruction qu'elle avait déjà fait l'objet au cours de sa carrière, au moins à deux reprises, de remontrances écrites de la part de l'ancien directeur général des services quant à son manque de respect de l'emploi du temps. Si Mme A... fait valoir s'être vue retirer ses deux heures supplémentaires, il résulte de l'instruction qu'elles correspondent à sa fonction de clarinettiste au sein de l'orchestre municipal, qu'elle ne peut plus temporairement assumer en raison de ses problèmes d'audition, comme l'indique son médecin oto-rhino-laryngologiste dans un courrier du 22 octobre 2014. A cet égard, l'administration a pu, dans le cadre de l'organisation du service, lui retirer ses heures qui ne sont que supplémentaires et exiger la production d'un certificat médical. Le projet de fiche de poste dont elle a eu notification le 26 septembre 2014 s'inscrivait, quant à lui, dans une démarche validée lors d'un comité technique paritaire du 18 septembre 2014 pour améliorer, au sein de la commune, la gestion des effectifs, des emplois et des compétences. Ce faisant, il ne résulte pas de l'instruction que l'administration aurait excédé l'exercice normal de son pouvoir hiérarchique. Enfin, la circonstance que la pathologie dont souffre Mme A..., à savoir une décompensation anxio-dépressive, a été reconnue par la commune de Loos comme imputable au service ne saurait caractériser à elle seule un harcèlement moral, qui se définit par l'existence d'agissements répétés de harcèlement et d'un lien entre ces souffrances et ces agissements, qui ne sont pas en l'espèce établis.

11. Dans ces conditions, l'ensemble des faits et agissements ainsi examinés ne permet pas d'établir que Mme A... aurait été victime de harcèlement moral. Ses conclusions présentées sur ce fondement doivent être rejetées.

En ce qui concerne la faute résultant d'un manquement à l'obligation de protéger la santé des agents :

12. Mme A... soutient également que la commune de Loos aurait manqué à ses obligations de protection de santé à son égard. Elle fait valoir que l'imputabilité au service de sa pathologie était dès l'origine clairement établie. Il résulte toutefois de l'instruction que la commune l'a placée, par un arrêté du 2 mars 2016, conformément à l'avis du comité médical, en congé de longue maladie, et ce rétroactivement, à compter du 31 août 2015 jusqu'au 30 juin 2016, période au cours de laquelle elle devait percevoir l'intégralité de son traitement et son indemnité de résidence. Ce congé de longue durée a été renouvelé à plusieurs reprises jusqu'au 31 décembre 2017. Elle a encore bénéficié d'un congé de longue durée du 1er juillet 2016 au 31 janvier 2017, renouvelé du 1er février 2017 au 31 juillet 2017. La commune de Loos a aussi saisi la commission de réforme d'une demande d'imputabilité au service présentée par Mme A... par lettre du 22 avril 2017. Après avis favorable du 24 novembre 2017 de la commission de réforme, la commune de Loos a, par un arrêté du 17 janvier 2018, reconnu comme imputable au service la pathologie de Mme A..., avec effet au 31 août 2015. Même si le médecin du travail a indiqué, dans sa fiche de visite du 24 juin 2014, que l'intervention d'un psychologue du travail était conseillée et que Mme A... avait, par le truchement de son conseil, dans un courrier du 20 juin 2015, soutenu que sa pathologie devait être reconnue imputable au service et demandé la protection fonctionnelle, il ne résulte pas de l'instruction et, compte tenu de ce qui a été dit au regard des arrêtés successifs pris pour la placer en congé de longue durée, que la commune de Loos aurait pour autant manqué à son obligation de protection à l'égard de son agent. Ainsi qu'il a été dit au point 11, les agissements dénoncés par Mme A... ne peuvent ainsi être regardés comme constitutifs d'un harcèlement moral. Dès lors, en refusant implicitement de mettre en oeuvre la protection fonctionnelle, le maire de la commune de Loos n'a pas commis de faute de nature à engager sa responsabilité. Par suite, les conclusions indemnitaires présentées sur ce fondement doivent également être rejetées.

En ce qui concerne les autres manquements :

13. Si Mme A... soutient que sa carrière n'a pas évolué, il résulte toutefois de l'instruction que par un arrêté du 13 novembre 2014, elle a bénéficié d'un avancement d'échelon à l'ancienneté maximale, à compter du 13 juin 2015. Elle n'établit pas ainsi que la commune de Loos aurait commis une faute dans l'organisation du service, et en particulier dans la gestion de sa carrière. En tout état de cause, elle n'établit pas plus la réalité et la nature du préjudice allégué.

14. Mme A... se borne, par ailleurs, à invoquer un préjudice financier lié à la diminution de ses revenus, causée selon elle par les arrêtés du maire de la commune de Loos la plaçant en congé maladie ordinaire et réduisant les primes et indemnités liées à l'exercice effectif de ses fonctions, pour les mois de novembre et décembre 2015. Toutefois, elle n'établit pas la réalité de ce préjudice, qu'elle ne chiffre d'ailleurs même pas.

15. Il résulte de tout ce qui précède que les conclusions à fin d'indemnisation présentées par Mme A... doivent être rejetées. Par voie de conséquence, ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative tant en première instance qu'en appel doivent être rejetées. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de Mme A... la somme réclamée par la commune de Loos sur le même fondement.

DÉCIDE :

Article 1er : L'article 2 du jugement du tribunal administratif de Lille du 6 décembre 2018 est annulé.

Article 2 : La demande présentée par Mme A... tendant à l'indemnisation de ses préjudices et le surplus des conclusions de la requête d'appel sont rejetées.

Article 3 : Les conclusions présentées par la commune de Loos au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme F... A... et à la commune de Loos.

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N°19DA00282

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N°"Numéro"


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 19DA00282
Date de la décision : 25/06/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

36-13-03 Fonctionnaires et agents publics. Contentieux de la fonction publique. Contentieux de l'indemnité.


Composition du Tribunal
Président : M. Albertini
Rapporteur ?: M. Paul Louis Albertini
Rapporteur public ?: M. Cassara
Avocat(s) : AVOCATS ASSOCIES GIRAUD - WABANT

Origine de la décision
Date de l'import : 28/07/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2020-06-25;19da00282 ?
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