Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme E... A... a demandé au tribunal administratif de Pau de condamner l'Etat à lui payer la somme de 153 403 euros en réparation du préjudice financier subi du fait des erreurs commises par l'administration dans le calcul de son indemnité différentielle et d'assortir cette somme des intérêts au taux légal et de la capitalisation des intérêts et d'enjoindre à la ministre des Armées de réexaminer sa demande tendant à la modification du calcul de son indemnité différentielle à compter du 30 novembre 2016.
Par un jugement n° 1701185 du 28 février 2019, le tribunal administratif de Pau a, en premier lieu, condamné l'Etat à payer à Mme A... la différence entre l'indemnité différentielle qu'elle a perçue à compter du 1er janvier 2009 et celle qu'elle aurait dû percevoir en retenant une prime de rendement au taux de 32 %, en deuxième lieu, l'a renvoyée devant la ministre des Armées pour qu'il soit procédé à la liquidation de l'indemnité en principal à laquelle elle a droit à compter du 1er janvier 2009, assortie des intérêts au taux légal à compter du 24 mars 2017 et la capitalisation des intérêts échus à la date du 24 mars 2018, en troisième lieu, a mis à la charge de l'Etat la somme de 600 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, et enfin, a rejeté le surplus des conclusions de la requête.
Procédure devant la cour :
I- Par une requête et un mémoire enregistrés le 9 mai 2019 et le 17 novembre 2020 à 11h35, sous le n° 19BX01899, la ministre des Armées demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement en tant que le tribunal administratif de Pau a condamné l'Etat à payer à Mme A... la somme qui lui est due à compter du 1er janvier 2009 ;
2°) de rejeter la demande de première instance de Mme A... en tant qu'il condamne l'Etat à verser les sommes dues à compter du 1er janvier 2009.
Elle soutient que :
- le jugement est irrégulier : les premiers juges ont méconnu le caractère contradictoire de la procédure en considérant que le courrier du 18 septembre 2013 était interruptif de prescription, alors qu'il n'était nullement invoqué par Mme A.... Ils auraient dû soulever un moyen d'ordre public ;
- elle ne conteste pas le bien-fondé de l'indemnité due à Mme A..., mais conteste l'évènement retenu par le tribunal qui serait à l'origine de l'interruption de la prescription de la créance détenue par Mme A.... Le courrier du 18 septembre 2013 ne peut être considéré comme une communication écrite susceptible d'interrompre la créance de Mme A.... Seule la demande indemnitaire préalable du 30 novembre 2016 a eu pour effet d'interrompre le délai de prescription, de sorte que les créances de Mme A... antérieures au 1er janvier 2013 sont prescrites.
Par un mémoire enregistré le 17 juin 2019, Mme A..., représentée par Me H..., demande à la cour :
1°) de rejeter la requête de la ministre des Armées ;
2°) à titre subsidiaire, de condamner l'Etat à lui payer la somme de 132 855, 18 euros nets en réparation du préjudice financier subi du fait des erreurs commises par l'administration dans le calcul de son indemnité différentielle pour la période allant du 1er septembre 1982 au 24 mars 2017 et d'assortir cette somme des intérêts au taux légal et de la capitalisation des intérêts ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le jugement n'est pas irrégulier ;
- le moyen soulevé par la ministre des Armées n'est pas fondé.
Vu l'ordonnance fixant la clôture de l'instruction au 17 novembre 2020.
Un mémoire a été présenté pour Mme A... le 30 novembre 2020.
II. Par une requête enregistrée le 9 mai 2019 sous le n° 19BX01900, la ministre des Armées demande à la cour de prononcer le sursis à exécution du jugement n° 1701185 du 28 février 2019 du tribunal administratif de Pau.
Elle soutient que :
- elle est fondée à demander le sursis à l'exécution de ce jugement sur le fondement des articles R. 811-16 et R. 811-17 du code de justice administrative dès lors que, d'une part, un moyen présenté dans sa requête d'appel présente un caractère sérieux, de nature à justifier l'annulation du jugement et le rejet de la demande de première instance présentée par Mme A..., d'autre part, l'exécution de ce jugement expose l'Etat à une perte définitive d'une somme d'argent qui ne devrait pas rester à la charge de l'administration.
Par un mémoire enregistré le 17 juin 2019, Mme A..., représentée par Me H..., demande à la cour :
1°) de rejeter la requête du ministre des Armées ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que la requête excède le champ des demandes formulées dans son autre requête d'appel, ce qui la rend irrecevable et qu'aucun moyen n'est fondé.
Vu l'ordonnance fixant la clôture de l'instruction au 17 novembre 2020.
Vu :
- les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la défense ;
- la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 ;
- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;
- le décret n° 62-1389 du 23 novembre 1962 ;
- le décret n° 67-99 du 31 janvier 1967 ;
- le décret n° 67-290 du 28 mars 1967 ;
- le décret n° 89-753 du 18 octobre 1989 ;
- le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme D... B... ;
- les conclusions de Mme Béatrice Molina-Andréo, rapporteur public ;
- et les observations de Me C..., représentant Mme A....
Considérant ce qui suit :
1. Mme A..., recrutée en qualité d'ouvrier de l'Etat, a été titularisée le 1er septembre 1982 dans le corps des techniciens supérieurs d'études et de fabrications. A ce titre, elle a bénéficié de l'indemnité différentielle due à certains techniciens d'études et de fabrications du ministère de la défense, en application du décret du 23 novembre 1962. Par courrier du 18 septembre 2013, la direction générale de l'armement l'a informée que le montant de cette indemnité serait réduit de 180 euros brut par mois à compter du 1er octobre 2013. Par courrier du 16 mars 2017, réceptionné le 24 mars suivant, elle a sollicité auprès du ministre de la défense la révision du calcul du montant de son indemnité différentielle sur la base d'une prime de rendement au taux maximum de 32 % ainsi que la révision du calcul du montant de son indemnité compensatrice versée depuis le 1er octobre 2013, estimant que les montants de ces indemnités avaient été sous-évalués sur la période allant du 1er septembre 1982 au 30 septembre 2013 de la somme de 137 305 euros et du 1er octobre 2013 au 31 décembre 2016 de la somme de 15 075 euros. Le silence gardé par son administration a fait naître une décision implicite de rejet de sa demande. Mme A... a demandé au tribunal administratif de Pau l'annulation de cette décision et de condamner l'Etat à lui payer la somme de 152 403 euros. Par un jugement du 28 février 2019, le tribunal administratif de Pau a condamné l'Etat à payer à Mme A... la différence entre l'indemnité différentielle qu'elle a perçue à compter du 1er janvier 2009 et celle qu'elle aurait dû percevoir en retenant une prime de rendement au taux de 32 % et l'a renvoyée devant son administration pour le calcul et la liquidation des sommes qui lui sont dues, assorties des intérêts au taux légal à compter du 24 mars 2016 et la capitalisation des intérêts échus à la date du 24 mars 2017. La ministre des Armées, par une requête enregistrée sous le n° 19BX01899 relève appel de ce jugement en tant que le tribunal administratif de Pau a condamné l'Etat à payer à Mme A... la somme qui lui est due à compter du 1er janvier 2009. Par une requête enregistrée sous le n° 19BX1900, elle demande le sursis à exécution de ce jugement.
Sur la jonction :
2. Les requêtes n° 19BX01899 et 19BX01900 présentées par la ministre des Armées présentent à juger des questions semblables et ont fait l'objet d'une instruction commune. Par suite, il y a lieu de les joindre pour qu'elles fassent l'objet d'un même arrêt.
Sur la régularité du jugement :
3. Dès lors que la ministre des Armées avait soulevé un moyen relatif à la prescription quadriennale, auquel la requérante avait répondu qu'elle pouvait légitiment être regardée comme ignorant l'existence de sa créance jusqu'au courrier du 18 septembre 2013, le tribunal s'est borné à exercer son office en répondant au moyen soulevé par la ministre et n'a pas soulevé un moyen d'ordre public qu'il aurait dû communiquer aux parties en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative. Par suite, la ministre des Armées n'est pas fondée à soutenir que le jugement attaqué aurait été rendu en méconnaissance du caractère contradictoire de la procédure.
Sur le bien-fondé du jugement :
4. D'une part, aux termes de l'article 1er de la loi du 31 décembre 1968 : " Sont prescrites, au profit de l'Etat (...) toutes créances qui n'ont pas été payées dans un délai de quatre ans à partir du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle les droits ont été acquis (...) ". Aux termes de l'article 2 de cette loi : " La prescription est interrompue par : (...) Toute communication écrite d'une administration intéressée, même si cette communication n'a pas été faite directement au créancier qui s'en prévaut, dès lors que cette communication a trait au fait générateur, à l'existence, au montant ou au paiement de la créance (...) ".
5. D'autre part, aux termes de l'article 1er du décret du 23 novembre 1962 relatif à l'octroi d'une indemnité différentielle à certains techniciens d'études et de fabrications, visé ci-dessus : " Les techniciens d'études et de fabrications relevant du ministère des armées provenant du personnel ouvrier ou du personnel contractuel régi par le décret du 3 octobre 1949 perçoivent, le cas échéant, une indemnité différentielle ; cette indemnité est égale à la différence entre, d'une part, le salaire maximum de la profession ouvrière à laquelle appartenaient les anciens ouvriers ou le salaire réellement perçu par les anciens contractuels à la date de leur nomination et, d'autre part, la rémunération qui leur est allouée en qualité de fonctionnaire (...) ". Aux termes de l'article 6 du décret du 18 octobre 1989 portant attribution d'une indemnité compensatrice à certains techniciens supérieurs d'études et de fabrications du ministère de la défense, visé ci-dessus : " Les dispositions du décret n° 62-1389 du 23 novembre 1962 demeurent applicables : / 1° Aux techniciens supérieurs d'études et de fabrications nommés au titre de l'article 15 du décret susvisé qui bénéficiaient de ces dispositions antérieurement à leur nomination dans un corps de techniciens supérieurs d'études et de fabrications (...) ". Aux termes de la décision du 13 juin 1968 relative aux taux de la prime de rendement attribuée aux ouvriers du ministère des armées, en vigueur avant le 25 septembre 2017, visée ci-dessus : " A compter du 1er avril 1968, les primes de rendement allouées aux ouvriers et aux techniciens à statut ouvrier des armées varient de 0 à 32 p. 100 du salaire du 1er échelon du groupe professionnel auquel ils appartiennent. La moyenne des primes ainsi accordées ne peut dépasser 16 p. 100 du salaire minimum de chaque groupe dans la région parisienne et 14 p. 100 en province. Cependant, ce dernier pourcentage sera porté à 15 p. 100 à compter du 1er octobre 1968 et à 16 p. 100 à compter du 1er avril 1969 (...) ".
6. Pour écarter l'exception de prescription opposée par la ministre des Armées aux conclusions de Mme A... tendant à l'indemnisation des préjudices qu'elle aurait subis durant la période du 1er janvier 2009 au 31 décembre 2013 du fait d'une sous-évaluation de son indemnité différentielle, le tribunal administratif s'est notamment fondé sur le courrier que le ministère lui avait adressé le 18 septembre 2013, indiquant le calcul de cette indemnité différentielle ainsi que le taux de la prime de rendement prise en compte dans ce calcul. Il a estimé que ce courrier constitue une communication écrite de l'administration relative au montant de la créance au sens de l'article 2 de la loi du 31 décembre 1968, et a interrompu la prescription quadriennale.
7. Si la ministre des Armées soutient que le courrier du 18 septembre 2013 porterait seulement sur le calcul de la prime de rendement que Mme A... a perçue en tant que technicienne supérieure d'études et de fabrications (TSEF), qui a été prise en compte dans le calcul de son indemnité différentielle, et non sur la détermination du taux de la prime de rendement de la profession ouvrière (TSO), il ressort au contraire des termes de ce courrier qu'il rappelle les règles applicables pour mettre fin à des différences constatées dans le calcul de l'indemnité différentielle au sein du ministère, et que ces différences " proviennent du mode de détermination de la prime de rendement qui est l'un des éléments pris en compte, aussi bien pour la rémunération en tant qu'ouvrier de l'Etat qu'en tant que TSEF ". Il énonce d'ailleurs que : " le montant de la prime de rendement inclus dans la rémunération ouvrière de TSO doit s'élever à 16 % du 1er échelon du groupe sommital du bénéficiaire ", alors qu'il est constant que cette prime de rendement devait être prise en compte au taux de 32 %. Ainsi, ce courrier a trait au fait générateur de la créance de Mme A... et doit donc être regardé comme une communication écrite de l'administration au sens de l'article 2 de la loi du 31 décembre 1968 et, en conséquence, comme ayant interrompu le cours de la prescription quadriennale de la créance.
8. Il résulte de ce qui précède que la ministre des Armées n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Pau a condamné l'Etat à indemniser Mme A... à raison d'une sous-évaluation de son indemnité différentielle à compter du 1er janvier 2009.
En ce qui concerne les frais liés au litige :
9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce de mettre à la charge de l'Etat, une somme de 500 euros au titre des frais exposés par Mme A... et non compris dans les dépens.
Sur la requête n° 19BX01900 :
10. Compte tenu de ce qui précède, il n'y a plus lieu de statuer sur les conclusions de la ministre des Armées tendant à ce qu'il soit sursis à l'exécution du jugement n° 1701185 du 28 février 2019 du tribunal administratif de Pau.
D É C I D E :
Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête n° 19BX01900.
Article 2 : La requête n° 19BX01899 de la ministre des Armées est rejetée.
Article 3 : L'Etat versera à Mme A... une somme de 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la ministre des Armées et à Mme E... A....
Délibéré après l'audience du 14 décembre 2020, à laquelle siégeaient :
M. Didier Artus, président,
Mme F... G..., présidente-assesseure,
Mme D... B..., premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 11 janvier 2021,
Le président,
Didier ARTUS
La République mande et ordonne à la ministre des Armées en ce qui la concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N°19BX01899, 19BX01900