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28/09/2021 | FRANCE | N°18VE03192

France | France, Cour administrative d'appel de Versailles, 3ème chambre, 28 septembre 2021, 18VE03192


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La SAS Ricoh France a demandé au tribunal administratif de Montreuil, d'une part, de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des suppléments de cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises qui lui ont été assignés au titre des années 2011 à 2014, d'autre part, de prononcer le sursis de paiement et, enfin, de mettre à la charge de l'État la somme de 10 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 1706132 du 25 juin 2018, le tribunal ad

ministratif de Montreuil a réduit la base de calcul de la cotisation sur la valeur...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La SAS Ricoh France a demandé au tribunal administratif de Montreuil, d'une part, de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des suppléments de cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises qui lui ont été assignés au titre des années 2011 à 2014, d'autre part, de prononcer le sursis de paiement et, enfin, de mettre à la charge de l'État la somme de 10 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 1706132 du 25 juin 2018, le tribunal administratif de Montreuil a réduit la base de calcul de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises due par la SAS Ricoh France au titre des années 2011 à 2014 à concurrence du montant des charges correspondant aux conventions de location mandatée, déchargé, à due concurrence, la SAS Ricoh France des suppléments de cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises auxquels elle a été assujettie au titre des années 2011 à 2014 et des pénalités correspondantes, mis à la charge de l'État le versement d'une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, et rejeté le surplus des conclusions de la demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et quatre mémoires, enregistrés les 14 septembre et 13 décembre 2018, 1er avril et 11 septembre 2019, et 24 juin 2021, le ministre de l'action et des comptes publics, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement en tant qu'il lui est défavorable ;

2°) de remettre à la charge de la SAS Ricoh France les suppléments de cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises au titre des années 2011 à 2014 dont la décharge a été prononcée par les premiers juges.

Il soutient que :

- les premiers juges ont commis une erreur de qualification juridique et, par suite, une erreur de droit en admettant la déduction de la valeur ajoutée des loyers versés par la SAS Ricoh France au titre des conventions litigieuses alors qu'ils sont représentatifs de charges financières afférentes à des conventions de " location financement ", par nature non déductibles de la valeur ajoutée des sociétés soumises aux règles du plan comptable général ; une telle requalification ne révèle pas d'abus de droit rampant mais résulte d'une simple interprétation des contrats ; s'agissant de conventions en cascade, la rémunération versée à la société par les clients finaux fait partie de ses produits d'exploitation devant être retenus pour le calcul de sa valeur ajoutée ;

- à supposer même que les sommes litigieuses soient qualifiées, par la cour, de loyers, les sommes encaissées par la SAS Ricoh France puis reversées aux financeurs ne pourraient être admises en déduction de la valeur ajoutée dès lors qu'il s'agirait de loyers d'une durée supérieure à six mois ;

- s'agissant de la demande de compensation de la SAS Ricoh France, il n'y a pas lieu d'y faire droit, les sommes versées par la société aux entreprises de financement propriétaires des machines, en vertu de conventions de " location-mandatée " et en contrepartie de l'avance d'un capital d'investissement, devant être qualifiées de charges financières à intégrer dans la valeur ajoutée et les sommes versées par les clients utilisateurs à la SAS Ricoh France étant constitutives de son chiffre d'affaires dès lors qu'elles rémunèrent son activité normale et courante ;

- au regard de la décision du Conseil d'État n° 431224 du 20 avril 2021, il y a lieu de substituer au motif initialement retenu tenant au fait que les sommes en litige constituaient des charges financières non déductibles de la valeur ajoutée, celui tiré de ce que ces sommes correspondaient à des reversements de loyers versés par le client final dans le cadre de contrats de location de matériels d'une durée de plus de six mois, relevant du compte 61-Services extérieurs du plan comptable général (PCG), non déductibles en application du b. du 4. du I. de l'article 1586 sexies du code général des impôts ; la société ne peut, à cet égard, faire valoir qu'elle n'a qu'un rôle de mandataire et que les opérations traitées au nom et pour le compte du mandant n'impactent pas sa valeur ajoutée, alors qu'elle agit comme un commissionnaire opaque au sens et pour l'application du PCG, et qu'elle assume en apparence la location globale, facture globalement et en son nom, et comptabilise les sommes perçues en produits ; dès lors que la société perçoit des clients les loyers afférents à la location des matériels et que leur reversement aux sociétés de financement ne change pas cette nature, il s'agit de loyers de plus de six mois ne pouvant être déduits de la valeur ajoutée ;

- les conclusions présentées à titre incident par la SAS Ricoh France sont irrecevables en l'absence de moyens d'appel ; les moyens soulevés par la SAS Ricoh France sur ce point ne sont, en tout état de cause, pas fondés, la comptabilisation des avoirs s'effectuant en compte 709 " rabais, remises, ristournes accordés à l'entreprise " et les ventes de produits fabriqués, prestations de services et marchandises s'entendant de l'ensemble des produits à comptabiliser aux comptes 701 à 709.

.........................................................................................................

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;

- le code civil ;

- le code de commerce ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- l'arrêté du 8 septembre 2014 portant homologation des règlements n° 2014-1 du 14 janvier 2014, n° 2014-2 du 6 février 2014, n° 2014-3 du 5 juin 2014 et n° 2014-4 du 5 juin 2014 de l'Autorité des normes comptables ;

- l'arrêté du 22 juin 1999 portant homologation du règlement n° 99-03 du Comité de la réglementation comptable ;

- la décision du Conseil constitutionnel n° 2011-120 QPC du 8 avril 2011 ;

- la décision du Conseil constitutionnel n° 2009-599 DC du 29 décembre 2009 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Deroc,

- les conclusions de M. Huon, rapporteur public,

- et les observations de Me Cassan, avocate de la SAS Ricoh France.

Considérant ce qui suit :

1. La SAS Ricoh France, qui exerce une activité de location de matériels bureautiques et de prestations de maintenance associées, a fait l'objet d'une vérification de comptabilité à l'issue de laquelle l'administration a notamment remis en cause la prise en compte des rétrocessions de " location mandatée " au sein des charges retenues pour le calcul de la valeur ajoutée servant d'assiette à la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises au titre des années 2011 à 2014 et, par ailleurs, l'exclusion des annulations d'avoirs des produits retenus pour le calcul de cette même valeur ajoutée. Par le présent recours, le ministre de l'action et des comptes publics fait appel du jugement en date du 25 juin 2018 du tribunal administratif de Montreuil en tant que les premiers juges ont réduit la base de calcul de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises due par la SAS Ricoh France au titre des années 2011 à 2014 à concurrence du montant des charges correspondant aux conventions de location mandatée, et prononcé la décharge, en droits et pénalités, des suppléments de cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises correspondants. Par des conclusions incidentes, la SAS Ricoh France fait également appel de ce jugement en tant que les premiers juges ont rejeté le surplus de ses conclusions en décharge, afférentes au second chef de redressement.

Sur l'étendue du litige :

2. Par une décision du 12 octobre 2018, postérieure à l'introduction de la requête, le ministre de l'action et des comptes publics a prononcé, au bénéfice de la SAS Ricoh France, des dégrèvements à concurrence de 163 768 euros, en droits et majorations, sur les montants dus au titre des suppléments de cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises auxquelles la société a été assujettie au titre de l'année 2014 correspondant, selon cette dernière qui n'est pas contestée sur ce point, à la correction d'une erreur de plume figurant dans le total des rectifications de la valeur ajoutée tel que mentionné dans la réponse aux observations du contribuable, qui s'élève à 122 414 090 euros au lieu de 132 414 000 euros. Les conclusions du ministre de l'action de l'action et des comptes publics ainsi que celles de la SAS Ricoh France sont, dans cette mesure, devenues sans objet.

Sur les conclusions restant en litige :

3. Aux termes du 1. du II. de l'article 1586 ter du code général des impôts : " La cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises est égale à une fraction de la valeur ajoutée produite par l'entreprise, telle que définie à l'article 1586 sexies " et aux termes de l'article 1586 sexies du même code : " I.- Pour la généralité des entreprises, à l'exception des entreprises visées aux II à VI : / 1. Le chiffre d'affaires est égal à la somme : / -des ventes de produits fabriqués, prestations de services et marchandises ; / -des redevances pour concessions, brevets, licences, marques, procédés, logiciels, droits et valeurs similaires ; / -des plus-values de cession d'immobilisations corporelles et incorporelles, lorsqu'elles se rapportent à une activité normale et courante ; / -des refacturations de frais inscrites au compte de transfert de charges. / (...) / 4. La valeur ajoutée est égale à la différence entre : / a) D'une part, le chiffre d'affaires tel qu'il est défini au 1, majoré : / -des autres produits de gestion courante à l'exception, d'une part, de ceux pris en compte dans le chiffre d'affaires (...) / b) Et, d'autre part : (...) / -les services extérieurs diminués des rabais, remises et ristournes obtenus, à l'exception des loyers ou redevances afférents aux biens corporels pris en location ou en sous-location pour une durée de plus de six mois ou en crédit-bail ainsi que les redevances afférentes à ces biens lorsqu'elles résultent d'une convention de location-gérance (...) ". Les dispositions de cet article fixent la liste limitative des catégories d'éléments comptables qui doivent être pris en compte dans le calcul de la valeur ajoutée servant de base à la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises. Pour déterminer si une charge ou un produit se rattache à l'une de ces catégories, il y a lieu de se reporter, pour les entreprises pour lesquelles son application est obligatoire, aux dispositions du plan comptable général, applicables aux comptes sociaux individuels, dans leur rédaction en vigueur lors de l'année d'imposition concernée, et non aux normes comptables applicables à l'établissement des comptes consolidés.

En ce qui concerne l'appel principal du ministre de l'action et des comptes publics :

S'agissant des rétrocessions afférentes aux " conventions de location mandatée " :

4. Pour justifier de l'exclusion des rétrocessions de " location mandatée " des charges retenues pour le calcul de la valeur ajoutée servant d'assiette à la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises au titre des années 2011 à 2014, le ministre de l'économie, des finances et de la relance, qui ne conteste pas que c'est par erreur que la SAS Ricoh France a comptabilisé ces sommes au compte 612, relatif aux redevances de crédit-bail, au titre des années 2011, 2012 et 2014 et au compte 615200 relatif à l'entretien immobilier, au titre de l'année 2013, ne soutient plus, dans le dernier état de ses écritures, que ces sommes constitueraient des charges financières, mais fait valoir que ces charges correspondent à des reversements de loyers afférents à des biens pris en location pour une durée de plus de six mois, non déductibles de la valeur ajoutée en application du b. du 4. du I. de l'article 1586 sexies du code général des impôts.

5. Il résulte de l'instruction que la SAS Ricoh France était liée avec les sociétés de financement BNP Paribas Lease Group et Lixxbail par des contrats de " location-mandatée " en application desquels la SAS Ricoh France concluait avec le client final un contrat de location qui prévoyait la mise à disposition de matériel bureautique et la maintenance de celui-ci, puis revendait à la société de financement le matériel qu'elle avait préalablement acheté et transférait à cette dernière le contrat de location. En application de ces contrats de " location-mandatée ", la SAS Ricoh France encaissait la totalité des loyers et reversait à la société de financement la part de ces loyers correspondant à la seule mise à disposition du matériel au client final. Il résulte des conditions générales afférentes aux contrats conclus entre la SAS Ricoh France et les clients finaux, produites à titre d'exemple, qu'en cas de cession du contrat de location à un établissement financier " le Client s'engage notamment à (...) verser [à ce dernier] directement ou à son ordre la totalité des créances en principal, intérêts et accessoires. En effet, l'établissement cessionnaire intervient à titre purement financier. Le Client en acceptant cette intervention renonce à effectuer toute compensation, déduction, demande reconventionnelle en raison du droit qu'il pourrait faire valoir à l'encontre de tout tiers, notamment Ricoh France (...) ". Il résulte des stipulations de la convention de partenariat de location-mandatée signée avec BNP Paribas Lease Group et produite à titre d'exemple, que " 4.1 Ricoh s'oblige pendant toute la durée du contrat à facturer et encaisser les loyers. Ricoh adresse donc au locataire une facture correspondant à la période pour le montant global du loyer et procède à son recouvrement, (...). Ricoh agit alors : / - en son nom et pour son compte à concurrence de la quote-part de loyer correspondant à la prestation / - en son nom et pour le compte de BPLG qui la mandate pour ce faire à concurrence de la quote-part de loyer correspondant au loyer financier. / (...) ". Il résulte enfin des stipulations de l'article 11 du contrat signé avec Lixxbail, intitulé " mandat de facturation et d'encaissement ", que " Lixxbail donne mandat pour tous les contrats cédés à Ricoh, qui l'accepte, de facturer et d'encaisser pour son compte les loyers tels que précisés dans les contrats cédés, auprès de chaque locataire, pour chaque contrat de location cédé en vertu de la présente convention (...). Le reversement des loyers encaissés par Ricoh pour le compte de Lixxbail se fera sous la forme de prélèvement automatique par Lixxbail. ".

6. Dans ces conditions, s'agissant de l'encaissement et du reversement des loyers acquittés par les clients finaux, la SAS Ricoh France, qui agit ainsi pour le compte des sociétés de financement en qualité d'intermédiaire et en son nom propre, doit être regardée comme exerçant une activité de commissionnaire au sens du premier alinéa de l'article L. 132-1 du code de commerce selon lequel " Le commissionnaire est celui qui agit en son propre nom ou sous un nom social pour le compte d'un commettant. ". La société requérante, même si elle fait valoir de manière incidente, dans son mémoire enregistré le 1er juin 2021, qu'elle " n'a qu'un rôle de mandataire au titre des loyers ", admet d'ailleurs une telle qualification avancée par le ministre, en faisant état d'un " contrat de commission au sens de l'article L. 132-1 du code de commerce " et en se prévalant du " régime de commissionnaire ". Dès lors, il y a lieu de se reporter aux dispositions du second alinéa de l'article 394-1 du plan comptable général devenu 621-11 pour les exercices ouverts à compter du 1er janvier 2014, applicables aux comptes sociaux individuels, dans leur rédaction alors en vigueur, selon lesquelles les opérations traitées, pour le compte de tiers, au nom de l'entité, sont inscrites selon leur nature dans les charges et les produits de l'entité.

7. En l'espèce, il résulte de l'instruction que les rétrocessions litigieuses, correspondant à des reversements de loyers acquittés par les clients finaux dans le cadre de contrats de location de matériels, avaient la nature comptable de loyers relevant du compte " 61-services extérieurs " du plan comptable général, et du sous-compte " 613-locations ". Cette qualification, avancée par le ministre de l'économie, des finances et de la relance, est d'ailleurs implicitement admise par la SAS Ricoh France qui emploie un tel qualificatif et ne propose pas de qualification alternative. Il est par ailleurs constant que les contrats de location correspondants avaient une durée de plus de six mois. Dès lors, le ministre de l'économie, des finances et de la relance est fondé à soutenir que les rétrocessions litigieuses figuraient au nombre des services extérieurs expressément exclus, en application du b. du 4. du I. de l'article 1586 sexies du code général des impôts, de la détermination de la valeur ajoutée pour le calcul de la contribution sur la valeur ajoutée des entreprises.

8. La SAS Ricoh France objecte, à cet égard, qu'elle n'était pas partie à un contrat de location dans la mesure où elle n'était plus partie aux contrats cédés aux sociétés de financement et où les contrats de partenariat signés avec ces dernières ne répondaient pas à la définition prévue à l'article 1709 du code civil. Elle en déduit que, par suite, les rétrocessions litigieuses ne correspondaient pas à des loyers afférents à des biens corporels pris en location pour une durée de plus de six mois au sens du b. du 4. du I. de l'article 1586 sexies du code général des impôts. Toutefois et d'une part, le fait que la société commissionnaire n'était pas ou plus partie aux contrats de location de matériel est sans incidence sur la qualification comptable en " loyers " des rétrocessions litigieuses, seule à retenir pour l'application des dispositions précitées. D'autre part, de tels loyers, même encaissés par un commissionnaire puis reversés, ont bien toujours trait à des contrats de location et leur reversement ne modifie pas leur nature de loyers. Enfin, il ne résulte pas des dispositions du b. du 4. du I. de l'article 1586 sexies que le législateur ait entendu, pour exclure des services extérieurs minorant la valeur ajoutée les loyers afférents à des biens corporels pris en location pour une durée de plus de six mois, distinguer selon que la personne acquittant la charge correspondant à ces loyers est ou non la personne titulaire du contrat de location.

9. La SAS Ricoh France fait également valoir qu'elle se bornait à encaisser et reverser les loyers litigieux, lesquels ont d'ailleurs été inclus dans ses produits pour le calcul de la valeur ajoutée tels que prévus au a. du 4. du I. de l'article 1586 sexies et que ces rétrocessions constituaient donc des consommations de biens en provenance de tiers devant minorer la valeur ajoutée définie à cet article 1586 sexies. Toutefois, cette circonstance est sans incidence sur la détermination de cette valeur ajoutée conformément aux dispositions de cet article, pour le calcul de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, dès lors que le législateur a expressément exclu de tels loyers par exception au principe de déduction des " services extérieurs ", sans d'ailleurs réserver le cas particulier des commissionnaires.

10. Par suite et ainsi que le fait valoir le ministre de l'action et des comptes publics, les rétrocessions de " location mandatée " ne pouvaient, en application des dispositions de l'article 1586 sexies du code général des impôts, être déduites de la base de calcul de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises acquittée par la SAS Ricoh France au titre des années 2011 à 2014.

11. A titre subsidiaire et par mémoire distinct, la SAS Ricoh France excipe, compte tenu d'une telle interprétation, de l'inconstitutionnalité du 4. du I. de l'article 1586 sexies du code général des impôts dans la mesure où cet article conduit donc à prendre en compte dans l'assiette de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises le montant des loyers perçus des clients finaux sans qu'elle ne puisse déduire le reversement de ces derniers aux organismes financeurs. Elle soutient ainsi que ces dispositions méconnaissent le principe d'égalité devant les charges publiques garanti par l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen en ce qu'elles auraient pour effet de la soumettre à une imposition dont l'assiette peut inclure une valeur ajoutée dont elle ne dispose pas, comme tel est le cas s'agissant des loyers qu'elle reverse.

12. Aux termes du premier alinéa de l'article 61-1 de la Constitution : " Lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'Etat ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé ". En vertu des dispositions combinées des premiers alinéas des articles 23-1 et 23-2 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée, la juridiction, saisie d'un moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution présenté dans un écrit distinct et motivé, statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'Etat et procède à cette transmission à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement de circonstance, et qu'elle n'est pas dépourvue de caractère sérieux.

13. Par la décision n° 2009-599 DC du 29 décembre 2009, le Conseil constitutionnel a, dans ses motifs et son dispositif, déclaré conforme à la Constitution l'article 1586 sexies du code général des impôts issu de l'article 2 de la loi de finances pour 2010, à l'exception des mots " et la contribution carbone sur les produits énergétiques " figurant au vingt et unième alinéa du paragraphe I. de cet article et les mots : " et de la contribution carbone sur les produits énergétiques " figurant au dix-septième alinéa de son paragraphe VI. Si la SAS Ricoh France se prévaut du changement de circonstances que constituerait l'interprétation donnée par la cour de l'article 1586 sexies dans le cadre du présent litige, celle-ci ne peut, en tout état de cause, être regardée comme un changement de circonstances de nature à remettre en cause la constitutionnalité des dispositions contestées dans la mesure où, ainsi que l'a précisé, le Conseil constitutionnel au point 9. de la décision n° 2011-120 QPC du 8 avril 2011, si, en posant une question prioritaire de constitutionnalité, tout justiciable a le droit de contester la constitutionnalité de la portée effective qu'une interprétation jurisprudentielle constante confère à cette disposition, cette jurisprudence doit avoir été soumise au Conseil d'État.

14. Dès lors, aucun changement de circonstances survenu depuis l'intervention de la décision précitée n'étant de nature à justifier que la conformité de ces dispositions à la Constitution soit à nouveau examinée par le Conseil constitutionnel, le moyen tiré de la méconnaissance par l'article 1586 sexies de l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen doit être écarté, sans qu'il soit besoin de transmettre au Conseil d'État la question prioritaire de constitutionnalité invoquée.

15. Par ailleurs, pour les mêmes motifs, ne peut qu'être écarté le moyen tiré de l'inconstitutionnalité de l'article 1586 sexies du code général des impôts, également présenté directement dans les écritures la société intimée, alors qu'au surplus, aux termes du premier alinéa de l'article 23-1 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Devant les juridictions relevant du Conseil d'Etat (...), le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution est, à peine d'irrecevabilité, présenté dans un écrit distinct et motivé (...) ".

16. Dans ces conditions, le ministre de l'action et des comptes publics est fondé à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont prononcé la décharge des impositions litigieuses à raison de la déduction du montant des rétrocessions de " location mandatée " de la base de calcul de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises acquittée par la SAS Ricoh France au titre des années 2011 à 2014.

17. Il y a lieu pour la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner, avant de statuer sur les conclusions de l'appelant, tous les moyens opérants soulevés par l'intimée devant les premiers juges et devant les juges d'appel.

18. En premier lieu, les moyens soulevés par la SAS Ricoh France devant les premiers juges tenant à la remise en cause de la requalification des contrats de location-mandatée en contrat de crédit-bail opérée par l'administration fiscale, ne peuvent qu'être écartés comme inopérants compte-tenu de la substitution de motifs opérée par le ministre de l'économie, des finances et de la relance, rappelée au point 4. du présent arrêt. Il en va de même de la contestation de toute requalification en contrat de location, ainsi que de celle, développée devant la cour, relative à la requalification en contrat de location-financement et à l'existence d'un abus de droit rampant à cet égard.

19. En deuxième lieu, le moyen soulevé par la SAS Ricoh France devant les premiers juges faisant valoir que les opérations concernées constituent un mandat ne peut qu'être écarté pour les motifs rappelés aux points 5. et 6. du présent arrêt.

20. Il résulte de ce qui précède que le ministre de l'action et des comptes publics est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Montreuil a déchargé la SAS Ricoh France des suppléments de cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, afférents à ce chef de redressement, auxquels elle a été assujettie au titre des années 2011 à 2014.

S'agissant de la demande de compensation présentée par la SAS Ricoh France :

21. Aux termes de l'article L. 203 du livre des procédures fiscales : " Lorsqu'un contribuable demande la décharge ou la réduction d'une imposition quelconque, l'administration peut, à tout moment de la procédure et malgré l'expiration des délais de prescription, effectuer ou demander la compensation dans la limite de l'imposition contestée, entre les dégrèvements reconnus justifiés et les insuffisances ou omissions de toute nature constatées dans l'assiette ou le calcul de l'imposition au cours de l'instruction de la demande. " et de l'article L. 205 : " Les compensations de droits prévues aux articles L. 203 et L. 204 sont opérées dans les mêmes conditions au profit du contribuable à l'encontre duquel l'administration effectue une rectification lorsque ce contribuable invoque une surtaxe commise à son préjudice ou lorsque la rectification fait apparaître une double imposition. ".

22. Compte tenu de ce qui précède, il n'y a pas lieu de se prononcer sur la demande de compensation présentée par la SAS Ricoh France dans le premier état de ses écritures d'appel et à titre subsidiaire, dans l'hypothèse où les rétrocessions afférentes aux conventions de " location mandatée " seraient regardées comme des charges de nature financière exclues du calcul de la valeur ajoutée, la société faisant valoir que si tel était le cas, les loyers versés par les clients finaux devraient alors nécessairement être regardés comme des produits financiers ne devant pas être pris en compte pour la détermination de l'assiette de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises et demandant en conséquence, à titre subsidiaire, par voie de compensation, l'exclusion de ces produits de la valeur ajoutée déclarée au titre des années 2011 à 2014 et la décharge correspondante.

En ce qui concerne l'appel incident de la SAS Ricoh France :

23. Il résulte de l'instruction, notamment des propositions de rectification des 23 et 25 novembre 2015, que l'administration fiscale a constaté la comptabilisation, au titre des années 2011 à 2014, de produits exceptionnels au compte 771810 correspondant à des annulations d'avoirs liés à des factures de biens ou de services adressées à des clients et estimé que ces produits avaient à tort été exclus du calcul de la valeur ajoutée telle que prévue aux 1. et 4. du I de l'article 1586 sexies du code général des impôts, au motif qu'ils étaient afférents à l'annulation de charges d'exploitation venues minorer la valeur ajoutée des exercices au cours desquels ils ont été constatés.

24. Pour contester cette remise en cause, la SAS Ricoh France se borne à se prévaloir, sur le fondement de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales, des énonciations des commentaires administratifs publiés au BOFiP sous la référence BOI-CVAE-BASE-20-20140923, reprenant celles de l'instruction référencée 6 E-1-10 n° 19 du 25 mai 2010 selon lesquelles : " Les autres produits de gestion courante à retenir dans la valeur ajoutée s'entendent de l'ensemble des produits à comptabiliser dans les comptes 752 à 758 du PCG, à l'exception du compte 755 Quotes-parts de résultat sur opérations faites en commun. ". Elle fait valoir qu'en application de ces énonciations, elle était fondée à exclure de la détermination de la valeur ajoutée les annulations d'avoirs litigieuses dès lors que les sommes correspondantes ont régulièrement été comptabilisées en produits exceptionnels.

25. Toutefois, les dispositions de l'article 1586 sexies du code général des impôts ne font pas obstacle à ce que l'administration puisse contrôler l'exactitude des montants déclarés au titre de la production de l'exercice et ainsi remettre en cause, le cas échéant, le bien-fondé d'une écriture comptable et, par voie de conséquence, réintégrer dans le calcul de la valeur ajoutée de l'entreprise des sommes qui soit devraient être regardées comme des produits, non comptabilisés à tort.

26. En l'espèce, la SAS Ricoh France n'apporte aucun élément, ni aucune précision à l'appui de ses allégations permettant d'établir que ces produits ne relèveraient pas de l'activité habituelle et ordinaire de l'entreprise et, par suite, revêtiraient un caractère exceptionnel, alors qu'il est constant que les avoirs correspondants ont été comptabilisés comme charges d'exploitation et déduits de la valeur ajoutée pour les exercices correspondants. Dans ces conditions, elle n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que l'administration fiscale, nonobstant une comptabilisation au compte 771810, a pris en compte ces produits pour la détermination de la valeur ajoutée des exercices respectivement clos en 2011, 2012, 2013 et 2014. Par voie de conséquence, les conclusions incidentes de la SAS Ricoh France ne peuvent être accueillies ni sur le terrain de la loi fiscale, ni sur celui de l'interprétation administrative de celle-ci.

27. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la fin de non-recevoir opposée par le ministre de l'action et des comptes publics, que la SAS Ricoh France n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté les conclusions sa demande sur ce point.

Sur les conclusions de la SAS Ricoh France présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

28. Il résulte de ce qui précède que les conclusions présentées par la SAS Ricoh France au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées.

DÉCIDE :

Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête ainsi que sur celles présentées par le ministre de l'action et des comptes publics à concurrence des montants de cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises de l'année 2014 dégrevés en cours d'instance.

Article 2 : Il n'y a pas lieu de transmettre au Conseil d'État la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la SAS Ricoh France.

Article 3 : Les articles 1er à 3 du jugement n° 1706132, en date du 25 juin 2018, du tribunal administratif de Montreuil sont annulés.

Article 4 : Les sommes dont les premiers juges ont prononcé la décharge et restant en litige sont remises à la charge de la SAS Ricoh France au titre de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises due au titre des années 2011 à 2014.

10

N° 18VE03192


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Versailles
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 18VE03192
Date de la décision : 28/09/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

19-03-045-03-02 Contributions et taxes. - Impositions locales ainsi que taxes assimilées et redevances.


Composition du Tribunal
Président : M. BRESSE
Rapporteur ?: Mme Muriel DEROC
Rapporteur public ?: M. HUON
Avocat(s) : PWC SOCIETE D'AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 05/10/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.versailles;arret;2021-09-28;18ve03192 ?
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