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03/10/2019 | FRANCE | N°18PA03836

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 5ème chambre, 03 octobre 2019, 18PA03836


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C... B... a demandé au Tribunal administratif de Paris de prononcer la restitution des prélèvements sociaux qu'elle a acquittés au titre de l'année 2012, à concurrence de la somme de 90 086 euros, assortie des intérêts moratoires.

Par un jugement n° 1610535 du 8 octobre 2018, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 7 décembre 2018 et un mémoire en réplique enregistré le 26 juillet 2019, Mme B..., r

eprésentée par Me D..., demande à la Cour, dans le dernier état de ses écritures :

1°) de poser,...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C... B... a demandé au Tribunal administratif de Paris de prononcer la restitution des prélèvements sociaux qu'elle a acquittés au titre de l'année 2012, à concurrence de la somme de 90 086 euros, assortie des intérêts moratoires.

Par un jugement n° 1610535 du 8 octobre 2018, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 7 décembre 2018 et un mémoire en réplique enregistré le 26 juillet 2019, Mme B..., représentée par Me D..., demande à la Cour, dans le dernier état de ses écritures :

1°) de poser, sur le fondement de l'article 267 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, à la Cour de justice de l'Union européenne la question préjudicielle suivante : " l'article 63 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne s'oppose-t-il à la législation d'un État membre telle que la législation française en vertu de laquelle un investisseur qui réside dans ledit État membre et y est affilié à un régime de sécurité sociale, est soumis, dans ledit État membre, à des prélèvements sur les revenus du capital au titre d'une cotisation au régime de sécurité sociale instauré par ledit État membre, alors qu'un investisseur non résident de ce État membre et qui relève d'un régime de sécurité sociale d'un État tiers à l'Union européenne reste soumis aux mêmes prélèvements, alors pourtant qu'il n'est pas affilié au régime de sécurité sociale instauré par cet État membre " ;

2°) d'annuler le jugement du Tribunal administratif de Paris n° 1610535 en date du 8 octobre 2018 ;

3°) de prononcer la restitution des prélèvements sociaux qu'elle a acquittés au titre de l'année 2012, à concurrence de la somme de 90 086 euros, assortie des intérêts moratoires ;

4°) de mettre à la charge de l'État une somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- non-résidente, elle a été assujettie aux prélèvements sociaux sur la plus-value immobilière réalisée lors de la cession en 2012 d'un bien qu'elle détenait à Paris ;

- elle n'entend pas se prévaloir des règlements européens n° 1408/71 et n° 883/2004 et des jurisprudences de Ruyter ou Jahin de la Cour de justice de l'Union européenne qui ne visent pas la situation d'un investisseur ;

- les règles européennes de coordination sociale ne concernent pas les investisseurs qui n'ont pas mis en oeuvre la libre circulation des personnes et elles ne peuvent donc pas justifier une différence de traitement entre investisseurs ;

- la liberté de circulation des capitaux garantie par l'article 63 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne est méconnue par les dispositions du I bis de l'article 136-7 du code de la sécurité sociale ;

- l'article 136-7 bis du code de la sécurité sociale, qui assujettit les non-résidents aux prélèvements sociaux à raison de leurs plus-values immobilières françaises, aboutit à ce que les capitaux ainsi investis en France subissent un traitement discriminatoire par rapport à celui réservé aux investissements réalisés par des résidents français et par les investisseurs résidents communautaires ;

- il y a lieu de poser une question préjudicielle à la Cour de justice de l'Union européenne ;

- à titre subsidiaire, la règle d'unicité d'affiliation issue du règlement de coordination n° 1408/71 est appliquée par l'administration fiscale en violation de ce règlement dès lors qu'elle se retrouve à acquitter des cotisations à fonds perdus ;

- le principe d'unicité d'affiliation ne s'appliquant pas aux résidents des États tiers, la règle qui leur est appliquée constitue une discrimination en fonction de la résidence ;

- son assujettissement aux prélèvements sociaux méconnaît l'accord franco-américain du 2 mars 1987 en matière de sécurité sociale.

Par un mémoire en défense enregistré le 29 mai 2019, le ministre de l'action et des comptes publics conclut au rejet de la requête de Mme B....

Il soutient que les moyens soulevés par la requérante ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;

- le règlement (CE) n° 1408/71 du Conseil du 14 juin 1971 ;

- le règlement (CE) n° 883/2004 du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 ;

- l'arrêt n° C-623/13 de la Cour de justice de l'Union européenne du 26 février 2015 ;

- l'arrêt n° C-45/17 de la Cour de justice de l'Union européenne du 18 janvier 2018 ;

- l'accord de sécurité sociale entre le gouvernement de la République française et le gouvernement des Etats-Unis d'Amérique du 2 mars 1987 ;

- l'ordonnance n° 96-50 du 24 janvier 1996, modifiée ;

- le code de la sécurité sociale ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. A...,

- les conclusions de M. Lemaire, rapporteur public,

- et les observations de Me E..., pour Mme B....

Considérant ce qui suit :

1. Mme B..., résidant aux États-Unis d'Amérique, a cédé le 14 novembre 2012 un bien immobilier situé au 72/74 rue Berzélius, à Paris 18ème. Elle fait appel du jugement en date du 8 octobre 2018 du Tribunal administratif de Paris rejetant sa demande de décharge des prélèvements sociaux d'un montant total de 90 086 euros, auxquels elle a été assujettie au titre de l'année 2012, à raison de la plus-value de cession réalisée lors de cette vente.

2. En premier lieu, aux termes du 1 de l'article 63 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne : " Dans le cadre des dispositions du présent chapitre, toutes les restrictions aux mouvements de capitaux entre les États membres et entre les États membres et les pays tiers sont interdites ". Aux termes du 1 de l'article 64 de ce traité : " L'article 63 ne porte pas atteinte à l'application, aux pays tiers, des restrictions existant le 31 décembre 1993 en vertu du droit national ou du droit de l'Union en ce qui concerne les mouvements de capitaux à destination ou en provenance de pays tiers lorsqu'ils impliquent des investissements directs, y compris les investissements immobiliers, l'établissement, la prestation de services financiers ou l'admission de titres sur les marchés des capitaux (...) ". Aux termes du 1 de l'article 65 du même traité : " L'article 63 ne porte pas atteinte au droit qu'ont les États membres : / a) d'appliquer les dispositions pertinentes de leur législation fiscale qui établissent une distinction entre les contribuables qui ne se trouvent pas dans la même situation en ce qui concerne leur résidence ou le lieu où leurs capitaux sont investis (...) ".

3. D'une part, par l'arrêt du 18 janvier 2018, Frédéric Jahin contre Ministre de l'économie et des finances, Ministre des affaires sociales et de la santé, n° C-45/17, la Cour de justice de l'Union européenne a jugé qu'une législation telle que la législation française relative à la contribution sociale généralisée sur les revenus du patrimoine, au prélèvement social sur les revenus du patrimoine et à la contribution additionnelle à ce prélèvement, qui réserve un traitement plus favorable aux ressortissants de l'Union qui sont affiliés à un régime de sécurité sociale d'un autre État membre, d'un État membre de l'Espace économique européen ou de la Suisse, qu'à ceux qui sont affiliés à un régime de sécurité sociale d'un État tiers, constitue une restriction à la libre circulation des capitaux entre un État membre et un État tiers, qui est, en principe, interdite par l'article 63 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne.

4. Elle a cependant jugé qu'une telle restriction à la libre circulation des capitaux entre un État membre et un État tiers était susceptible d'être justifiée, au regard des stipulations précitées de l'article 65, paragraphe 1, a), du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, par la différence de situation objective qui existe entre une personne physique, ressortissant d'un État membre, mais résidant dans un État tiers à l'Union européenne autre qu'un État membre de l'Espace économique européen ou la Suisse et qui y est affiliée à un régime de sécurité sociale, et un ressortissant de l'Union résidant et affilié à un régime de sécurité sociale dans un autre État membre.

5. Il s'ensuit que la circonstance qu'une personne affiliée à un régime de sécurité sociale d'un État tiers à l'Union européenne, autre que les États membres de l'Espace économique européen ou la Suisse soit soumise, comme les personnes affiliées à la sécurité sociale en France, aux prélèvements sur les revenus du capital prévus par la législation française entrant dans le champ du règlement du 29 avril 2004, alors qu'une personne relevant d'un régime de sécurité sociale d'un État membre autre que la France ne peut, compte tenu des dispositions de ce règlement, y être soumise, ne constitue pas une restriction aux mouvements de capitaux en provenance ou à destination des pays tiers, au sens de l'article 63 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne.

6. D'autre part, Mme B... soutient également que la soumission aux prélèvements sociaux sur les revenus du patrimoine des personnes affiliées à un régime de sécurité sociale d'un État autre que la Suisse ou que ceux qui font partie de l'Union européenne ou de l'Espace économique européen qui, contrairement aux personnes relevant du régime de sécurité sociale français, ne peuvent prétendre au bénéfice du régime de protection sociale français, est constitutive d'une restriction à la libre circulation des capitaux, prohibée par l'article 63 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, en ce qu'elle est susceptible de les dissuader d'effectuer des investissements immobiliers en France. Toutefois, les résidents d'un État tiers étant assujettis aux mêmes prélèvements sociaux sur leurs revenus du patrimoine que les résidents français, ils ne peuvent être regardés comme relevant d'un régime fiscal moins favorable susceptible de les dissuader de réaliser des opérations immobilières en France. Cette dissuasion ne saurait résulter de la circonstance que l'assujettissement aux prélèvements sociaux en litige ne leur ouvre pas droit aux prestations sociales en France. Dès lors, La requérante n'est pas non plus fondée à soutenir, pour ce motif, que les contributions en litige ont été mises à leur charge en méconnaissance du principe de libre circulation des capitaux énoncé à l'article 63 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne.

7. En deuxième lieu, aux termes de l'article 2 du règlement (CE) n° 1408/71 du Conseil du 14 juin 1971, relatif à l'application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l'intérieur de la Communauté dont la substance a été reprise à l'article 2 du règlement (CE) n° 883/2004 du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 : " 1. Le présent règlement s'applique aux travailleurs salariés ou non salariés et aux étudiants qui sont ou ont été soumis à la législation d'un ou de plusieurs États membres et qui sont des ressortissants de l'un des États membres (...) ".

8. Il résulte de ces dispositions, qui s'inscrivent dans le cadre de la libre circulation des personnes au sein de l'Union européenne, que le règlement ne s'applique pas à des personnes qui sont affiliées à un régime de sécurité sociale dans un État tiers à l'Union européenne, autre que les États membres de l'Espace économique européen ou la Suisse. Mme B..., ressortissante et résidente américaine, ne peut, par suite, utilement soutenir que la règle d'unicité d'affiliation serait appliquée en violation des règlements susmentionnés.

9. En troisième lieu, aux termes de l'article 5 de l'accord de sécurité sociale entre le gouvernement de la République française et le gouvernement des États-Unis d'Amérique signé le 2 mars 1987, entré en vigueur le 1er juillet 1988 : " Sauf disposition contraire au présent accord, une personne occupée sur le territoire de l'un des États contractants est, en ce qui concerne cet emploi, soumise uniquement à la législation de cet État contractant, même si cette personne réside sur le territoire de l'autre État contractant ou si le siège de l'employeur de cette personne se trouve sur le territoire de l'autre État contractant ".

10. La circonstance que l'article 5 précité de la convention instaurerait un principe d'unicité de la législation sociale pour les personnes ressortissantes de l'un des États partie à la convention occupant un emploi dans l'autre État ne peut, en l'absence d'exercice d'un emploi par Mme B..., avoir d'incidence sur le bien-fondé des prélèvements sociaux contestés. Contrairement à ce que soutient la requérante, les stipulations de l'article 5 de l'accord précité n'ont, en tout état de cause, ni pour objet, ni pour effet, de faire obstacle à ce que des revenus du patrimoine perçus par un résident américain soient soumis aux prélèvements sociaux prévus par la loi française. Mme B... n'est, dès lors, pas fondée à se prévaloir des stipulations de cet accord pour demander la décharge des prélèvements sociaux en litige.

11. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de poser, sur le fondement de l'article 267 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, une question préjudicielle à la Cour de justice de l'Union européenne, que Mme B... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'État, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, le versement de la somme que Mme B... demande au titre des frais qu'elle a exposés.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de Mme B... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... B... et au ministre de l'action et des comptes publics.

Copie en sera adressée au directeur régional des finances publiques d'Ile-de-France et du département de Paris (Pôle contrôle fiscal et affaires juridiques - service du contentieux d'appel déconcentré).

Délibéré après l'audience du 19 septembre 2019, à laquelle siégeaient :

- M. Formery, président de chambre,

- Mme Poupineau, président-assesseur,

- M. A..., premier conseiller.

Lu en audience publique, le 3 octobre 2019.

Le rapporteur,

F. A...Le président,

S.-L. FORMERY

Le greffier,

F. DUBUY

La République mande et ordonne au ministre de l'action et des comptes publics en ce qui le concerne, ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 18PA03836


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 18PA03836
Date de la décision : 03/10/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Contributions et taxes - Généralités - Textes fiscaux - Légalité et conventionnalité des dispositions fiscales.

Contributions et taxes - Impôts sur les revenus et bénéfices - Revenus et bénéfices imposables - règles particulières - Plus-values des particuliers - Plus-values immobilières.


Composition du Tribunal
Président : M. FORMERY
Rapporteur ?: M. François DORE
Rapporteur public ?: M. LEMAIRE
Avocat(s) : SELAS DE GAULLE FLEURANCE ET ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 08/10/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2019-10-03;18pa03836 ?
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