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19/06/2020 | FRANCE | N°18NT03344

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 2ème chambre, 19 juin 2020, 18NT03344


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C... G... épouse H... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 8 octobre 2015 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté son recours dirigé contre la décision du 14 juin 2015 prise par les autorités consulaires de l'ambassade de France en République démocratique du Congo refusant de délivrer à ses trois enfants allégués B... F..., Sarah Atosha Muhindo et Mado Atosha Asha des visas de long séjour en qualit

de membres de la famille d'un réfugié statutaire.

Par un jugement n° 1600893...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C... G... épouse H... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 8 octobre 2015 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté son recours dirigé contre la décision du 14 juin 2015 prise par les autorités consulaires de l'ambassade de France en République démocratique du Congo refusant de délivrer à ses trois enfants allégués B... F..., Sarah Atosha Muhindo et Mado Atosha Asha des visas de long séjour en qualité de membres de la famille d'un réfugié statutaire.

Par un jugement n° 1600893 du 6 décembre 2017, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire enregistrés les 3 septembre 2018 et 29 avril 2019, Mme C... G... épouse H..., représentée par Me D..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 6 décembre 2017 ;

2°) d'annuler la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France du 8 octobre 2015 ;

3°) d'enjoindre, sous astreinte, au ministre de l'intérieur de délivrer à ses enfants B... F..., Sarah Atosha Muhindo et Mado Atosha Asha les visas de long séjour sollicités, dans le délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ou subsidiairement et dans les mêmes conditions, de procéder au réexamen de leur demande ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 800 euros à verser à leur conseil en application des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Elle soutient que :

En ce qui concerne le refus de visa opposé aux jumeaux Mado et Sarah :

- le tribunal de grande instance de Kinshasa était bien compétent compte tenu de la déclaration tardive de leur naissance ;

- les défaillances de l'administration centrale et de l'état civil congolais ne sauraient lui être imputées et ne sont pas de nature à établir la fraude ;

- l'administration n'établit pas le caractère frauduleux des jugements supplétifs ;

En ce qui concerne le refus de visa opposé à B... :

- le tribunal de grande instance de Kinshasa était exceptionnellement compétent en l'espèce compte tenu de la déclaration tardive de sa naissance et des graves troubles qui sévissaient dans la région de Kivu ;

- l'administration n'établit pas le caractère frauduleux des jugements supplétifs ;

En ce qui concerne l'ensemble des enfants :

- la possession d'état doit être reconnue dès lors qu'elle n'a cessé de veiller sur ses enfants en prenant des nouvelles par téléphone et en faisant parvenir de l'argent par l'intermédiaire d'un tiers même si elle n'a pas gardé l'ensemble des justificatifs ; elle a toujours mentionné ses enfants et ce, dès le début de la procédure d'asile ;

- la décision contestée méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article 3-1 de la convention internationale de New-York du 26 janvier 1990 relative aux droits de l'enfant.

Par un mémoire enregistré le 25 mars 2019, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.

Il s'en remet à ses écritures de première instance.

Mme H... été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 2 juillet 2018.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu

­ le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

­ le code civil ;

­ la loi n° 91-62 du 10 juillet 1991 ;

­ le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. A...'hirondel a été entendu au cours de l'audience publique.

Une note en délibéré présentée par Mme C... G... épouse H... a été enregistrée le 5 juin 2020.

Considérant ce qui suit :

1. Mme C... G... épouse H..., née le 22 mai 1979, de nationalité congolaise (République démocratique du Congo), est entrée en France en juin 2002 où elle s'est vu reconnaître, en 2004, la qualité de réfugié. Les jeunes B... F..., Sarah Atosha Muhindo et Mado Atosha Asha , qu'elle présente comme ses enfants, ont sollicité, le 14 juin 2012, auprès des autorités consulaires françaises à Kinshasa la délivrance de visas pour établissement familial. Les autorités consulaires ont rejeté leur demande par une décision du 18 juin 2015, laquelle a été contestée devant la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France. Par une décision du 8 octobre 2015, la commission a rejeté ce recours. Mme H... relève appel du jugement du 6 décembre 2017 par lequel le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette dernière décision.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

2. L'article L. 111-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile prévoit, en son premier alinéa, que la vérification des actes d'état civil étrangers doit être effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil. L'article 47 du code civil dispose quant à lui que : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ".

3. Il résulte de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties. Pour juger qu'un acte d'état civil produit devant lui est dépourvu de force probante, qu'il soit irrégulier, falsifié ou inexact, le juge doit en conséquence se fonder sur tous les éléments versés au dossier dans le cadre de l'instruction du litige qui lui est soumis.

4. En premier lieu, pour refuser de délivrer les visas sollicités, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France s'est fondée sur le fait que les actes de naissance des demandeurs ont été établis suivant des jugements supplétifs rendus 14 ans et 11 ans après les naissances des enfants, sans explications circonstanciées et plusieurs années après l'obtention du statut de réfugiée de la requérante. De plus, les jugements supplétifs de 2014 ont été rendus sans explications circonstanciées 15 et 13 ans après les faits allégués et présentent des discordances, par rapport à ceux présentés en 2011 lors de la demande de visa, ce qui leur ôte tout caractère probant. Dans ces conditions, l'identité des demandeurs et leurs liens familiaux ne sont pas établis.

5. Un jugement supplétif d'acte de naissance n'ayant d'autre objet que de suppléer l'inexistence de cet acte, la commission ne pouvait utilement retenir, compte tenu de la nécessité de présenter un tel acte à l'appui des demandes de visa, la circonstance que les jugements supplétifs contenus dans les demandes ont été établis tardivement. Par ailleurs, il ne ressort pas des pièces du dossier que les documents d'état civil présentés à l'appui des demandes de visa présentaient entre eux des incohérences de nature à leur ôter tout caractère probant. Dans ces conditions, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France ne pouvait en déduire que l'identité des demandeurs et leurs liens familiaux n'étaient pas établis.

6. En second lieu, l'administration peut, en première instance comme en appel, faire valoir devant le juge de l'excès de pouvoir que la décision dont l'annulation est demandée est légalement justifiée par un motif, de droit ou de fait, autre que celui initialement indiqué, mais également fondé sur la situation existant à la date de cette décision. Il appartient alors au juge, après avoir mis à même l'auteur du recours de présenter ses observations sur la substitution ainsi sollicitée, de rechercher si un tel motif est de nature à fonder légalement la décision, puis d'apprécier s'il résulte de l'instruction que l'administration aurait pris la même décision si elle s'était fondée initialement sur ce motif. Dans l'affirmative, il peut procéder à la substitution demandée, sous réserve toutefois qu'elle ne prive pas le requérant d'une garantie procédurale liée au motif substitué.

7. D'une part, alors qu'ont été produits à l'appui des demandes de visa, et pour chacun des enfants concernés, des jugements supplétifs et des actes de naissances, le ministre ne saurait utilement contester la régularité des attestations de naissance délivrées par le bourgmestre de la commune de Barumbu les 18 mai 2009 et 25 août 2009, au motif qu'elles seraient de pure complaisance dès lors qu'ils ne constituent pas des actes d'état civil et ne présentent, par suite, aucune force probante particulière.

8. D'autre part, il n'appartient pas aux autorités administratives françaises de mettre en doute le bien-fondé d'une décision rendue par une autorité juridictionnelle étrangère, hormis le cas où le document produit aurait un caractère frauduleux. Pour les jeunes Sarah et Mado ont été notamment produits les jugements supplétifs rendus le 6 septembre 2010 par le tribunal de grande instance de Kinshasa et les actes de naissance du 22 novembre 2010 délivrés au vu de ces jugements. Le ministre n'établit pas, ni même n'allègue que ces jugements présenteraient un caractère frauduleux. De même, la circonstance que pour la jeune B..., le tribunal de grande instance de Kinshasa ait excédé le champ de sa compétence territoriale ne saurait établir, à elle seule, que ce jugement aurait été obtenu frauduleusement alors qu'au surplus, la requérante soutient, sans être utilement contredite, qu'en raison des graves conflits sévissant dans la région de Kivu où est né l'enfant, les autorités judiciaires de Kinshasa délivrent, à titre dérogatoire, les actes d'état civil pour cette région.

9. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que Mme H... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

10. Le présent arrêt implique pour son exécution, eu égard au motif d'annulation retenu, qu'il soit enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer un visa de long séjour aux jeunes B... F..., Sarah Atosha Muhindo et Mado Atosha Asha dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt, sans qu'il y ait lieu d'assortir cette injonction de l'astreinte demandée.

Sur les frais liés au litige :

11. Mme H... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 200 euros à Me D... dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et à l'article 108 du décret du 19 décembre 1991.

D É C I D E :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Nantes du 6 décembre 2017 et la décision de la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France du 8 octobre 2015 sont annulés.

Article 2 : Il est enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer un visa de long séjour aux jeunes B... F..., Sarah Atosha Muhindo et Mado Atosha Asha dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 3 : Le versement de la somme de 1 200 euros à Me D... est mis à la charge de l'Etat dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et à l'article 108 du décret du 19 décembre 1991.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... G... épouse H... et au ministre de l'intérieur.

Délibéré après l'audience du 2 juin 2020, à laquelle siégeaient :

- M. Pérez, président,

- M. A...'hirondel, premier conseiller,

- M. Giraud, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 19 juin 2020.

Le rapporteur,

M. E...Le président,

A. PEREZ

Le greffier,

A. BRISSET

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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N° 18NT03344


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 18NT03344
Date de la décision : 19/06/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. PEREZ
Rapporteur ?: M. Michel LHIRONDEL
Rapporteur public ?: M. DERLANGE
Avocat(s) : RENARD OLIVIER

Origine de la décision
Date de l'import : 28/07/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2020-06-19;18nt03344 ?
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