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19/06/2020 | FRANCE | N°18MA04992

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 7ème chambre, 19 juin 2020, 18MA04992


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Marseille d'annuler la décision du 9 août 2016 par laquelle l'inspecteur du travail a autorisé son licenciement pour motif économique.

Par un jugement n° 1608040 du 2 octobre 2018, le tribunal administratif de Marseille a rejeté cette demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 28 novembre 2018, sous le n° 18MA04992, Mme A... représentée par Me D... demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du

tribunal administratif de Marseille du 2 octobre 2018 ;

2°) d'annuler la décision du 9 août 2016 ; ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Marseille d'annuler la décision du 9 août 2016 par laquelle l'inspecteur du travail a autorisé son licenciement pour motif économique.

Par un jugement n° 1608040 du 2 octobre 2018, le tribunal administratif de Marseille a rejeté cette demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 28 novembre 2018, sous le n° 18MA04992, Mme A... représentée par Me D... demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Marseille du 2 octobre 2018 ;

2°) d'annuler la décision du 9 août 2016 ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le tribunal n'a pas répondu au moyen tiré de ce qu'aucune démarche aux fins de recherche préalable de reclassement n'a été entreprise par la direction entre janvier et août 2016 ;

- les premiers juges ne pouvaient retenir, comme l'inspecteur du travail, son absence de réponse pour considérer que la société Avenir Télécom avait respecté son obligation de reclassement et sur le caractère individualisé des recherches de reclassement ;

- ils ont fait une inexacte appréciation des faits de l'espèce concernant les recherches effectives de reclassement de l'employeur auprès de l'ensemble des filiales du groupe ;

- la décision contestée est entachée de l'incompétence de son auteur ;

- elle est insuffisamment motivée s'agissant du contrôle sur l'obligation de reclassement ;

- l'inspecteur du travail a commis une erreur d'appréciation dans le contrôle du respect de la procédure d'information et de consultation du comité d'hygiène de sécurité et des conditions de travail qui n'a pas disposé du délai de quinze jours fixé à l'article L. 4312-8 du code du travail pour se prononcer sur le projet de réorganisation et émettre son avis ;

- il a commis une erreur d'appréciation dans le contrôle des règles relatives à l'ordre de licenciement et, par suite, de l'effectivité de la suppression de son poste ;

- par un jugement du 12 juillet 2016, le tribunal administratif de Marseille a annulé la décision de la DIRECCTE portant homologation du document unilatéral ;

- l'inspecteur du travail a commis une erreur d'appréciation dans le contrôle du respect par l'employeur de ses obligations dans le processus de reclassement interne ;

- la décision contestée est entachée d'une erreur de fait dès lors qu'elle a répondu positivement au questionnaire de la société Avenir Télécom ;

- l'inspecteur du travail n'a pas exercé de contrôle sur le périmètre d'appréciation de l'obligation de reclassement ;

- il n'a pas exercé de contrôle sur le caractère sérieux et exhaustif des recherches de reclassement ;

- les offres de reclassement de la société Avenir Télécom sont fantaisistes, imaginaires et dépourvues de toute loyauté ;

- l'employeur ne justifie pas avoir recherché des possibilités de reclassement jusqu'à la date de licenciement ;

- l'inspecteur du travail n'a pas exercé de contrôle du respect par l'employeur de ses obligations en matière de reclassement externe ;

- il n'a pas vérifié si la commission territoriale de l'emploi avait été effectivement informée et saisie par l'employeur ;

- il n'a pas contrôlé la légèreté blâmable de l'employeur à l'origine des difficultés économiques de la société Avenir Télécom.

Par un mémoire en défense, enregistré le 11 février 2019, la société Avenir Télécom et Me F... en sa qualité d'administrateur judiciaire, représentés par Me E... et Me G... concluent au rejet de la requête de Mme A... et demandent à la Cour de mettre à sa charge la somme de 5 000 euros au titre de L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- la Cour est incompétente pour examiner le moyen tiré de la légèreté blâmable de l'employeur qui est, par suite, irrecevable ;

- les autres moyens soulevés par Mme A... ne sont pas fondés.

La requête a été communiquée à la ministre du travail qui n'a pas produit de mémoire.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code du travail ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme I...,

- les conclusions de M. Chanon, rapporteur public,

- et les observations de Me D... pour Mme A... et de Me C... substituant Me E... pour la société Avenir Telecom et Me F....

Une note en délibéré présentée pour la société Avenir Telecom et Me F... a été enregistrée le 8 juin 2020.

Considérant ce qui suit :

1. Mme A..., recrutée en 2007 par la société Avenir Télécom, spécialisée dans le négoce de produits et de services liés à la téléphonie mobile et au multimédia, occupait en dernier lieu le poste de responsable comptable et exerçait les mandats de membre titulaire du comité d'entreprise, déléguée du personnel et de membre du comité d'hygiène de sécurité et des conditions de travail (CHSCT). Par un jugement du 4 janvier 2016, le tribunal de commerce de Marseille a placé la société Avenir Télécom en redressement judiciaire, ouvrant une période d'observation de six mois durant laquelle elle a été autorisée à poursuivre son activité. Le même jugement a désigné Me F... comme administrateur judiciaire de la société. Par une décision du 1er mars 2016, le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi de Provence-Alpes-Côte d'Azur a homologué le document unilatéral fixant le plan de sauvegarde de l'emploi. La société Avenir Télécom a été autorisée par une ordonnance du 8 mars 2016 du juge commissaire au redressement judiciaire, à procéder au licenciement de deux cents cinquante-cinq salariés pour motif économique. Par deux jugements du 12 juillet 2016, le tribunal administratif de Marseille a annulé la décision d'homologation du document unilatéral. Ces jugements ont été annulés par un arrêt du 1er décembre 2016 de la Cour. Toutefois, par une décision du 22 mai 2019, le Conseil d'Etat a annulé cet arrêt de la Cour pour erreur de droit, ainsi que les deux jugements précités du tribunal et a rejeté les demandes des requérants. Par courrier du 28 juin 2016, la société Avenir Télécom et Me F... ont demandé à l'inspecteur du travail l'autorisation de licencier Mme A.... Par une décision du 9 août 2016, l'inspecteur du travail a autorisé ce licenciement pour motif économique. Mme A... relève appel du jugement du 2 octobre 2018 du tribunal administratif de Marseille qui a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision du 9 août 2016.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

2. En vertu des dispositions du code du travail, le licenciement des salariés qui bénéficient d'une protection exceptionnelle dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent, ne peut intervenir que sur autorisation de l'inspecteur du travail. Lorsque le licenciement d'un de ces salariés est envisagé, ce licenciement ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou l'appartenance syndicale de l'intéressé. Dans le cas où la demande de licenciement est fondée sur un motif de caractère économique, il appartient à l'inspecteur du travail et, le cas échéant, au ministre, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si la situation de l'entreprise justifie le licenciement du salarié, en tenant compte notamment de la nécessité des réductions envisagées d'effectifs et de la possibilité d'assurer le reclassement du salarié dans l'entreprise ou au sein du groupe auquel appartient cette dernière.

3. Aux termes de l'article L. 1233-4 du code du travail : " Le licenciement pour motif économique d'un salarié ne peut intervenir que lorsque tous les efforts de formation et d'adaptation ont été réalisés et que le reclassement de l'intéressé ne peut être opéré sur les emplois disponibles, situés sur le territoire national dans l'entreprise ou les autres entreprises du groupe dont l'entreprise fait partie. / Le reclassement du salarié s'effectue sur un emploi relevant de la même catégorie que celui qu'il occupe ou sur un emploi équivalent assorti d'une rémunération équivalente. A défaut, et sous réserve de l'accord exprès du salarié, le reclassement s'effectue sur un emploi d'une catégorie inférieure. / Les offres de reclassement proposées au salarié sont écrites et précises ". Aux termes de l'article L. 1233-4-1 du même code : " Lorsque l'entreprise ou le groupe dont l'entreprise fait partie comporte des établissements en dehors du territoire national, le salarié dont le licenciement est envisagé peut demander à l'employeur de recevoir des offres de reclassement dans ces établissements. Dans sa demande, il précise les restrictions éventuelles quant aux caractéristiques des emplois offerts, notamment en matière de rémunération et de localisation. L'employeur transmet les offres correspondantes au salarié ayant manifesté son intérêt. Ces offres sont écrites et précises. / (...)".

4. Il résulte de ces dispositions que, pour apprécier si l'employeur a satisfait à son obligation de moyen renforcée en matière de reclassement de salarié protégé, l'autorité administrative doit s'assurer, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, qu'il a procédé à une recherche sérieuse des possibilités de reclassement du salarié protégé, tant au sein de l'entreprise que dans les entreprises du groupe auquel elle appartient, ce dernier étant entendu, à ce titre, comme les entreprises dont l'organisation, les activités ou le lieu d'exploitation permettent, en raison des relations qui existent avec elles, d'y effectuer la permutation de tout ou partie de son personnel.

5. Il ressort des pièces du dossier que la société Avenir Télécom, seule société du groupe disposant d'établissements, n'étant pas en mesure de proposer un poste de reclassement en interne compte tenu de la fermeture de la quasi-totalité de ses établissements sur le territoire national constitués par des points de vente, a interrogé ses filiales à l'étranger en vue de savoir si elles avaient des possibilités d'emplois disponibles. Elle a, par ailleurs, adressé à Mme A... une lettre du 11 mars 2016 qui lui a été remise en main propre, lui demandant si elle souhaitait recevoir des offres de reclassement hors du territoire national, de bien vouloir remplir un questionnaire de mobilité à l'étranger, plus particulièrement en Espagne, au Portugal, en Roumanie et en Bulgarie, lui fixant un délai de sept jours pour y répondre. Il ressort de la décision contestée que l'inspecteur du travail a estimé que Mme A... n'avait pas donné suite à cette proposition et qu'ainsi, la réalité des efforts de reclassement de l'employeur était établie. Toutefois, Mme A... conteste ce motif en soutenant qu'elle a répondu à ce questionnaire en indiquant qu'elle acceptait des postes en Espagne, au Portugal et en Bulgarie. Si la réponse au questionnaire, lequel était joint à un courrier de la société du 11 mars 2016, ne figure pas au dossier, il ressort tant de la lettre de la société Avenir Télécom du 17 mars 2016 adressée à l'intéressée que de la demande d'autorisation de licenciement du 28 juin 2016 que Mme A... a accepté de recevoir des offres de reclassement dans ces trois pays, mais que des postes correspondants à ses compétences professionnelles et aux souhaits exprimés dans cette réponse n'ont pu être identifiés par l'employeur. Au demeurant l'article L. 1233-4-1 du code du travail, dans sa rédaction applicable au litige impose au salarié de manifester auprès de l'employeur son intérêt pour des postes à l'étranger et non à l'employeur de solliciter l'intéressé pour savoir s'il accepte de recevoir de telles offres. Dans ces conditions, la décision en litige est entachée d'erreur de fait. L'inspecteur du travail n'a dès lors pas contrôlé les affirmations de l'employeur sur l'impossibilité de reclassement dans les pays pour lesquelles Mme A... avait manifesté son intérêt. La décision de l'inspecteur du travail du 9 août 2016 est par suite entachée d'illégalité.

6. Il résulte de tout ce qui précède sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres moyens de la requête que Mme A... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 9 août 2016.

Sur les frais liés au litige :

7. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de Mme A..., qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, la somme demandée par la société Avenir Télécom au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros au titre des frais exposés par Mme A... et non compris dans les dépens.

D É C I D E :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Marseille du 2 octobre 2018 et la décision du 9 août 2016 de l'inspecteur du travail sont annulés.

Article 2 : L'Etat versera à Mme A... une somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Les conclusions de la société Avenir Télécom présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A..., à la société Avenir Télécom, à Me F... et à la ministre du travail.

Délibéré après l'audience du 5 juin 2020, où siégeaient :

- M. Pocheron, président de chambre,

- M. Guidal, président assesseur,

- Mme I..., première conseillère.

Lu en audience publique, le 19 juin 2020.

2

N° 18MA04992

bb


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 7ème chambre
Numéro d'arrêt : 18MA04992
Date de la décision : 19/06/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

66-07-01-04-03 Travail et emploi. Licenciements. Autorisation administrative - Salariés protégés. Conditions de fond de l'autorisation ou du refus d'autorisation. Licenciement pour motif économique.


Composition du Tribunal
Président : M. POCHERON
Rapporteur ?: Mme Jacqueline MARCHESSAUX
Rapporteur public ?: M. CHANON
Avocat(s) : SELARL GOLDMANN ET ASSOCIÉS

Origine de la décision
Date de l'import : 27/06/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2020-06-19;18ma04992 ?
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