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25/08/2020 | FRANCE | N°18LY03229

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 6ème chambre, 25 août 2020, 18LY03229


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Pacifica a demandé au tribunal administratif de Dijon de condamner le centre hospitalier de Chalon-sur-Saône à lui verser la somme de 418 757,11 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 14 février 2011, de réserver ses droits quant au remboursement des sommes qui pourraient être mises à sa charge par le tribunal de grande instance de Lyon, saisi par la victime pour la liquidation des préjudices résultant d'une aggravation de son état de santé, subsidiairement d'ordonner un

e expertise ayant pour objet de déterminer les préjudices strictement imputable...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Pacifica a demandé au tribunal administratif de Dijon de condamner le centre hospitalier de Chalon-sur-Saône à lui verser la somme de 418 757,11 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 14 février 2011, de réserver ses droits quant au remboursement des sommes qui pourraient être mises à sa charge par le tribunal de grande instance de Lyon, saisi par la victime pour la liquidation des préjudices résultant d'une aggravation de son état de santé, subsidiairement d'ordonner une expertise ayant pour objet de déterminer les préjudices strictement imputables au centre hospitalier de Chalon-sur-Saône et de mettre à la charge de cet établissement de santé, outre les entiers dépens, la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 1602648 du 20 juin 2018, le tribunal administratif de Dijon a condamné le centre hospitalier de Chalon-sur-Saône à verser à la société Pacifica une somme de 406 457,11 euros, augmentée des intérêts légaux à compter du 14 février 2011, a mis à la charge du centre hospitalier de Chalon-sur-Saône le versement à la société Pacifica d'une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et a rejeté le surplus des conclusions des parties.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 20 août 2018 et un mémoire enregistré le 22 octobre 2018, le centre hospitalier de Chalon-sur-Saône, représenté par Me Le Prado, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1602648 du 20 juin 2018 du tribunal administratif de Dijon ;

2°) de rejeter les conclusions de la société Pacifica.

Il soutient que :

- statuant sur les conclusions indemnitaires, le tribunal administratif a examiné les prétentions de la société Pacifica sans avoir préalablement recherché si le centre hospitalier de Chalon-sur-Saône pouvait être regardé comme ayant commis des fautes dans la prise en charge de M. A... et s'il existait un lien de causalité direct et certain entre ces fautes éventuelles et les préjudices invoqués ; il n'a pas davantage recherché si ces préjudices pouvaient être imputables, au moins partiellement, aux fautes commises par des tiers, et en particulier par l'auteur de l'accident automobile ; le jugement attaqué est ainsi entaché d'une insuffisance de motivation ;

- le tribunal administratif ne pouvait se fonder exclusivement sur une expertise non contradictoire réalisée pour le compte et à la demande de la société Pacifica ;

- les éléments d'analyse de l'expertise du docteur Sales mettent en évidence que la gangrène et l'amputation de M. A... ne résultent pas d'abord d'un retard de diagnostic mais avant tout de l'accident, qui a entraîné la luxation du genou droit de l'intéressé et une rupture de l'artère poplitée ; l'amputation subie par le patient résulte ainsi en premier lieu de l'accident automobile dont il a été victime et en second lieu d'un possible accident médical relevant de la solidarité nationale ; dès lors, la responsabilité du centre hospitalier ne saurait être engagée ;

- subsidiairement, c'est à tort que les premiers juges ont écarté l'exception de chose jugée dès lors qu'il y a bien identité de parties et d'objet avec le litige, auquel la société Pacifica était intervenue, ayant donné lieu au jugement rendu le 27 janvier 2011 par le tribunal administratif de Dijon ;

- l'autorité de la chose jugée faisait obstacle à ce que le centre hospitalier de Chalon-sur-Saône soit condamné à indemniser les préjudices moraux de M. A..., notamment ses préjudices esthétique, d'agrément, sexuel et d'établissement, ainsi que les préjudices liés aux dépenses de santé de l'intéressé ; il conviendra donc, à tout le moins, de retrancher les indemnités accordées à ce titre à la société Pacifica à hauteur de 170 288,53 euros ;

- plus subsidiairement, les sommes allouées sont excessives ;

- le préjudice financier résultant des frais médicaux et des frais d'hospitalisation ne peut en aucun cas être imputé au centre hospitalier dès lors que l'hospitalisation de M. A... trouve sa cause uniquement dans l'accident automobile dont il a été victime ; à tout le moins devront être déduits de la somme accordée par le tribunal les frais d'hospitalisation correspondant à la période antérieure aux complications dont M. A... a été victime, soit une somme de 3 279,79 euros ;

- le préjudice lié aux frais futurs, évalués à la somme de 53 680,44 euros, présente un caractère purement hypothétique ; ainsi, ce préjudice devra être ramené à la somme de 65 507,21 euros ;

- si la responsabilité du centre hospitalier devait être engagée, son niveau de responsabilité pourrait être fixé à 25 %, la responsabilité de l'automobiliste à l'origine de l'accident ne pouvant être inférieure à 75 % ;

- dans ces conditions, la part du préjudice correspondant aux frais d'hospitalisation et aux frais médicaux que le centre hospitalier pourrait être condamné à indemniser ne saurait être supérieure à 16 376,80 euros ;

- il n'est pas justifié de la réalité ni de la consistance du préjudice vestimentaire subi par la victime du fait du port d'une prothèse ; il en va de même s'agissant des préjudices au titre de l'adaptation du véhicule et du logement de l'intéressé ;

- le préjudice de réorientation professionnelle subi par M. A... présente un caractère exclusivement moral qui ne saurait être indemnisé à une somme globale supérieure à 20 000 euros ; compte tenu du partage de responsabilité, la part du centre hospitalier ne saurait excéder 5 000 euros ;

- compte tenu du partage de responsabilité, la part du centre hospitalier dans l'indemnisation du déficit fonctionnel temporaire ne saurait excéder la somme de 1 512,50 euros ;

- compte tenu du partage de responsabilité, la part du centre hospitalier dans l'indemnisation du déficit fonctionnel permanent de M. A..., évalué à 30 % et pouvant être indemnisé à hauteur de 30 000 euros, ne saurait excéder la somme de 7 500 euros ;

- compte tenu du partage de responsabilité, la part du centre hospitalier dans l'indemnisation des souffrances endurées, dont l'indemnisation pourra être évaluée à 5 500 euros, ne saurait excéder la somme de 1 375 euros ;

- le préjudice esthétique pourra être ramené à la somme de globale de 4 000 euros, la somme restant à la charge du centre hospitalier ne pouvant excéder 1 000 euros ;

- la réalité des préjudices d'agrément, sexuel et d'établissement, n'est pas rapportée ;

- la somme mise à sa charge au titre de l'aggravation du préjudice de M. A... ne saurait être supérieure à 7 500 euros.

Par un mémoire en défense enregistré le 8 février 2019, la société Pacifica, représentée par Me B..., conclut :

1°) au rejet de la requête ;

2°) par la voie de l'appel incident, à l'annulation du jugement du 20 juin 2018 en ce que le tribunal administratif de Dijon n'a pas fait droit à l'intégralité de sa demande indemnitaire ;

3°) à la condamnation du centre hospitalier de Chalon-sur-Saône à lui verser la somme de 418 457,11 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 14 février 2011, eux-mêmes capitalisés ;

4°) à ce que ses droits soient réservés s'agissant du remboursement des sommes qui pourraient être mises à sa charge par le tribunal de grande instance de Lyon, saisi par la victime pour la liquidation des préjudices résultant d'une aggravation de son état ;

5°) à ce que la somme de 8 000 euros, outre les entiers dépens, soit mise à la charge du centre hospitalier de Chalon-sur-Saône au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la responsabilité du centre hospitalier de Chalon-sur-Saône a été retenue par le jugement du tribunal administratif de Dijon du 27 janvier 2011, devenu définitif, de sorte que le centre hospitalier n'est pas recevable à contester sa responsabilité ;

- le retard de diagnostic et l'absence d'intervention chirurgicale dans les délais ont été constitutifs d'une faute à l'origine directe de l'amputation de M. A... ; le centre hospitalier doit être condamné à réparer l'intégralité des préjudices en lien avec cette amputation ;

- elle est subrogée dans les droits de la victime, à concurrence des sommes qu'elle lui a réglées, et est ainsi fondée à exercer un recours subrogatoire à l'encontre du centre hospitalier de Chalon-sur-Saône pour les sommes strictement imputables à la faute de cet établissement ;

- il n'existe pas d'identité d'objet entre l'instance qui a donné lieu au jugement du tribunal administratif de Dijon du 27 janvier 2011 initiée par la victime, et non par la société Pacifica et à l'occasion de laquelle celle-ci n'avait pas présenté de demande indemnitaire à l'égard du centre hospitalier, et la présente instance ; aucune demande n'avait été présentée par l'une des parties au titre des dépenses de santé dans cette première instance ; la demande qui avait été présentée par M. A... concernait un chef de préjudice qui ne fait pas l'objet du présent recours subrogatoire ; ainsi, il n'y a ni identité de parties ni identité d'objet ; l'exception d'autorité de la chose juge doit être écartée ;

- elle a droit, au titre des dépenses de santé qu'elle a versées à la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) de Saône-et-Loire :

* à la somme de 25 192,83 euros au titre des frais médicaux postérieurs à l'amputation, en date du 7 janvier 2000, et imputables à la faute du centre hospitalier ;

* à la somme de 43 594,17 euros au titre des frais d'hospitalisation imputables à la faute commise par le centre hospitalier de Chalon-sur-Saône ;

* à la somme de 53 680,44 euros au titre des frais futurs, ainsi qu'il résulte de l'accord qu'elle a conclu le 30 novembre 2001 avec la CPAM de Saône-et-Loire ;

- elle a droit, au titre du préjudice initial de M. A... :

* à la somme de 43,09 euros au titre des dépenses de santé restées à la charge de la victime, correspondant à l'achat de bonnets couvre-moignon, de coussinets et de pommade, allouée à M. A... par l'arrêt de la Cour d'appel de Dijon du 19 mai 2011, devenu définitif ;

* à la somme de 14 778 euros au titre de l'acquisition et du renouvellement d'une prothèse de bain, allouée à M. A... par l'arrêt de la Cour d'appel de Dijon du 19 mai 2011 ;

* à la somme de 3 000 euros au titre du préjudice vestimentaire subi par M. A... du fait de l'usure prématurée de ses pantalons, compte tenu du port d'une prothèse, et mise à sa charge par le jugement du tribunal correctionnel de Chalon-sur-Saône du 12 février 2004 ;

* à la somme de 100 000 euros allouée à M. A... par l'arrêt de la Cour d'appel de Dijon du 19 mai 2011 au titre du préjudice professionnel subi ;

* à la somme de 10 117,96 euros allouée à M. A... par l'arrêt de la Cour d'appel de Dijon du 19 mai 2011, au titre des frais de véhicule adapté ;

* à la somme de 2 750,62 euros allouée à M. A... par l'arrêt de la Cour d'appel de Dijon du 19 mai 2011, au titre des frais d'adaptation de son logement ;

* à la somme de 6 050 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire subi par M. A... du fait de l'amputation, ainsi qu'il résulte de l'arrêt de la Cour d'appel de Dijon du 19 mai 2011 ;

* à la somme de 71 250 euros au titre du déficit fonctionnel permanent de M. A... et imputable à hauteur de 30 % au retard de diagnostic fautif ;

* à la somme de 13 000 euros au titre des souffrances endurées par M. A... du fait de l'amputation de sa jambe, compte tenu de la somme mise à la mise à la charge de la société Pacifica par le jugement du tribunal correctionnel de Chalon-sur-Saône du 12 février 2004 ;

* à la somme de 8 000 euros allouée par le jugement du tribunal correctionnel de Chalon-sur-Saône du 12 février 2004 à M. A... au titre du préjudice esthétique définitif, entièrement imputable à la faute commise par le centre hospitalier ;

* à la somme de 25 000 euros, allouée par le jugement du tribunal correctionnel de Chalon-sur-Saône du 12 février 2004 à M. A... au titre des préjudices d'agrément, sexuel et d'établissement, entièrement imputables à la faute commise par le centre hospitalier ;

- elle a droit à la somme de 12 000 euros au titre des honoraires d'avocats, de médecins et de frais d'expertise judiciaire mise à la charge de la société Pacifica ;

- compte tenu de l'aggravation de l'état de santé de M. A... en lien avec des complications osseuses au niveau du moignon, elle a droit à la somme de 30 000 euros, correspondant à la provision qu'elle a versée à M. A... en application de l'arrêt de la cour d'appel de Lyon du 25 janvier 2011.

Par ordonnance du 16 janvier 2020, la clôture d'instruction a été fixée au 4 février 2020.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code des assurances ;

- le code civil ;

- le code de la santé publique ;

- le code de justice administrative.

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Pin, premier conseiller,

- les conclusions de Mme Vigier-Carrière, rapporteur public,

- et les observations de Me C..., représentant la société Pacifica.

Une note en délibéré, présentée pour la société Pacifica, a été enregistrée le 3 juillet 2020.

Considérant ce qui suit :

1. Le 1er janvier 2000, M. A... a été victime d'un accident de la circulation alors qu'il était piéton et a été hospitalisé au centre hospitalier de Chalon-sur-Saône. Par un premier jugement du tribunal correctionnel de Chalon-sur-Saône du 12 février 2004 statuant sur intérêts civils, devenu définitif, le conducteur responsable de l'accident et la société Pacifica, son assureur, ont été condamnés solidairement à verser à M. A... une indemnité de 51 391,29 euros en réparation de son préjudice personnel. Par un second jugement du tribunal correctionnel de Chalon-sur-Saône statuant sur les seuls intérêts civils, en date du 10 juin 2010, partiellement réformé par un arrêt de la cour d'appel de Dijon du 19 mai 2011, devenu définitif, le montant des préjudices patrimoniaux et extrapatrimoniaux subis par M. A... et non indemnisés par le jugement du 12 février 2004, a été fixé à la somme totale de 264 464,67 euros, au versement de laquelle le conducteur a été condamné, déduction faite des provisions déjà accordées à hauteur de la somme totale de 160 489,80 euros. La société Pacifica, subrogée dans les droits de la victime par le double effet de la subrogation dans les droits du conducteur responsable et de la subrogation dans les droits de la victime dont elle a bénéficié lorsque la dette à l'égard de cette dernière a été acquittée, a demandé au tribunal administratif de Dijon la condamnation du centre hospitalier de Chalon-sur-Saône à lui rembourser une partie de ses débours, en soutenant que les séquelles conservées par l'intéressé du fait de son amputation étaient dues à un retard fautif de diagnostic commis par les médecins de l'établissement. Le centre hospitalier de Chalon-sur-Saône relève appel du jugement du 20 juin 2018 par lequel le tribunal administratif de Dijon l'a condamné à verser à la société Pacifica une somme de 406 457,11 euros.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Aux termes de l'article L. 9 du code de justice administrative : " Les jugements sont motivés ". Une décision juridictionnelle ne peut être motivée par simple référence à une autre décision rendue par la même juridiction dans un autre litige, même lorsque les parties sont identiques.

3. Pour faire droit à la demande indemnitaire présentée par la société Pacifica tendant à la condamnation pour faute du centre hospitalier de Chalon-sur-Saône, les premiers juges ont relevé que, par un jugement du 27 janvier 2011, le tribunal administratif de Dijon a statué sur " une demande indemnitaire de M. A... en réparation du préjudice moral résultant de la perte de sa jambe et du défaut d'information qu'il estimait avoir subis des suites de sa prise en charge au centre hospitalier de Chalon-sur-Saône " et " que ce dernier a été déclaré responsable d'un retard de diagnostic et, par suite, de l'amputation de la jambe droite ". Dès lors, en s'étant borné à se référer à une autre décision juridictionnelle rendue dans un autre litige, sans apprécier, eu égard au litige qui lui était soumis, si la responsabilité du centre hospitalier de Chalon-sur-Saône était de nature à être engagée, ni sans se prononcer sur le lien de causalité entre la faute retenue et les préjudices invoqués, le tribunal administratif, n'a, eu égard en outre à l'argumentation dont il était saisi en défense par le centre hospitalier, pas suffisamment motivé le jugement attaqué.

4. Il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par la société Pacifica devant le tribunal administratif de Dijon.

Sur la responsabilité du centre hospitalier de Chalon-sur-Saône :

5. Il résulte de l'instruction, et notamment du rapport de l'expertise ordonnée par le juge des référés du tribunal administratif de Dijon le 4 décembre 2003, que la lésion artérielle dont souffrait M. A... à la suite de son accident de la circulation n'a pas été diagnostiquée lors de sa prise en charge par le centre hospitalier de Chalon-sur-Saône le 1er janvier 2000 à 3h15, alors que, compte tenu de ce que l'intéressé souffrait d'une fracture du bassin et présentait un pied froid, les règles de l'art imposaient la recherche en urgence d'une lésion sous-jacente. Cette lésion n'a pas davantage été diagnostiquée par le chirurgien orthopédiste qui l'a examiné durant la matinée du 1er janvier 2000, alors que le patient souffrait d'une luxation du genou, qui aurait dû être décelée, et que la rupture de l'artère poplitée constitue la complication principale d'une telle luxation. Ainsi, contrairement à ce que soutient le centre hospitalier, la fracture du bassin ne saurait expliquer le retard de diagnostic de la lésion artérielle en cause. Cette ischémie aiguë, sous-évaluée par le praticien du centre hospitalier, nécessitait l'exécution d'un geste chirurgical dans un délai impératif, selon l'expert, au maximum de douze heures, au besoin en transférant le patient dans un autre centre hospitalier qui n'aurait pas été saturé à cette date, un transfert dans un centre hospitalier à Macon, ou à Lyon, n'ayant pas été envisagé, ainsi que le relève l'expert. Un pontage artériel n'a été pratiqué que tardivement, dans la soirée du 1er janvier 2000. Ces erreurs dans la prise en charge des lésions vasculaires de M. A... ont présenté le caractère de fautes médicales. Le centre hospitalier n'apporte pas d'éléments de nature à contredire le rapport d'expertise qui précise qu'un pontage effectué dans les délais aurait réussi, compte tenu du jeune âge du patient, non atteint de causes de comorbidité, et de la circonstance que le pontage réalisé dans la soirée du 1er janvier 2000 ne s'était pas bouché à l'issue d'une période de sept jours. Alors même que la gravité de la blessure au genou de M. A... aurait pu entraîner des séquelles en termes de flexion de l'articulation, le retard apporté à la reperméabilisation artérielle est, contrairement à ce qui est soutenu, la cause directe de l'état septicémique sévère du patient, affecté d'une gangrène humide de la totalité des muscles de son membre inférieur droit, qui a conduit, le 7 janvier 2000, à son amputation en urgence après qu'il a été pris en charge par les Hospices civils de Lyon. Par suite, le dommage causé par l'amputation de la jambe droite de M. A... engage l'entière responsabilité du centre hospitalier de Chalon-sur-Saône.

Sur l'exception de chose jugée opposée par le centre hospitalier de Chalon-sur-Saône :

6. Aux termes de l'article L. 121-12 du code des assurances : " L'assureur qui a payé l'indemnité d'assurance est subrogé, jusqu'à concurrence de cette indemnité, dans les droits et actions de l'assuré contre les tiers qui, par leur fait, ont causé le dommage ayant donné lieu à la responsabilité de l'assureur. (...) ". L'assureur d'un conducteur automobile, auteur d'un dommage, ayant indemnisé la victime d'un accident de la voie publique à la suite d'une décision de la juridiction judiciaire peut exercer une action subrogatoire contre une personne publique coauteur du dommage. Il se trouve subrogé dans les droits de la victime par le double effet de la subrogation dans les droits de l'assuré, en vertu des dispositions de l'article L. 121-12 du code des assurances, et de la subrogation dans les droits de la victime dont il a bénéficié lorsque la dette à l'égard de cette dernière a été acquittée.

7. L'autorité relative de la chose jugée peut être invoquée à l'encontre de toutes les personnes qui ont été partie en la même qualité dans l'instance qui a donné lieu à la décision passée en force de chose jugée, quelle qu'ait été leur situation dans cette instance, pour autant que les demandes aient le même objet et reposent sur la même cause juridique.

8. D'une part, la demande présentée le 9 juillet 2005 par M. A... tendant à obtenir du centre hospitalier de Chalon-sur-Saône une indemnité en réparation du préjudice moral résultant de la perte de sa jambe droite du fait d'un retard fautif dans sa prise en charge et du préjudice moral d'impréparation résultant du défaut information, reposait sur la même cause juridique que la demande d'indemnisation formée par la société Pacifica, tendant à la réparation des conséquences dommageables de la faute commise par le centre hospitalier de Chalon-sur-Saône, et sur laquelle le tribunal administratif de Dijon a statué par un jugement du 27 janvier 2011, devenu définitif, après avoir régulièrement mis en cause la société Pacifica, laquelle avait ainsi été mise à même de faire valoir ses droits. Dès lors, entre la chose jugée le 27 janvier 2011 par le tribunal administratif de Dijon et la présente demande formée par la société Pacifica, il y a identité de cause et de parties.

9. D'autre part, eu égard au lien, rappelé au point 6, entre l'assureur, subrogé dans les droits de la victime, et cette dernière, la demande de remboursement des frais exposés par la société Pacifica relatives aux indemnités réparant les préjudices subis par M. A... et mises à sa charge par une décision définitive de la juridiction judiciaire avant l'intervention du jugement du 27 janvier 2011, avait le même objet que celle présentée par M. A... devant le tribunal administratif de Dijon le 9 juillet 2005 tendant à obtenir la réparation de dommages résultant d'un retard dans sa prise en charge par le centre hospitalier de Chalon-sur-Saône. Ainsi, ce dernier est fondé à soutenir que l'autorité de la chose jugée qui s'attache au jugement définitif du 27 janvier 2011, fait obstacle à l'examen de la demande présentée ultérieurement au tribunal administratif de Dijon, pour autant toutefois qu'il ne s'agisse pas d'une demande nouvelle non prévisible avant l'intervention de ce jugement ni d'une aggravation du préjudice depuis que le tribunal a statué le 27 janvier 2011.

10. Il suit de là que l'autorité de la chose jugée qui s'attache au jugement définitif du tribunal administratif de Dijon du 27 janvier 2011 ne peut être opposée à l'action subrogatoire de la société Pacifica qu'en ce qu'elle tend à la condamnation du centre hospitalier de Chalon-sur-Saône à l'indemniser, d'une part, des sommes versées par la société Pacifica à la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) de Saône-et-Loire en 2001 au titre des dépenses de santé, et, d'autre part, de sommes mises à sa charge par le jugement du tribunal correctionnel de Chalon-sur-Saône du 12 février 2004 statuant sur intérêts civils, lequel était définitif à la date à laquelle le tribunal administratif a statué. En revanche, la chose jugée par le jugement du tribunal administratif de Dijon du 27 janvier 2011 n'est pas opposable aux indemnités auxquelles la société Pacifica a été définitivement condamnée par l'arrêt de la Cour d'appel de Dijon du 16 mai 2011, postérieur au jugement du tribunal administratif. Par suite, l'exception d'autorité de chose jugée opposée par le centre hospitalier de Chalon-sur-Saône doit être accueillie dans cette mesure seulement.

Sur la réparation du préjudice :

11. La nature et l'étendue des réparations incombant à une collectivité publique en raison d'une faute dont la responsabilité lui est imputée, ne dépendent pas de l'évaluation du dommage faite par l'autorité judiciaire dans un litige où elle n'a pas été partie et n'aurait pu l'être mais doivent être déterminées par le juge administratif compte tenu des règles relatives à la responsabilité des personnes morales de droit public et indépendamment des sommes qui ont pu être exposées par le requérant à titre d'indemnité ou d'intérêts.

En ce qui concerne les préjudices patrimoniaux de la victime :

Quant aux dépenses de santé :

12. En premier lieu, les dépenses de santé restées à la charge de M. A... concernant l'achat de bonnets couvre-moignon, de coussinets et d'une pommade et mises à la charge de la société Pacifica par l'arrêt de la Cour d'appel de Dijon du 19 mai 2011, sont dans leur totalité consécutives à l'amputation du membre inférieur de M. A.... Ces dépenses, qui s'élèvent au montant total non contesté de 43,09 euros doivent ainsi être entièrement supportées par le centre hospitalier de Chalon-sur-Saône.

13. En deuxième lieu, il résulte de l'instruction que la société Pacifica a versé à M. A... une somme de 14 778 euros au titre de l'achat et du renouvellement d'une prothèse spécifique, adaptée au contact de l'eau, lui permettant de pratiquer la plongée et la natation. Eu égard aux dépenses liées à l'acquisition en mai 2006 de ce matériel, pour un montant non contesté de 7 153,35 euros, et à son renouvellement tous les dix ans, tenant compte du barème publié à la Gazette du Palais en 2018, élaboré en fonction des dernières tables de mortalité connues établies par l'INSEE au taux d'inflation de 0,50 %, fixant le prix de l'euro de rente viagère à 39,051 pour une homme âgé de trente-cinq ans à la date de ce premier renouvellement en 2016, il y a lieu d'accorder à la société Pacifica la somme qu'elle réclame à hauteur de 14 778 euros, laquelle n'est pas exagérée.

14. En troisième lieu, il résulte de l'instruction, notamment de l'expertise médicale ordonnée par le tribunal de grande instance de Lyon et réalisée le 11 septembre 2013, que l'état de santé de M. A... a subi une aggravation depuis 2009, en lien direct et certain avec l'amputation de son membre inférieur droit, ayant nécessité une intervention chirurgicale en mars 2010 pour résection d'un ostéophyte. La société Pacifica est fondée à solliciter à ce titre la condamnation du centre hospitalier de Chalon-sur-Saône au versement d'une somme de 30 000 euros, dont elle s'est acquittée au titre d'une provision mise à sa charge par la cour d'appel de Lyon dans son arrêt du 25 janvier 2011.

Quant au préjudice d'incidence professionnelle :

15. Il résulte de l'instruction que si M. A... a obtenu le 6 juillet 2000 un brevet d'études professionnelles de maintenance des systèmes automatiques automatisés, il a été contraint, du fait de son handicap résultant de l'amputation de sa jambe droite et de l'impossibilité dans laquelle il était de trouver un emploi correspondant à sa formation initiale, d'envisager une reconversion et a obtenu un diplôme de technicien assistant en informatique en 2003 puis un diplôme de développeur logiciel en 2010. Si cette reconversion nécessitée par son handicap a retardé l'entrée de M. A... sur le marché du travail, il ne résulte pas de l'instruction qu'il aurait subi une dévalorisation professionnelle. Compte tenu des circonstances de l'espèce, il sera fait une juste appréciation du préjudice d'incidence professionnelle subi par M. A... en le fixant à 20 000 euros.

Quant aux frais d'adaptation du véhicule :

16. Il résulte de l'instruction, notamment de la facture produite en appel par la société Pacifica, que le handicap de M. A... a rendu nécessaire l'adaptation du véhicule dont il disposait à la date de son amputation, entraînant un surcoût de 1 926,79 euros. Compte tenu d'un renouvellement tous les sept ans d'un véhicule, il y a lieu d'évaluer à 275 euros le surcoût annuel lié à l'adaptation de ce véhicule. Pour la période courant de 2000 à la date du présent arrêt, ce préjudice s'établit à la somme de 5 500 euros. Pour la période postérieure à l'arrêt, ce surcoût de 275 euros par an doit être capitalisé de manière viagère sur la base d'un coefficient de 36,001 du barème de capitalisation de référence cité précédemment et applicable à un homme âgé de trente-neuf ans, et être ainsi évalué à la somme de 9 900,28 euros. Dans ces conditions, il y a lieu de mettre à la charge du centre hospitalier de Chalon-sur-Saône la somme de 10 117,96 euros que la société Pacifica réclame au titre de ce chef de préjudice et dont elle s'est acquittée en exécution de l'arrêt de la Cour d'appel de Dijon du 19 mai 2011.

Quant aux frais d'aménagement du logement :

17. La société Pacifica justifie, par la production d'un devis, que le coût d'aménagement de la salle de bains et des sanitaires du domicile de M. A..., pour tenir compte de son handicap, s'est élevé à la somme de 2 750,62 euros, qu'il y a lieu, par suite, de mettre à la charge du centre hospitalier de Chalon-sur-Saône.

En ce qui concerne les préjudices extrapatrimoniaux de la victime :

Quant au déficit fonctionnel temporaire :

18. Il résulte de l'instruction, notamment de l'expertise judiciaire réalisée le 22 mai 2001, que M. A... a subi un déficit fonctionnel temporaire total du 1er janvier 2000 au 30 juin 2000 et qu'à la date de la consolidation de son état de santé, fixée par cet expert au 18 avril 2001, son déficit fonctionnel partiel s'établissait à 55 %. Par suite, l'indemnité mise à la charge du centre hospitalier de Chalon-sur-Saône à ce titre doit être fixée à la somme de 5 700 euros.

Quant au déficit fonctionnel permanent :

19. Il résulte de l'instruction, notamment de l'expertise citée au point 5, que la différence entre le déficit fonctionnel permanent lié à l'amputation de la jambe de M. A... et celui qui serait résulté des séquelles liées à la luxation du genou imputable à l'accident de la circulation, s'établit à 40 %. Compte tenu de ce que M. A... était âgé de vingt ans à la date de consolidation de son état, la somme de 71 250 euros réclamée par la société Pacifica à ce titre n'est pas exagérée, contrairement à ce que soutient le centre hospitalier de Chalon-sur-Saône. Il y a lieu, par suite, de faire droit à cette demande.

En ce qui concerne les frais et honoraires mis à la charge de la société Pacifica :

20. D'une part, la société Pacifica justifie avoir versé à M. A... le 14 février 2011 une somme 1 771,56 euros au titre de la mise à sa charge des frais de l'instance et des dépens par l'arrêt de la Cour d'appel de Lyon du 25 janvier 2011. D'autre part, la Cour d'appel de Dijon a, par l'arrêt du 19 mai 2011, confirmé la mise à la charge solidaire de la société Pacifica et de son assuré d'une somme de 4 000 euros à verser à M. A... en application de l'article 475-1 du code de procédure pénale, dont la société Pacifica s'est acquittée le 3 juin 2011. Ces frais, consécutifs à des procédures initiées par M. A... en vue de voir réparé son préjudice lié à l'amputation de sa jambe, ont été exposés en lien direct avec la faute commise par le centre hospitalier de Chalon-sur-Saône. Par suite, alors que la société Pacifica ne justifie pas que d'autres frais ou dépens auraient été mis à sa charge par la juridiction judiciaire postérieurement au jugement du tribunal administratif de Dijon du 27 janvier 2011, il y a lieu de mettre à la charge du centre hospitalier le versement à la société Pacifica d'une somme de 5 771,56 euros.

21. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il y ait lieu d'ordonner avant-dire droit l'expertise sollicitée par la société Pacifica devant le tribunal administratif, qu'il y a lieu de condamner le centre hospitalier de Chalon-sur-Saône à verser à la société Pacifica la somme de 160 411,23 euros en remboursement des indemnités qu'elle a versées à M. A....

Sur les intérêts et la capitalisation des intérêts :

22. La société Pacifica a droit aux intérêts au taux légal sur la somme de 160 411,23 euros à compter du 8 mars 2016, date à laquelle elle justifie de la réception de sa réclamation préalable en date du 3 mars 2016. Si la société Pacifica produit un courrier, daté du 14 février 2011, dans lequel elle demande au centre hospitalier de Chalon-sur-Saône de prendre en charge la réparation intégrale des préjudices imputables à la faute commise par cet établissement, elle ne justifie pas de la date de réception de cette demande par le centre hospitalier, au demeurant adressée à l'assureur de celui-ci. La capitalisation des intérêts a été demandée pour la première fois dans le mémoire enregistré au greffe de la cour le 8 février 2019. A cette date, il était dû plus d'une année d'intérêts. Dès lors, conformément aux dispositions de l'article 1343-2 du code civil, il y a lieu de faire droit à cette demande à cette date et à chaque échéance annuelle à compter de cette date.

Sur les frais liés au litige :

23. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'il soit mis à la charge de la société Pacifica, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme qu'a demandé devant le tribunal le centre hospitalier de Chalon-sur-Saône au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens. Il y a lieu en revanche de faire droit aux conclusions présentées au même titre par la société Pacifica et de mettre à la charge du centre hospitalier de Chalon-sur-Saône le versement à celle-ci d'une somme de 1 500 euros.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1602648 du 20 juin 2018 du tribunal administratif de Dijon est annulé.

Article 2 : Le centre hospitalier de Chalon-sur-Saône est condamné à verser à la société Pacifica la somme de 160 411,23 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 8 mars 2016. Les intérêts échus à la date du 8 février 2019, puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date, seront capitalisés à chacune de ces dates pour produire eux-mêmes intérêts.

Article 3 : Le centre hospitalier de Chalon-sur-Saône versera à la société Pacifica une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié au centre hospitalier de Chalon-sur-Saône et à la société Pacifica.

Délibéré après l'audience du 1er juillet 2020, à laquelle siégeaient :

M. Drouet, président de la formation de jugement,

Mme Caraës, premier conseiller,

M. Pin, premier conseiller.

Lu en audience publique le 25 août 2020.

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N° 18LY03229


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