Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
L'entreprise Angie " Le feu de l'eau ", le Comité régional de canoë-kayak de Bourgogne, le Syndicat national des guides professionnels des activités de canoë-kayak et disciplines associées et la Fédération française de canoë-kayak ont demandé au tribunal administratif de Dijon d'annuler les articles 5, 7, 8 et 11 de l'arrêté du 2 novembre 2015 du préfet de la Nièvre portant règlement particulier de police de la navigation de plaisance et des activités sportives et touristiques sur la rivière Chalaux entre le barrage de Chaumeçon et la limite amont du barrage réservoir de Crescent.
Par un jugement n° 1600228 du 31 mai 2018, le tribunal a rejeté leur demande.
Procédure devant la cour
Par une requête et un mémoire enregistrés le 9 août 2018 et le 5 mars 2020, l'entreprise Angie " Le feu de l'eau ", prise en la personne de son gérant M. B..., le Comité régional de canoë-kayak de Bourgogne, le Syndicat national des guides professionnels des activités de canoë-kayak et disciplines associées et la Fédération française de canoë-kayak, représentés par Me A..., demandent à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler les articles 5-1 et 7 de cet arrêté ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- le jugement est insuffisamment motivé ;
- l'arrêté, qui est un règlement particulier de police de la navigation édicté en application de l'article R. 4241-2 du code des transports, doit être justifié par la nécessité d'adapter ou de compléter les règles générales de navigation aux caractéristiques techniques de la section de cours d'eau concernée, conformément aux dispositions des articles R. 4241-9 à R. 4241-12, R. 4241-14 et A. 4241-60 du même code, ce qui n'est pas le cas en l'espèce ;
- le motif exact de l'édiction de chaque mesure de l'arrêté aurait dû être précisé au regard de cette exigence d'adaptation du règlement général ;
- les motifs de police tirés de la police de l'eau, tels que prévus à l'article L. 211-1 du code de l'environnement, ne peuvent justifier de la nécessité d'adopter un règlement particulier de police de la navigation ;
- l'article 5-1 de cet arrêté, en ce qu'il prévoit une interdiction de navigation pendant la période hivernale, en se fondant sur un arrêté préfectoral n° 2012-DDT-2072 du 28 décembre 2012 portant établissement des inventaires de frayères qui ne leur est pas opposable et repose sur des faits inexacts, est entaché d'une erreur d'appréciation et d'insuffisance de motivation au regard du motif de la préservation environnementale, en l'absence de risque de raclage des frayères par les embarcations ;
- le motif tiré de la nécessaire conciliation des usages justifiant cet article est entaché d'une erreur d'appréciation dans la mesure où la pêche est fermée au cours de la période concernée ;
- l'article 5-1 restreint la navigation, sans émettre aucune restriction à l'encontre de l'usage halieutique ;
- l'article 7 viole le principe de conciliation des usages.
Par un mémoire en défense, enregistré le 30 octobre 2020, le ministre de la transition écologique conclut au rejet de la requête.
Il s'en rapporte aux écritures en défense présentées par le préfet de la Nièvre en première instance.
Par une ordonnance du 23 septembre 2020, l'instruction a été close au 30 octobre 2020.
Par une ordonnance du 4 novembre 2020, la clôture d'instruction a été reportée au 4 janvier 2021.
Un mémoire, présenté pour l'entreprise Angie " Le feu de l'eau " et autres, a été enregistré le 26 janvier 2021.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code des transports ;
- le code de l'environnement ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme C...,
- et les conclusions de M. Savouré, rapporteur public ;
Considérant ce qui suit :
1. Par arrêté du 2 novembre 2015, le préfet de la Nièvre a adopté le règlement particulier de police de la navigation de plaisance et des activités sportives et touristiques sur la rivière Chalaux entre le barrage de Chaumeçon et la limite amont du barrage réservoir de Crescent. L'entreprise Angie " Le feu de l'eau ", le Comité régional de canoë-kayak de Bourgogne, le Syndicat national des guides professionnels des activités de canoë-kayak et disciplines associées et la Fédération française de canoë-kayak relèvent appel du jugement du 31 mai 2018 par lequel le tribunal administratif de Dijon a rejeté leur demande d'annulation des articles 5, 7, 8 et 11 de cet arrêté. Ils demandent à la cour d'annuler les articles 5-1 et 7 de l'arrêté.
Sur la régularité du jugement :
2. La circonstance que le jugement attaqué, qui est suffisamment motivé, serait par ailleurs entaché de contradictions de motifs ne relève pas de sa régularité mais de son bien-fondé.
Sur la légalité de l'arrêté :
3. D'une part, aux termes de l'article L. 4241-1 du code des transports : " Le règlement général de police de la navigation intérieure est établi par décret en Conseil d'Etat. Sous réserve des dispositions du titre III du livre III de la cinquième partie, il est applicable jusqu'à la limite transversale de la mer. ". L'article L. 4241-2 du même code dispose que : " Le règlement général de police de la navigation intérieure peut être complété par des règlements particuliers de police pris par l'autorité compétente de l'Etat. (...) ". Selon l'article R. 4241-2 de ce code : " Le règlement général de police de la navigation intérieure peut être complété lorsqu'il le prévoit, par des règlements particuliers de police adoptés conformément aux dispositions de l'article R. 4241-66. Ces règlements apportent aux règles générales des adaptations rendues nécessaires par des circonstances locales, notamment en raison des caractéristiques des cours d'eau concernés. " L'article R. 4241-60 de ce code prévoit que : " Sans préjudice des dispositions de l'article L. 214-12 du code de l'environnement et de l'exercice par le maire des pouvoirs de police prévus par l'article L. 2213-23 du code général des collectivités territoriales, la pratique des sports nautiques est soumise à des dispositions particulières fixées par les règlements particuliers de police. " L'article R. 4241-66 du même code dispose que : " Les règlements particuliers de police sont pris : 1° Par arrêté du préfet du département intéressé, pour les dispositions de police applicables à l'intérieur d'un seul département ; (...) ".
4. D'autre part, aux termes de l'article L. 214-12 du code de l'environnement : " En l'absence de schéma d'aménagement et de gestion des eaux approuvé, la circulation sur les cours d'eau des engins nautiques de loisir non motorisés s'effectue librement dans le respect des lois et règlements de police et des droits des riverains. /Le préfet peut, après concertation avec les parties concernées, réglementer sur des cours d'eau ou parties de cours d'eau non domaniaux la circulation des engins nautiques de loisir non motorisés ou la pratique du tourisme, des loisirs et des sports nautiques afin d'assurer la protection des principes mentionnés à l'article L. 211-1. (...) ". Aux termes de cet article : " I. - Les dispositions des chapitres Ier à VII du présent titre ont pour objet une gestion équilibrée et durable de la ressource en eau (...) II. - La gestion équilibrée doit permettre en priorité de satisfaire les exigences de la santé, de la salubrité publique, de la sécurité civile et de l'alimentation en eau potable de la population. Elle doit également permettre de satisfaire ou concilier, lors des différents usages, activités ou travaux, les exigences : / 1° De la vie biologique du milieu récepteur, et spécialement de la faune piscicole et conchylicole ; / 2° De la conservation et du libre écoulement des eaux et de la protection contre les inondations ; / 3° De l'agriculture, des pêches et des cultures marines, de la pêche en eau douce, de l'industrie, de la production d'énergie, en particulier pour assurer la sécurité du système électrique, des transports, du tourisme, de la protection des sites, des loisirs et des sports nautiques ainsi que de toutes autres activités humaines légalement exercées. ".
En ce qui concerne la " confusion de motifs de police " :
5. Il résulte des dispositions précitées du code des transports et du code de l'environnement que le préfet dispose du pouvoir, d'une part, sur le fondement de l'article L. 4241-2 du code des transports, de compléter le règlement général de police de la navigation intérieure par un règlement particulier de police permettant d'apporter aux règles générales des adaptations rendues nécessaires par des circonstances locales, notamment en raison des caractéristiques des cours d'eau concernés et, d'autre part, sur le fondement de l'article L. 214-12 du code de l'environnement, de réglementer sur des cours d'eau ou parties de cours d'eau non domaniaux la circulation des engins nautiques de loisir non motorisés ou la pratique du tourisme, des loisirs et des sports nautiques afin d'assurer la protection des principes mentionnés à l'article L. 211-1 de ce même code.
6. Il ressort des termes mêmes de l'arrêté en litige, qui est justifié par des circonstances locales, qu'il porte à la fois adaptation du règlement général de la police de la navigation intérieure et règlementation de la circulation des engins nautiques de loisir non motorisés ou la pratique du tourisme, des loisirs et des sports nautiques. La circonstance que certains articles, comme l'article 5-1, comprennent des mesures qui répondent à l'une ou l'autre finalité de l'arrêté n'est pas de nature à l'entacher d'illégalité.
7. Les auteurs de l'arrêté ne devaient pas justifier, pour chaque mesure adoptée, qu'elle portait adaptation d'une mesure du règlement général de la police de la navigation intérieure. A supposer que les requérants aient entendu, en soutenant que le motif exact de l'édiction de chaque mesure de l'arrêté devait être précisé au regard de ce règlement général, soulever le moyen tiré de l'insuffisante motivation de l'arrêté, ce dernier a un caractère réglementaire. Ni les dispositions des articles L. 211-2 et L. 211-3 du code des relations entre le public et l'administration qui s'appliquent aux seules décisions individuelles, ni aucune autre disposition, ni aucun principe n'imposaient la motivation formelle de cet arrêté.
8. Enfin, cet arrêté ne méconnaît pas les dispositions des articles R. 4241-9 à R. 4241-12, R. 4241-14 et A. 4241-60 du code des transports.
En ce qui concerne l'article 5-1 de l'arrêté :
9. L'article 5.1, qui est relatif à la limitation dans le temps de la navigation, interdit la navigation du 1er décembre au 15 mars, pendant la nuit tout au long de l'année, pendant les week-ends d'ouverture et de fermeture de la pêche.
10. Pour justifier l'interdiction de la navigation du 1er décembre au 15 mars, l'arrêté indique que la rivière abrite des frayères et des zones d'alimentation et de croissance de la truite Fario. Selon l'arrêté le risque de raclage des substrats du fond de la rivière susceptible d'être causé par la pratique de la navigation ne peut être exclu alors que ces substrats sont le support des pontes et du développement embryo-larvaire sur les zones de frayères. Il précise que la période embryo-larvaire de grande vulnérabilité de la truite Fario se situe de décembre à mars.
11. Il ressort des pièces du dossier que la portion de rivière Chalaux visée par l'arrêté en litige est, ainsi que l'indique l'arrêté préfectoral n° 2012-DDT-2072 du 28 décembre 2012 portant établissement des inventaires de frayères, susceptible d'abriter des frayères de truite fario, espèce de poissons protégée. Le fait que cet arrêté a été pris pour l'application de l'article L. 432-3 du code de l'environnement qui est relatif aux sanctions prévues en cas de destruction de frayères ou zones de croissance ou d'alimentation de la faune piscicole, ne fait pas obstacle à ce que le préfet s'y réfère dans l'arrêté litigieux. Il ressort des pièces du dossier, et n'est pas contesté, que l'existence de frayères de truite fario est avérée sur la portion de rivière concernée. Par suite, le préfet n'a commis ni erreur de fait, ni erreur de droit en se fondant sur la présence de frayères de truites fario pour prendre l'arrêté en litige qui n'avait, ainsi qu'il a été indiqué au point 7, pas à être motivé.
12. Les requérants ont produit une étude détaillée des caractéristiques de la rivière Chalaux, et des caractéristiques des embarcations dans la pratique des sports d'eau vive. Cette étude fait apparaître que le niveau d'eau est insuffisant pour pratiquer dans de bonnes conditions les sports d'eau vive en l'absence de lâchers d'eau en provenance du barrage amont. En période hivernale, des lâchers énergétiques s'effectuent deux fois par jour, de 5 h à 9 h puis de 17 h à 19 h. Si ces lâchers d'eau de 5 m3/s garantissent une hauteur d'eau sur le parcours aval d'environ 50 centimètres, quasiment en tout point de la rivière, et en tout cas supérieure à 35 centimètres, en dehors de ces lâchers, qui sont très limités dans le temps et proches, à cette période de l'année, des heures de lever et de coucher du soleil, le niveau d'eau ne permet pas de naviguer sans risque de raclage des frayères de truites. Ainsi, le préfet de la Nièvre a pu, sans commettre d'erreur d'appréciation, interdire la navigation sur la rivière Chalaux entre le 1er décembre et le 15 mars, période de reproduction de la truite fario.
13. Au nombre des interdictions édictées par l'article 5-1, seule l'interdiction de navigation pendant les week-ends d'ouverture et de fermeture de la pêche poursuit un objectif de conciliation des usages entre la pêche en eau douce et la pratique des loisirs et des sports nautiques, les autres interdictions édictées obéissant soit à l'exigence de protection de la vie biologique du milieu récepteur soit à l'objectif que les activités autorisées se déroulent dans des conditions garantissant la sécurité de ceux qui les pratiquent. Pour répondre à l'objectif de conciliation des activités nautiques et de la pêche, l'interdiction de navigation les week-ends d'ouverture et de fermeture de la pêche au cours desquels il n'est pas sérieusement contesté que l'affluence des pêcheurs est forte n'apparait pas excessive. Si l'arrêté ne soumet la pêche à aucune interdiction, notamment pendant certains évènements, il ne fait pas obstacle à ce que le préfet la limite, voir l'interdise ponctuellement en application de l'article 7 de l'arrêté. Dans ces conditions, l'arrêté n'a pas méconnu l'objectif de conciliation des usages tel que prévu au II de l'article L. 211-1 du code de l'environnement.
En ce qui concerne l'article 7 de l'arrêté :
14. L'article 7 réglemente les manifestations nautiques et autres concentrations de bateaux en imposant soit une déclaration, soit une autorisation préfectorale en fonction de la nature de l'évènement. Pour les mêmes motifs que ceux qui viennent d'être exposés, en ne prévoyant pas l'interdiction systématique de la pêche lors des manifestations nautiques, le préfet de la Nièvre n'a pas méconnu l'objectif de conciliation entre les différents usages tel que prévu au II de l'article L. 211-1 du code de l'environnement.
15. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de statuer sur la recevabilité de la demande de première instance, que les requérants ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal a rejeté leur demande. Leurs conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent, par voie de conséquence, être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de l'entreprise Angie " Le feu de l'eau ", du Comité régional de canoë-kayak de Bourgogne, du Syndicat national des guides professionnels des activités de canoë-kayak et disciplines associées et de la Fédération française de canoë-kayak est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à l'entreprise Angie " Le feu de l'eau ", représentant unique des requérants en application des dispositions du troisième alinéa de l'article R. 751-3 du code de justice administrative, au ministre de la transition écologique et au ministre de la cohésion des territoires. Copie en sera adressée au préfet de la Nièvre.
Délibéré après l'audience du 28 janvier 2021, à laquelle siégeaient :
M. d'Hervé, président,
Mme Michel, président assesseur,
Mme C..., premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 11 février 2021.
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N° 18LY03146