Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
La commune de Nyons a demandé au tribunal administratif de Grenoble de prononcer la restitution des droits de taxe sur la valeur ajoutée qu'elle a acquittés au titre de la période du 1er janvier 2013 au 31 décembre 2014.
Par un jugement n° 1600304 du 29 mars 2018, le tribunal administratif de Grenoble a fait droit à sa demande.
Procédure devant la cour
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 25 juillet 2018 et le 5 août 2019, le ministre de l'action et des comptes publics demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Grenoble du 29 mars 2018 ;
2°) de rejeter la demande présentée par la commune de Nyons devant le tribunal administratif de Grenoble ;
3°) de remettre à sa charge la taxe sur la valeur ajoutée acquittée au titre de la période du 1er janvier 2013 au 31 décembre 2014.
Le ministre de l'action et des comptes publics soutient que :
- la commune n'exploite pas une simple piscine communale mais un parc aquatique avec divers équipements ludiques, dont la zone de chalandise dépasse celle d'une piscine municipale ;
- le parc aquatique n'étant ouvert que pendant la saison estivale du fait qu'il ne comprend pas de bassin couvert, les moyens tirés de ce que la commune offre un accès gratuit au public scolaire et accueille gratuitement tout au long de l'année les personnes handicapées, perdent pour l'essentiel leur portée ;
- en majorité, les 60 000 visiteurs accueillis en 2013 sont des touristes et des non résidents de la commune ; le parc est identifié sur un site internet comme une offre de loisirs et de détente équivalente à celle proposée par le secteur marchand sur le segment des parcs aquatiques ;
- le non-assujettissement du parc aquatique entraînerait des distorsions de concurrence avec des acteurs locaux, départementaux et régionaux, qui proposent une offre similaire et sont assujettis à la taxe sur la valeur ajoutée ;
- la qualification de service public administratif n'emporte pas nécessairement le non-assujettissement à la taxe sur la valeur ajoutée, pas plus que l'exploitation déficitaire ; en outre, un centre aquatique est en principe un service public industriel et commercial dès lors que les activités de service public ne sont pas prépondérantes ;
- le centre aquatique de la commune répond aux besoins collectifs de ses usagers en termes sociaux, éducatifs et sportifs, mais offre dans le même temps l'accès à des activités ludiques compte tenu de ses infrastructures, à savoir un restaurant, des zones de pique-nique, des plages, un lagon, une rivière, un bassin à remous, des cascades et toboggans, sur un espace de 6 000 m² ; aucun tarif distinct n'a été mis en place pour l'accès à ces différentes activités.
Par des mémoires enregistrés le 8 novembre 2018, le 19 septembre 2019 et le 12 novembre 2019, la commune de Nyons, représentée par Me G..., conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 5 000 euros soit mise à la charge de l'Etat au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
La commune de Nyons soutient que :
- en tant qu'autorité publique, elle doit bénéficier de la présomption de non-assujettissement du parc qu'elle exploite, qui trouve son fondement dans la loi et dans la doctrine ;
- une piscine municipale est un service public administratif ;
- à la différence des autres acteurs cités par le ministre, le centre aquatique de la commune accueille un public large, composé à 30 % d'un public scolaire ou subventionné ; les habitants de la commune représentent 15 % des entrées annuelles ; les habitants des communes limitrophes constituent également une part importante des entrées ; les tarifs sont modérés ;
- l'exploitation du parc aquatique est structurellement déficitaire ;
- les opérateurs cités par le ministre exploitent des activités non comparables avec celle exploitée par la commune ; en tout état de cause, aucune distorsion d'une certaine importance n'est démontrée.
Les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré de ce que la commune de Nyons, qui a spontanément acquitté la taxe sur la valeur ajoutée au titre de l'activité litigieuse et n'a donc ainsi pas fait application de l'instruction BOI-TVA-CHAMP-10-20-10-10-20150204 publiée le 4 février 2015, ne peut utilement s'en prévaloir sur le fondement de dispositions de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales. En outre, cette instruction a été publiée postérieurement à la période en litige.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- Vu la directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme B..., première conseillère,
- les conclusions de Mme E..., rapporteure publique
- et les observations de Me A..., représentant la commune de Nyons ;
Considérant ce qui suit :
1. La commune de Nyons, qui exploite en régie, sous l'enseigne Nyonsoleïado, un complexe aquatique, a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'ordonner la restitution des droits de taxe sur la valeur ajoutée qu'elle a spontanément acquittés à raison de cette activité au titre de la période du 1er janvier 2013 au 31 décembre 2014. Le ministre de l'action et des comptes publics relève appel du jugement par lequel le tribunal administratif a fait droit à sa demande.
Sur l'assujettissement à la taxe sur la valeur ajoutée :
En ce qui concerne l'application de la loi fiscale :
2. D'une part, aux termes de l'article 256 du code général des impôts : " I. Sont soumises à la TVA les livraisons de biens et les prestations de services effectuées à titre onéreux par un assujetti agissant en tant que tel (...) ". Aux termes de l'article 256 A du même code : " Sont assujetties à la TVA les personnes qui effectuent de manière indépendante une des activités économiques mentionnées au troisième alinéa, quels que soient le statut juridique de ces personnes, leur situation au regard des autres impôts et la forme ou la nature de leur intervention. / (...) Les activités économiques visées au premier alinéa se définissent comme toutes les activités de producteur, de commerçant ou de prestataire de services (...) ". Aux termes de l'article 256 B du même code : " Les personnes morales de droit public ne sont pas assujetties à la TVA pour l'activité de leurs services administratifs, sociaux, éducatifs, culturels et sportifs lorsque leur non-assujettissement n'entraîne pas de distorsions dans les conditions de la concurrence (...) ". D'autre part, aux termes du paragraphe 1 de l'article 13 de la directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée : " Les États, les régions, les départements, les communes et les autres organismes de droit public ne sont pas considérés comme des assujettis pour les activités ou opérations qu'ils accomplissent en tant qu'autorités publiques, même lorsque, à l'occasion de ces activités ou opérations, ils perçoivent des droits, redevances, cotisations ou rétributions. / Toutefois, lorsqu'ils effectuent de telles activités ou opérations, ils doivent être considérés comme des assujettis pour ces activités ou opérations dans la mesure où leur non-assujettissement conduirait à des distorsions de concurrence d'une certaine importance (...) ".
3. En premier lieu, il résulte de la directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006, telle qu'interprétée par la Cour de justice de l'Union européenne, notamment dans son arrêt du 29 octobre 2015 (C-174/14) Saudaçor - Sociedade Gestora de Recursos e Equipamentos da Saúde dos Açores SA, que le non-assujettissement à la taxe sur la valeur ajoutée prévue en faveur des personnes morales de droit public énumérées au paragraphe 1 de son article 13, qui déroge à la règle générale de l'assujettissement de toute activité de nature économique, est subordonné à deux conditions cumulatives tenant, d'une part, à ce que l'activité soit exercée par un organisme agissant en tant qu'autorité publique et, d'autre part, à ce que le non-assujettissement ne conduise pas à des distorsions de concurrence d'une certaine importance.
4. Par suite, avant toute recherche d'une éventuelle distorsion de concurrence qui résulterait du non-assujettissement à la taxe sur la valeur ajoutée d'une personne morale de droit public, il convient de vérifier au préalable si l'activité économique est réalisée par l'organisme public en tant qu'autorité publique. Selon la jurisprudence de la Cour de justice, cette condition est remplie lorsque l'activité en cause est exercée dans le cadre du régime juridique particulier aux personnes morales de droit public. Ainsi, l'activité en cause doit être exercée dans des conditions juridiques différentes de celles des opérateurs économiques privés, notamment, lorsque sont mises en oeuvre des prérogatives de puissance publique, lorsque l'activité est accomplie en raison d'une obligation légale ou dans le cadre d'un monopole ou encore lorsqu'elle relève par nature des attributions d'une personne publique. Si tel n'est pas le cas, la personne morale de droit public est nécessairement assujettie à la taxe sur la valeur ajoutée à raison de cette activité économique sans préjudice des éventuelles exonérations applicables, notamment celles prévues à l'article 132 de la directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006.
5. Sous réserve des cas où la loi attribue la charge de la preuve au contribuable, il appartient au juge de l'impôt, au vu de l'instruction et compte tenu, le cas échéant, de l'abstention d'une des parties à produire les éléments qu'elle est seule en mesure d'apporter et qui ne sauraient être réclamés qu'à elle-même, d'apprécier si la situation du contribuable entre dans le champ de l'assujettissement à l'impôt ou, le cas échéant, s'il remplit les conditions légales d'une exonération.
6. En l'espèce, il résulte de l'instruction que la commune de Nyons exploite en régie directe un complexe aquatique avec 1 200 m² de surface de baignade comprenant un bassin de natation de 25 m, un lagon, un bassin à remous, des toboggans aquatiques, des cascades d'eau, des rivières et des pataugeoires, et 6 000 m² de plages avec plage minéralisée, espaces verts ombragés et des jeux pour enfants. Ce complexe aquatique est ouvert chaque année durant la période estivale, pendant trois mois et demi, et est fréquenté, pour la grande majorité des entrées, par des personnes non résidentes de la commune. Il accueille gratuitement un public scolaire, auquel des cours de natation sont dispensés, et les personnes à mobilité réduite. L'organisation d'un service public de piscine municipal étant facultatif pour une commune, la gestion de l'équipement décrit ci-avant ne constitue en tout état de cause pas une obligation légale pour la collectivité et ne relève pas, par nature, de ses attributions. Les circonstances, invoquées par la commune, qu'elle exploite en régie cet équipement, auquel elle a affecté des agents municipaux, que les tarifs sont modérés et modulés en fonction du public et que l'exploitation serait déficitaire, ne sont pas de nature à faire regarder l'activité en cause comme exploitée dans le cadre du régime juridique particulier aux personnes morales de droit public. Il suit de là que l'activité consistant en l'exploitation d'un complexe aquatique n'est pas réalisée par la commune en tant qu'autorité publique. Celle-ci n'entre donc pas dans le champ des dispositions de l'article 256 B du code général des impôts et la commune est, par suite, assujettie à la taxe sur la valeur ajoutée à raison de cette activité économique. La commune de Nyons n'était ainsi pas fondée à demander la restitution des droits de taxe sur la valeur ajoutée qu'elle avait acquittés à raison de l'exploitation de ce complexe aquatique au titre de la période du 1er janvier 2013 au 31 décembre 2014.
En ce qui concerne l'interprétation de la loi fiscale :
7. Par ailleurs, la commune de Nyons, qui a spontanément acquitté la taxe sur la valeur ajoutée au titre de l'activité litigieuse et n'a donc ainsi pas fait application de l'instruction BOI-TVA-CHAMP-10-20-10-10-20150204 publiée le 4 février 2015, ne peut utilement s'en prévaloir sur le fondement de dispositions de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales. Au demeurant, cette instruction est postérieure à la période en litige.
8. Il résulte de ce qui précède que le ministre de l'action et des comptes publics est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a fait droit à la demande de restitution de la commune de Nyons.
Sur les frais de l'instance :
9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante, quelque somme que ce soit au titre des frais de l'instance.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Grenoble du 29 mars 2018 est annulé.
Article 2 : La taxe sur la valeur ajoutée due par la commune de Nyons au titre de la période du 1er janvier 2013 au 31 décembre 2014 est remise à sa charge.
Article 3 : Les conclusions présentées par la commune de Nyons au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administratif sont rejetées.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'action et des comptes publics et à la commune de Nyons.
Délibéré après l'audience du 10 décembre 2019, à laquelle siégeaient :
M. Pruvost, président de chambre,
Mme C... présidente-assesseure,
Mme B..., première conseillère.
Lu en audience publique le 14 janvier 2020.
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N° 18LY02896
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