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20/10/2020 | FRANCE | N°18LY02794

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 3ème chambre, 20 octobre 2020, 18LY02794


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

M. E... G... a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler l'arrêté conjoint du ministre de l'intérieur et du président du conseil d'administration du Service départemental d'incendie et de secours de l'Isère (SDIS) du 18 décembre 2015 par lequel lui a été infligée une exclusion de fonctions de trois jours, sanction disciplinaire du 1er groupe, d'enjoindre au SDIS de procéder à la reconstitution de sa carrière, de le rétablir dans ses droits à pension, de supprimer de son dossier toute men

tion de la procédure disciplinaire litigieuse ainsi que toute mention de la sa...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

M. E... G... a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler l'arrêté conjoint du ministre de l'intérieur et du président du conseil d'administration du Service départemental d'incendie et de secours de l'Isère (SDIS) du 18 décembre 2015 par lequel lui a été infligée une exclusion de fonctions de trois jours, sanction disciplinaire du 1er groupe, d'enjoindre au SDIS de procéder à la reconstitution de sa carrière, de le rétablir dans ses droits à pension, de supprimer de son dossier toute mention de la procédure disciplinaire litigieuse ainsi que toute mention de la sanction prononcée.

Par un jugement n° 1600884 du 16 mai 2018, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour

Par une requête enregistrée le 23 juillet 2018 et des mémoires, enregistrés le 7 août 2019, le 19 septembre 2019 (non communiqué), M. G..., représenté par Me C..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Grenoble du 16 mai 2018 et l'arrêté conjoint du 18 décembre 2015 prononçant à son encontre la sanction d'exclusion de service de trois jours ;

2°) d'enjoindre au SDIS de l'Isère de :

- procéder à la reconstitution de sa carrière en faisant figurer les trois jours d'exclusion du 11 au 13 janvier 2016 dans l'état de ses services accomplis ;

- le rétablir dans ses droits à pension en procédant à la régularisation des cotisations afférentes à sa période d'éviction ;

- supprimer de son dossier toute mention de la procédure disciplinaire et de la sanction prononcée.

- le tout sous astreinte de 100 euros par jour de retard passé un délai d'un mois à compter de la notification de la décision à intervenir ;

3°) de mettre à la charge du SDIS de l'Isère la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

Sur la régularité du jugement :

- le jugement est irrégulier, l'instruction du dossier ayant méconnu l'article R. 611-1 du code de justice administrative dès lors que le mémoire du ministre de l'intérieur n'a pas été communiqué ;

Sur le bien-fondé du jugement :

- la décision a été prise en méconnaissance du principe du contradictoire et de l'article 4 du décret n° 89-677 du 18 septembre 1989 ;

- la décision est insuffisamment motivée en fait, en méconnaissance de la loi du 11 juillet 1979 ;

- il a toujours fait l'objet d'appréciations professionnelles très favorables et fait l'objet d'un dénigrement professionnel et d'une hostilité depuis 2001 ;

- il subit des souffrances et une dégradation de sa santé ;

- les propos qui lui sont reprochés ne sauraient être considérés comme fautifs car ils avaient pour objet de dénoncer cette situation ;

- les juges de première instance ne pouvaient se fonder sur le jugement du 12 novembre 2014 dès lors que la sanction se fonde sur des faits postérieurs à ceux en cause dans ce jugement ;

- il n'a pas formé d'accusation de harcèlement moral ;

- il n'a pas manqué à son devoir de réserve, ni à son obligation de loyauté ;

- la sanction est disproportionnée.

Par deux mémoires en défense, enregistrés le 17 mai 2019 et le 17 septembre 2019, le service départemental d'incendie et de secours de l'Isère, représenté par la SELARL Fayan-Roux, B... et Associés agissant par Me B..., conclut au rejet de la requête et demande que soit mise à la charge de M. G... la somme de 3 000 euros au titre des frais non compris dans les dépens.

Il soutient que les moyens ne sont pas fondés.

Par un mémoire en défense enregistré le 9 août 2019, le ministre de l'intérieur, qui s'en remet aux écritures du service départemental d'incendie et de secours de l'Isère et à la motivation du jugement attaqué, conclut au rejet de la requête.

Par ordonnance du 18 novembre 2019, la clôture d'instruction a été fixée au 3 janvier 2020.

Un mémoire présenté pour M. G... a été enregistré le 8 mai 2020, postérieurement à la clôture d'instruction.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires ;

- la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale ;

- le code de justice administrative.

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience.

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Pierre Thierry, premier conseiller,

- les conclusions de M. Samuel Deliancourt, rapporteur public,

- et les observations de Me F..., représentant le service départemental d'incendie et de secours de l'Isère, et celles de M. G....

Considérant ce qui suit :

1. M. G..., lieutenant-colonel des sapeurs-pompiers professionnels exerce ses fonctions au commandement du groupement prévision du service départemental d'incendie et de secours de l'Isère. Par une décision conjointe du ministre de l'intérieur et du président du service départemental d'incendie et de secours de l'Isère du 23 juillet 2015, la sanction du premier groupe de trois jours d'exclusion temporaire lui a été infligée. Cette décision a été remplacée par une décision du 18 décembre 2015 en reprenant les motifs et les termes. M. G... relève appel du jugement rendu le 16 mai 2018 par lequel le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande d'annulation de cette sanction.

2. Il ressort des pièces du dossier que, dans le cadre de son évaluation professionnelle relative à l'année 2014, dont le compte rendu a été signé le 11 mars 2015, M. G... a formé au titre de ses voeux celui de " Ne plus subir ni être le témoin, d'agissements répétés ayant pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible tant de porter atteinte à mes droits et à ma dignité, d'altérer ma santé physique ou mentale (...) ". A la suite d'un courrier du colonel G***, directeur départemental adjoint du SDIS, au colonel L***, supérieur hiérarchique direct de M. G... et responsable de son évaluation, ce dernier a accepté de modifier cette phrase pour indiquer que son voeu était de " Travailler dans un environnement professionnel plus serein pour que ma santé ne soit plus altérée ". Dans une note du 10 avril 2015 adressée au colonel E***, directeur départemental du service départemental d'incendie et de secours de l'Isère, M. G... a mentionné " Au-delà, il m'est très pénible (et je ne suis pas le seul dans ce cas) de devoir assister aux mises en cause dont certains de mes collègues font, en public, régulièrement l'objet, comme cela a été récemment le cas et à plusieurs reprises pour le lieutenant-colonel ***. Mon impuissance face à de telles relations hiérarchiques (individuelles ou collectives) portant préjudice non seulement aux personnes mais aussi au bon fonctionnement du service (comme en attestent les nombreux signaux qui vous ont été adressés lors du conflit social 2013-2014) m'affecte, au point que ma santé en est altérée. " et que " je considère, quand bien même vous seriez réellement " malmené " par vos supérieurs et l'accepteriez aisément, que cela n'est pas une raison pour traiter vos collaborateurs à l'identique et envisager qu'ils réagissent comme vous, en s'en accommodant. Le moment est donc largement venu que ces altérations de ma santé cessent. ". A la suite de ces deux déclarations, le colonel E*** a convoqué M. G... à un entretien le 4 juin 2015 en présence du colonel G*** et du médecin chef du service. Selon le rapport établi par le colonel E*** en vue d'engager une procédure disciplinaire, au cours de cet entretien, M. G... l'a désigné, ainsi que le colonel G***, comme les auteurs du harcèlement et responsables de ses troubles de santé. Au terme de la procédure disciplinaire, par la décision du 18 décembre 2015, litigieuse il a été considéré que M. G... était l'auteur " de propos diffamants voire outranciers à l'encontre du directeur départemental et du directeur départemental adjoint, ainsi que d'accusations non fondées envers le directeur départemental de harcèlement moral et d'actes à l'origine d'une altération de sa santé ; " et que " de tels agissements, de surcroît de la part d'un officier supérieur occupant des fonctions de chef de groupement, constituent, d'une part, un manquement caractérisé au devoir de réserve et aux obligations de respect et de loyauté envers sa hiérarchie, et, d'autre part, une faute passible de sanction disciplinaire ".

3. En premier lieu, l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983 susvisée dispose qu'" Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. / Aucune mesure concernant notamment (...) la discipline, (...) ne peut être prise à l'égard d'un fonctionnaire en prenant en considération : 1° Le fait qu'il ait subi ou refusé de subir les agissements de harcèlement moral visés au premier alinéa ; 2° Le fait qu'il ait exercé un recours auprès d'un supérieur hiérarchique ou engagé une action en justice visant à faire cesser ces agissements ; 3° Ou bien le fait qu'il ait témoigné de tels agissements ou qu'il les ait relatés. (...) ". Il résulte de ces dispositions que le fonctionnaire qui s'adresse à un supérieur hiérarchique pour faire cesser des faits de harcèlement moral ou relate de tels faits ne peut être sanctionné pour ce motif, sauf mauvaise foi. Celle-ci ne peut résulter de la seule circonstance que les faits dénoncés ne sont pas établis et n'est constituée que lorsqu'il est établi que l'intéressé savait que les faits dénoncés étaient faux.

4. Il ressort des pièces du dossier que M. G... souffre de problèmes de santé tels que des troubles du rythme cardiaque, des troubles du sommeil et d'une affection psychologique qu'il avait des raisons de considérer en lien avec l'exercice de ses fonctions et plus particulièrement en lien avec les relations qu'il entretient avec sa hiérarchie de la direction départementale du service départemental d'incendie et de secours de l'Isère. Ainsi le colonel L*** a t'il relevé à ce sujet que celles-ci n'étaient " à n'en pas douter, certainement pas une source d'épanouissement et sont loin du bien-être au travail ". Dans ces circonstances, à supposer même que ce soit à tort que M. G... ait considéré que l'altération de sa santé devait être attribuée à des faits répétés de ses supérieurs hiérarchiques de la direction départementale du SDIS de nature à dégrader ses conditions de travail, il n'est établi par aucune des pièces du dossier ni sa mauvaise foi, ni que ses protestations ont eu pour objet de compromettre le bon fonctionnement du service ou ont été de nature à avoir cet effet.

5. En second lieu, il ne ressort pas des propos litigieux de M. G... mentionnés ci-dessus que ceux-ci ont excédé, dans leur forme, l'expression normale attendue dans le cadre de relations professionnelles. Ils sont, dans leur contenu, l'expression du malaise ressenti par l'intéressé dans sa relation avec sa hiérarchie. Ils n'ont, enfin, pas fait l'objet d'une diffusion en dehors du cercle des personnes appelées à prendre connaissance de son évaluation professionnelle, de l'unique destinataire de la note du 10 avril 2015 et des trois personnes présentes lors de l'entretien du 4 juin 2015. Dans ces circonstances, ces propos n'ont pas constitué un manquement à son obligation de réserve. Ils n'ont pas non plus constitué un manquement à son devoir de loyauté, M. G... n'ayant pas trompé la confiance que ses supérieurs devaient pouvoir placer en lui dans l'exercice de ses fonctions ou le respect de ses obligations.

6. Il résulte de ce qui précède que les propos litigieux de M. G... n'étaient pas de nature à justifier que lui soit infligée une sanction. M. G... est par suite fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette sanction.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

7. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution. / La juridiction peut également prescrire d'office cette mesure. ". Aux termes de l'article L. 911-3 du même code : " La juridiction peut assortir, dans la même décision, l'injonction prescrite en application des articles L. 911-1 et L. 911-2 d'une astreinte qu'elle prononce dans les conditions prévues au présent livre et dont elle fixe la date d'effet. ".

8. Il résulte des motifs du présent arrêt que l'annulation de la décision litigieuse implique nécessairement que l'administration reconstitue la carrière et les droits à pension de M. G... à raison des trois jours de service qu'il n'a pas accomplis et supprime de son dossier la mention de la procédure disciplinaire en cause. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de prescrire que ces mesures seront prises dans le délai d'un mois à compter de la notification de la présente décision. Il n'y a pas lieu toutefois, dans ces mêmes circonstances, d'assortir ces prescriptions de l'astreinte demandée.

Sur les conclusions relatives aux frais d'instance :

9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, de mettre à la charge solidaire de l'Etat et du service départemental d'incendie et de secours de l'Isère une somme de 1 000 euros chacun qu'ils paieront à M. G..., au titre des frais non compris dans les dépens que ce dernier a exposés.

10. Ces mêmes dispositions faisant obstacle à ce que soit mise à la charge de M. G..., qui n'est pas la partie perdante, une somme à ce titre, les conclusions du service départemental d'incendie et de secours de l'Isère en ce sens doivent être rejetées.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1600884 du tribunal administratif de Grenoble du 16 mai 2018 et la décision conjointe du président du service départemental d'incendie et de secours de l'Isère et ministre de l'intérieur du 18 décembre 2015 infligeant une sanction à M. G... sont annulés.

Article 2 : Il est enjoint au président du service départemental d'incendie et de secours de l'Isère de reconstituer la carrière et les droits à pension de M. G... à raison des trois jours de service qu'il n'a pas accomplis et supprime de son dossier la mention de la procédure disciplinaire en cause dans le délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 3 : L'Etat et le service départemental d'incendie et de secours de l'Isère verseront chacun, solidairement, à M. G... une somme de 1 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 5 : Les conclusions du service départemental d'incendie et de secours de l'Isère relatives aux frais non compris dans les dépens sont rejetées.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. E... G..., au ministre de l'intérieur et au service départemental d'incendie et de secours de l'Isère.

Délibéré après l'audience du 29 septembre 2020 à laquelle siégeaient :

Mme D... A..., présidente de chambre,

M. Gilles Fédi, président-assesseur,

M. Pierre Thierry, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 20 octobre 2020.

No 18LY027942


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 18LY02794
Date de la décision : 20/10/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

36-09-03-02 Fonctionnaires et agents publics. Discipline. Motifs. Faits n'étant pas de nature à justifier une sanction.


Composition du Tribunal
Président : Mme PAIX
Rapporteur ?: M. Pierre THIERRY
Rapporteur public ?: M. DELIANCOURT
Avocat(s) : EUVRARD VINCENT

Origine de la décision
Date de l'import : 07/11/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2020-10-20;18ly02794 ?
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