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12/03/2020 | FRANCE | N°18DA01938

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 3ème chambre, 12 mars 2020, 18DA01938


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... E... a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 13 avril 2015 par laquelle le maire d'Hautmont a refusé de reconnaître l'imputabilité au service de sa maladie.

Par un jugement n° 1504987 du 20 juillet 2018, le tribunal administratif de Lille a annulé cette décision.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés le 20 septembre 2018, le 12 décembre 2018, le 7 février 2020 et le 21 février 2020, la

commune d'Hautmont, représentée par Me F... D..., demande à la cour :

1°) d'annuler le jugemen...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... E... a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 13 avril 2015 par laquelle le maire d'Hautmont a refusé de reconnaître l'imputabilité au service de sa maladie.

Par un jugement n° 1504987 du 20 juillet 2018, le tribunal administratif de Lille a annulé cette décision.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés le 20 septembre 2018, le 12 décembre 2018, le 7 février 2020 et le 21 février 2020, la commune d'Hautmont, représentée par Me F... D..., demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du 20 juillet 2018 du tribunal administratif de Lille ;

2°) de rejeter la demande de M. E... ;

3°) de mettre à la charge de M. E... la somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

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Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la santé publique ;

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 modifiée portant droits et obligations des fonctionnaires ;

- la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Jean-Jacques Gauthé, premier conseiller,

- les conclusions de M. Hervé Cassara, rapporteur public,

- et les observations de Me C... B... représentant la commune d'Hautmont ainsi que de M. E....

Une note en délibérée présentée par M E... a été enregistrée le 1er mars 2020.

Considérant ce qui suit :

1. M. A... E... né le 7 mars 1963 a été recruté en 1985 par la commune d'Hautmont comme adjoint technique territorial de 2ème classe. Il a notamment été responsable des installations techniques de la piscine municipale, puis a exercé des fonctions d'électricien au sein des services techniques municipaux. Placé en congé de longue maladie du 3 mai 2011 au 2 mai 2012, il a ensuite été placé en congé de longue durée du 3 mai 2012 au 3 mai 2016 puis placé en disponibilité d'office, par différents arrêtés, du 3 mai 2016 au 8 avril 2018. Il a été réintégré au centre technique à compter du 9 avril 2018. La commune d'Hautmont relève appel du jugement du 20 juillet 2018 par lequel le tribunal administratif de Lille a annulé l'arrêté de son maire du 13 avril 2015 rejetant la demande de M. E... tendant à la reconnaissance de l'imputabilité au service du syndrome anxio-dépressif dont il souffre.

2. Aux termes de l'article 57 de la loi du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale, dans sa version applicable à la date de la décision en litige : " Le fonctionnaire en activité a droit : (...) 2° A des congés de maladie dont la durée totale peut atteindre un an pendant une période de douze mois consécutifs en cas de maladie dûment constatée mettant l'intéressé dans l'impossibilité d'exercer ses fonctions. Celui-ci conserve alors l'intégralité de son traitement pendant une durée de trois mois ; ce traitement est réduit de moitié pendant les neuf mois suivants. (...) / Toutefois, si la maladie provient de l'une des causes exceptionnelles prévues à l'article L. 27 du code des pensions civiles et militaires de retraite ou d'un accident survenu dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de ses fonctions, le fonctionnaire conserve l'intégralité de son traitement jusqu'à ce qu'il soit en état de reprendre son service ou jusqu'à la mise à la retraite. Il a droit, en outre, au remboursement des honoraires médicaux et des frais directement entraînés par la maladie ou l'accident (...) Dans le cas visé à l'alinéa précédent, l'imputation au service de l'accident ou de la maladie est appréciée par la commission de réforme instituée par le régime des pensions des agents des collectivités locales (...) ".

3. Une maladie contractée par un fonctionnaire, ou son aggravation, doit être regardée comme imputable au service si elle présente un lien direct avec l'exercice des fonctions ou avec des conditions de travail de nature à susciter le développement de la maladie en cause, sauf à ce qu'un fait personnel de l'agent ou toute autre circonstance particulière conduisent à détacher la survenance ou l'aggravation de la maladie du service.

4. Pour annuler la décision du 13 avril 2015 du maire d'Hautmont refusant de reconnaître l'imputabilité au service de l'affection de M. E..., le tribunal administratif de Lille s'est notamment fondé dans le jugement contesté sur les certificats médicaux du 6 décembre 2011 et du 5 mai 2015 du docteur Dufour, médecin psychiatre au centre hospitalier de Fourmies, certifiant que M. E... présentait des troubles anxio-dépressifs majeurs réactionnels aux conditions de travail et sur les expertises du docteur Bohet, expert psychiatre diligenté par le comité médical et la commission de réforme, en date du 19 décembre 2011 et 29 avril 2012, certifiant que M. E... présentait un syndrome anxio-dépressif chronique et résistant avec d'évidentes failles narcissiques, affection imputable au service. La circonstance qu'à la suite de la plainte du 17 octobre 2018 de la commune d'Hautmont devant le conseil départemental du Nord de l'Ordre des médecins sur le fondement des articles R. 4127-28 et R. 4127-76 du code de la santé publique, les docteurs Dufour et Bohet aient été amenés, dans le cadre de la procédure de conciliation, à rédiger des certificats correctifs n'établissant plus de relation directe entre l'état de santé de l'intimé et ses conditions de travail et se limitant à reprendre les affirmations de M. E... à ce sujet, ne peut suffire à établir l'absence d'imputabilité au service de l'affection dont il souffre et à remettre en cause les avis concordants rendus par les différents praticiens ayant eu à l'examiner. Au surplus, par un jugement du 10 février 2020, la section disciplinaire de l'Ordre des médecins du Nord a rejeté la plainte de la commune d'Hautmont dirigée contre le médecin traitant de M. E... en jugeant que la mention " M. E... peut légitimement former une demande d'imputabilité de maladie au service compte-tenu de la pathologie dont il souffre " signifiait simplement que ce dernier était en droit de présenter cette demande compte tenu des constatations de son médecin traitant et ne pouvait être regardée comme un certificat médical de complaisance.

5. Il ressort en effet des pièces du dossier que M. E... souffre depuis plusieurs années d'un syndrome anxio-dépressif sévère dont la réalité a été reconnue par l'avis favorable à l'imputabilité du 6 juillet 2012 de la commission de réforme, par la contre-visite effectuée le 27 mars 2015 à la demande de la commune d'Hautmont, contre-visite qui a effectivement conclu à un arrêt médicalement justifié. Le médecin traitant de M. E... a refusé de modifier ses certificats médicaux établissant un lien entre les conditions de travail de son patient et son affection et ainsi qu'il vient d'être dit, la section disciplinaire de l'Ordre des médecins du Nord a rejeté la plainte de la commune d'Hautmont affirmant qu'il s'agissait de certificats de complaisance. Le certificat du 22 juin 2016 du docteur Morawski, médecin agréé de l'administration, postérieur à la décision contestée, a lui aussi conclu à un trouble d'adaptation sous forme d'une réaction anxio-dépressive. Le fait que M. E... entretienne un conflit avec sa hiérarchie, pour l'essentiel postérieur à la décision contestée, sous forme de mises en cause dans la presse locale, d'attaques sur les réseaux sociaux ou de propos dénigrants à l'égard de certains fonctionnaires municipaux, n'est pas de nature à établir l'absence d'existence de ce syndrome anxio-dépressif ou ne saurait être regardé comme excluant le caractère d'imputabilité ainsi que le soutient la commune d'Hautmont, cette attitude hostile pouvant, au contraire, constituer une manifestation de la maladie de M. E....

6. Il résulte également des pièces du dossier qu'à partir de l'arrivée en 2008 d'un nouvel adjoint au maire chargé des travaux, les relations de M. E... avec sa hiérarchie se sont très vite et fortement dégradées alors qu'il travaillait depuis 1985 dans les services de la commune sans avoir fait l'objet de remarques quant à sa manière de servir. Dès le 27 novembre 2009, M. E... était sanctionné de trois jours d'exclusion temporaire, sanction annulée par un jugement du 18 janvier 2011 du tribunal administratif de Lille confirmé par l'arrêt n°11DA00440 du 9 mai 2012 de la cour administrative d'appel de Douai. Le tribunal, qui avait condamné la commune d'Hautmont à verser 200 euros à M. E... au titre de son préjudice financier, avait également jugé que, dans les circonstances très particulières de l'espèce, M. E..., en procédant à un enregistrement sonore d'un entretien avec l'adjoint au maire chargé des travaux, pour se protéger des menaces dont il pouvait faire l'objet, ne pouvait être considéré comme ayant eu un comportement fautif.

7. Il est constant que cet adjoint au maire a voulu restructurer les services techniques municipaux, en imposant un nouveau mode de management, en réduisant les effectifs, et en modifiant les tâches et les compétences exercées par ces services. M. E... a très mal vécu cette nouvelle organisation et ses troubles anxio-dépressifs sont apparus à partir de ce moment. Il a été placé en congé de longue maladie à partir du 3 mai 2011 et, ainsi qu'il vient d'être dit, le 6 juillet 2012 la commission de réforme a donné un avis favorable à la reconnaissance de l'imputabilité au service de cette affection. Les circonstances que la plainte pénale de M. E... pour harcèlement moral à l'encontre de la commune d'Hautmont ait été classée par le parquet le 30 décembre 2011 et que le refus de sa demande de protection fonctionnelle ait été annulé par un jugement du 1er octobre 2013 du tribunal administratif de Lille, lui-même annulé par l'arrêt n° 13DA01879 du 8 juillet 2014 de la cour administrative d'appel de Douai, ne peuvent, par elles-même, établir la réalité d'une absence de lien entre l'affection de M. E... et le service. Par suite, les conditions de travail de ce fonctionnaire peuvent, même en l'absence de harcèlement moral ou de volonté délibérée de nuire à l'agent, être regardées comme étant directement à l'origine de sa maladie.

8. Toutefois, en soutenant, sur la base de l'expertise du 19 décembre 2011 du docteur Bohet, que l'affection de M. E... aurait débuté, non pas en 2009, mais à la suite de la tornade du 3 août 2008 ayant dévasté la commune d'Hautmont, ayant endommagé mille maisons, détruisant entièrement quarante-cinq d'entre elles et en tuant trois personnes, dont l'adjoint au maire chargé des travaux dont dépendait M. E..., la commune d'Hautmont doit être regardée comme invoquant l'existence de circonstances particulières conduisant à détacher la survenance de la maladie du service.

9. Il ne ressort pas des pièces du dossier et notamment des dépositions de nombreux fonctionnaires municipaux d'Hautmont interrogés par les services de police dans le cadre de l'instruction de la plainte pénale de M. E... pour harcèlement moral qu'un lien amical ou affectif particulier entre l'adjoint ainsi décédé et M. E... aurait existé au point que sa mort brutale dans l'effondrement de sa maison aurait gravement déstabilisé ce fonctionnaire. C'est l'arrivée du nouvel adjoint chargé des travaux qui a manifestement été à l'origine des difficultés de M. E.... Le moyen tiré de l'existence de circonstances particulières doit être écarté.

10. En soutenant également que M. E..., par un processus d'opposition et une attitude de dénigrement systématique serait à l'origine des conflits, ce qui exclurait le caractère d'imputabilité au service, la commune d'Hautmont doit aussi être regardée comme invoquant un fait personnel de l'agent de nature à détacher la survenance ou l'aggravation de la maladie au service. Il ressort toutefois des pièces du dossier que les attaques et les faits de dénigrement de M. E... ont été commis postérieurement à la décision contestée du 13 avril 2015 et ne sont dès lors pas de nature à remettre en cause le lien direct existant entre la pathologie dont il souffre et le service.

11. Si la commune d'Hautmont soutient que M. E... a refusé la contre-visite médicale qu'elle avait demandée le 20 mars 2015, il résulte des pièces du dossier que, d'une part, cette visite médicale se situait dans le cadre des arrêts maladie et non de la reconnaissance de l'imputabilité au service, que d'autre part, M. E... a pris contact avec le médecin désigné en lui demandant de lui indiquer le lieu, la date et l'heure de la contre-visite et qu'enfin, la contre-visite ordonnée par la commune effectuée le 27 mars 2015 suite aux arrêts de travail prescrits par le médecin traitant de M. E..., a conclu à un arrêt médicalement justifié. Par suite, et en l'absence de tout antécédent psychiatrique de ce dernier, l'affection dont souffre M. E... doit être reconnue comme imputable au service.

12. Il résulte de tout ce qui précède que la commune d'Hautmont n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que par le jugement du 20 juillet 2018, le tribunal administratif de Lille a annulé la décision du 13 avril 2015 de son maire refusant de reconnaître l'imputabilité au service de l'affection de M. E.... Par voie de conséquence, ses conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de la commune d'Hautmont le versement à M. E... d'une somme de 1 000 euros sur le fondement de ces dispositions.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de la commune d'Hautmont est rejetée.

Article 2 : La commune d'Hautmont versera une somme de 1 000 euros à M. E... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la commune d'Hautmont et à M. A... E....

Copie sera adressée pour information au préfet du Nord

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N°18DA01938

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N°"Numéro"


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 18DA01938
Date de la décision : 12/03/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

36-05-04-01-03 Fonctionnaires et agents publics. Positions. Congés. Congés de maladie. Accidents de service.


Composition du Tribunal
Président : M. Albertini
Rapporteur ?: M. Jean-Jacques Gauthé
Rapporteur public ?: M. Cassara
Avocat(s) : SCP BIGNON LEBRAY et ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 28/07/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2020-03-12;18da01938 ?
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