Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société Vivendi a demandé au Tribunal administratif de Montreuil la décharge des suppléments d'impôt sur les sociétés et des pénalités correspondantes auxquels elle a été assujettie au titre de l'année 2012 pour un montant total de 315 464 624 euros.
Par un jugement n° 1600342 du 16 mars 2017, le Tribunal administratif de Montreuil a prononcé la décharge demandée.
Procédure devant la Cour :
Par un recours et des mémoires enregistrés les 30 juin 2017, 15 janvier et 19 septembre 2018, le MINISTRE DE L'ACTION ET DES COMPTES PUBLICS, demande à la Cour :
1° d'annuler, d'une part, l'article 1er en ce qu'il a prononcé la décharge des suppléments d'impôt sur les sociétés au titre de l'année 2012 et des intérêts de retard correspondants et d'autre part, l'article 2 de ce jugement ;
2° de remettre à la charge de la société Vivendi les suppléments d'impôt sur les sociétés et les intérêts de retard correspondants dont la décharge a été prononcée par le jugement attaqué.
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Vu les pièces du dossier.
Vu :
- le premier protocole additionnel à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- la loi n° 2011-1117 du 19 septembre 2011 ;
- le décret n° 2013-463 du 3 juin 2013 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Tronel,
- les conclusions de Mme Danielian, rapporteur public,
- et les observations de MeA..., représentant la société Vivendi.
Vu la note en délibéré, enregistrée le 18 octobre 2018, présenté par la société Vivendi.
Considérant ce qui suit :
1. La société Vivendi a été admise au régime du bénéfice mondial consolidé prévu à l'article 209 quinquies du code général des impôts, par une décision d'agrément renouvelée jusqu'au 31 décembre 2011 et arrivant à terme à cette dernière date. Elle a fait l'objet d'une vérification de comptabilité à la suite de laquelle l'administration a remis en cause l'imputation sur l'exercice clos en 2012 des crédits d'impôts constitués sous l'empire du régime du bénéfice mondial consolidé et en report au 31 décembre 2011. Elle lui a notifié des suppléments d'impôts sur les sociétés au titre de cet exercice 2012, assortis des intérêts de retard et de la majoration pour manquement délibéré. Par jugement du 16 mars 2017, le Tribunal administratif de Montreuil, saisi par la société Vivendi, l'a déchargée de ces impositions, intérêts et pénalités. Le MINISTRE DE L'ACTION ET DES COMPTES PUBLICS relève appel de ce jugement en tant qu'il prononce la décharge des suppléments d'impôt sur les sociétés et des intérêts de retard.
Sur la requête du MINISTRE DE L'ACTION ET DES COMPTES PUBLICS :
2. L'article 209 quinquies du code général des impôts, a mis en place le régime du bénéfice mondial aux termes duquel " Les sociétés françaises agréées à cet effet par le ministre de l'économie et des finances peuvent retenir l'ensemble des résultats de leurs exploitations directes ou indirectes, qu'elles soient situées en France ou à l'étranger, pour l'assiette des impôts établis sur la réalisation et la distribution de leurs bénéfices ". Le second alinéa de cet article prévoit que les conditions d'application des dispositions qui précèdent sont fixées par un décret en Conseil d'Etat.
3. Si la loi du 19 septembre 2011 de finances rectificative pour 2011, dans son article 3 a complété le 1er alinéa de l'article 209 quinquies par les mots " réalisés au titre des exercices clos avant le 6 septembre 2011 ", elle n'a pas abrogé l'article 209 quinquies du code général des impôts et les dispositions réglementaires auxquelles celui-ci renvoie. Celles-ci demeurent....
4. Le régime du bénéfice mondial consolidé est fixé par le II de la section II du chapitre II du titre premier de l'annexe II au code général des impôts. En particulier, l'article 132 de cette annexe prévoit que l'agrément est accordé pour une durée de cinq ans et peut être renouvelé par période de trois ans. Aux termes de l'article 122 de cette annexe : " 1. La société agréée est autorisée à imputer sur le montant de l'impôt sur les sociétés dont elle est redevable, au titre de chaque exercice, à raison du résultat consolidé, les prélèvements fiscaux effectués, au titre du même exercice, hors de la France métropolitaine et des départements d'outre-mer, sur les bénéfices de ses exploitations directes et indirectes. / Les prélèvements fiscaux s'entendent des impôts de quotité, exprimés en unité monétaire, assis sur un résultat fiscal, non déductibles de ce résultat et qui sont versés, à titre définitif et sans contrepartie, au profit d'Etats souverains, d'Etats membres d'Etats fédéraux ou confédérés ou de territoires non souverains jouissant de l'autonomie financière par rapport à l'Etat souverain dont ils dépendent. / La liste des prélèvements fiscaux définis au premier alinéa est mentionnée dans la décision d'agrément. / Les amendes ou pénalités afférentes à ces impôts, taxes ou droits ne peuvent, en aucun cas, donner lieu à imputation. / 2. Les sommes à imputer sont toutefois limitées, pour chaque Etat ou territoire dans lequel la société agréée possède des exploitations, au montant de l'impôt français sur les sociétés qui frapperait le résultat, au sens de l'article 116, des exploitations situées dans cet Etat ou territoire. / La fraction des sommes excédant cette limite peut être imputée, au titre de l'exercice suivant et dans les mêmes conditions, après qu'ont été imputés les prélèvements fiscaux effectués, au titre de cet exercice, dans le même Etat ou territoire ; l'imputation de la fraction qui n'a pu être imputée demeure possible, dans les mêmes conditions, au titre des quatre exercices suivants. / En ce qui concerne les exploitations indirectes, cette imputation porte sur la fraction des impôts considérés afférente à la fraction des résultats pris en compte pour la détermination du résultat consolidé. / 3. Si une convention internationale le prévoit, il est accordé aux sociétés agréées un crédit d'impôt destiné à compenser, en tout ou en partie, les réductions d'impôts imputables sur l'impôt sur les sociétés français, qui pourraient être consenties par des Etats en vue d'assurer leur développement économique. / 4. Les prélèvements effectués, compte tenu des conventions internationales en vigueur, sur les distributions à des sociétés dont les résultats sont retenus pour la détermination du résultat consolidé sont ajoutés à la somme des impôts de la société distributrice, imputables sur l'impôt sur les sociétés dû par la société agréée. / La limite de l'imputation est calculée, au titre de l'exercice sur les bénéfices duquel la distribution est prélevée, à partir du total ainsi formé. / 5. Les montants des impôts étrangers imputables sont convertis en euros à la date de clôture de l'exercice au titre duquel ils ont été acquittés. Il incombe à la société agréée d'apporter la preuve du paiement effectif de ces impôts. Les rappels ou les dégrèvements d'impôts imputables doivent être notifiés à l'administration dans le délai mentionné au 3 de l'article 128. Les bases de l'impôt sur les sociétés dû au titre de l'exercice auquel se rapportent ces rappels ou ces dégrèvements sont régularisées en conséquence ". Aux termes de l'article 122 bis de cette même annexe : " Lorsque le montant de l'impôt sur les sociétés dû par la société agréée au titre d'un exercice à raison du résultat consolidé est insuffisant pour permettre la déduction des impôts étrangers ou de la fraction de ces impôts dont l'imputation est autorisée, la partie non déduite de ces impôts est ajoutée successivement au montant des impôts étrangers imputables au titre des exercices suivants jusqu'au cinquième exercice inclusivement. / Ce report est effectué après imputation des impôts étrangers afférents à chacun de ces exercices, en retenant en priorité les impôts afférents aux exercices les plus anciens. / Les impôts qui ne peuvent être imputés ne sont en aucun cas remboursés par le Trésor ".
5. Il résulte de l'ensemble de ces dispositions qu'en principe, le montant des impôts étrangers afférents à un exercice qui visent les prélèvements fiscaux étrangers dont la société est redevable au titre d'un exercice est imputé sur le montant de l'impôt sur les sociétés de cet exercice. Si l'impôt sur les sociétés est insuffisant pour permette une déduction de ces impôts étrangers, l'article 122 bis de l'annexe II prévoit un mécanisme de report. La partie non déduite des impôts étrangers est reportable sur les 5 exercices suivants par ajout au montant des impôts étrangers imputables nés au cours de ces exercices qui sont nécessairement des exercices au cours desquels la société agréée bénéficie du bénéfice mondial consolidé. Elle est imputée sur l'impôt sur les sociétés de ces exercices, mais après déduction des impôts étrangers nés au cours de ces exercices.
6. La logique d'ensemble du dispositif du bénéfice mondial consolidé n'implique pas qu'une société bénéficiaire de ce régime puisse reporter des crédits d'impôt étrangers à la sortie de ce régime pour éviter une double imposition dès lors que cette double imposition est évitée par l'imputation du prélèvement fiscal étranger sur l'impôt qui, en France, frappe le revenu dont il s'agit. En outre, le report du crédit d'impôt prévu par l'article 122 bis de l'annexe II n'a pas pour objet de compenser l'impossibilité pour la société de reprendre, sur le premier exercice qui suit la sortie du régime, son déficit tel qu'il aurait été si elle n'avait pas été placée sous ce régime, dans la mesure où le report des déficits sur les exercices postérieurs à la clôture du dernier exercice d'application du régime prévu à l'article 209 quinquies du code général des impôts est prévu par les dispositions spécifiques de l'article 120 de l'annexe II au code général des impôts. Enfin, la circonstance que ce dernier article règle le sort des déficits en sortie de régime du bénéfice mondial consolidé n'implique pas un traitement symétrique des crédits d'impôts non imputés.
7. Ainsi, l'article 122 bis de l'annexe II au code général des impôts qui ne peut être interprété de manière autonome de l'article 122 de la même annexe au même code ni aucune autre disposition législative ou réglementaire ne prévoient sur les exercices suivant la sortie du régime du bénéfice mondial consolidé, un mécanisme d'imputation des impôts étrangers .
8. Il suit de là que, le MINISTRE DE L'ACTION ET DES COMPTES PUBLICS est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif s'est fondé sur ces dispositions pour décharger la société Vivendi des suppléments d'impôt sur les sociétés auxquels elle a été assujettie au titre de l'année 2012 et des intérêts de retard correspondants.
9. Il appartient toutefois à la Cour, saisie de l'ensemble du litige, par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par la société Vivendi tant en première instance qu'en appel.
Sur les droits :
10. Il résulte de l'instruction et notamment de la proposition de rectification du
7 avril 2014 que les rectifications en litige procèdent d'une interprétation par le service de la portée des dispositions des articles 122 et 122 bis de l'annexe II au code général des impôts lorsque la société sort du régime du bénéfice mondial consolidé, indépendamment de l'intervention de la loi n° 2011-1117 du 19 septembre 2011. Les dispositions de l'article 3 de cette loi ne sont mentionnées dans la proposition de rectification que pour rappeler qu'il a été mis fin au régime du bénéfice mondial consolidé à compter de l'exercice clos en 2011. Il en résulte que le moyen tiré de ce que c'est à tort que le service a assis les redressement notifiés à la société Vivendi sur ces dispositions législatives doit, par suite, être écarté. Par voie de conséquence, les moyens tirés de ce que le service aurait fait une interprétation de cette loi contraire à l'article 1er du premier protocole additionnel à la Convention européenne de sauvegarde les droits de l'homme et des libertés fondamentales et au principe constitutionnel de prohibition de double imposition doivent être écartés comme inopérants.
Sur les intérêts de retard :
11. Aux termes de l'article 1727 du code général des impôts, dans sa rédaction applicable à l'espèce : " I. - Toute somme, dont l'établissement ou le recouvrement incombe à la direction générale des impôts, qui n'a pas été acquittée dans le délai légal donne lieu au versement d'un intérêt de retard. A cet intérêt s'ajoutent, le cas échéant, les sanctions prévues au présent code. / II. - L'intérêt de retard n'est pas dû : (...) 2. Au titre des éléments d'imposition pour lesquels un contribuable fait connaître, par une indication expresse portée sur la déclaration ou l'acte, ou dans une note annexée, les motifs de droit ou de fait qui le conduisent à ne pas les mentionner en totalité ou en partie, ou à leur donner une qualification qui entraînerait, si elle était fondée, une taxation atténuée, ou fait état de déductions qui sont ultérieurement reconnues injustifiées ".
12. Il résulte de l'instruction que la société Vivendi a, le 12 avril 2012, annexé au relevé de solde de l'impôt sur les sociétés et des contributions assimilées (imprimé 2572) une note exposant les raisons pour lesquelles elle a constaté un excédent de versement d'impôt sur les sociétés au titre de l'exercice 2012. Elle indique que cet excédent résulte notamment de l'imputation de crédits d'impôt étranger, dont elle précise le montant, reportables dans le cadre du régime du bénéfice mondial consolidé de l'article 209 quinquies du code général des impôts. Elle précise qu'à la date de sortie de ce régime, elle dispose de la possibilité de reporter ces crédits d'impôt au titre des cinq exercices suivants cette sortie. Même si les articles 120 et
120 bis de l'annexe II au code général des impôts ne sont pas expressément cités, la note du
12 avril 2012 comporte, de manière suffisamment claire, les motifs de droit et de fait pour lesquels la société a cru pouvoir reporter, sur l'exercice 2012, les crédits d'impôt étrangers constitués au titre de l'exercice clos en 2011. Par suite, c'est à tort que l'administration a assorti les cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés mises à la charge de la société Vivendi des intérêts de retard.
13. Il résulte de ce qui précède que le MINISTRE DE L'ACTION ET DES COMPTES PUBLICS est seulement fondé à soutenir que c'est à tort que le Tribunal administratif de Montreuil a prononcé la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés à laquelle la société Vivendi a été assujettie et a mis à sa charge les frais de procès non compris dans les dépens.
Sur les frais liés au litige :
14. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.
DÉCIDE :
Article 1er : L'article 1er, en tant qu'il a prononcé la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles la société Vivendi a été assujettie au titre de l'exercice 2012 et l'article 2 du jugement du Tribunal administratif de Montreuil du 16 mars 2017 sont annulés.
Article 2 : Les cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles la société Vivendi a été assujettie au titre de l'année 2012 sont remises à sa charge.
Article 3 : Le surplus de la requête du MINISTRE DE L'ACTION ET DES COMPTES PUBLICS est rejeté.
Article 4 : Les conclusions présentées par la société Vivendi au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
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N° 17VE02074