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10/01/2019 | FRANCE | N°17NT03657

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 6ème chambre, 10 janvier 2019, 17NT03657


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Le Floch Dépollution a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler la décision du 8 juillet 2015 par laquelle le ministre chargé du travail a retiré sa décision implicite de rejet du 17 juin 2015 et annulé la décision de l'inspecteur du travail du Finistère du 16 décembre 2014 autorisant le licenciement de M.D....

Par un jugement n° 1504144 du 6 octobre 2017, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requê

te et un mémoire, enregistrés le 6 décembre 2017 et le 17 juillet 2018, la société Le Floch Dépo...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Le Floch Dépollution a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler la décision du 8 juillet 2015 par laquelle le ministre chargé du travail a retiré sa décision implicite de rejet du 17 juin 2015 et annulé la décision de l'inspecteur du travail du Finistère du 16 décembre 2014 autorisant le licenciement de M.D....

Par un jugement n° 1504144 du 6 octobre 2017, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 6 décembre 2017 et le 17 juillet 2018, la société Le Floch Dépollution, représentée par MeC..., demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Rennes du 6 octobre 2017 ;

2°) d'annuler la décision du 8 juillet 2015 par laquelle le ministre chargé du travail a retiré sa décision implicite de rejet du 17 juin 2015 et annulé la décision de l'inspecteur du travail du Finistère du 16 décembre 2014 autorisant le licenciement de M.D....

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement attaqué est insuffisamment motivé quant au rejet du moyen selon lequel la mention des voies et délais de recours figurant sur la décision attaquée est insuffisamment précisée ;

- la décision du ministre est entachée d'un vice de procédure faute de respect du principe du contradictoire ;

- la décision du 8 juillet 2015 est illégale car elle emporte le retrait de la décision implicite du ministre rejetant le recours hiérarchique, décision créatrice de droits, qui n'était pas illégale ;

- la décision du ministre est entachée d'une erreur de droit, les déplacements refusés par M. D...ne constituaient pas une modification de son contrat de travail dès lors que la spécificité de ses fonctions de responsable de projet impliquait une obligation de mobilité géographique, même en l'absence de toute clause de mobilité ou de circonstances exceptionnelles ; une demande de mobilité, qui est définitive, ne peut être assimilée à une demande de déplacement, qui est temporaire, et le déplacement professionnel ne doit pas nécessairement figurer dans le contrat de travail ;

- le refus de faire des déplacements de M. D...est fautif dès lors que les fonctions de ce dernier impliquent par nature des déplacements.

Par un mémoire en défense, enregistré le 17 avril 2018, M.D..., représenté par MeB..., conclut au rejet de la requête et à la condamnation de la société Le Floch Dépollution à lui verser la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Il soutient que les moyens soulevés par la société Le Floch Dépollution ne sont pas fondés.

Par un mémoire en défense, enregistré le 12 juillet 2018, la ministre du travail conclut au rejet de la requête.

La ministre s'en rapporte à ses écritures de première instance.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code du travail ;

- la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Pons,

- les conclusions de M. Lemoine, rapporteur public,

- les observations de MeC..., représentant la société Le Floch Dépollution, et de Me E...pour M.D....

Considérant ce qui suit :

1. M. D...a été recruté par la société Le Floch Dépollution en qualité de responsable projet aux termes d'un contrat de travail du 17 mai 2010. Il avait la qualité de salarié protégé en tant que délégué du personnel titulaire depuis le 17 février 2012. Suite aux refus de M. D...de se rendre sur plusieurs chantiers en 2014, au Maroc et à Lacq, la société Le Floch Dépollution a saisi le 16 octobre 2014 l'inspecteur du travail du Finistère d'une demande d'autorisation de licenciement à laquelle il a été fait droit par décision du 16 décembre 2014. Saisi d'un recours hiérarchique présenté par M. D...le 16 février 2015, le ministre chargé du travail a retiré sa décision implicite de rejet née le 17 juin 2015, a annulé la décision de l'inspecteur du travail et rejeté la demande d'autorisation de licenciement de l'intéressé par une décision du 8 juillet 2015. Par sa présente requête, la société Le Floch Dépollution relève appel du jugement du 6 octobre 2017 par lequel le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 8 juillet 2015 du ministre du travail.

Sur le bien-fondé du jugement :

2. D'une part, les salariés légalement investis de fonctions représentatives bénéficient, dans l'intérêt de l'ensemble des salariés qu'ils représentent, d'une protection exceptionnelle. Lorsque le licenciement d'un de ces salariés est envisagé, ce licenciement ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou l'appartenance syndicale de l'intéressé. Dans le cas où la demande de licenciement est motivée par un comportement fautif, il appartient à l'inspecteur du travail, et le cas échéant au ministre, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si les faits reprochés au salarié sont d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement, compte tenu de l'ensemble des règles applicables au contrat de travail de l'intéressé et des exigences propres à l'exécution normale du mandat dont il est investi.

3. D'autre part, le refus opposé par un salarié protégé à un changement de ses conditions de travail décidé par son employeur en vertu, soit des obligations souscrites dans le contrat de travail, soit de son pouvoir de direction, constitue, en principe, une faute. En cas de refus, l'employeur, s'il ne peut directement imposer au salarié ledit changement, doit, sauf à y renoncer, saisir l'inspecteur du travail d'une demande d'autorisation de licenciement à raison de la faute qui résulterait de ce refus. Après s'être assuré que la mesure envisagée ne constitue pas une modification du contrat de travail de l'intéressé, il appartient à l'autorité administrative, sous le contrôle du juge, d'apprécier si le refus du salarié constitue une faute d'une gravité suffisante pour justifier l'autorisation sollicitée, compte tenu de la nature du changement envisagé, de ses modalités de mise en oeuvre et de ses effets, tant au regard de la situation personnelle du salarié, que des conditions d'exercice de son mandat.

4. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier que par lettre du 16 juin 2015, le ministre chargé du travail a avisé la société Le Floch Dépollution qu'il n'excluait pas de retirer sa décision implicite et lui a demandé de faire connaître ses observations écrites sur les éléments produits par M. D...le 9 juin 2015 et accompagnant son courrier. Le ministre soutient sans être contredit que la société a, par un courrier en date du 30 juin 2015, répondu à la demande du ministre et a pu exposer les arguments ayant conduit à la demande d'autorisation de licenciement de M. D.... Dans ces conditions, le moyen tiré du non respect du caractère contradictoire de la procédure au terme de laquelle a été retirée la décision implicite de rejet du recours hiérarchique formé par M. D... doit être écarté.

5. En second lieu, pour prendre la décision attaquée, le ministre du travail s'est fondé sur l'absence de caractère fautif du refus de M. D...de se rendre sur des chantiers notamment au Maroc, en l'absence d'obligation contractuelle, dès lors que son contrat de travail ne comprenait aucune clause de mobilité ni aucune précision relative à ses fonctions, et que ni ses fonctions de responsable de projet, ni le fait qu'il avait déjà effectué des déplacements à l'étranger ne pouvaient être regardés comme révélant une obligation contractuelle de mobilité.

6. Il ressort des pièces du dossier que l'article 4 du contrat de travail de M. D...relatif à ses attributions se borne à mentionner que ces dernières " pourront lui être précisées au fur et à mesure des besoins ". Ainsi, en l'absence de toute précision contractuelle relative aux fonctions assumées par un " responsable de projet " au sein de l'entreprise, c'est sans commettre d'erreur d'appréciation que le tribunal a estimé que la société Le Floch Dépollution n'était pas fondée à soutenir que la mobilité qu'elle demandait à M. D...était inhérente à ses fonctions. Contrairement à ce qui est allégué par la société, la mobilité refusée par le salarié en cause, compte tenu de sa localisation, de sa durée et de sa fréquence, ne saurait être regardée comme un " déplacement occasionnel ". A cet égard est sans influence la circonstance que M. D... aurait accepté durant les quatre années précédentes plusieurs déplacements, effectués au titre d'une mission de développement et d'innovation, d'une durée moyenne de 1,61 jours pour la France et de 4 jours pour l'étranger. De même, ni la circonstance qu'une clause contractuelle prévoyait une indemnisation de ses déplacements, ni le fait que M. D... avait été embauché notamment en raison de son expérience à l'international, ne sont de nature à établir que la mobilité demandée à M. D...en dehors de son secteur géographique d'affectation, notamment à l'étranger, était inhérente à ses fonctions. Dans ces conditions, en l'absence de toute clause contractuelle relative aux obligations de mobilité ou au détail des fonctions de responsable de projet occupées par M.D..., et en l'absence de circonstances exceptionnelles de nature à justifier la mobilité demandée, la société Le Floch Dépollution n'est pas fondée à soutenir que M. D...aurait méconnu une obligation contractuelle en refusant de se déplacer pour plusieurs semaines au Maroc après avoir refusé un déplacement à Lacq. Par suite, en l'absence de faute grave commise par M.D..., la décision de l'inspecteur autorisant son licenciement sur ce motif était illégale.

7. En troisième lieu, aux termes de l'article R. 2422-1 du code du travail : " Le ministre chargé du travail peut annuler ou réformer la décision de l'inspecteur du travail sur le recours de l'employeur, du salarié (...) ; / Le silence gardé pendant plus de quatre mois sur ce recours vaut décision de rejet " Lorsqu'il est saisi d'un recours hiérarchique contre une décision d'un inspecteur du travail statuant sur une demande d'autorisation de licenciement d'un salarié protégé, le ministre compétent doit, soit confirmer cette décision, soit, si celle-ci est illégale, l'annuler, puis se prononcer de nouveau sur la demande d'autorisation de licenciement compte tenu des circonstances de droit et de fait à la date à laquelle il prend sa propre décision. Le ministre chargé du travail peut légalement, dans le délai de recours contentieux, rapporter sa décision implicite rejetant le recours hiérarchique formé contre la décision de l'inspecteur du travail refusant le licenciement d'un salarié protégé qui était créatrice de droit, dès lors que ces deux décisions sont illégales.

8. Il résulte de ce qui a été dit précédemment que la décision de l'inspecteur du travail portant autorisation de licenciement de M. D...était illégale, ainsi que la décision de rejet implicite du recours hiérarchique confirmant cette décision. Dans ces conditions, comme l'a relevé le tribunal, le ministre a pu légalement, par la décision attaquée du 8 juillet 2015, intervenue dans le délai de recours contentieux, retirer sa décision implicite de rejet et annuler la décision de l'inspecteur du travail.

9. Il résulte de ce qui précède que la société Le Floch Dépollution n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, qui est suffisamment motivé, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande.

Sur les frais liés au litige :

10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de M.D..., qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que la société Le Floch Dépollution demande au titre des frais liés au litige. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société Le Floch Dépollution la somme de 1 500 euros au titre des mêmes frais.

DECIDE :

Article 1er : La requête de la société Le Floch Dépollution est rejetée.

Article 2 : la société Le Floch Dépollution versera à M. D...la somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société Le Floch Dépollution, à M. A... D...et à la ministre du travail.

Copie en sera adressée au directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi de Bretagne.

Délibéré après l'audience du 13 décembre 2018, à laquelle siégeaient :

- M. Francfort, président,

- Mme Gélard, premier conseiller,

- M. Pons, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 10 janvier 2019.

Le rapporteur,

F. PONSLe président,

J. FRANCFORT

La greffière,

E. HAUBOIS

La République mande et ordonne à la ministre du travail en ce qui la concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 17NT03657


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 17NT03657
Date de la décision : 10/01/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. FRANCFORT
Rapporteur ?: M. François PONS
Rapporteur public ?: M. LEMOINE
Avocat(s) : SELARL MAZE-CALVEZ ET ASSOCIES AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 22/01/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2019-01-10;17nt03657 ?
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