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22/03/2019 | FRANCE | N°17NT01190

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 2ème chambre, 22 mars 2019, 17NT01190


Vu les procédures suivantes :

Procédures contentieuses antérieures :

Par une première requête, M. B...F...a demandé au tribunal administratif de Nantes :

1°) d'annuler, pour excès de pouvoir, la décision du 20 février 2014 par laquelle le département de Loire-Atlantique a décidé d'acquérir, sur le fondement des dispositions de l'article L. 142-1 du code de l'urbanisme, les parcelles cadastrées section Z n°s 1, 2, 3, 4, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 28, 29, 30, situées au lieu-dit l'île aux Moines à Ancenis ;

2°) d'enjoindre, sous astreint

e, au département de proposer le bien préempté à l'acquéreur évincé, au prix de vente initi...

Vu les procédures suivantes :

Procédures contentieuses antérieures :

Par une première requête, M. B...F...a demandé au tribunal administratif de Nantes :

1°) d'annuler, pour excès de pouvoir, la décision du 20 février 2014 par laquelle le département de Loire-Atlantique a décidé d'acquérir, sur le fondement des dispositions de l'article L. 142-1 du code de l'urbanisme, les parcelles cadastrées section Z n°s 1, 2, 3, 4, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 28, 29, 30, situées au lieu-dit l'île aux Moines à Ancenis ;

2°) d'enjoindre, sous astreinte, au département de proposer le bien préempté à l'acquéreur évincé, au prix de vente initialement conclu dans un délai de deux mois, à compter du jugement ou, à défaut, de condamner le département au versement d'une somme égale au prix du bien préempté.

Par une seconde requête, M. B...F...a demandé au même tribunal :

1°) d'annuler, pour excès de pouvoir, la décision du 20 février 2014 par laquelle le département de Loire-Atlantique a décidé d'acquérir, sur le fondement des dispositions de l'article L. 142-1 du code de l'urbanisme, les parcelles cadastrées section Z n°s 5, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 26, 27, 31, 32, 33, situées au lieu-dit l'île aux Moines à Ancenis;

2°) d'enjoindre, sous astreinte, au département de proposer le bien préempté à l'acquéreur évincé, au prix de vente initialement conclu dans un délai de deux mois, à compter du jugement ou, à défaut, de condamner le département au versement d'une somme égale au prix du bien préempté.

Par un jugement n°s 1401857 et 1401870 du 3 mars 2017, le tribunal administratif de Nantes a annulé les décisions du département de Loire-Atlantique du 20 février 2014 et a rejeté les conclusions à fin d'injonction.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire enregistrés le 12 avril 2017 et le 2 février 2018, M. B...F..., représenté par la Selarl Publi-Juris, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes du 3 mars 2017 en tant qu'il a rejeté ses conclusions à fin d'injonction ;

2°) d'enjoindre, sous astreinte, au département de lui proposer, en sa qualité d'acquéreur évincé, les biens préemptés aux prix de vente initialement conclus dans un délai de deux mois, à compter du jugement à intervenir ou, à défaut, de condamner le département au versement d'une somme égale au prix des biens préemptés.

3°) de mettre à la charge du département de Loire-Atlantique le versement de la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

­ l'exception jurisprudentielle tirée de l'existence d'un motif d'intérêt général est contraire à la constitution dès lors qu'elle est de nature à faire échec aux effets rétroactifs de l'annulation d'une décision de préemption par le juge de l'excès de pouvoir ainsi qu'il l'a établi dans la question prioritaire de constitutionnalité (QPC) qu'il a présentée ;

­ aucun motif d'intérêt général ne justifie, en l'espèce, que soient rejetées ses conclusions à fin d'injonction ;

­ sur le fondement de la responsabilité sans faute, la cour devra reconnaître la possibilité de condamner l'administration à verser une indemnité compensatoire au profit du justiciable lésé lorsque le juge de l'exécution fait usage de la réserve d'intérêt général.

Par un mémoire en défense, enregistré le 26 janvier 2018, le département de Loire-Atlantique, représenté par son président en exercice, par le cabinet Coudray, conclut au rejet de la requête, et à ce qu'une somme de 4 000 euros soit mise à la charge de M. F...au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

­ En ce qui concerne les conclusions à fin d'injonction, les moyens soulevés par M. F... ne sont pas fondés ;

­ En ce qui concerne les conclusions à fin d'indemnisation, elles sont, à titre principal, irrecevables dès lors qu'il n'appartient pas au juge de l'injonction de prononcer de telles injonctions et subsidiairement, cette demande ne pourra qu'être rejetée car elle n'est pas assortie de précisions suffisantes permettant d'en apprécier le bien-fondé.

Une note en délibéré, présentée pour M.F..., a été enregistrée le 6 mars 2019.

Par une ordonnance n°17NT01190 QPC du 19 décembre 2017, le président de la 2ème chambre de la cour a rejeté les demandes de M. F...tendant, d'une part, à l'annulation de l'ordonnance n° 1401857 du 3 juillet 2014 par laquelle le président de la 6ème chambre du tribunal administratif de Nantes a refusé de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité qu'il a soulevée tirée de l'inconstitutionnalité des articles L. 142-1 et L. 142-3 du code de l'urbanisme aux droits et libertés garantis par la Constitution et, d'autre part, à transmettre au Conseil d'Etat une question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions de l'article L. 142-3 du code de l'urbanisme.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

­ La Constitution,

­ le code de l'urbanisme ;

­ le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

­ le rapport de M.A...'hirondel,

­ les conclusions de M. Derlange, rapporteur public,

­ les observations de MeD..., pour M.F..., et de MeC..., substituant MeG..., pour le département de Loire-Atlantique.

Considérant ce qui suit :

1. Par un jugement du 3 mars 2017, le tribunal administratif de Nantes a annulé, à la demande de M. B...F..., les décisions du 20 février 2014 par lesquelles le département de Loire-Atlantique a décidé d'acquérir, sur le fondement des dispositions de l'article L. 142-1 du code de l'urbanisme, les parcelles cadastrées section Z n°s 1 à 4, 7 à 16 et 28 à 30, ainsi que section Z n°s 5, 17 à 24, 26, 27, 31, 32, 33, situées au lieu-dit l'île aux Moines sur le territoire de la commune d'Ancenis. Il a rejeté, en revanche, les conclusions du requérant tendant à ce qu'il soit enjoint au département de lui proposer, en qualité d'acquéreur évincé, les biens préemptés au prix de vente initialement conclu ou, à défaut, de condamner le département à lui verser une somme égale au prix du bien préempté. M. F...relève appel de ce jugement en tant qu'il a rejeté ses conclusions à fin d'injonction.

2. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 142-1 du code de l'urbanisme, dans sa version applicable au litige : " Afin de préserver la qualité des sites, des paysages, des milieux naturels et des champs naturels d'expansion des crues et d'assurer la sauvegarde des habitats naturels selon les principes posés à l'article L. 110, le département est compétent pour élaborer et mettre en oeuvre une politique de protection, de gestion et d'ouverture au public des espaces naturels sensibles, boisés ou non (...) ". Aux termes de l'article L. 142-3 du même code, dans sa rédaction alors applicable : " Pour la mise en oeuvre de la politique prévue à l'article L. 142-1, le conseil général peut créer des zones de préemption dans les conditions ci-après définies. / Dans les communes dotées d'un plan d'occupation des sols rendu public ou d'un plan local d'urbanisme approuvé, les zones de préemption sont créées avec l'accord du conseil municipal (...) / A l'intérieur de ces zones, le département dispose d'un droit de préemption sur tout terrain ou ensemble de droits sociaux donnant vocation à l'attribution en propriété ou en jouissance de terrains qui font l'objet d'une aliénation, à titre onéreux, sous quelque forme que ce soit (...) ". Selon le premier alinéa de l'article L. 142-10 du même code, dans sa version alors applicable : " Les terrains acquis en application des dispositions du présent chapitre doivent être aménagés pour être ouverts au public, sauf exception justifiée par la fragilité du milieu naturel. Cet aménagement doit être compatible avec la sauvegarde des sites, des paysages et des milieux naturels (...) ".

3. Il résulte de la combinaison de ces dispositions que le pouvoir de préemption exercé par le département trouve sa justification dans l'élaboration et la mise en oeuvre d'une politique de protection des espaces naturels sensibles et d'ouverture au public de ces espaces, sous réserve de la fragilité du milieu naturel, dont la finalité s'étend de la préservation de la qualité des sites et des paysages à celle des milieux naturels et des champs naturels d'expansion des crues et à la sauvegarde des habitats naturels. Le droit de préemption en espaces naturels sensibles qui vise à protéger des terrains présentant un intérêt écologique obéit à des critères fondés sur des considérations d'intérêt général définies par l'article L. 142-1 du même code, que l'autorité administrative doit respecter lors de sa mise en oeuvre dans les conditions fixées par l'article L. 142-3 de ce code et qui sont suffisamment précisées par les dispositions en cause.

4. Par ailleurs, l'annulation par le juge de l'excès de pouvoir de l'acte par lequel le titulaire du droit de préemption décide d'exercer ce droit emporte pour conséquence que ce titulaire doit être regardé comme n'ayant jamais décidé de préempter. Cette annulation implique nécessairement, sauf atteinte excessive à l'intérêt général appréciée au regard de l'ensemble des intérêts en présence, que le titulaire du droit de préemption, s'il n'a pas entre temps cédé le bien illégalement préempté, prenne toute mesure pour mettre fin aux effets de la décision annulée. A ce titre - et en l'absence de transaction qu'il est loisible à la collectivité publique concernée de conclure avec l'acquéreur évincé en vue de déterminer les conditions de la cession du bien ou de la renonciation de ce dernier à tout droit sur ce bien et, le cas échéant, de réparer les préjudices que la décision de préemption illégale a pu lui causer - il appartient au titulaire du droit de préemption de proposer à l'acquéreur évincé puis, à défaut, au propriétaire initial d'acquérir le bien à un prix visant à rétablir autant que possible et sans enrichissement injustifié de l'une quelconque des parties les conditions de la cession à laquelle l'exercice du droit de préemption a fait obstacle.

5. En premier lieu, si M. F...soutient que la réserve par laquelle le juge peut ne pas faire droit aux conclusions à fin d'injonction s'il constate que des considérations d'intérêt général s'y opposent serait contraire à la Constitution pour porter atteinte au droit à un recours juridictionnel effectif, la présente cour, par l'ordonnance n°17NT01190 QPC du 19 décembre 2017 susvisée, a refusé de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité qu'il avait soulevée à cette fin par un mémoire distinct au motif qu'elle ne présentait pas un caractère sérieux.

6. En deuxième lieu, il ressort des pièces du dossier que les parcelles préemptées par le département de Loire-Atlantique correspondent à l'emprise totale de l'île aux Moines, située sur le territoire de la commune d'Ancenis, qui fait partie des " îles de la Loire ", pour laquelle la collectivité publique, par une délibération du 7 octobre 1994, a décidé d'exercer le droit de préemption au titre de la sauvegarde des espaces naturels sensibles après que le conseil municipal de la commune d'Ancenis eût émis un avis favorable par une délibération du 28 juin 1993. Dans le jugement attaqué, les premiers juges, pour rejeter les conclusions à fins d'injonction présentées par M.F..., ont clairement précisé, au point 9, les motifs pour lesquels, eu égard aux intérêts en présence, la remise en cause des acquisitions porterait une atteinte excessive à l'intérêt général compte tenu de la nécessité de la protection de l'environnement, de la préservation des ressources et des milieux naturels et de la sauvegarde du patrimoine historique local alors que le requérant ne faisait valoir que son seul souhait de jouir des attraits du lieu. Si, dans la présente instance, le requérant soutient qu'il a pris l'engagement d'ouvrir au public le site après avoir réhabilité la chapelle Saint-Clément et après avoir planté quelques arbres, cette circonstance n'est pas de nature à remettre en cause l'appréciation portée par le tribunal compte tenu de l'ensemble des mesures prises par la collectivité publique pour sauvegarder et mettre en valeur le site. Si le " programme global de mise en valeur touristique, culturelle et écologique " du marais de Grée, mis en place en 2012, puis reconduit en 2013, était à l'arrêt en 2014 pour être " en cours de réflexion ", cette circonstance, qui porte au demeurant sur un espace naturel distinct situé sur la bordure Est de la commune d'Ancenis, n'est en tout état de cause pas de nature à établir, compte tenu de l'ensemble des mesures mises en place sur l'île aux Moines au titre des politiques environnementales, écologiques et archéologiques pour assurer sa préservation et sa mise en valeur, qu'aucun intérêt général ne s'attacherait à ce que le département préempte les parcelles dont il s'agit. Dans ces conditions, et par adoption des motifs retenus par les premiers juges au point 9 de leur jugement, eu égard aux intérêts en présence, la remise en cause des biens acquis par le département apporterait à l'intérêt général une atteinte excessive qui ne serait pas justifiée par l'intérêt qui s'attache à la disparition des effets des décisions de préemption annulées.

7. En troisième et dernier lieu, si M. F...estime avoir subi un préjudice du fait de l'illégalité des décisions contestées dont il demande réparation sur le fondement de la responsabilité sans faute, il s'agit d'un litige distinct qu'il n'appartient pas au juge de l'exécution de connaître.

8. Il résulte de tout ce qui précède que M. F...n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté ses conclusions à fin d'injonction.

Sur les frais liés au litige :

9. Les dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge du département de Loire-Atlantique, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que M. F...demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens. Il y a lieu, en revanche, de faire application de ces dispositions et de mettre à la charge de M. F...une somme de 1 000 euros au titre des frais exposés par le département de Loire-Atlantique et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de M. F...est rejetée.

Article 2 : M. F...versera au département de Loire-Atlantique la somme de 1 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. B...F...et au département de Loire-Atlantique.

Une copie sera adressée au ministre du logement et de l'habitat durable et au ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales.

Délibéré après l'audience du 5 mars 2019, à laquelle siégeaient :

- M. Pérez, président,

- Mme Brisson, président-assesseur,

- M.A...'hirondel, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 22 mars 2019.

Le rapporteur,

M. E...Le président,

A. PEREZ

Le greffier,

K. BOURON

La République mande et ordonne au ministre de la transition écologique et solidaire en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 17NT01190


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 17NT01190
Date de la décision : 22/03/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. PEREZ
Rapporteur ?: M. Michel LHIRONDEL
Rapporteur public ?: M. DERLANGE
Avocat(s) : SELARL PUBLI-JURIS

Origine de la décision
Date de l'import : 02/04/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2019-03-22;17nt01190 ?
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