Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société Corsica Sole et la société Corsica Sole 3 ont demandé au tribunal administratif de Bastia de condamner la société Electricité de France (EDF) à verser à la société Corsica Sole 3, d'une part, une somme de 20 444,48 euros, outre intérêts moratoires, d'autre part, une somme de 676 831 euros, en application du contrat d'achat d'électricité conclu le 27 décembre 2012.
Par un jugement n° 1501122, 1600835 du 17 novembre 2016, le tribunal administratif de Bastia a rejeté leur demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et des mémoires enregistrés les 13 janvier 2017, 17 mai 2017 et 21 juillet 2017, les sociétés Corsica Sole et Corsica Sole 3, représentées par Me A..., demandent à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Bastia du 17 novembre 2016 ;
2°) de condamner EDF à appliquer à son contrat d'achat d'électricité le tarif de 60 c euros/kWh, et à verser à Corsica Sole 3, à titre principal, une somme de 20 444,48 euros augmentée de pénalités calculées sur la base de trois fois le taux d'intérêt légal, à titre subsidiaire, une somme de 676 831 euros ;
3°) de mettre à la charge d'EDF une somme de 5 000 euros à verser à chacune d'elle en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ainsi que les entiers dépens.
Elles soutiennent que :
- les premiers juges ne se sont pas prononcés sur sa demande indemnitaire correspondant à son préjudice financier ;
- les premiers juges ont à tort écarté l'application du contrat à raison de l'erreur commise par la société EDF dans le tarif applicable et ont méconnu l'article L. 314-7 alinéa 1er du code de l'énergie ;
- l'article 5 des conditions tarifaires particulières et le point 2 de l'article VII des conditions générales annexées au contrat d'achat Guidoni ne sont pas contraires au tarif règlementaire applicable ;
- les contrats d'achat conclus par EDF avec la société Green Yellow pour ses centrales de Corte, Ajaccio, Ajaccio Mezzavia sont identiques aux siens ; écarter le contrat conduit à une rupture d'égalité entre producteurs ;
- EDF peut appliquer un tarif plus avantageux pour le producteur ;
- le tarif applicable est celui issu de l'arrêté du 10 juillet 2006.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 30 mars 2017, 29 juin 2017 et 25 août 2017, la société Electricité de France (EDF) conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 3 000 euros soit mise à la charge des sociétés Corsica Sole et Corsica Sole 3 au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- les tarifs d'achat d'électricité sont soumis à une règlementation qui s'impose à EDF et aux producteurs, nonobstant toute disposition contractuelle contraire ;
- il convient d'écarter les clauses tarifaires du contrat en cause dans la mesure où elles sont divisibles du reste du contrat et sont contraires aux normes applicables ;
- le contrat en litige relève du régime de l'obligation d'achat et les parties ne peuvent y déroger ;
- les tarifs d'achat fixés par voie règlementaire s'appliquent et les surcoûts supportés par EDF dans le cadre de ses missions de service public ne s'appliquent pas ;
- le principe d'égalité de traitement n'est pas méconnu dès lors qu'EDF a transigé avec la société Green Yellow et qu'elle régularise les situations d'autres producteurs ;
- les sociétés n'ont pas subi de préjudice et n'ont pas eu de droits lésés.
Par une ordonnance du 24 juillet 2017, la clôture de l'instruction a été fixée au 30 août 2017 à 12h00.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code civil ;
- le code de l'énergie ;
- la loi n° 2000-108 du 10 février 2000 ;
- la loi n° 2010-788 du 12 juillet 2010 ;
- le décret n° 2000-1196 du 6 décembre 2000 ;
- le décret n° 2001-410 du 10 mai 2001 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme D... Steinmetz-Schies, président assesseur,
- les conclusions de M. B... Thiele, rapporteur public,
- et les observations Me A..., représentant les sociétés Corsica Sole et Corsica Sole 3, et de Me C..., représentant la société Electricité de France.
1. Considérant que la société Corsica Sole 3, qui exploite une installation de production d'électricité photovoltaïque sur le territoire de la commune de Lucciana, dite " installation Guidoni ", a signé un contrat d'achat le 27 décembre 2012 avec la société EDF, sur le fondement de l'obligation d'achat instaurée par les articles L. 314-1 et suivants du code de l'énergie, ; que ce contrat prévoyait que l'électricité produite serait achetée par EDF au tarif dit " S06 ", tel que prévu par arrêté interministériel du 10 juillet 2006 ; que par courrier du 27 février 2015, la société EDF a informé la société Corsica Sole, société holding de la société Corsica Sole 3 qui administre et exécute les contrats conclus entre celle-ci et EDF, que le tarif applicable au rachat de l'électricité produite par son installation était le tarif " S10 " tel que fixé par l'arrêté du 12 janvier 2010, que ce tarif lui serait désormais appliqué et que le trop perçu serait déduit du montant de l'échéance suivante ; que la société Corsica Sole ayant refusé que soit signé un avenant au contrat, la société Corsica Sole 3 a émis le 19 août 2015 une facture de 60 596,13 euros pour la période du 1er février au 1er août 2015, qu'EDF a réglé à hauteur de 40 151,65 euros seulement ; que les sociétés Corsica Sole et Corsica Sole 3 relèvent appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Bastia a rejeté leur demande de condamnation d'EDF à verser à la société Corsica Sole 3, la somme de 20 444,48 euros en application du contrat du 27 décembre 2012, outre intérêts moratoires, ainsi qu'une somme de 676 831 euros correspondant au préjudice financier subi du fait de la modification tarifaire depuis 2013 ;
2. Considérant que lorsque les parties soumettent au juge un litige relatif à l'exécution du contrat qui les lie, il incombe en principe à celui-ci, eu égard à l'exigence de loyauté des relations contractuelles, de faire application du contrat ; que, toutefois, dans le cas seulement où il constate une irrégularité invoquée par une partie ou relevée d'office par lui, tenant au caractère illicite du contrat ou à un vice d'une particulière gravité relatif notamment aux conditions dans lesquelles les parties ont donné leur consentement, il doit écarter le contrat et ne peut régler le litige sur le terrain contractuel ; qu'ainsi, lorsque le juge est saisi d'un litige relatif à l'exécution d'un contrat, les parties à ce contrat ne peuvent invoquer un manquement aux règles de passation, ni le juge le relever d'office, aux fins d'écarter le contrat pour le règlement du litige ; que, par exception, il en va autrement lorsque, eu égard d'une part à la gravité de l'illégalité et d'autre part aux circonstances dans lesquelles elle a été commise, le litige ne peut être réglé sur le fondement de ce contrat ;
3. Considérant qu'aux termes de l'article 10 de la loi du 10 février 2000 relative à la modernisation et au développement du service public de l'électricité, codifié depuis à l'article L. 314-1 du code de l'énergie : " Sous réserve de la nécessité de préserver le bon fonctionnement des réseaux, Electricité de France et, dans le cadre de leur objet légal et dès lors que les installations de production sont raccordées aux réseaux publics de distribution qu'ils exploitent, les distributeurs non nationalisés mentionnés à l'article 23 de la loi n° 46-628 du 8 avril 1946 précitée sont tenus de conclure, si les producteurs intéressés en font la demande, un contrat pour l'achat de l'électricité produite sur le territoire national par : / [...] ; / 2° Les installations de production d'électricité qui utilisent des énergies renouvelables [...]. Un décret en Conseil d'Etat fixe les limites de puissance installée des installations de production qui peuvent bénéficier de l'obligation d'achat " ; qu'aux termes de l'article 5 du décret du 10 mai 2001 relatif aux conditions d'achat de l'électricité produite par des producteurs bénéficiant de l'obligation d'achat : " Les relations entre le producteur et l'acheteur font l'objet d'un contrat d'achat de l'électricité établi conformément au présent décret et à l'arrêté correspondant à la filière concernée, pris en application de l'article 8 du présent décret. La prise d'effet du contrat d'achat est subordonnée au raccordement de l'installation au réseau (...) " ; que l'article 1er de l'arrêté du 16 mars 2010 fixant les conditions d'achat de l'électricité produite par certaines installations utilisant l'énergie radiative du soleil telles que visées au 3° de l'article 2 du décret n° 2000-1196 du 6 décembre 2000 prévoit que, lorsqu'une installation n'a pas été mise en service avant le 15 janvier 2010, le producteur ne peut bénéficier d'un contrat d'achat d'électricité 006 que si " une demande de contrat d'achat (...) a été déposée avant le 1er novembre 2009 " ;
4. Considérant d'une part, que s'il est constant que l'installation en cause ne satisfait pas à la condition posée par l'arrêté du 16 mars 2010 pour bénéficier des tarifs d'achat " S06 ", tels qu'indiqués dans le contrat conclu le 27 décembre 2012 entre EDF et la société Corsica Sole 3, la clause tarifaire " S06 " incluse dans le contrat d'achat d'électricité a eu un caractère déterminant dans la conclusion de ce contrat et est donc indivisible des autres dispositions de ce contrat ; que, par suite, l'article 5 des conditions générales tarifaires particulières et le point 2 de l'article VII des conditions générales annexées à ce contrat d'achat ne sont pas, contrairement à ce que soutient EDF, divisibles des autres stipulations du contrat ;
5. Considérant d'autre part, que l'article 10 de la loi n° 2000-108 du 10 février 2000, ainsi que l'arrêté du 12 janvier 2010 pris pour son application, ont pour objet de fixer, au seul bénéfice des producteurs d'électricité, les conditions minimales auxquelles EDF est tenue d'acheter l'électricité ; que ces dispositions n'ont pas pour objet, et ne saurait avoir pour effet d'interdire à EDF d'acheter de l'électricité à des conditions tarifaires plus favorables pour les producteurs ; que, dès lors, le contenu du contrat en litige n'est pas illicite ; qu'en outre, l'erreur commise par EDF sur le tarif applicable n'a pas eu pour effet de vicier son consentement ; que, dès lors, il n'y a pas lieu d'écarter l'application du contrat ;
6. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les sociétés requérantes sont fondées à demander l'application de l'article 5 des conditions générales tarifaires particulières du contrat ; qu'il y a lieu, par suite, de condamner la société EDF à payer à la société Corsica Sole 3 la somme de 20 444,48 euros qu'elle demande à titre principal, correspondant au différentiel entre le montant facturé au tarif " S06 " (60 596,13 euros) et la somme effectivement réglée par EDF au tarif " S10 " (40 151,65 euros) ;
7. Considérant qu'aux termes de l'article IX, " paiement ", du contrat : " (...) à défaut de paiement intégral dans le délai contractuel, les sommes dues seront majorées de plein droit, en application de la loi n° 92-1442 du 31 décembre 1992, et sans qu'il soit besoin d'une mise en demeure, de pénalités calculées sur la base du taux d'intérêt légal multiplié par trois (ce taux étant celui du dernier jour du mois précédent l'émission de la facture) " ;
8. Considérant que la facture en litige a été émise le 19 août 2015 ; que le taux d'intérêt légal applicable était celui du second semestre 2015, soit 0,99 %, en application de l'arrêté du 24 juin 2015 relatif à la fixation du taux de l'intérêt légal ; que le taux des pénalités applicable est par suite de 2,97 % ; que le délai de paiement expirait le 8 septembre 2015, soit vingt jours après la date d'envoi de la facture ; qu'il y a donc lieu de condamner EDF à payer à la société Corsica Sole 3 la somme de 20 444,48 euros assortie des intérêts au taux de 2,97 % courant à compter du 8 septembre 2015 ;
9. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que les sociétés Corsica Sole et Corsica Sole 3 sont fondées à demander l'annulation du jugement du tribunal administratif de Bastia et la condamnation d'EDF à payer à la société Corsica Sole 3 la somme de 20 444,48 euros assortie des intérêts au taux de 2,97 % courant à compter du 8 septembre 2015 ;
10. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative s'opposent à ce que la somme réclamée par la société EDF au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens soit mise à la charge des sociétés Corsica Sole et Corsica Sole 3, qui ne sont pas la partie perdante dans la présente instance ; qu'il y a lieu, par contre, de mettre à la charge de la société EDF une somme de 1 000 euros à verser à chacune des sociétés Cosica Sole et Corsica Sole 3 au titre de ces mêmes dispositions ;
11. Considérant qu'aucun dépens n'a été exposé dans la présente instance ; que les conclusions des sociétés Corsica Sole et Corsica Sole 3 tendant à ce que les entiers dépens de l'instance soient mis à la charge de la société EDF doivent, par suite, être rejetées ;
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Bastia du 17 novembre 2016 est annulé.
Article 2 : La société EDF est condamnée à payer à la société Corsica Sole 3 la somme de 20 444,48 euros assortie des intérêts au taux de 2,97 % courant à compter du 8 septembre 2015.
Article 3 : La société EDF versera à la société Corsica Sole et à la société Corsica Sole 3 une somme de mille euros, chacune, en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié aux sociétés Corsica Sole et Corsica Sole 3 et à la société électricité de France (EDF).
Délibéré après l'audience du 29 janvier 2018, où siégeaient :
Mme Isabelle Carthé Mazères, présidente,
Mme D... Steinmetz-Schies, président assesseur,
M. Philippe Grimaud, premier conseiller,
Lu en audience publique le 12 février 2018.
2
17MA00134