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19/11/2019 | FRANCE | N°17DA02037

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 1ère chambre, 19 novembre 2019, 17DA02037


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Gurdebeke a demandé au tribunal administratif d'Amiens de réformer les articles 4.3.1 à 4.3.11 du chapitre 4.3 de l'arrêté du 5 novembre 2014 par lequel le préfet de l'Oise l'a autorisée à exploiter une installation de stockage de déchets non dangereux à Hardivillers, en les remplaçant par les articles 4.4.3 à 4.4.9 du chapitre 4.4 de l'arrêté complémentaire du 13 février 2014 en tant qu'ils autorisent, dans les conditions qu'ils prévoient, le rejet des lixiviats traités dans le mili

eu naturel.

Par un jugement n° 1404333 du 20 juin 2017, le tribunal administratif...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Gurdebeke a demandé au tribunal administratif d'Amiens de réformer les articles 4.3.1 à 4.3.11 du chapitre 4.3 de l'arrêté du 5 novembre 2014 par lequel le préfet de l'Oise l'a autorisée à exploiter une installation de stockage de déchets non dangereux à Hardivillers, en les remplaçant par les articles 4.4.3 à 4.4.9 du chapitre 4.4 de l'arrêté complémentaire du 13 février 2014 en tant qu'ils autorisent, dans les conditions qu'ils prévoient, le rejet des lixiviats traités dans le milieu naturel.

Par un jugement n° 1404333 du 20 juin 2017, le tribunal administratif d'Amiens a abrogé le chapitre 4.3 de l'arrêté du 5 novembre 2014 du préfet de l'Oise à l'issue d'un délai de six mois à compter de la notification du jugement et a enjoint à cette autorité de prendre un arrêté définissant les modalités d'application de cette mesure dans un même délai.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 24 octobre 2017, et des mémoires, enregistrés les 7 et 11 février 2019, le ministre de la transition écologique et solidaire demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de rejeter la demande présentée devant le tribunal administratif d'Amiens.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Constitution ;

- l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;

- la directive 1999/31/CE du Conseil du 26 avril 1999 concernant la mise en décharge des déchets ;

- le code de l'environnement ;

- la loi n° 96-1236 du 30 décembre 1996 ;

- l'arrêté du 10 juillet 1990 relatif à l'interdiction des rejets de certaines substances dans les eaux souterraines en provenance d'installations classées ;

- l'arrêté du 9 septembre 1997 de relatif aux décharges existantes et aux nouvelles installations de stockage de déchets ménagers et assimilés ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Claire Rollet-Perraud, président-assesseur,

- les conclusions de M. Charles-Edouard Minet, rapporteur public,

- et les observations de Me A... B..., représentant la société Gurdebeke.

Une note en délibéré présentée pour la société Gurdebeke a été enregistrée le 5 novembre 2019.

Considérant ce qui suit :

1. Par un arrêté du 16 juillet 2010, le préfet de l'Oise a autorisé la société Gurdebeke à exploiter des installations de stockage de déchets non fermentescibles peu évolutifs sur le territoire de la commune d'Hardivillers. Le tribunal administratif d'Amiens a, par jugement du 20 juin 2017, annulé cet arrêté motif pris notamment de son incompatibilité avec le plan d'occupation des sols de la commune, et a néanmoins autorisé la société Gurdebeke à poursuivre temporairement l'exploitation pour une période d'un an à compter de la notification du jugement, dans l'attente de sa régularisation. Par un dossier déposé le 16 décembre 2013 et complété le 7 mars 2014, la société Gurdebeke a demandé au préfet de l'Oise une nouvelle autorisation d'exploiter ces installations. Le 13 février 2014, le préfet a d'abord édicté des mesures conservatoires afin de permettre la poursuite temporaire de l'exploitation, par arrêté pris sur le fondement du deuxième alinéa de l'article L. 171-7 du code de l'environnement. Puis, le préfet de l'Oise a, par un arrêté du 5 novembre 2014, autorisé la société Gurdebeke à exploiter ces installations de stockage de déchets non fermentescibles peu évolutifs sur le territoire de la commune d'Hardivillers sous réserve des droits des tiers et du strict respect des conditions et prescriptions jointes en annexe de cet arrêté.

2. Le 18 novembre 2014, la société Gurdebeke a demandé au tribunal administratif d'Amiens de réformer les articles 4.3.1 à 4.3.11 de cet arrêté en leur substituant les articles 4.4.3 à 4.4.9 de l'arrêté portant mesures conservatoires du 13 février 2014, en tant qu'ils autorisent, dans les conditions qu'ils prévoient, le rejet des lixiviats traités dans le milieu naturel. Par un jugement n° 1404333 du 20 juin 2017, le tribunal administratif d'Amiens a prononcé l'abrogation, au terme d'un délai de six mois à compter de la notification du jugement, du chapitre 4.3 de l'arrêté du 5 novembre 2014 et a enjoint au préfet de prendre, dans le même délai, un arrêté fixant de nouvelles prescriptions. Par la présente requête, le ministre de la transition écologique et solidaire fait appel de ce jugement.

Sur l'étendue du litige :

3. Il appartient au juge de plein contentieux des installations classées pour la protection de l'environnement de se prononcer sur l'étendue des droits et obligations accordés aux exploitants ou mis à leur charge par l'autorité compétente au regard des circonstances de fait et de droit existantes à la date à laquelle il statue. Si, lorsque l'autorité administrative prend, pour l'exécution d'une décision juridictionnelle d'annulation, une nouvelle décision d'autorisation d'exploiter ayant un caractère provisoire, le recours dirigé contre cette décision juridictionnelle conserve son objet, il en va autrement en cas d'intervention d'une nouvelle autorisation définissant entièrement les conditions d'exploitation de l'installation et dépourvue de caractère provisoire, se substituant à l'autorisation initialement contestée. L'intervention de cette nouvelle autorisation, qu'elle ait ou non acquis un caractère définitif, prive d'objet la contestation de la première autorisation, sur laquelle il n'y a, dès lors, plus lieu de statuer.

4. Le préfet de l'Oise a pris, le 29 décembre 2017, un arrêté autorisant la poursuite de l'exploitation des installations en cause, abrogeant le titre 4 de l'arrêté préfectoral du 5 novembre 2014 et le remplaçant par le titre 4 de son annexe. Il ressort des termes de cet arrêté du 29 décembre 2017 qui vise le jugement du tribunal administratif d'Amiens du 20 juin 2017, qu'il a été pris en exécution de ce jugement. En outre, le ministre de la transition écologique et solidaire a, dès le 23 octobre 2017, relevé appel du jugement du 20 juin 2017. Or, cet appel ne présentait pas de caractère suspensif et ce n'est que l'arrêt n° 17DA02036 du 1er février 2018, prononçant le sursis à l'exécution du jugement du 20 juin 2017, qui a mis fin à l'obligation de l'administration d'exécuter ce jugement. Par suite, compte tenu de ces circonstances, l'arrêté du 29 décembre 2017 doit être regardé comme revêtant un caractère provisoire. L'intervention de cette décision ne prive donc pas d'objet l'appel formé par le ministre contre le jugement du tribunal administratif d'Amiens du 20 juin 2017.

Sur la recevabilité de l'appel :

5. Aux termes de l'article R. 751-8 du code de justice administrative : " Lorsque la notification d'une décision du tribunal administratif ou de la cour administrative d'appel doit être faite à l'Etat, l'expédition est adressée au ministre dont relève l'administration intéressée au litige. Copie de la décision est adressée au préfet ainsi que, s'il y a lieu, à l'autorité qui assure la défense de l'Etat devant la juridiction ". L'article R. 811-10 du même code prévoit que : " Sauf dispositions contraires, les ministres intéressés présentent devant la cour administrative d'appel les mémoires et observations produits au nom de l'Etat ". En application de ces dispositions, le délai d'appel contre le jugement du tribunal administratif d'Amiens ne pouvait courir contre l'Etat qu'à compter de la notification dudit jugement au ministre en charge des installations classées pour la protection de l'environnement. Or, si ce jugement a été notifié le 4 juillet 2017 au préfet de l'Oise, il ne l'a pas été au ministre. Dans ces conditions, la notification faite au seul préfet n'a pas fait courir le délai de recours à l'encontre du ministre, la théorie de la connaissance acquise ne trouvant pas à s'appliquer en matière de décision juridictionnelle. Par suite, la tardiveté opposée à la requête doit être écartée.

Sur le motif d'annulation retenu par les premiers juges :

En ce qui concerne le bien-fondé du jugement :

6. Aux termes de l'article 35 de l'arrêté du 9 septembre 1997 relatif aux décharges existantes et aux nouvelles installations de stockage de déchets ménagers et assimilés : " Les conditions de traitement des lixiviats sont fixées par l'arrêté préfectoral. / Les lixiviats ne peuvent être rejetés dans le milieu naturel que s'ils respectent les valeurs fixées à l'article 36. (...) ". Aux termes de l'article 36 de ce même arrêté : " Les normes minimales applicables aux rejets des effluents liquides dans le milieu naturel sont fixées à l'annexe III. Lorsque les conditions locales du milieu récepteur l'exigent, des normes plus sévères sont fixées dans l'arrêté préfectoral. ". Si l'arrêté du 15 février 2016 relatif aux installations de stockage de déchets non dangereux est venu abroger l'arrêté susmentionné du 9 septembre 1997, il résulte de l'alinéa 3 de l'article 63 de l'arrêté du 15 février 2016 que son article 11 relatif à la collecte et aux traitement des lixiviats s'applique aux bassins de collecte des lixiviats construits au 1er juillet 2016 pour les installations autorisées antérieurement à cette même date. En l'espèce, si les installations en cause ont été autorisées avant cette date, les bassins de collecte ont été construits avant le 1er juillet 2016. Par suite, les dispositions des articles 35 et 36 de l'arrêté du 9 septembre 1997 relatif aux décharges existantes et aux nouvelles installations de stockage de déchets ménagers et assimilés trouvent à s'appliquer dans la présente affaire.

7. Aux termes de l'article 1er de l'arrêté du 10 juillet 1990 relatif à l'interdiction des rejets de certaines substances dans les eaux souterraines en provenance d'installations classées : " Sont visés par le présent arrêté les rejets directs ou indirects provenant des installations classées pour la protection de l'environnement, à l'exclusion de ceux dus à la réinjection dans leur nappe d'origine d'eaux à usage géothermique, d'eaux d'exhaure des carrières et des mines ou d'eaux pompées lors de certains travaux de génie civil. (...) ". L'article 2 de cet arrêté du 10 juillet 1990 dispose que : " Sans préjudice de textes plus contraignants applicables à différentes catégories d'installations, le rejet en provenance d'installations classées de substances relevant de l'annexe au présent arrêté est interdit dans les eaux souterraines. / Cette interdiction ne s'applique pas aux eaux pluviales qui sont soumises aux dispositions de l'article 4 ter du présent arrêté. / Les éventuelles dispositions moins contraignantes des arrêtés ministériels pris en application de la loi du 19 juillet 1976 sont abrogées. ".

8. Il résulte des dispositions combinées citées aux points 6 et 7 que si les lixiviats, liquides résiduels qui proviennent de la percolation de l'eau à travers un matériau, dont une fraction peut être soluble, peuvent être rejetés dans le milieu naturel lorsqu'ils respectent les valeurs fixées à l'article 36 de l'arrêté du 9 septembre 1997, ce n'est qu'à la condition qu'il ne s'agisse pas de rejets directs ou indirects de substances relevant de l'annexe à l'arrêté du 10 juillet 1990 dans les eaux souterraines.

9. En l'espèce, il est constant que les installations de stockage de déchets non fermentescibles peu évolutifs de la société Gurdebeke autorisées par l'arrêté du 5 novembre 2014 produisent des lixiviats qui contiennent des substances relevant de l'annexe à l'arrêté du 10 juillet 1990. Il résulte de l'instruction et notamment du dossier de demande de régularisation de l'autorisation d'exploitation des installations en cause de décembre 2013 que ces lixiviats traités par la technique de l'osmose inverse, qui permet le respect des valeurs fixées à l'article 36 de l'arrêté du 9 septembre 1997, rejoignent par infiltration dans la craie les eaux souterraines. Par suite, le ministre de la transition écologique et solidaire est fondé à soutenir que l'article 2 de l'arrêté du 10 juillet 1990 s'oppose au rejet, dans ces conditions, des lixiviats traités dans le milieu naturel et que c'est à tort que le tribunal administratif d'Amiens a écarté l'application de l'arrêté du 10 juillet 1990 au motif que les dispositions spéciales des articles 35 et 36 de l'arrêté du 9 septembre 1997 précitées dérogent à celles, générales, de l'arrêté du 10 juillet 1990.

10. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par la société Gurdebeke devant le tribunal administratif d'Amiens et la cour.

Sur les autres moyens soulevés par la société Gurdebeke :

En ce qui concerne les moyens tirés de l'exception d'illégalité de l'arrêté du 10 juillet 1990 :

S'agissant de la question prioritaire de constitutionnalité :

11. Aux termes de l'article 61-1 de la Constitution : " Lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'Etat ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé. Une loi organique détermine les conditions d'application du présent article ". Le second alinéa de l'article 23-2 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel précise que : " La juridiction statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'Etat ou à la Cour de cassation. Il est procédé à cette transmission si les conditions suivantes sont remplies : 1° La disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure, ou constitue le fondement des poursuites ; 2° Elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances ; 3° La question n'est pas dépourvue de caractère sérieux ".

12. Aux termes de l'article L. 512-5 du code de l'environnement, dans sa version issue de l'ordonnance n° 2000-914 du 18 septembre 2000, version dont la société Gurdebeke conteste la constitutionnalité : " les règles générales et prescriptions techniques applicables aux installations soumises aux dispositions de la présente section. Ces règles et prescriptions déterminent les mesures propres à prévenir et à réduire les risques d'accident ou de pollution de toute nature susceptibles d'intervenir ainsi que les conditions d'insertion dans l'environnement de l'installation et de remise en état du site après arrêt de l'exploitation ".

13. La société Gurdebeke soutient que cet article constitue la base légale sur le fondement de laquelle le ministre chargé des installations classées a pris l'arrêté précité du 10 juillet 1990 au motif que cet arrêté a été modifié par l'arrêté du 13 juin 2005 modifiant l'arrêté du 10 juillet 1990 relatif à l'interdiction des rejets de certaines substances dans les eaux souterraines en provenance d'installations classées, puis par une ordonnance n° 2010-418 du 27 avril 2010 pris l'un et l'autre au visa de l'article L. 512-5 du code de l'environnement dans la version citée au point 12. Elle soutient également que cette version de l'article L. 512-5 du code de l'environnement est affectée de la même inconstitutionnalité que la version du même texte issue de l'article 97 de la loi n° 2011-525 du 17 mai 2011. En effet, le Conseil constitutionnel, dans sa décision n° 2012-262 QPC du 13 juillet 2012 a censuré la dernière phrase de cet article, dans cette version, selon laquelle " Les projets de règles et prescriptions techniques font l'objet d'une publication, éventuellement par voie électronique, avant leur transmission au Conseil supérieur de la prévention des risques technologiques " au motif que le législateur a méconnu sa compétence, aucune disposition législative n'assurant la mise en oeuvre du principe de participation du public défini à l'article 7 de la Charte de l'environnement à l'élaboration des prescriptions générales applicables aux installations classées.

14.Toutefois, les dispositions de l'article 2 de l'arrêté du 10 juillet 1990 qui interdisent le rejet en provenance d'installations classées de certaines substances dans les eaux souterraines ont été introduites dans l'ordonnancement juridique par cet arrêté du 10 juillet 1990 pris sur le fondement des dispositions de l'article 7 de la loi n° 76-663 du 19 juillet 1976 et non de l'article L. 512-5 du code de l'environnement entré en vigueur le 21 septembre 2000 et n'ont été modifiées ni par l'arrêté du 13 juin 2005, ni par l'ordonnance du 27 avril 2010. Ainsi, à supposer même que l'article L. 512-5 du code de l'environnement, dans sa version issue de l'ordonnance n° 2000-914 du 18 septembre 2000, soit contraire à la Constitution, cette circonstance resterait sans incidence sur la légalité de l'arrêté du 10 juillet 1990. Dès lors, les dispositions législatives dont la conformité à la Constitution est contestée n'étant pas applicables au litige, la question prioritaire de constitutionnalité posée par la société Gurdebeke est dépourvue du caractère qui justifierait qu'elle soit transmise au Conseil d'Etat en application des dispositions visées au point 11.

S'agissant du moyen tiré de l'incompétence du ministre chargé des installations classées pour prendre l'arrêté du 10 juillet 1990 :

15. S'agissant des règles relatives à la détermination de l'autorité compétente pour édicter un acte réglementaire, leur changement ne saurait avoir pour effet de rendre illégal un acte qui avait été pris par une autorité qui avait compétence pour ce faire à la date de son édiction. Un tel changement a, en revanche, pour effet de faire cesser l'illégalité dont était entaché un règlement édicté par une autorité incompétente dans le cas où ce changement a conduit, à la date à laquelle le juge statue, à investir cette autorité de la compétence pour ce faire.

16. Si l'article 7 de la loi du 19 juillet 1976, sur le fondement duquel l'arrêté du 10 juillet 1990 a été pris, n'attribuait compétence au ministre chargé des installations classées pour édicter des règles générales et des prescriptions techniques que pour des catégories bien déterminées d'installations, et en fonction des caractéristiques spécifiques de celles-ci, l'article 45 de la loi n° 96-1236 du 30 décembre 1996 a permis au ministre de fixer par arrêté " les règles générales et prescriptions techniques applicables aux installations soumises aux dispositions du présent titre ". Par suite, le moyen tiré de l'incompétence du ministre chargé des installations classées pour prendre l'arrêté du 10 juillet 1990 doit être écarté.

S'agissant du moyen tiré de ce que l'arrêté du 10 juillet 1990 fixe une interdiction générale et absolue et en cela porte atteinte aux intérêts mentionnés à l'article L. 511-1 du code de l'environnement :

17. Il résulte des termes de l'article 2 de l'arrêté du 10 juillet 1990 que l'interdiction des rejets dans les eaux souterraines ne concerne que ceux en provenance d'installations classées contenant des substances figurant dans l'annexe de cet arrêté. Il est prévu que cette interdiction ne s'applique pas aux eaux pluviales qui sont soumises aux dispositions de l'article 4 ter du même arrêté. L'article 1er de l'arrêté du 10 juillet 1990 a également pour effet d'écarter du champ d'application de l'interdiction les rejets dus à la réinjection dans leur nappe d'origine d'eaux à usage géothermique, d'eaux d'exhaure des carrières et des mines ou d'eaux pompées lors de certains travaux de génie civil. Par suite, la société Gurdebeke n'est pas fondée à soutenir que l'article 2 de l'arrêté du 10 juillet 1990 fixe une interdiction générale et absolue. En outre, elle n'établit pas, par les éléments qu'elle verse au dossier, que l'interdiction ainsi définie serait entachée d'une erreur d'appréciation au regard des intérêts visés à l'article L. 511-1 du code de l'environnement.

S'agissant du moyen tiré de ce que l'arrêté du 10 juillet 1990 instituerait une rupture d'égalité entre les différents types d'installations classées :

18. Ainsi qu'il a été dit au point 17, l'interdiction de rejet dans les eaux souterraines concerne les rejets contenant certaines substances en provenance d'installations classées, sans distinction entre les différents types d'installations les ayant émis. Par ailleurs, si elle ne s'applique pas aux eaux pluviales et aux rejets dus à la réinjection dans leur nappe d'origine d'eaux à usage géothermique, d'eaux d'exhaure des carrières et des mines ou d'eaux pompées lors de certains travaux de génie civil, la société Gurdebeke ne soutient pas que ces exceptions ne seraient pas justifiées par une différence de situation objective. Le moyen tiré de la méconnaissance du principe d'égalité doit dès lors être écarté.

En ce qui concerne les autres moyens soulevés par la société Gurdebeke :

19. En premier lieu, aux termes de l'article 2 de l'arrêté du 10 juillet 1990 : " Sans préjudice de textes plus contraignants applicables à différentes catégories d'installations, le rejet en provenance d'installations classées de substances relevant de l'annexe au présent arrêté est interdit dans les eaux souterraines. / Cette interdiction ne s'applique pas aux eaux pluviales qui sont soumises aux dispositions de l'article 4 ter du présent arrêté". Aux termes de l'article 4 ter de ce même arrêté : " Lorsque le ruissellement des eaux pluviales sur des toitures, aires de stockage, voies de circulation, aires de stationnement et autres surfaces imperméables est susceptible de présenter un risque particulier d'entraînement de substances relevant de l'annexe au présent arrêté par lessivage des installations de production, toitures, sols, aires de stockage, etc., ces eaux doivent être collectées et envoyées dans un (ou plusieurs) bassin(s) de confinement capable(s) de recueillir le premier flot des eaux pluviales. / Elles ne peuvent être rejetées directement ou indirectement dans les eaux souterraines qu'après contrôle de leur qualité et, si besoin, un traitement approprié. Leur rejet est étalé dans le temps en tant que de besoin ". Si la société Gurdebeke entend se prévaloir de l'exception prévue par les dispositions précitées de l'article 4 ter de l'arrêté du 10 juillet 1990, il ne résulte pas de l'instruction que les lixiviats émis par les installations autorisées par l'arrêté en litige résulteraient du seul ruissellement des eaux pluviales. Par suite, la société n'est pas fondée à soutenir que ses installations seraient conformes aux dispositions de l'arrêté du 10 juillet 1990.

20. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 512-3 du code de l'environnement dans sa version applicable : " Les conditions d'installation et d'exploitation jugées indispensables pour la protection des intérêts mentionnés à l'article L. 511-1, les moyens de suivi, de surveillance, d'analyse et de mesure et les moyens d'intervention en cas de sinistre sont fixés par l'arrêté d'autorisation et, éventuellement, par des arrêtés complémentaires pris postérieurement à cette autorisation ". Aux termes de l'article L. 515-28 du même code dans sa version applicable : " Pour les installations énumérées à l'annexe I de la directive mentionnée ci-dessus et dont la définition figure dans la nomenclature des installations classées prévue à l'article L. 511-2, les conditions d'installation et d'exploitation mentionnées à l'article L. 512-3 sont fixées de telle sorte qu'elles soient exploitées en appliquant les meilleures techniques disponibles et par référence aux conclusions sur ces meilleures techniques. /(...) ".

21. Comme déjà exposé, le ministre chargé des installations classées a, en application des dispositions citées au point 16, fixé par l'arrêté du 10 juillet 1990 : " des règles générales et prescriptions techniques " applicables aux installations classées, et notamment par son article 2 une interdiction des rejets de certaines substances dans les eaux souterraines en provenance d'installations classées. Par suite, la société Gurdebeke ne peut utilement soutenir que la technique de traitement des lixiviats par " osmose inversée " qu'elle utilise dans les installations autorisées par l'arrêté en litige correspondrait à la meilleure technique disponible au sens de l'article L. 515-28 du code de l'environnement.

22. En troisième lieu, aux termes de l'article R. 512-28 du code de l'environnement alors applicable : " L'arrêté d'autorisation et, le cas échéant, les arrêtés complémentaires fixent les prescriptions nécessaires à la protection des intérêts mentionnés aux articles L. 211-1, L. 220-1 et L. 511-1. / Ces prescriptions tiennent compte notamment, d'une part, de l'efficacité des meilleures techniques disponibles et de leur économie, d'autre part, de la qualité, de la vocation et de l'utilisation des milieux environnants ainsi que de la gestion équilibrée de la ressource en eau. / Pour les installations soumises à des règles techniques fixées par un arrêté ministériel pris en application de l'article L. 512-5, l'arrêté d'autorisation peut créer des modalités d'application particulières de ces règles. (...) ".

23. Si la société Gurdebeke soutient que les prescriptions qui lui sont imposées par le chapitre 4.3 de l'arrêté du 5 novembre 2014 excèdent les contraintes nécessaires à la protection des intérêts mentionnés à l'article L. 511-1 du code de l'environnement, en méconnaissance des articles L. 512-3 et R. 512-28 du même code, il n'en demeure pas moins, que l'interdiction fixée par l'article 2 de l'arrêté du 10 juillet 1990 s'impose au préfet lors de la délivrance de l'arrêté d'autorisation, les dispositions de l'alinéa 3 de l'article R. 512-28 du code de l'environnement ne lui ouvrant pas la possibilité de ne pas y soumettre les installations en cause.

24. En quatrième lieu, si le 2 de l'article 1er " Objectif général " de la directive 1999/31/CE du Conseil du 26 avril 1999 concernant la mise en décharge des déchets énonce que : " Pour ce qui est des caractéristiques techniques des décharges, la présente directive comporte, pour les décharges auxquelles s'applique la directive 96/61/CE, les exigences techniques nécessaires pour traduire dans les faits les exigences générales de ladite directive. Les exigences pertinentes de ladite directive sont réputées satisfaites si les exigences de la présente directive le sont. ", ces dispositions n'ont ni pour objet ni pour effet d'interdire aux Etats membres de mettre en place des réglementations compatibles avec les objectifs de la directive mais plus contraignantes que les exigences générales qu'elle fixe. Par ailleurs, la société Gurdebeke soutient que l'interdiction qui lui est faite de recourir à l'infiltration de lixiviats traités par osmose inversée serait contraire à l'approche intégrée de protection de l'environnement, qu'impose le droit de l'Union européenne notamment la directive 96/61/CE du 24 septembre 1996 relative à la prévention et à la réduction intégrées de la pollution puis la directive 2010/75/UE du 24 novembre 2010 relative aux émissions industrielles et qui, au contraire des approches distinctes visant à réduire les émissions dans l'air, les eaux ou les sols de façon séparée qui sont susceptibles de favoriser des transferts de pollution entre les différents milieux de l'environnement, a pour objectif de protéger l'environnement dans son ensemble. Or, les éléments versés au dossier par la société ne démontrent pas que le recours à d'autres techniques de traitement des lixiviats engendrerait une pollution plus importante que celle résultant de leur infiltration dans les eaux souterraines après traitement par osmose inverse.

25. En dernier lieu, la société Gurdekbeke soutient que le préfet a méconnu les principes de sécurité juridique et de confiance légitime en interdisant subitement l'infiltration des lixiviats traités par osmose inversée. Mais, d'une part, l'interdiction de rejet dans les eaux souterraines est fondée sur l'article 2 de l'arrêté ministériel du 10 juillet 1990 qui n'a pas fait l'objet de modification sur la période en cause. D'autre part, si la société a été autorisée à recourir à l'infiltration des lixiviats traités par osmose inversée une première fois par l'autorisation d'exploitation initiale du 10 juillet 2010, qui a été annulée par un jugement du tribunal administratif d'Amiens du 1er octobre 2013, puis une seconde fois par l'arrêté du 13 février 2014 édictant des mesures conservatoires afin de permettre la poursuite temporaire de l'exploitation, ces autorisations qui permettaient l'infiltration des lixiviats après traitement par osmose inversée n'étaient pas conformes à la réglementation en vigueur. Or nul ne peut avoir une confiance légitime dans le maintien d'une situation illégale. Dès lors, la société Gurdebeke n'est pas fondée à soutenir que le chapitre 4.3 de l'arrêté en litige a méconnu les principes de sécurité juridique et de confiance légitime.

26. Il résulte de tout ce qui précède et sans qu'il soit besoin d'examiner la régularité du jugement, que le ministre est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif d'Amiens a abrogé le chapitre 4.3 de l'arrêté du 5 novembre 2014 du préfet de l'Oise à l'issue d'un délai de six mois à compter de la notification du jugement et a enjoint à cette autorité de prendre un arrêté définissant les modalités d'application de cette mesure dans un même délai.

Sur les frais liés au litige :

27. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif d'Amiens est annulé.

Article 2 : Les conclusions présentées par la société Gurdebeke en première instance et en appel sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la ministre de la transition écologique et solidaire et à la société Gurdebeke.

N°17DA02037 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 17DA02037
Date de la décision : 19/11/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

44-02 Nature et environnement. Installations classées pour la protection de l'environnement.


Composition du Tribunal
Président : M. Boulanger
Rapporteur ?: Mme Claire Rollet-Perraud
Rapporteur public ?: M. Minet
Avocat(s) : GREENLAW AVOCAT

Origine de la décision
Date de l'import : 04/02/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2019-11-19;17da02037 ?
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