Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société Latitudes a demandé au tribunal administratif d'Amiens d'annuler le marché conclu entre le département de la Somme et la SCOP Géomètres Experts Fonciers Associés pour la préparation et la réalisation d'une opération d'aménagement foncier, agricole et forestier dans les communes de Bovelles, Briquemesnil-Floxicourt, Cavillon, Ferrières, Fluy, Fourdrinoy, Le Mesge, Oissy, Pissy, Saisseval, Seux, avec des extensions sur Ailly-sur-Somme, Bougainville, Clairy Saulchoix, Guignemicourt, Molliens-Dreuil, Picquigny, Revelles, Riencourt, Saveuse et Soues, et de condamner le département de la Somme à lui verser la somme de 81 811,80 euros hors taxes, augmentée des intérêts au taux légal, en réparation du préjudice que lui a causé son éviction de ce marché.
Par un jugement n° 140467 du 29 novembre 2016, le tribunal administratif d'Amiens a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire enregistrés les 17 janvier 2017, 9 octobre 2017 et 26 décembre 2017, la société Latitudes, représentée par Me B...C..., demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif d'Amiens du 29 novembre 2016 ;
2°) d'annuler le marché conclu entre le département de la Somme et la SCOP Géomètres Experts Fonciers Associés ;
3°) de condamner le département de la Somme à lui verser la somme de 81 811,80 euros, augmentée de la taxe sur la valeur ajoutée ;
4°) de mettre à la charge du département de la Somme la somme de 15 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
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Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code des marchés publics ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Valérie Petit, président-assesseur,
- les conclusions de M. Jean-Philippe Arruebo-Mannier, rapporteur public,
- et les observations de Me A...C..., représentant la société Latitudes.
Considérant ce qui suit :
1. Le département de la Somme a, par avis d'appel public à la concurrence du 12 juin 2014, lancé une procédure d'appel d'offres ouvert en vue de l'attribution d'un marché de prestations intellectuelles portant sur la préparation et la réalisation d'une opération d'aménagement foncier agricole et forestier dans plusieurs communes de la Somme. Le département a, par courrier du 14 octobre 2014, informé la société Latitudes que son offre n'avait pas été retenue et que le marché avait été attribué à la société coopérative et participative des Géomètres Experts Fonciers Associés (GEFA). A la demande de la société Latitudes, il a ensuite indiqué que celle-ci avait obtenu des notes inférieures à la société GEFA, tant en ce qui concerne le prix, qui comptait pour 65 % de la note globale, que pour la valeur technique, appréciée en fonction du contenu de la " note méthodologique " que devait fournir chaque candidat et qui comptait pour 65 % de la note globale. La commission d'appel d'offres a notamment estimé, s'agissant de la valeur technique, que la procédure d'établissement du périmètre de l'opération d'aménagement, proposée par la société Latitudes, se caractérisait par une concertation insuffisante avec les propriétaires concernés et par une insuffisante prise en compte des considérations environnementales, ces deux points correspondant aux deux critères de sélection mentionnés dans le règlement de la consultation. La société Latitudes a alors saisi le tribunal administratif d'Amiens, en lui demandant d'annuler ce marché et de condamner le département de la Somme à lui verser la somme de 81 811,80 euros hors taxes au titre du préjudice financier qu'elle estime avoir subi du fait de son éviction irrégulière du marché. Par un jugement du 29 novembre 2016, le tribunal administratif a fait droit à une substitution de motifs sollicitée par le département et a estimé que l'offre présentée par la société Latitudes était irrégulière, de sorte que celle-ci ne pouvait se prévaloir d'un intérêt lésé et que ses conclusions à fin d'annulation du marché ne pouvaient qu'être rejetées. Il a également rejeté, compte tenu de l'irrégularité de l'offre de la société Latitudes, les conclusions indemnitaires de celle-ci. La société Latitudes relève appel de ce jugement.
2. Indépendamment des actions dont disposent les parties à un contrat administratif et des actions ouvertes devant le juge de l'excès de pouvoir contre les clauses réglementaires d'un contrat ou devant le juge du référé contractuel sur le fondement des articles L. 551-13 et suivants du code de justice administrative, tout tiers à un contrat administratif susceptible d'être lésé dans ses intérêts de façon suffisamment directe et certaine par sa passation ou ses clauses est recevable à former devant le juge du contrat un recours de pleine juridiction contestant la validité du contrat ou de certaines de ses clauses non réglementaires qui en sont divisibles. Saisi ainsi par un tiers dans les conditions définies ci-dessus, de conclusions contestant la validité du contrat ou de certaines de ses clauses, il appartient au juge du contrat, après avoir vérifié que l'auteur du recours autre que le représentant de l'Etat dans le département ou qu'un membre de l'organe délibérant de la collectivité territoriale ou du groupement de collectivités territoriales concerné se prévaut d'un intérêt susceptible d'être lésé de façon suffisamment directe et certaine et que les irrégularités qu'il critique sont de celles qu'il peut utilement invoquer, lorsqu'il constate l'existence de vices entachant la validité du contrat, d'en apprécier l'importance et les conséquences. Ainsi, il lui revient, après avoir pris en considération la nature de ces vices, soit de décider que la poursuite de l'exécution du contrat est possible, soit d'inviter les parties à prendre des mesures de régularisation dans un délai qu'il fixe, sauf à résilier ou résoudre le contrat. En présence d'irrégularités qui ne peuvent être couvertes par une mesure de régularisation et qui ne permettent pas la poursuite de l'exécution du contrat, il lui revient de prononcer, le cas échéant avec un effet différé, après avoir vérifié que sa décision ne portera pas une atteinte excessive à l'intérêt général, soit la résiliation du contrat, soit, si le contrat a un contenu illicite ou s'il se trouve affecté d'un vice de consentement ou de tout autre vice d'une particulière gravité que le juge doit ainsi relever d'office, l'annulation totale ou partielle de celui-ci. Il peut enfin, s'il en est saisi, faire droit, y compris lorsqu'il invite les parties à prendre des mesures de régularisation, à des conclusions tendant à l'indemnisation du préjudice découlant de l'atteinte à des droits lésés.
3. Aux termes de l'article 35 du code des marchés publics : " Une offre irrégulière est une offre qui, tout en apportant une réponse aux besoins du pouvoir adjudicateur, est incomplète ou ne respecte pas les exigences formulées dans l'avis d'appel public à la concurrence ou dans les documents de la consultation ". Des offres non conformes aux prescriptions techniques du dossier de consultation des entreprises, contenues notamment dans le cahier des clauses techniques particulières, sont, dès lors, irrégulières.
4. Le département de la Somme fait valoir, comme en première instance, que même si l'offre de la société Latitudes a été examinée et classée, cette offre n'était pas, en réalité, conforme aux prescriptions du cahier des clauses techniques particulières relatives, d'une part, au caractère contradictoire de la procédure de délimitation du périmètre de l'aménagement foncier, en raison de la méconnaissance du contenu d'une fiche technique relative aux modalités de vérification d'un aménagement foncier par les services du cadastre publiée au bulletin officiel des impôts, annexée au cahier des clauses techniques particulières et, d'autre part, aux relevés topographiques qui devaient être réalisés par procédé terrestre.
5. Il résulte de l'instruction que la commission d'appel d'offres avait relevé le caractère insuffisamment contradictoire de la procédure de délimitation du périmètre de l'opération d'aménagement proposée par la société Latitudes. La circonstance qu'une offre irrégulière a déjà été examinée et classée par le pouvoir adjudicateur ne fait pas obstacle à ce que celui-ci invoque l'irrégularité de cette offre devant le juge du contrat.
6. La fiche technique éditée par la direction générale des impôts, relative aux modalités de vérification d'un aménagement foncier par les services du cadastre publiée au bulletin officiel des impôts, annexée au cahier des clauses techniques particulières, était une pièce contractuelle du marché, puisqu'elle constituait une annexe du cahier des clauses techniques particulières. Selon cette fiche, l'établissement du dossier relatif à la délimitation du périmètre de l'aménagement foncier " découle d'une délimitation contradictoire faite entre les propriétaires riverains " rendue possible non seulement par la convocation des propriétaires des parcelles situées de part et d'autre du périmètre de l'aménagement foncier par le géomètre aménageur, mais aussi par la formalisation de leur accord sur le positionnement de la limite. Cette même fiche indique qu' " A défaut d'accord et afin d'assurer une concordance entre les feuilles du plan cadastral, le géomètre aménageur reconduit la limite existante avant la mise en oeuvre de l'aménagement foncier ".
7. Or, il résulte de la note méthodologique produite à l'appui de son offre que, pour procéder à la délimitation du périmètre de l'aménagement foncier, la société Latitudes, d'une part, envisageait seulement d'aviser les propriétaires de la délimitation par un affichage en mairie précisant la période d'intervention secteur par secteur en y annexant une carte représentant le tronçon du périmètre délimité et, d'autre part, ne prévoyait que l'envoi d'un courrier informant le propriétaire de la possibilité de porter des observations sur un registre spécialement prévu à cet effet et adressé au géomètre avant la consultation sur le classement des parcelles. La société requérante précisait, en outre, que " la concertation des riverains ou des services gestionnaires du domaine public au cours de la délimitation du périmètre est assurée autant que possible pour déceler pendant [son] intervention d'éventuelles contestations latentes sur la position de la limite bornée, en particulier pour la délimitation des zones exclues ". Ainsi, la société Latitudes n'envisageait pas de procéder à une convocation systématique des propriétaires concernés.
8. La société Latitudes soutient, certes, que sa méthodologie avait pour objet de compléter le cahier des clauses techniques particulières et non de s'y substituer. Toutefois, l'information des propriétaires concernés par voie d'affichage en mairie ne peut être regardée comme " complétant " la convocation de ces propriétaires, exigée par la fiche annexée au cahier des clauses techniques particulières, dès lors que la fiche méthodologique rédigée par la société requérante ne mentionnait pas, même sommairement, l'organisation d'une convocation des propriétaires et qu'aucun autre élément du dossier ne permet de retenir que telle était son intention. Dans ces conditions, l'offre présentée par la société Latitudes ne peut être regardée comme conforme aux prescriptions techniques du dossier de consultation des entreprises. Cette offre était, par suite, irrégulière, sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre motif qui, selon le département de la Somme, la rendrait également irrégulière.
9. Le candidat dont l'offre est irrégulière ne peut être regardé comme lésé, sauf si cette irrégularité est le résultat d'un manquement du pouvoir adjudicateur. Il en va ainsi alors même que son offre a été analysée, notée et classée par le pouvoir adjudicateur. Ainsi, la société Latitudes n'est pas susceptible d'avoir été lésée par les différents manquements qu'elle invoque, tirés de l'imprécision ou de l'illégalité des critères retenus par le département de la Somme pour évaluer la valeur technique des offres, ainsi que de l'irrégularité de l'offre de la société attributaire. Par suite, elle ne justifie pas d'un intérêt lésé pouvant la rendre recevable à contester la validité du contrat en cause.
10. Par ailleurs, eu égard à l'irrégularité de son offre, la société Latitudes était dépourvue de toute chance d'obtenir le marché et n'est, dès lors, pas fondée à demander la réparation du préjudice qu'elle estime avoir subi.
11. Il résulte de ce qui tout ce qui précède que la société Latitudes n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif a rejeté sa demande. Ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent, en conséquence, qu'être rejetées. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société Latitudes le versement au département de la Somme de la somme de 2 000 euros au titre des mêmes dispositions.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la société Latitudes est rejetée.
Article 2 : La société Latitudes versera au département de la Somme la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société Latitudes, au département de la Somme et à la SCOP Géomètres Experts Fonciers Associés.
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N°17DA00103