LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique :
Vu l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016, ensemble l'article L. 145-33 du code de commerce ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Versailles,19 septembre 2017), que, le 3 mars 1999, la société Hammerson Saint-Quentin Ville, aux droits de laquelle vient la société Espace Saint-Quentin (ESQ) a consenti à la société André, un bail commercial stipulant un "loyer annuel hors taxes dont le montant sera égal à 7 % du chiffre d'affaires annuel hors taxes réalisé par le preneur dans les lieux loués" qui ne pourra être inférieur à une certaine somme, étant convenu qu'à l'occasion de chacun des renouvellements successifs du bail, le loyer minimum garanti sera fixé à la valeur locative, appréciée au jour d'effet du bail renouvelé et que les parties soumettaient "volontairement la procédure et les modalités de fixation de cette valeur locative aux dispositions des articles 23 à 23-9 et 29 à 31 du décret du 30 septembre 1953" et attribuaient "compétence au juge des loyers du tribunal de grande instance du lieu de situation de l'immeuble" ; qu'ensuite de la délivrance d'un congé avec offre de renouvellement au 1er avril 2012 et notification d'un mémoire préalable visant un loyer annuel minimum de 200 800 euros hors taxes et charges, la société ESQ a saisi le juge des loyers commerciaux en fixation de la valeur locative du bien au jour du renouvellement du bail ;
Attendu que, pour rejeter cette demande et annuler la clause figurant au troisième alinéa de l'article IV 1 du bail, l'arrêt retient que cette clause tente de réintroduire la procédure et les modalités de fixation du montant du loyer, telles que prévues au statut des baux commerciaux, pour une partie seulement de ce loyer, que, si les parties ont la libre disposition de définir les règles de fixation du loyer de renouvellement, elles n'ont pas celle d'attribuer au juge une compétence qu'il ne tire que de la loi et de lui imposer d'appliquer la loi dans les conditions qu'elles-mêmes définissent, que le renvoi contenu dans l'alinéa litigieux aux textes depuis lors codifiés aux articles L. 145-33 et suivants et R. 145-2 et suivants du code de commerce, confie au juge des loyers commerciaux l'office de fixer le plancher du loyer à la valeur locative, laquelle, selon l'article L. 145-33 du code de commerce, ne peut s'envisager que comme étant un plafond de loyer et, ainsi, lui donne mission de s'opposer à l'application de la loi, opposition dans laquelle la liberté contractuelle trouve sa limite ;
Qu'en statuant ainsi, alors que la stipulation selon laquelle le loyer d'un bail commercial est calculé sur la base du chiffre d'affaires du preneur, sans pouvoir être inférieur à un minimum équivalent à la valeur locative des lieux loués, n'interdit pas, lorsque le contrat le prévoit, de recourir au juge des loyers commerciaux pour évaluer, lors du renouvellement, la valeur locative déterminant le minimum garanti, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 19 septembre 2017, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Versailles, autrement composée ;
Condamne la société André aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la société André, la condamne à verser 3 000 euros à la société ESQ ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-neuf novembre deux mille dix-huit.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SARL Cabinet Briard, avocat aux Conseils, pour la société ESQ
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir débouté la SCI ESQ de sa demande de fixation judiciaire du loyer minimum garanti, d'avoir dit que le bail était renouvelé pour une durée de neuf années à compter 1er avril 2012 et d'avoir dit que l'alinéa trois de l'article IV 1 b) du bail conclu par la société civile immobilière Espace Saint-Quentin, venant aux droits de la société anonyme Hammerson Saint-Quentin Ville, et la société par actions simplifiée André, le 3 mars 1999 était nul et de nul effet ;
Aux motifs propres que « le bail prévoit un loyer annuel hors taxes égal à 7 % du chiffre d'affaires annuel hors taxes réalisé par le preneur dans les lieux loués, sans que ce loyer puisse être inférieur à un plancher, initialement fixé à 112.880,87 euros (740.450 francs), qualifié de loyer minimum garanti, que les parties ont décidé de fixer à la valeur locative lors des renouvellements successifs, clause qui s'écarte donc du statut des baux commerciaux, mais dont la licéité ne saurait être contestée ; qu'en revanche, le troisième alinéa de l'article IV 1 du bail stipule que : les parties déclarent soumettre volontairement la procédure et les modalités de fixation de cette valeur locative aux dispositions des articles 23 à 23-9 et 29 à 31 du décret du 30 septembre 1953 et attribuer compétence au juge des Loyers du Tribunal de Grande Instance du lieu de situation de l'immeuble ; que, ce faisant, cette clause tente ainsi de réintroduire la procédure et les modalités de fixation du montant du loyer, telles que prévues au statut des baux commerciaux, pour une partie seulement de ce loyer ; qu'à bon droit la société André oppose à la SCI ESQ, que si les parties ont la libre disposition de définir les règles de fixation du loyer de renouvellement, elles n'ont pas celle d'attribuer au juge une compétence qu'il ne tire que de la loi et de lui imposer, qui plus est, d'appliquer la loi dans les conditions qu'elles-mêmes définissent ; que le renvoi contenu dans l'alinéa litigieux aux articles 23 à 23-9 et 29 à 31 du décret du 30 septembre 1953, depuis lors codifiés aux articles L. 145-33 et suivants et R.145-2 et suivants du code de commerce, confie au juge des loyers commerciaux l'office de fixer le plancher du loyer à la valeur locative, laquelle, selon l'article L.145-33 du code de commerce ne peut s'envisager que comme étant un plafond de loyer et ainsi mission de s'opposer à l'application de la loi, opposition dans laquelle la liberté contractuelle trouve sa limite ; que, dans ces conditions, la cour ne pourra que constater l'illicéité d'une telle clause, la déclarer nulle et de nul effet, confirmant ainsi le jugement entrepris, sauf à le préciser, et déboutant subséquemment, comme l'a jugé le tribunal, la SCI ESQ de ses demandes en fixation du loyer minimum garanti et en paiement des arriérés de loyers ; que, sur la durée du bail renouvelé ; qu'en l'espèce, la société André revendique un renouvellement pour une durée de neuf ans, faisant état du caractère d'ordre public de ce texte ; que ce texte n'a aucun caractère d'ordre public, fixant une durée minimum de neuf ans, qui elle est d'ordre public selon les articles L.145-4 et L.145-15 du code de commerce, mais octroyant aux parties la possibilité de stipuler une durée plus longue ; que toutefois, cette durée plus longue nécessite l'accord des parties au moment du renouvellement du bail, qui s'analyse en la conclusion d'un nouveau bail, et non à la date de signature du bail initial, comme le soutient la SCI ESQ ; que force est de constater en l'espèce que l'accord des parties n'existe pas lors du renouvellement et que le bail doit donc être renouvelé pour une durée de neuf années à compter du 1er avril 2012 ; que le jugement sera confirmé de ce chef et, partant, en son entier » ;
Et aux motifs adoptés que « le bail stipule un loyer binaire c'est à dire constitué de deux composantes : un loyer variable correspondant à un pourcentage du chiffre d'affaires du locataire et un loyer fixe indexé, qualifié de loyer minimum garanti, ces deux composantes formant un tout indivisible dont la fixation échappe aux dispositions du statut des baux commerciaux et n'est régi que par la convention des parties ; que les parties ont choisi librement un loyer binaire qui échappe au statut des baux commerciaux, elles ont également convenu, lors des renouvellements du bail, d'une fixation judiciaire du seul loyer minimum garanti à la valeur locative, se référant expressément aux modalités et procédures prévues audit statut, à savoir les articles 23 à 23-9 et 29 à 31 du décret du 30 septembre 1953 codifiés notamment dans le code de commerce, aux articles L. 145-33 et suivants ; que les parties n'ont cependant pas renoncé, lors des renouvellements, au maintien du loyer variable sur le chiffre d'affaires, prévu sans restriction du durée, de sorte que le loyer stipulé au bail n'est pas fixé selon les seuls critères de la valeur locative énumérés à l'article L 145-33 du code de commerce, puisqu'il prend en compte le pourcentage du chiffre d'affaires qui est un élément étranger ; que, certes les dispositions de l'article L 145-33 du Code de commerce ne sont pas d'ordre public et les parties peuvent, le cas échéant, fixer par avance les conditions de fixation du loyer renouvelé ; qu'elles ne peuvent stipuler que sur les droits dont elles ont disposition ; que l'indivisibilité du loyer s'oppose à une fixation judiciaire fractionnée de celui-ci, le juge devant statuer par application de l'article R. 145-23 du code de commerce sur le montant du loyer et non sur une seule composante du loyer ; que dans le cadre du débat judiciaire qui s'ouvre à raison du désaccord des parties, les dispositions de l'article L 145-33 s'imposent au juge, lequel ne saurait fixer par application d'autres critères que ceux que la loi lui prescrit, le loyer du bail renouvelé, loyer qui ne peut pas excéder la valeur locative, sans possibilité d'y ajouter une autre valeur tel que le pourcentage sur le chiffre d'affaires ; que, dans ces conditions, s'il n'y a pas lieu de dire que l'alinéa trois de la clause IV, 1, b) (en page 8 du bail) ainsi rédigé « les parties déclarent soumettre volontairement la procédure et les modalités de fixation de cette valeur locative aux dispositions des articles 23 à 23-9 et 29 à 31 du décret du 30 septembre 1953 et attribuer compétence au juge des loyers du tribunal de grande instance du lieu de situation de l'immeuble » est nul, il convient de dire qu'il est de nul effet » ; qu'il s'ensuit que la société ESQ sera déboutée de sa demande de fixation judiciaire du loyer minimum garanti et de ses demandes subséquentes de voir les arriérés de loyer porter intérêt au taux légal avec capitalisation et d'expertise ; que, sur la durée du bail renouvelé, contrairement à ce que prétend la société ESQ, il s'agit d'une disposition d'ordre public à laquelle les parties peuvent toujours déroger mais à la condition que ce soit par des dispositions claires et précises après que le droit à renouvellement soit né, faute de quoi le bail se renouvelle pour une durée de neuf années ; que c'est donc à l'occasion de chaque renouvellement que les parties doivent exprimer leur volonté de déroger à la durée légale de 9 ans, la renonciation à un droit ne pouvant valablement intervenir qu'après que le droit est né, soit en l'espèce à la date d'effet du congé le 1er avril 2012 ; que le preneur, qui n'a pas répondu au congé avec offre de renouvellement pour 12 années du bail délivré par le bailleur, demande de dire que le bail s'est renouvelé pour une période de 9 années ; qu'il s'ensuit que les parties ne sont pas parvenues à un accord sur la durée de douze années du nouveau bail souhaitée par la bailleresse » ;
1°) Alors que la stipulation selon laquelle le loyer d'un bail commercial est composé d'un loyer minimum et d'un loyer calculé sur la base du chiffre d‘affaires du preneur n'interdit pas, lorsque le contrat le prévoit, de recourir au juge des loyers commerciaux pour fixer, lors du renouvellement, le minimum garanti à la valeur locative ; que le juge statue alors selon les critères de l'article L. 145-33 du code de commerce, notamment au regard de l'obligation contractuelle du preneur de verser, en sus du minimum garanti, une part variable ; qu'en jugeant dès lors, pour écarter la demande de la SCI ESQ tendant à la fixation judiciaire du loyer minimum garanti du bail commercial conclu avec la société André et pour dire que l'alinéa trois de l'article IV 1 b/ dudit bail était nul et de nul effet, que « si les parties ont la libre disposition de définir les règles de fixation de renouvellement, elles n'ont pas celle d'attribuer au juge une compétence qu'il ne tire que de la loi et de lui imposer de l'appliquer dans les conditions qu'elles-mêmes définissent » (arrêt attaqué, pages 8 et 9) et que la loi s'oppose à ce que « le renvoi contenu aux articles L.145-33 et suivants et R.145-2 et suivants du code de commerce confie au juge des loyers commerciaux l'office de fixer le plancher du loyer à la valeur locative, laquelle, selon l'article L. 145-33 du code de commerce ne peut s'envisager que comme étant un plafond de loyer » (arrêt attaqué, page 9), la cour d'appel a violé l'article 1134 du code civil dans sa version alors applicable et l'article 1103 issu de l'ordonnance du 10 février 2016, ensemble l'article L. 145-33 du code de commerce ;
2°) Alors, en tout état de cause, que le montant des loyers des baux renouvelés ou révisés doit correspondre à la valeur locative ; que l'article L 145-33 du code de commerce, énonçant ce principe, n'est pas d'ordre public et, qu'ainsi, les parties peuvent prévoir que le loyer renouvelé sera composé d'une partie variable et d'une partie fixe ; que, dans cette dernière hypothèse, l'article précité prévoit les modalités de fixation du loyer minimum garanti, auquel s'ajoute, en sus de celuici, une part variable ; qu'en retenant, dès lors, pour écarter la demande de la SCI ESQ tendant à la fixation judiciaire du loyer minimum garanti du bail commercial conclu avec la société André et pour dire que l'alinéa trois de l'article IV 1 b/ dudit bail était nul et de nul effet, que la loi s'opposait à ce que les parties confient « au juge des loyers commerciaux l'office de fixer le plancher du loyer à la valeur locative, laquelle, selon l'article L.145-33 du code de commerce ne peut s'envisager que comme étant un plafond de loyer » (arrêt attaqué, page 9), la cour d'appel a violé l'article 1134 du code civil dans sa version alors applicable et l'article 1103 issu de l'ordonnance du 10 février 2016, ensemble l'article L. 145-33 du code de commerce.