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25/09/2018 | FRANCE | N°16PA02928,16PA02929,16PA02930

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 3ème chambre, 25 septembre 2018, 16PA02928,16PA02929,16PA02930


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Par une requête enregistrée sous le n°1317430, Mme E...a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision implicite par laquelle la ministre de la santé a rejeté sa demande, en date du 7 août 2013, tendant à ce que le Dr G...I...soit déférée devant la chambre disciplinaire de première instance de la région Ile-de-France de l'ordre des médecins, et d'enjoindre à la ministre de la santé de déférer le Dr G...I...devant la chambre disciplinaire de première instance de la région Ile-

de-France de l'Ordre des médecins.

Par une requête enregistrée sous le n°1402949, ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Par une requête enregistrée sous le n°1317430, Mme E...a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision implicite par laquelle la ministre de la santé a rejeté sa demande, en date du 7 août 2013, tendant à ce que le Dr G...I...soit déférée devant la chambre disciplinaire de première instance de la région Ile-de-France de l'ordre des médecins, et d'enjoindre à la ministre de la santé de déférer le Dr G...I...devant la chambre disciplinaire de première instance de la région Ile-de-France de l'Ordre des médecins.

Par une requête enregistrée sous le n°1402949, Mme E...a demandé au Tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du 17 décembre 2013 par laquelle le conseil départemental de l'ordre des médecins de la ville de Paris a rejeté sa demande tendant à ce que le Dr G...I...soit déférée devant la chambre disciplinaire de première instance de la région Ile-de-France de l'ordre des médecins et d'enjoindre au Conseil départemental de l'ordre des médecins de la ville de Paris de déférer le Dr G...I...devant la chambre disciplinaire de première instance de la région Ile-de-France de l'Ordre des médecins.

Par une requête enregistrée sous le n°1414319, Mme E...a demandé au Tribunal administratif de Paris de condamner, à titre principal, l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris (AP-HP) à lui verser, en réparation des préjudices qu'elle a subis en raison de la prise en charge tardive de son cancer du sein, une somme de 215 000 euros, d'ordonner, à titre subsidiaire, une expertise et de condamner l'AP-HP à lui rembourser les frais d'expertise pour un montant de 8 000 euros.

Par un jugement n° 1317430, 1402949, 1414319/6-3 du 7 juillet 2016, le tribunal administratif de Paris, après avoir joint les trois requêtes, a rejeté les conclusions présentées par Mme E...dans celles portant les numéros 1402949 et 1317430, a déclaré l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris entièrement responsable des conséquences dommageables de la prise en charge tardive du cancer du sein de Mme E... et a, avant dire droit, ordonné une expertise afin de décrire l'état de santé de l'intéressée lorsqu'elle a consulté le Dr D...le 14 novembre 2005 à l'hôpital Saint-Louis, de déterminer, eu égard au type de cancer dont elle était porteuse, quelle perte de chance le retard de diagnostic fautif subi lui a fait perdre d'échapper au dommage constaté, de supporter une prise en charge thérapeutique moins lourde et de voir réduite sa probabilité de rechute, enfin, de décrire et évaluer ses préjudices.

Procédure devant la cour :

I°) Par une requête et des mémoires, enregistrés sous le n°16PA02928 les 14 septembre 2016, 7 février et 10 avril 2018, MmeE..., représentée par la SELARL J...-Oudy, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Paris du 7 juillet 2016 ;

2°) de faire droit à ses conclusions de première instance ;

3°) de mettre à la charge du conseil départemental de l'ordre des médecins de la ville de Paris la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- sa requête est recevable, le recours contre une décision prise par le conseil départemental de l'ordre n'ayant pas à être au préalable présentée au Conseil national de l'ordre ;

- la mention inexacte des voies de recours ne lui est pas opposable ;

- la décision du 17 décembre 2013 n'est pas motivée et méconnaît les stipulations de l'article 6-1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- elle méconnaît les dispositions de l'article R. 4127-105 du code de la santé publique et est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.

Par un mémoire en défense, enregistré le 10 janvier 2018, le conseil national de l'ordre des médecins indique uniquement à la Cour qu'aucun texte ne prévoit sa compétence pour connaître d'un recours exercé contre une décision d'un conseil départemental refusant d'engager une procédure disciplinaire à l'encontre d'un médecin chargé d'un service public et qu'a fortiori, aucun texte ne l'impose en tant que préalable à la saisine du juge administratif.

Par un mémoire en défense, enregistré le 6 mars 2018, Mme I...conclut au rejet de la requête.

Elle fait valoir qu'aucun des moyens soulevés par l'appelante n'est fondé.

II°) Par une requête et des mémoires, enregistrés sous le n°16PA02929 les 14 septembre 2016, 21 février et 10 avril 2018, MmeE..., représentée par la SELARL J...-Oudy, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Paris du 7 juillet 2016 ;

2°) de faire droit à ses conclusions de première instance ;

3°) de mettre à la charge du conseil départemental de l'ordre des médecins de la ville de Paris la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- en s'appropriant les motifs et la portée des différentes décisions des juridictions judiciaires, le tribunal administratif a méconnu l'étendue de sa compétence ;

- la ministre de la santé a elle aussi méconnu l'étendue de sa compétence ;

- la décision du ministre méconnaît les dispositions de l'article R. 4127-105 du code de la santé publique ;

- le tribunal a fait reposer son jugement sur certains faits erronés et n'a pas répondu à tous ses arguments.

Par un mémoire en défense, enregistré le 23 décembre 2016, Mme I...conclut au rejet de la requête.

Elle fait valoir qu'aucun des moyens soulevés par l'appelante n'est fondé.

Par un mémoire en défense, enregistré le 10 janvier 2018, le conseil national de l'ordre des médecins indique uniquement à la Cour qu'aucun texte ne prévoit sa compétence pour connaître d'un recours exercé contre une décision d'un conseil départemental refusant d'engager une procédure disciplinaire à l'encontre d'un médecin chargé d'un service public et qu'a fortiori, aucun texte ne l'impose en tant que préalable à la saisine du juge administratif.

Par un mémoire, enregistré le 28 février 2018, le conseil départemental de l'ordre des médecins de la ville de Paris conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 3 500 euros soit mise à la charge de Mme E...au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ainsi que les entiers dépens.

Il s'en remet à la sagesse de la Cour quant à la question de savoir si les dispositions du code de la santé publique instituent ou non un recours administratif préalable obligatoire devant le conseil national en cas de refus d'un conseil départemental de déférer un médecin chargé d'une mission de service public dans les conditions de l'article L. 4124-2.

Il soutient qu'en tout état de cause :

- la délibération du conseil départemental n'étant pas une décision de nature juridictionnelle, le manquement à l'article 6-1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ne saurait être invoqué ;

- la décision contestée est suffisamment motivée ;

- la quasi-totalité des manquements invoqués par la requérante ne concerne nullement la déontologie médicale mais relève d'un débat d'ordre technique dont seules les juridictions civiles sont compétentes pour en connaître ; si elle ne s'estimait pas satisfaite du rapport d'expertise, il lui appartenait de demander une contre-expertise au tribunal de grande instance de Versailles mais en aucun cas de saisir le conseil départemental de telles questions ;

- aucune erreur manifeste d'appréciation n'a été commise dès lors qu'il n'y a en l'espèce aucun conflit d'intérêts et que la preuve de la prétendue partialité de Mme E...n'est absolument pas rapportée.

III°) Par une requête et des mémoires, enregistrés sous le n°16PA02930 les

14 septembre 2016, 7 février et 17 avril 2018, MmeE..., représentée par la SELARL J...-Oudy, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Paris du 7 juillet 2016 ;

2°) de faire droit à ses conclusions de première instance ;

3°) de mettre à la charge du conseil départemental de l'ordre des médecins de la ville de Paris la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le déroulement des opérations d'expertise n'a pas respecté le principe du contradictoire, les clichés radiographiques n'ont ainsi pas été revus lors de celles-ci ;

- les dispositions de l'article L. 4127-105 du code de la santé publique ont été violées, l'expert I...ne pouvant être impartiale dès lors qu'elle exerce au sein de la clinique Hartmann où elle a été opérée ;

- en s'appropriant les motifs et la portée des différentes décisions des juridictions judiciaires, le tribunal administratif a méconnu l'étendue de sa compétence ;

- le tribunal n'a pas répondu à l'ensemble des questions posées quant aux liens de l'expert I...avec la clinique Hartmann ;

- l'expertise est par ailleurs de mauvaise qualité ; ainsi, le docteur I...occulte dans son rapport l'important délai du retard de diagnostic et son influence sur la grosseur de la tumeur et sur son état de santé, elle nie le fait que l'absence de prélèvement du nodule palpable dans un contexte de seins à risque constitue une faute, ne tient pas compte des recommandations du ministère de la santé en matière de dépistage du sein, et passe notamment sous silence le temps de doublement des cellules cancéreuses.

Par un mémoire en défense, enregistré le 6 mars 2018, Mme I...conclut au rejet de la requête.

Elle fait valoir qu'aucun des moyens soulevés par l'appelante n'est fondé.

Vu :

- les autres pièces du dossier ;

- le code de la santé publique ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Pena,

- les conclusions de Mme Delamarre, rapporteur public,

- et les observations de MeJ..., représentant MmeE..., de MeC..., représentant le conseil départemental de l'ordre des médecins de la ville de Paris et de

MeF..., représentant MmeI....

1. Considérant d'une part, que Mme A...E..., née le 23 septembre 1950, qui présentait une mastopathie fibrokystique importante, était suivie par son gynécologue, le

DrH..., sur le plan gynécologique et mammaire depuis le mois de janvier 1992 ; que des kystes ont été ponctionnés chez elle à plusieurs reprises notamment en avril 1996 à l'hôpital Saint-Louis où a été pratiquée une exérèse à l'occasion de laquelle ont été découvertes des lésions hypertrophiques lobulaires atypiques ; qu'en plus de cette surveillance ambulatoire, Mme E...a été suivie dès 1994 par le DrD..., spécialiste du sein exerçant à l'hôpital Saint-Louis, établissement relevant de l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris ; qu'au mois de mai 2004, Mme E...a ressenti un tiraillement avec une pointe dure au niveau du cadrant externe supérieur gauche dont elle a informé le Dr H...qui a alors prescrit une mammographie réalisée le 27 mai 2004 au centre de radiologie Hoche, radiologie qui a fait état d'opacités ; que continuant à ressentir une nodosité dure au niveau du sein gauche, Mme E...a demandé au Dr H...de faire réaliser une échographie mammaire le 7 juillet 2005 dont le compte-rendu n'a fait apparaître aucune tumeur maligne, mais a décrit un " nodule de 9.5 mm de grand axe ne présentant aucun caractère suspect ", excroissance qui est alors classée ACR 2, c'est-à-dire non maligne ; que le Dr H...a toutefois souhaité qu'une biopsie soit pratiquée et a adressé en ce sens sa patiente au centre de radiologie Hoche ; que sans perspective de rendez-vous avant le 31 août 2005, Mme E...a alors décidé de s'adresser à l'hôpital américain de Paris ; qu'elle y a été reçue par le Dr B...qui a prescrit une échographie du sein gauche lui permettant de retrouver la formation ovale déjà décrite le 7 juillet 2005 ; que le Dr B...a lui aussi conclu à la présence d'un ganglion intra-mammaire non suspect et s'est contenté de préconiser une surveillance normale à 6 mois sans ordonner une biopsie alors que son confrère de ville lui avait adressé la patiente en ce sens ; que Mme E...a ensuite pris rendez-vous avec le Dr D...le 14 novembre 2005 en présentant les comptes-rendus des derniers examens réalisés en 2004 et 2005 ; que le Dr D...n'a toutefois prescrit aucun examen complémentaire ; que le 23 janvier 2006, un nouvel examen radiologique a été pratiqué à l'institut de radiologie Hoche, qui n'a rien révélé d'alarmant ; qu'en juillet 2006 le Dr H...a toutefois prescrit une cytoponction qui ne sera réalisée que le 4 septembre 2006 par le DrL... ; que cette cytoponction a alors mis en évidence la présence d'un carcinome canalaire moyennement différencié, classé ACR 5, c'est-à-dire une tumeur maligne ; que Mme E..., en concertation avec son gynécologue de ville, a alors choisi d'être opérée à l'Institut du sein Henri Hartmann ; qu'une IRM complémentaire a été réalisée le 15 septembre 2006 et a révélé l'existence d'un deuxième nodule suspect dans le sein gauche ; qu'une biopsie écho-guidée a été pratiquée le 22 septembre 2006 qui a confirmé la nature bi-focale de la lésion ; que le 6 octobre 2006, le Dr K...a procédé, à la clinique Hartmann, à une mastectomie totale du sein gauche ainsi qu'au prélèvement de trois ganglions sentinelles ; que le carcinome retiré est alors décrit comme " volumineux " ; que le traitement post-opératoire a consisté en une chimiothérapie en 6 cycles puis une radiothérapie de la paroi, de la chaîne mammaire interne et du creux sus-claviculaire gauche ; que si le traitement s'est achevé le 11 juin 2007, une hormonothérapie pour une durée de 5 ans a ensuite été mise en place, période qui correspond à la consolidation de la maladie dans le cas d'un cancer, selon l'avis de l'expert ;

2. Considérant, d'autre part, que le 29 juin 2009 Mme E...a assigné le DrH..., l'hôpital américain de Paris, le Dr B...ainsi que l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris

(AP-HP) devant le TGI de Versailles afin que soit ordonnée une expertise ; que par une ordonnance du 23 juillet 2009, le Tribunal de grande instance de Versailles a ordonné cette expertise et a désigné le Dr G...I...comme expert ; que le Dr I...a rendu son pré-rapport le 24 janvier 2010 ; que MmeE..., contestant les conclusions de ce pré-rapport, a alors saisi le Tribunal de grande instance de Versailles afin de faire récuser l'expert ; que sa requête a été rejetée par une ordonnance du 13 avril 2010 ; que le 25 juillet 2010, le Dr I...a déposé son rapport définitif ; que Mme E... a fait appel de cette ordonnance devant la Cour d'appel de Versailles qui l'a rejeté le 2 mars 2011 ; que le 12 juillet 2012, la Cour de Cassation n'a pas admis son pourvoi contre l'arrêt de la Cour d'appel ; que le 25 juillet 2013, Mme E... a déposé plainte devant le Conseil départemental de l'ordre des médecins contre le DrI... ; que le 8 août 2013, elle a également demandé au ministre de la santé et des affaires sociales de traduire le Dr I...devant la chambre disciplinaire de première instance du conseil de l'ordre des médecins, demande rejetée implicitement ; que le conseil départemental a alors mis en oeuvre la procédure de conciliation le 30 septembre 2013, sans succès ; que le 17 décembre 2013, le conseil départemental a rejeté expressément la demande de MmeE... ; qu'elle a alors saisi l'AP-HP, le 24 janvier 2014, d'une réclamation préalable, qui sera formellement rejetée le

17 juin suivant ;

3. Considérant que, par trois requêtes distinctes, Mme E...a demandé au Tribunal administratif de Paris d'annuler la décision implicite par laquelle, suite à sa demande du 8 août 2013, la ministre de la santé a rejeté sa demande tendant à ce que le Dr G...I...soit déférée devant la chambre disciplinaire de première instance de la région Ile-de-France de l'ordre des médecins, et d'enjoindre au ministre de la déférer devant cette instance, d'annuler la décision du 17 décembre 2013 par laquelle le conseil départemental de l'ordre des médecins de la ville de Paris a également rejeté sa demande tendant à ces mêmes fins, enfin de condamner l'AP-HP à la réparation des préjudices qu'elle a subis en raison de la prise en charge tardive de son cancer du sein, et ordonner, à titre subsidiaire, une expertise ; qu'après avoir joint ces trois requêtes, le Tribunal administratif de Paris, dans son jugement du 7 juillet 2016, a rejeté les conclusions présentées par Mme E...dans les requêtes n° 1402949 et n° 1317430, a déclaré l'AP-HP entièrement responsable des conséquences dommageables de la prise en charge tardive de son cancer du sein et a, avant dire droit, ordonné une expertise ; que, par trois requêtes distinctes, Mme E...relève appel de ce jugement et demande qu'il soit fait droit à ses demandes de première instance ;

Sur la jonction :

4. Considérant que les requêtes susvisées n°16PA02928, 16PA02929 et 16PA02930 présentées sont relatives à la situation d'une même requérante et ont fait l'objet d'une instruction commune ; qu'il y a lieu dès lors de les joindre pour y statuer par un seul et même arrêt ;

Sur la requête n° 16PA02928 :

5. Considérant que la requête enregistrée au greffe du Tribunal administratif de Paris sous le numéro n° 1402949 a été rejetée comme irrecevable, les premiers juges ayant considéré que les recours formés contre les décisions prises par les conseils départementaux en application du code de déontologie devaient être présentés préalablement au Conseil national de l'ordre et ne pouvaient pas être déférées directement pour excès de pouvoir à la juridiction administrative, se fondant notamment sur les dispositions de l'article R. 4127-112 du code de la santé publique ; que toutefois, ces dispositions visent le cas particulier de décisions dont celle contestée du

17 décembre 2013 ne relève pas ; qu'en tout état de cause, les dispositions de l'article L. 4124-2 du code de la santé publique disposent que : " Les médecins (...) chargés d'un service public et inscrits au tableau de l'ordre ne peuvent être traduits devant la chambre disciplinaire de première instance, à l'occasion des actes de leur fonction publique, que par le ministre chargé de la santé, le représentant de l'Etat dans le département, le directeur général de l'agence régionale de santé, le procureur de la République, le conseil national ou le conseil départemental au tableau duquel le praticien est inscrit. " ; qu'il en résulte que le recours contre une décision prise par un conseil départemental de l'ordre des médecins rejetant une demande de déferrement devant la chambre disciplinaire de première instance n'a pas à être, au préalable, présentée au Conseil national de l'ordre ; que c'est par suite à tort que le tribunal a jugé irrecevables les conclusions présentées par Mme E...à l'encontre de la décision du

17 décembre 2013 par laquelle le conseil départemental de l'ordre des médecins de la ville de Paris a rejeté sa demande tendant à ce que le docteur I...soit déférée devant la chambre disciplinaire de première instance de la région Ile-de-France de l'ordre des médecins ; que le jugement contesté étant entaché d'irrégularité sur ce point, il doit être annulé dans cette mesure ; qu'il y a lieu par conséquent pour la Cour d'évoquer dans cette mesure et de statuer immédiatement sur la requête présentée par Mme E...sous le n° 1402949 ;

6. Considérant, en tout premier lieu, que si, comme le soutient MmeE..., la décision contestée du 17 décembre 2013 comporte une mention inexacte des voies de recours, cette erreur a pour seul effet de faire obstacle au déclenchement du délai de recours contentieux ;

7. Considérant, en deuxième lieu, que si Mme E...se réfère aux stipulations de l'article 6-1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales au soutien de son moyen tiré du défaut de motivation de la décision conseil départemental de l'ordre des médecins, il est constant que cet article est relatif au droit à un procès équitable et non à la motivation de décisions administratives et que s'agissant, en tout état de cause, d'une décision qui n'est pas de nature juridictionnelle, mais administrative, une telle stipulation ne saurait être invoquée ; qu'en outre, en indiquant que le docteur I...n'avait commis aucun manquement à la déontologie, le conseil départemental de l'ordre des médecins a suffisamment motivé sa décision du 17 décembre 2013 ;

8. Considérant, en troisième lieu, qu'aux termes de l'article R. 4127-105 du code de la santé publique : " Nul ne peut être à la fois médecin expert et médecin traitant d'un même malade. Un médecin ne doit pas accepter une mission d'expertise dans laquelle sont en jeu ses propres intérêts, ceux d'un de ses patients, d'un de ses proches, d'un de ses amis ou d'un groupement qui fait habituellement appel à ses services. " ; que Mme E...persiste à notamment faire valoir devant la Cour que le Dr I...avait des liens, non seulement avec l'hôpital américain car elle exerçait à l'époque au sein de la clinique Hartmann, liée selon elle à l'hôpital américain mais aussi avec le DrD... à qui elle adressait de nombreux patients de la clinique Hartmann et avec qui elle participe à des journées scientifiques au sein même de la clinique et enfin avec l'AP-HP, employeur du DrD... ; qu'il ne résulte toutefois nullement de l'instruction que l'expert aurait entretenu des liens privilégiés avec son gynécologue de ville, avec le docteur D...ou encore avec la clinique Hartmann, établissement privé au sein duquel elle a en outre délibérément choisi de se faire opérer puis traitée après révélation de son cancer ;

9. Considérant, en quatrième et dernier lieu que, Mme E...soutient également que la circonstance que le docteur I...n'ait pas mentionné le fait que la procédure du ganglion sentinelle était contre-indiquée, qu'elle aurait occulté dans son rapport l'important délai du retard de diagnostic et son influence sur la grosseur de la tumeur et sur son état de santé, qu'elle aurait nié que constitue une faute l'absence de prélèvement du nodule palpable dans un contexte de seins à risque, qu'elle n'aurait pas tenu compte des recommandations du ministère de la santé en matière de dépistage du sein, et qu'elle aurait passé sous silence le temps de doublement des cellules cancéreuses témoignent de la mauvaise " qualité " de l'expertise réalisée ; que, toutefois, de tels arguments qui ont toute leur place dans le contentieux relatif à la question de la responsabilité de l'AP-HP ne sauraient, en tout état de cause, révéler un quelconque conflit d'intérêt ou constituer une méconnaissance de l'article R. 4127-105 du code de la santé publique sus mentionné ;

10. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les conclusions de Mme E...tendant à l'annulation de la décision du conseil départemental de l'ordre des médecins du

17 décembre 2013 ne peuvent qu'être rejetées ;

Sur la requête n° 16PA02929 :

11. Considérant que Mme E...soutient qu'en s'appropriant les motifs et la portée des différentes décisions des juridictions judiciaires pour rejeter ses conclusions tendant à l'annulation de la décision implicite du ministre de la santé de déférer le docteur I...devant la chambre disciplinaire, le tribunal administratif aurait méconnu l'étendue de sa compétence, de même que la ministre de la santé ; que toutefois, si le tribunal a cru devoir, à juste titre, rappeler les différentes voies de recours dont Mme E...a usé pour contester le refus de déferrement de l'expert, il n'a pas ce faisant entaché son jugement d'une quelconque incompétence négative ; que la ministre n'a pas davantage méconnu l'étendue de sa compétence en rejetant implicitement la demande de la requérante ;

12. Considérant, par ailleurs, que pour les mêmes raisons qu'exposées dans les considérants relatifs à la requête n° 16PA02928, le moyen tiré de ce que la décision du ministre méconnaîtrait les dispositions de l'article R. 4127-105 du code de la santé publique ne peut qu'être rejeté ;

13. Considérant enfin, que le tribunal, dont il est nullement établi qu'il aurait fait reposer son jugement sur certains faits erronés, n'était pas tenu, ainsi qu'il a été dit, de répondre à l'ensemble des arguments soulevés par MmeE... ;

14. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que Mme E...n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a rejeté ses conclusions tendant à l'annulation de la décision implicite par laquelle le ministre de la santé a refusé de déférer le docteur I...devant la chambre disciplinaire de première instance ;

Sur la requête n° 16PA02930 :

15. Considérant que Mme E...persiste à invoquer dans cette instance, la méconnaissance par le docteur I...des dispositions de l'article L. 4127-105 du code de la santé publique, la méconnaissance de l'étendue de sa compétence par le tribunal administratif qui a rappelé les différentes décisions des juridictions civiles, la circonstance qu'il n'aurait pas répondu à l'ensemble des arguments soulevés devant lui, ainsi que la mauvaise " qualité " de l'expertise ; qu'il y a lieu d'adopter, pour l'ensemble de ces moyens, les motifs sus retenus ;

16. Considérant que si Mme E...réitère également devant la Cour son moyen tiré de la méconnaissance du caractère contradictoire du déroulement des opérations d'expertise, c'est à bon droit que les premiers juges ont considéré que, pour regrettable que soit la circonstance que certains clichés de Mme E...n'aient pas été examinés lors de l'unique réunion d'expertise du 20 novembre 2009, cela ne faisait pas obstacle à ce qu'un tel rapport soit retenu à titre d'information, alors que le tribunal administratif a nommé, après avoir été saisi par MmeE..., son propre expert dont le rapport n'a pas été contesté ;

17. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que Mme E...n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté ses conclusions tendant à la contestation des opérations d'expertise qui se sont déroulées devant le tribunal de grande instance de Versailles ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative :

18. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soient mises à la charge du conseil départemental de l'ordre des médecins de la ville de Paris, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, les sommes que Mme E...demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ; que, dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions susmentionnées du conseil départemental de l'ordre des médecins de la ville de Paris ;

DECIDE :

Article 1er : Le jugement du 7 juillet 2016 du Tribunal administratif de Paris est annulé en tant qu'il a rejeté comme irrecevable la requête enregistrée sous le n° 1402949.

Article 2 : La demande présentée par Mme E...devant le Tribunal administratif de Paris sous le n° 1402949, de même que les requêtes d'appel enregistrées sous les n° 16PA02929 et 16PA02930 sont rejetées.

Article 3 : Les conclusions de Mme E...et du conseil départemental de l'ordre des médecins de la ville de Paris présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A...E..., à l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris, au ministre des solidarités et de la santé, au conseil départemental de l'ordre des médecins de la ville de Paris, au conseil national de l'ordre des médecins et à la caisse primaire d'assurance maladie dont relève la requérante.

Délibéré après l'audience du 11 septembre 2018, à laquelle siégeaient :

- M. Bouleau, premier vice-président,

- M. Bernier, président assesseur,

- Mme Pena, premier conseiller,

Lu en audience publique, le 25 septembre 2018.

Le rapporteur,

E. PENALe président,

M. BOULEAU

Le greffier,

E. MOULIN

La République mande et ordonne au ministre des solidarités et de la santé en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

5

N° 10PA03855

2

N° 16PA02928, 16PA02929, 16PA02930


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 16PA02928,16PA02929,16PA02930
Date de la décision : 25/09/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. le Pdt. BOULEAU
Rapporteur ?: Mme Eléonore PENA
Rapporteur public ?: Mme DELAMARRE
Avocat(s) : SCP CHASTANT-MORAND

Origine de la décision
Date de l'import : 02/10/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2018-09-25;16pa02928.16pa02929.16pa02930 ?
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