Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société à responsabilité limitée (SARL) Alternance a demandé au tribunal administratif de Strasbourg de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre de l'année 2008 ainsi que des pénalités dont ces droits ont été assortis.
Par un jugement n° 1302933 du 23 février 2016, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté cette demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 22 avril 2016, la SARL Alternance, représentée par MeA..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de prononcer cette décharge ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 5 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la procédure d'imposition est irrégulière dès lors que la proposition de rectification n'est pas régulièrement motivée et que c'est à tort que l'administration a refusé de saisir la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires ;
- l'administration fiscale n'apporte pas la preuve d'une insuffisance de prix lors des cessions des parts sociales des Sarl Alter 1 et 3 et par suite de l'existence d'actes anormaux de gestion ;
- c'est à tort que les rehaussements en résultant ont été imposés à l'impôt sur les sociétés au taux de 33,1/3.
Par un mémoire en défense, enregistré le 13 septembre 2016, le ministre de l'économie et des finances conclut au rejet de la requête.
Il soutient qu'aucun des moyens soulevés n'est fondé.
Vu :
- les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Etienvre ;
- et les conclusions de Mme Peton-Philippot, rapporteur public.
Sur les conclusions aux fins de décharge :
En ce qui concerne la procédure d'imposition :
1. Considérant, en premier lieu, qu'aux termes de l'article L. 57 du livre des procédures fiscales : " L'administration adresse au contribuable une proposition de rectification qui doit être motivée de manière à lui permettre de formuler ses observations ou de faire connaître son acceptation (...) " ;
2. Considérant qu'il résulte de ces dispositions que, pour être régulière, une proposition de rectification doit comporter la désignation de l'impôt concerné, de l'année d'imposition et de la base d'imposition, et énoncer les motifs sur lesquels l'administration entend se fonder pour justifier les redressements envisagés, de façon à permettre au contribuable de formuler ses observations de façon entièrement utile ; qu'en revanche, sa régularité ne dépend pas du bien-fondé de ces motifs ;
3. Considérant que, contrairement à ce que la société requérante soutient, la circonstance que le vérificateur ait mentionné comme fondements juridiques des rehaussements consécutifs à la remise en cause du prix de cession des parts sociales des sociétés Alter 1, 2 et 3, à la fois la théorie de l'acte anormal de gestion et l'article 57 du code général des impôts relatif aux transferts indirects de bénéfices ne l'a pas empêchée de comprendre chacun de ces motifs et de formuler, ensuite, comme elle l'a fait, des observations de façon entièrement utile ; que le moyen tiré du caractère non motivé de la proposition de rectification en ce qui concerne ces rehaussements doit être, dès lors, écarté comme manquant en fait ;
4. Considérant, en second lieu, qu'aux termes de l'article L. 59 du livre des procédures fiscales : " Lorsque le désaccord persiste sur les rectifications notifiées, l'administration, si le contribuable le demande, soumet le litige à l'avis soit de la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires prévue à l'article 1651 du code général des impôts, soit de la Commission nationale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires prévue à l'article 1651 H du même code, soit de la commission départementale de conciliation prévue à l'article 667 du même code. Les commissions peuvent également être saisies à l'initiative de l'administration " ; qu'aux termes de l'article L. 59 A du même livre : " I.-La commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires intervient lorsque le désaccord porte : 1° Sur le montant du résultat industriel et commercial (...) II.-Dans les domaines mentionnés au I, la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires peut, sans trancher une question de droit, se prononcer sur les faits susceptibles d'être pris en compte pour l'examen de cette question de droit. Par dérogation aux dispositions du premier alinéa, la commission peut se prononcer sur le caractère anormal d'un acte de gestion (...) " ;
5. Considérant que l'administration n'est tenue de saisir la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires du différend qui l'oppose au contribuable que si ce différend ressortit à la compétence de la commission ; qu'il revient à ce titre à l'administration d'apprécier, sous le contrôle du juge, l'existence d'un différend susceptible d'être soumis à la commission ;
6. Considérant qu'il résulte de l'instruction que lorsque la société requérante a sollicité la saisine de la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires il n'existait plus de différend susceptible d'être soumis à cette commission dès lors qu'à la suite à la réponse aux observations du contribuable, le service a tenu compte des observations de la société Alternance pour modifier ses calculs initiaux ; que, dans ces conditions, la seule circonstance que la contribuable ait manifesté le souhait de saisir la commission ne suffit pas à caractériser la persistance d'un différend au sens de l'article L. 59 du livre des procédures fiscales ; que la SARL Alternance n'est, par suite, pas fondée à soutenir que c'est à tort que l'administration a refusé de faire droit à sa demande et que les impositions litigieuses ont été, en conséquence, établies à l'issue d'une procédure irrégulière ;
En ce qui concerne le bien-fondé de l'impôt :
7. Considérant qu'en vertu des dispositions combinées des articles 38 et 209 du code général des impôts, le bénéfice imposable à l'impôt sur les sociétés est celui qui provient des opérations de toute nature faites par l'entreprise, à l'exception de celles qui, en raison de leur objet ou de leurs modalités, sont étrangères à une gestion commerciale normale ; que, s'il appartient à l'administration d'apporter la preuve des faits sur lesquels elle se fonde pour estimer que l'avantage consenti sans contrepartie à l'occasion de cette cession de titres constitue, à concurrence de l'insuffisance du prix stipulé, un acte anormal de gestion, elle est réputée apporter cette preuve dès lors que cette entreprise n'est pas en mesure de justifier qu'elle a bénéficié en retour de contreparties ;
S'agissant de l'existence d'un acte anormal de gestion :
8. Considérant qu'il résulte de l'instruction que l'administration fiscale a estimé que la cession, par la société requérante, le 11 février 2008, à la société luxembourgeoise Consult TT SA de parts qu'elle détenait dans le capital social de la Sarl Alter 1 et de parts qu'elle détenait dans le capital social de la Sarl Alter 3 au prix unitaire de deux euros procédait, en l'absence de contreparties, d'un acte anormal de gestion dès lors que la valeur vénale réelle des titres en cause s'élevait à 111 euros pour la Sarl Alter 1 et 105 euros pour la Sarl Alter 3 ;
9. Considérant que la valeur vénale d'actions non cotées en bourse sur un marché réglementé doit être appréciée compte tenu de tous les éléments dont l'ensemble permet d'obtenir un chiffre aussi voisin que possible de celui qu'aurait entraîné le jeu normal de l'offre et la demande à la date où la cession est intervenue ; que l'évaluation des titres d'une telle société doit être effectuée, par priorité, par référence au prix d'autres transactions intervenues dans des conditions équivalentes et portant sur les titres de la même société ou, à défaut, de sociétés similaires ; qu'en l'absence de telles transactions, celle-ci peut légalement se fonder sur la combinaison de plusieurs méthodes alternatives ;
10. Considérant qu'il résulte de l'instruction que pour fixer respectivement à 111 et 105 euros les valeurs unitaires des titres des sociétés Alter 1 et Alter 3, le vérificateur a déterminé, d'une part, la valeur dite mathématique de ces titres soit 333 768 euros pour la société Alter 1 et 387 307 euros pour la société Alter 3 ; qu'il a, d'autre part, déterminé la valeur dite de rendement de ces mêmes titres soit 1 439 362 euros pour la société Alter 1 et 1 296 443 euros pour la société Alter 3 à partir d'une évaluation de la valeur de productivité et de la marge brute d'autofinancement ; que la valeur de productivité a été calculée en multipliant le résultat moyen pondéré des sociétés Alter 1 et Alter 3 par 100 puis en divisant le résultat ainsi obtenu par un taux de capitalisation ; que ce taux a lui-même été calculé en additionnant le taux de base d'un placement sans risque pour 2007, soit le taux de rendement des obligations publiques garanties par l'Etat de 2,86, et le taux de la prime historique du marché français sur une durée de 100 ans (5 %) ; que le montant obtenu a été affecté d'un coefficient de risque propre à l'entreprise ;
11. Considérant que la société requérante conteste la pertinence de l'utilisation pour l'évaluation des titres en cause de la valeur de productivité et de la marge brute d'autofinancement ;
12. Considérant, en premier lieu, que la société requérante s'abstient, toutefois, de préciser en quoi la méthode de la valeur de productivité, qui consiste à évaluer la valeur d'une entreprise en capitalisant le résultat net que son activité produit, serait inappropriée dans le cas de sociétés, qui comme les Sarl Alter 1 et Alter 3, exploitent, en location-gérance, leurs fonds de commerce d'agence de travail temporaire alors que l'administration soutient, de son côté, qu'elle a pris en compte cette spécificité en retenant dans la détermination du taux de capitalisation utilisé dans la méthode selon la valeur de productivité, un coefficient de risque propre à l'entreprise maximum ; que l'application de cette méthode n'est pas, par principe, réservé aux seules entreprises propriétaires de leurs fonds de commerce ;
13. Considérant, en deuxième lieu, que la société requérante, qui ne produit aucun élément en ce sens, ne justifie pas du bien-fondé de la décote supplémentaire qu'elle revendique ;
14. Considérant, en troisième lieu, que la société requérante relève l'incertitude d'une évaluation des titres selon la méthode de la valeur de productivité ; qu'il résulte, toutefois, de l'instruction que, comme il a été exposé au point 10, le service, à supposer cette incertitude établie, en a précisément tenu compte en évaluant les titres en cause dans le cadre d'une combinaison de différentes méthodes, propre à limiter le caractère éventuellement approximatif de l'une ou l'autre des méthodes choisies ;
15. Considérant, en quatrième lieu, que si la société requérante conteste, compte tenu en particulier de son ancienneté, l'utilisation, pour déterminer le taux de capitalisation, du taux de 5 % correspondant à la prime de risque historique du marché français sur une durée de 100 ans, elle s'abstient néanmoins de préciser quel autre taux aurait été plus adapté ;
16. Considérant, en cinquième lieu, que la marge brute d'autofinancement a été évaluée à partir du bénéfice net après impôt sur les sociétés de chacune des deux sociétés Alter 1 et Alter 3, augmenté des amortissements pratiqués et des provisions ; que cette méthode, qui est présentée comme exprimant la capacité d'autofinancement des entreprises dont les titres sont acquis, n'est pas, contrairement à ce que la société requérante soutient, réservée aux seules entreprises industrielles ; que l'administration a, au demeurant, tenu compte de la nature commerciale de l'activité des Sociétés Alter 1 et 3 et de l'absence de lourds investissements de la part de ces sociétés, en retenant des coefficients de pondération de 1 et 2 ;
17. Considérant, en sixième lieu, que la société requérante ne justifie pas, par la seule production d'un document rétrospectif, de l'absence de perspectives économiques défavorables en février 2008 dans le secteur de l'intérim en Alsace ; que dans ces conditions, le moyen tiré de ce que l'administration aurait dû tenir compte de telles perspectives doit être écarté ;
18. Considérant, en dernier lieu, que l'administration n'avait pas, contrairement à ce que la société requérante soutient, à établir, dans le cadre du rehaussement litigieux, l'intention de cette dernière d'accorder une libéralité à la société luxembourgeoise Consult TT SA ;
19. Considérant qu'il suit de là que la société requérante n'est pas fondée à soutenir que l'administration n'apporte pas la preuve, dont la charge lui incombe, de l'existence de cessions de titres à des prix minorés ;
S'agissant du taux d'imposition :
20. Considérant qu'aux termes de l'article 219 du code général des impôts : " I. Pour le calcul de l'impôt, le bénéfice imposable est arrondi à l'euro le plus proche. La fraction d'euro égale à 0,50 est comptée pour 1. Le taux normal de l'impôt est fixé à 33,1 / 3 % (...) Toutefois : (...) a quinquies. Pour les exercices ouverts à compter du 1er janvier 2006, le montant net des plus-values à long terme afférentes à des titres de participation fait l'objet d'une imposition séparée au taux de 8 %. Ce taux est fixé à 0 % pour les exercices ouverts à compter du 1er janvier 2007. Pour les exercices ouverts à compter du 1er janvier 2007, une quote-part de frais et charges égale à 5 % du résultat net des plus-values de cession est prise en compte pour la détermination du résultat imposable (...) " ;
21. Considérant que la société requérante soutient qu'elle entre dans le champ d'application des dispositions du a quinquies du I de l'article 219 du code général des impôts relatives à l'imposition des plus-values à long terme afférentes à des titres de participation et revendique, en conséquence, une imposition des rehaussements au taux non de 33,1/3 % mais sur la base d'un taux de 5 % ;
22. Considérant que si les parts que la société requérante détenait dans ses filiales sont effectivement des titres de participation, elle n'a cependant pas été imposée à raison des plus-values qu'elle aurait réalisées lors de la cession de ces titres mais à raison de l'avantage qu'elle a anormalement consenti aux acquéreurs de ces titres en renonçant à céder ces parts sociales à leur valeur vénale réelle ; que les impositions en litige résultent en conséquence de la réintégration dans les résultats de la société requérante de la différence entre les sommes versées par les acquéreurs et ces valeurs vénales ; que la société ne relève, dès lors, pas du champ d'application des dispositions du a quinquies du I de l'article 219 du code général des impôts ;
23. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la SARL Alternance n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande ;
Sur les conclusions tendant au bénéfice des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
24. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, le versement de la somme que la SARL Alternance demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;
D É C I D E :
Article 1er : La requête de la SARL Alternance est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la SARL Alternance et au ministre de l'économie et des finances.
Délibéré après l'audience du 2 février 2017, à laquelle siégeaient :
M. Martinez, président de chambre,
M. Etienvre, président assesseur,
Mme Didiot, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 2 mars 2017.
Le rapporteur,
Signé : F. ETIENVRELe président,
Signé : J. MARTINEZ
La greffière,
Signé : S. GODARD
La République mande et ordonne au ministre de l'économie et des finances en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
S. GODARD
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N° 16NC00714