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12/04/2018 | FRANCE | N°16LY02184

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 1ère chambre - formation à 3, 12 avril 2018, 16LY02184


Vu la procédure suivante :

Par une requête enregistrée le 27 juin 2016 et des mémoires enregistrés les 9 août 2017, 24 octobre 2017 et 9 février 2018, la société Les Nemours, la société Victoria et la société JFR SAS, représentées par la SCP Potier de la Varde-Buk Lament, demandent, à la cour :

1°) d'annuler la décision du 26 février 2016 par laquelle la commission nationale d'aménagement cinématographique (CNACi) a délivré à la SAS Agora l'autorisation de créer un établissement de spectacles cinématographiques de neuf salles et 1380 places à l'enseign

e "Mégarama" à Seynod ;

2°) de mettre une somme de 3 500 euros à la charge de la SAS A...

Vu la procédure suivante :

Par une requête enregistrée le 27 juin 2016 et des mémoires enregistrés les 9 août 2017, 24 octobre 2017 et 9 février 2018, la société Les Nemours, la société Victoria et la société JFR SAS, représentées par la SCP Potier de la Varde-Buk Lament, demandent, à la cour :

1°) d'annuler la décision du 26 février 2016 par laquelle la commission nationale d'aménagement cinématographique (CNACi) a délivré à la SAS Agora l'autorisation de créer un établissement de spectacles cinématographiques de neuf salles et 1380 places à l'enseigne "Mégarama" à Seynod ;

2°) de mettre une somme de 3 500 euros à la charge de la SAS Agora au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elles soutiennent que :

- la décision attaquée a été prise à l'issue d'une procédure irrégulière en méconnaissance des articles R. 212-7-26 et R. 212-7-27 du code du cinéma et de l'image animée ;

- le projet ne répond pas aux exigences de la diversité cinématographique, dès lors, d'une part, que, s'agissant du projet de programmation envisagé, les cinémas existants dans zone d'influence cinématographique dont fait partie la commune d'Annecy offrent déjà une programmation généraliste satisfaisante, si bien que le futur établissement pourra chercher à élargir ses programmations en matière d'Art et Essai sans que les engagements du pétitionnaire ne constituent une garantie suffisante, ce qui aura pour effet de fragiliser et de compromettre le maintien d'une activité cinématographique de proximité, d'autre part, s'agissant de l'offre cinématographique existante, l'ouverture d'un complexe de trois salles à Rumilly a été occultée, enfin, le projet accentuera les difficultés d'accès aux films que rencontrent certains établissements ;

- l'impact négatif du projet est avéré sur l'aménagement culturel du territoire, la protection de l'environnement et la qualité de l'urbanisme, compte tenu des risques qu'il génère pour l'animation culturelle du territoire, de l'insuffisante desserte par les transports en commun, aspect passé sous silence par la CNACi, ou de l'insertion du projet dans son environnement.

Par des mémoires, enregistrés les 19 décembre 2016, 22 janvier 2018 et 21 février 2018, la CNACi, conclut au rejet de la requête.

Elle soutient que les moyens soulevés sont infondés ; en particulier, ses membres ont bien reçu, dans la cadre d'une première convocation, l'ordre du jour accompagné des documents listés à l'article R. 212-7-26 du code du cinéma et de l'image animée.

Par un mémoire enregistré le 29 septembre 2017, la SAS Agora Cinémas, représentée par la SELAS Wilhem et associés, conclut au rejet de la requête et demande qu'une somme de 5 000 euros soit mise à la charge de chacune des sociétés requérantes au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la requête est irrecevable pour tardiveté, faute d'avoir été introduite dans les deux mois de la notification de la décision de la CNACi ;

- les moyens tirés de la situation de concurrence qui serait créée par le projet et de la densité d'équipements cinématographiques dans la zone, sont inopérants ;

- les autres moyens de la requête sont infondés.

La CNACi a produit des pièces enregistrées le 12 mars 2018, postérieurement à la clôture de l'instruction intervenue en application du premier alinéa de l'article R. 613-2 du code de justice administrative, qui n'ont pas été communiquées.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de l'urbanisme ;

- le code du cinéma et de l'image animée ;

- le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Bénédicte Lordonné, premier conseiller,

- les conclusions de Mme Véronique Vaccaro-Planchet, rapporteur public,

- les observations de Me D... pour la société Agora ;

Et après avoir pris connaissance de note en délibéré présentée pour la CNACi, enregistrée le 20 mars 2018.

1. Considérant que, par une décision du 26 février 2016, la commission nationale d'aménagement cinématographique (CNACi) a délivré à la SAS Agora l'autorisation de créer un établissement de spectacles cinématographiques de neuf salles et 1380 places à l'enseigne "Mégarama" à Seynod ; que la société Les Nemours, la société Victoria et la société JFR SAS, demandent l'annulation de cette décision ;

Sur la légalité de la décision du 26 février 2016 :

En ce qui concerne la régularité de la procédure :

2. Considérant qu'aux termes du deuxième alinéa de l'article R. 212-7-26 du code du cinéma et de l'image animée : " Les membres de la commission reçoivent l'ordre du jour, accompagné des procès-verbaux des réunions des commissions départementales d'aménagement cinématographique, des décisions de ces commissions, des recours et des rapports des services instructeur. " ; qu'aux termes de l'article R. 212-7-29 du même code : " Le commissaire du Gouvernement recueille l'avis du ministre chargé de la culture, qu'il présente à la Commission nationale d'aménagement cinématographique. Il donne son avis sur les demandes examinées par la commission au regard des auditions effectuées. " ;

3. Considérant, d'une part, qu'il ressort des pièces versées au dossier avant la clôture de l'instruction que les membres de la CNACi ont été informés, par un courrier du 19 février 2016, de la tenue d'une réunion le vendredi 26 février 2016, séance au cours de laquelle le dossier de la SAS Agora Cinémas a été examiné ; que si ce courrier ne comporte aucune mention de l'ordre du jour ou de documents joints, la CNACi fait valoir que le dossier de la SAS Agora Cinémas était au nombre de ceux portés à l'ordre du jour d'une réunion qui devait se tenir le 18 février et qui a été reportée ; qu'il ressort des pièces du dossier, qu'alors même que deux membres de la commission ont demandé à disposer d'une copie du dossier sur table lors de la réunion, tous les membres de la CNACi avaient reçu, par lettre du 12 février 2016, l'ordre du jour et les dossiers d'instruction à l'occasion de cette première convocation ; qu'enfin, M. B... et de Mme C... ayant été destinataires des dossiers joints à la première convocation, leurs suppléants, M. E... et Mme A..., qui les ont remplacés à la séance du 26 février 2016, étaient ainsi à même de s'informer sur l'ordre du jour de la séance et de prendre connaissance, en temps utile, des documents dont l'envoi aux membres est prévu par les dispositions citées au point 2 ;

4. Considérant, d'autre part, que les sociétés requérantes ne font état d'aucun élément susceptible d'établir que l'avis du ministre chargé de la culture recueilli par le commissaire du Gouvernement n'aurait pas été présenté par celui-ci aux membres de la commission ;

5. Considérant que les sociétés requérantes ne sont ainsi pas fondées à soutenir que l'autorisation en litige serait intervenue à l'issue d'une procédure irrégulière, en violation des dispositions des articles R. 212-7-26 et R. 212-7-29 du code du cinéma et de l'image animée ;

En ce qui concerne l'appréciation de la commission nationale d'aménagement cinématographique sur le projet :

6. Considérant qu'aux termes de l'article L. 212-6 du code du cinéma et de l'image animée : " Les créations, extensions et réouvertures au public d'établissements de spectacles cinématographiques doivent répondre aux exigences de diversité de l'offre cinématographique, d'aménagement culturel du territoire, de protection de l'environnement et de qualité de l'urbanisme, en tenant compte de la nature spécifique des oeuvres cinématographiques. Elles doivent contribuer à la modernisation des établissements de spectacles cinématographiques et à la satisfaction des intérêts du spectateur tant en ce qui concerne la programmation d'une offre diversifiée, le maintien et la protection du pluralisme dans le secteur de l'exploitation cinématographique que la qualité des services offerts. " ; qu'aux termes de l'article L. 212-9 du même code : " Dans le cadre des principes définis à l'article L. 212-6, la commission départementale d'aménagement cinématographique se prononce sur les deux critères suivants : / 1° L'effet potentiel sur la diversité cinématographique offerte aux spectateurs dans la zone d'influence cinématographique concernée, évalué au moyen des indicateurs suivants : / a) Le projet de programmation envisagé pour l'établissement de spectacles cinématographiques objet de la demande d'autorisation et, le cas échéant, le respect des engagements de programmation éventuellement souscrits en application des articles L. 212-19 et L. 212-20 ; / b) La nature et la diversité culturelle de l'offre cinématographique proposée dans la zone concernée, compte tenu de la fréquentation cinématographique ; / c) La situation de l'accès des oeuvres cinématographiques aux salles et des salles aux oeuvres cinématographiques pour les établissements de spectacles cinématographiques existants ; / 2° L'effet du projet sur l'aménagement culturel du territoire, la protection de l'environnement et la qualité de l'urbanisme, évalué au moyen des indicateurs suivants : / a) L'implantation géographique des établissements de spectacles cinématographiques dans la zone d'influence cinématographique et la qualité de leurs équipements ; / b) La préservation d'une animation culturelle et le respect de l'équilibre des agglomérations ; / c) La qualité environnementale appréciée en tenant compte des différents modes de transports publics, de la qualité de la desserte routière, des parcs de stationnement ; / d) L'insertion du projet dans son environnement ; / e) La localisation du projet, notamment au regard des schémas de cohérence territoriale et des plans locaux d'urbanisme. / Lorsqu'une autorisation s'appuie notamment sur le projet de programmation cinématographique, ce projet fait l'objet d'un engagement de programmation cinématographique souscrit en application du 3° de l'article L. 212-23. / Lorsque le projet présenté concerne l'extension d'un établissement définie aux 2°, 3° ou 3° bis de l'article L. 212-7, le respect de l'engagement de programmation cinématographique souscrit par l'exploitant de l'établissement de spectacles cinématographiques en application de l'article L. 212-23 fait l'objet d'un contrôle du Centre national du cinéma et de l'image animée, transmis à la commission d'aménagement cinématographique compétente pour l'instruction du dossier. " ;

7. Considérant qu'il résulte de ces dispositions que l'autorisation d'aménagement cinématographique ne peut être refusée que si, eu égard à ses effets, le projet d'équipement cinématographique contesté compromet la réalisation des objectifs et principes énoncés par la loi ; qu'il appartient aux commissions d'aménagement cinématographique, lorsqu'elles se prononcent sur les dossiers de demande d'autorisation, d'apprécier la conformité du projet à ces objectifs et principes, au vu des critères d'évaluation et indicateurs mentionnés à l'article L. 212-9 du code du cinéma et de l'image animée, parmi lesquels ne figure plus la densité d'équipements en salles de spectacles cinématographiques dans la zone d'attraction du projet ;

8. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier et notamment du rapport d'instruction de la CNACi, que la zone d'influence cinématographique (ZIC), qui s'étend jusqu'à un maximum de trente minutes de trajet en voiture et regroupe 283 000 habitants, compte sept établissements dans la sous-zone primaire laquelle a été redéfinie pour y inclure la ville d'Annecy, et cinq établissements dans la sous-zone secondaire, dont celui de Rumilly, bénéficiant d'une autorisation pour la création d'un établissement de trois écrans et de 517 places qui a été prise en considération par la CNACi ; que si l'équipement et la fréquentation cinématographiques dans la zone considérée sont supérieurs à la moyenne constatée, la commune de Seynod, qui compte une forte croissance démographique, présente un niveau d'équipement et de fréquentation inférieur à la moyenne et ne comprend aucun établissement cinématographique de type multiplexe, dont l'offre est concentrée sur les communes d'Annecy et d'Aix-les-Bains ; que cette situation génère sur la commune une carence en ce qui concerne la diffusion des films en sortie nationale ; que le projet, qui prévoit la projection de plus de 16 000 séances annuelles, permettra d'améliorer les conditions d'exposition des films généralistes dans la ZIC ; qu'il ressort également des pièces du dossier que la SAS Agora, en complément de ses engagements déjà souscrits devant la commission départementale, s'est engagée le 22 janvier 2016 à ne pas programmer, pour une période de trente-six mois à compter de l'ouverture au public, les films recommandés "art et essai" bénéficiant d'une sortie de moins de trois cents copies en sortie nationale ; que ces engagements de programmation spécifique au projet, sous la surveillance du Centre national du cinéma et du médiateur du cinéma, étaient suffisamment fermes pour que la commission en tienne compte, contrairement à ce que soutiennent les sociétés requérantes ; qu'une convention de partenariat a en outre été signée pour une durée de six ans le 29 janvier 2016 avec l'auditorium de Seynod, établissement pluridisciplinaire situé à deux kilomètres du projet, qui propose notamment des projections cinématographiques et consacre 50% de sa programmation à des oeuvres classées "art et essai" ; qu'ainsi, compte tenu du caractère généraliste de la programmation du nouveau cinéma, l'impact du projet pour les cinémas classés "art et essai", et notamment le cinéma "Les Nemours" situé à Annecy, sera limité ; que, dans ces conditions, nonobstant les difficultés d'accès aux films rencontrées par les établissements mono-écran de la ZIC, le projet ne peut être regardé comme compromettant la réalisation de l'objectif de diversité cinématographique offerte aux spectateurs dans cette zone ;

9. Considérant qu'ainsi qu'il a été dit, le projet en litige favorisera une répartition de l'offre cinématographique au sein de la ZIC en créant un pôle complémentaire à ceux d'Annecy et d'Aix-les-Bains ; que si le projet risque d'affaiblir l'offre des salles les plus modestes offrant des séances de films généralistes, l'impact du projet pour les cinémas les plus éloignés et ceux classés "art et essai" sera limité ; qu'il ressort des pièces du dossier que le multiplexe projeté doit s'implanter dans la zone commerciale de Val Semnoz, située au sud-ouest d'Annecy ; que si la CNACi, qui n'était pas tenue de le faire, ne s'est pas explicitement prononcée sur sa qualité architecturale, il ressort des pièces du dossier que le projet s'insérera de manière satisfaisante dans le paysage environnant ; qu'il est desservi par la RD 1201, par des pistes cyclables, une liaison piétonne et deux lignes de bus ; que la faible fréquence des bus et l'absence de desserte le dimanche, le soir et les jours féries ne suffisent pas pour regarder l'appréciation portée par la CNACi sur la desserte du projet comme étant erronée ; que le projet est compatible avec le SCOT, ainsi que cela ressort d'ailleurs de l'avis favorable de la direction départementale des territoires ; qu'il résulte de ce qui précède que le moyen tiré de ce que l'appréciation portée par la CNACi quant à l'effet potentiel du projet sur la protection de l'environnement et la qualité de l'urbanisme serait erroné doit être écarté ;

10. Considérant qu'il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de statuer sur la fin de non-recevoir opposée par la SAS Agora Cinémas, que les sociétés requérantes ne sont pas fondées à demander l'annulation de la décision de la CNACi du 26 février 2016 ;

Sur les frais liés au litige :

11. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que la somme que les sociétés requérantes demandent au titre des frais qu'elles ont exposés soit mise à la charge de la SAS Agora qui n'est pas partie perdante dans la présente instance ; qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, en application de ces mêmes dispositions, de mettre à la charge solidaire des requérantes le versement d'une somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par la SAS Agora ;

DECIDE :

Article 1er : La requête de la société Les Nemours et autres est rejetée.

Article 2 : La société Les Nemours, la société Victoria et la société JFR SAS verseront solidairement la somme de 2 000 euros à la SAS Agora en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la société Les Nemours, première requérante dénommée, pour l'ensemble des requérantes, à la SAS Agora et à la commission nationale d'aménagement cinématographique.

Délibéré après l'audience du 13 mars 2018 à laquelle siégeaient :

M. Yves Boucher, président de chambre,

M. Antoine Gille, président-assesseur,

Mme Bénédicte Lordonné, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 12 avril 2018.

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N° 16LY02184

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Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 1ère chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 16LY02184
Date de la décision : 12/04/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

14-02-01-05-02-025 Commerce, industrie, intervention économique de la puissance publique. Réglementation des activités économiques. Activités soumises à réglementation. Aménagement commercial. Procédure. Commission nationale d'aménagement cinématographique.


Composition du Tribunal
Président : M. BOUCHER
Rapporteur ?: Mme Bénédicte LORDONNE
Rapporteur public ?: Mme VACCARO-PLANCHET
Avocat(s) : SELAS WILHELM ET ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 24/04/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2018-04-12;16ly02184 ?
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