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20/12/2018 | FRANCE | N°16BX03232

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 1ère chambre - formation à 3, 20 décembre 2018, 16BX03232


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La communauté urbaine de Bordeaux devenue Bordeaux Métropole a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'une part et à titre principal, de condamner in solidum sur le fondement de la responsabilité décennale des constructeurs les sociétés Systra, TDC SAS, Ingerop Sud-Ouest, l'agence d'architecture Brochet-Lajus-Pueyo, l'agence Signes, la société Muller TP, la société Siorat, et la société Rocamat Pierres naturelles à l'indemniser du préjudice qu'elle a subi du fait des désordres affectant le

revêtement du cours de l'Intendance et de la place de la Comédie à Bordeaux et...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La communauté urbaine de Bordeaux devenue Bordeaux Métropole a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'une part et à titre principal, de condamner in solidum sur le fondement de la responsabilité décennale des constructeurs les sociétés Systra, TDC SAS, Ingerop Sud-Ouest, l'agence d'architecture Brochet-Lajus-Pueyo, l'agence Signes, la société Muller TP, la société Siorat, et la société Rocamat Pierres naturelles à l'indemniser du préjudice qu'elle a subi du fait des désordres affectant le revêtement du cours de l'Intendance et de la place de la Comédie à Bordeaux et de lui verser en conséquence la somme de 3 054 627,12 euros TTC, d'autre part, et à titre subsidiaire, de condamner in solidum pour manquement à leur devoir de conseil, les maîtres d'oeuvre du projet soit les sociétés Systra, TDC SAS, Ingerop Sud-Ouest, l'agence d'architecture Brochet-Lajus-Pueyo et l'agence Signes à l'indemniser du préjudice qu'elle a subi du fait des désordres affectant le revêtement du cours de l'Intendance et de lui verser en conséquence la somme de 3 054 627,12 euros TTC.

Par un jugement n° 1302032 du 25 juillet 2016, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés le 23 septembre 2016, le 21 juin 2018 et le 20 août 2018, Bordeaux Métropole, représentée par MeG..., demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Bordeaux n° 1302032 du 25 juillet 2016 ;

2°) de condamner solidairement les sociétés Systra, TDC SAS, Ingerop Sud-Ouest, Brochet-Lajus-Pueyo, Signes, NGE, Rocamat Pierres Naturelles et Me B...ès qualité de liquidateur de la société Muller TP à lui verser une somme de 2 938 569,42 euros TTC, assortie des intérêts au taux légal à compter du 7 juin 2013, ces intérêts devant être capitalisés à chaque échéance annuelle pour former eux-mêmes intérêts ;

3°) d'ordonner si nécessaire avant dire droit une nouvelle expertise concernant la place de la Comédie ;

4°) de condamner solidairement les sociétés Systra, TDC SAS, Ingerop Sud-Ouest, Brochet-Lajus-Pueyo, Signes, NGE, Rocamat Pierres Naturelles et Me B...ès qualité de liquidateur de la société Muller TP à lui verser une somme de 29 291 euros au titre des frais d'expertise ;

5°) de mettre à la charge solidaire des sociétés Systra, TDC SAS, Ingerop Sud-Ouest, Brochet-Lajus-Pueyo, Signes, NGE, Rocamat Pierres Naturelles et Me B...ès qualité de liquidateur de la société Muller TP une somme de 5 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le tribunal, en refusant l'engagement de la responsabilité des constructeurs sur un fondement décennal au motif que les désordres ne seraient pas généralisés et ne porteraient pas atteinte à la sécurité des usagers, a commis deux erreurs de droit alors que la jurisprudence ne subordonne pas l'engagement de la responsabilité décennale des constructeurs au caractère général et permanent des désordres constatés ; la jurisprudence admet par ailleurs que la seule circonstance que les désordres soient susceptibles de menacer la sécurité des personnes les fait entrer dans le champ de la garantie décennale ;

- contrairement à ce qu'a estimé le tribunal, la totalité des dalles du cours de l'Intendance et de la place de la Comédie devront être déposées, pour certaines remplacées, puis reposées ; c'est au regard du caractère selon lui évolutif et généralisé des désordres que l'expert a préconisé le remplacement de toutes les dalles ; le caractère évolutif des désordres n'a pu être limité que par des interventions régulières des services de la métropole, ainsi qu'en attestent le détail des réparations effectuées en régie ;

- la responsabilité contractuelle des constructeurs est susceptible d'être engagée, que ce soit de façon spécifique au titre du devoir de conseil des maîtres d'oeuvre, contrairement à ce qu'a jugé le tribunal, ou de façon plus générale au titre de la méconnaissance de leurs obligations contractuelles ;

- le caractère ou non apparent des désordres à la réception est sans incidence sur l'étendue de la responsabilité des maîtres d'oeuvre au titre de leur devoir de conseil dès lors que les maîtres d'oeuvre en ont eu connaissance au cours du chantier ;

- lorsque les conditions de mise en oeuvre de la garantie décennale ne sont pas réunies, le maître d'ouvrage perd certes le bénéfice de la présomption de responsabilité tirée des dispositions des articles 1792 et suivants du code civil, mais il doit être considéré comme conservant la possibilité d'engager la responsabilité contractuelle pour faute des constructeurs, dans les conditions de droit commun ; cette faute peut consister en un manquement aux règles de l'art ou une méconnaissance du devoir de conseil des constructeurs ;

- l'expert a clairement indiqué dans son rapport qu'il n'existait pas de plan de calepinage, que les factures de livraison de mortier ne comprenaient pas de mortier de résine prescrit pour les dalles de rives, que le mortier mis en oeuvre n'avait pas la consistance demandée au CCTP et qu'aucun joint de dilatation n'avait été mis en oeuvre ; la responsabilité contractuelle des entreprises est à ce titre acquise ; il en va de même du fournisseur des dalles, qui aurait dû formuler toute réserve utile au titre de la destination finale des matériaux au titre de son devoir de conseil ; pour les mêmes raisons, les maîtres d'oeuvre ont manqué à leur devoir tant au titre de la rédaction des documents techniques contractuels, notamment en omettant les joints de dilatation prescrits par la norme NF P98-335, qu'au titre de leur mission de direction, contrôle et surveillance des travaux, et en particulier des matériaux appliqués ; les maîtres d'oeuvre n'ont pas procédé aux contrôles adéquats alors même que l'absence de collage aurait dû être décelée ;

- le maître d'oeuvre engage sa responsabilité pour ne pas avoir conseillé au maître d'ouvrage de réceptionner les travaux et il est à ce titre indifférent, contrairement à ce qu'ont retenu les juges de première instance, que les désordres aient ou non présenté un caractère apparent à la réception ;

- le délai de prescription de droit commun ayant été ramené en matière contractuelle de trente (art. 2262 ancien du code civil) à cinq ans (art. 2224 nouveau du code civil), l'action de la Métropole était au plus tôt prescrite, en vertu du II de l'article 26 de la loi 2008-561 du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile, au 19 juin 2013 ; la requête de première instance a été introduite par la Métropole le 7 juin 2013 ;

- les dalles ne constituent pas des éléments d'équipement dissociables de l'ouvrage et ne relèvent pas de la garantie biennale ;

- le coût des travaux de reprise pour le cours de l'Intendance a été évalué par l'expert à 893 650,88 euros TTC alors que pour la place de la Comédie, le coût s'élève à 306 278 euros TTC ; si la cour estimait ne pouvoir se prononcer sur la place de la Comédie qui n'a pas fait l'objet d'une expertise, elle devrait ordonner une expertise complémentaire ; pour la réalisation de joints de dilatation, le coût peut être évalué à la somme de 30 886 euros TTC ; la somme correspondant à l'acquisition des nouvelles dalles peut être évaluée à 596 185,92 euros TTC en incluant les frais de contrôle ; compte tenu de l'actualisation, le préjudice doit être porté à la somme de 2 217 480,62 euros TTC ; à cette somme doit être ajoutée le coût de surveillance du chantier pour un montant de 258 508, 80 euros TTC ; le montant des indemnisations versées aux riverains et professionnels peut être estimé à la somme de 330 000 euros et les pertes d'exploitation du délégataire seront indemnisées à hauteur de la somme de 132 580 euros ; les constructeurs devront aussi rembourser les frais qu'elle a avancés pour la réalisation du constat et de l'expertise, et qui se sont élevés à la somme de 29 291 euros ;

- contrairement à ce que soutient la société Systra, les dalles de revêtement de voirie ne peuvent être regardées comme des éléments d'équipement dissociables de l'ouvrage, dont ils sont au contraire un élément constitutif ;

- le défaut de mise en oeuvre du mortier de pose n'est pas étranger à l'intervention des maîtres d'oeuvre, quoi qu'en dise la société Ingerop ; la mission de maîtrise d'oeuvre était complète ;

- le tableau établi par l'expert qui dresse l'inventaire des réparations permet d'apprécier l'étendue des désordres ; les désordres en litige sont situés hors " gabarit limite d'ouvrage " (GLO) et il ne peut être raisonnablement soutenu que la circulation du tramway exclurait toute qualification décennale des désordres ;

- les causes exonératoires avancées par les défendeurs ne sont pas sérieuses ; ce sont les interventions de reprise récurrentes de Bordeaux Métropole qui ont empêché tout sinistre ; l'inadaptation potentielle du mode de pose au trafic réel, contestée, est en toute hypothèse à imputer au maître d'oeuvre et à l'entreprise, et non au maître d'ouvrage ; Bordeaux Métropole n'a nullement imposé de son seul chef le choix des matériaux auquel ont participé les maîtres d'oeuvre ;

- l'installation des joints de dilatation a été qualifiée d'indispensable par l'expert et il a simplement omis de les ajouter à son chiffrage ;

- aucun coefficient de vétusté ne sera appliqué dès lors que la vétusté doit s'apprécier à la date d'apparition des premiers désordres, seulement trois ans après la réception ;

- la condamnation sera prononcée toutes taxes comprises, s'agissant de l'activité des services administratifs de la collectivité ;

- un rapport d'expertise même non contradictoire peut toujours être pris en compte par le juge ;

- le représentant du groupe Rocamat a expressément indiqué que la société Cominex avait disparu et qu'il convenait de se tourner vers la société Rocamat Pierres naturelles ; le directeur de Rocamat a signé l'acte d'engagement du marché de fournitures de pierres attribué à Cominex, et c'est encore un agent Rocamat qui signait les courriers signés Cominex au stade tant de la mise en concurrence que de l'exécution du marché ; la société Rocamat n'a jamais contesté sa mise en cause pendant la deuxième expertise ;

- la société Cominex devait non seulement fournir mais aussi fabriquer les dalles et la responsabilité de la société Rocamat pierres naturelles est clairement engagée à titre décennal.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 13 janvier 2017 et le 5 juillet 2018, la société Ingerop Conseil et Ingénierie, venant aux droits de la société Ingerop Sud-Ouest, conclut :

- à titre principal au rejet des conclusions de la requête dirigées à son encontre et à ce que la cour mette à la charge de Bordeaux Métropole les entiers dépens de l'instance, en ce compris les frais d'expertise, et une somme de 8 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

- à titre subsidiaire, à la réduction du montant du préjudice allégué à la somme de 870 424,08 euros HT et au rejet de la demande d'expertise, à ce qu'elle soit relevée indemne et garantie de toutes condamnations prononcées à son encontre par les sociétés NGE, responsable à 50 % et TDC, Rocamat et Signes, responsables pour 16,66 % chacune et à ce que soient laissées à la charge de Bordeaux Métropole les conséquences des désordres retenus par l'expert du fait de la circulation des poids lourds et de l'insuffisance d'entretien des joints pour 16,66 %.

Elle soutient que :

- contrairement à ce que prétend Bordeaux Métropole, le tribunal administratif n'a pas écarté la mise en oeuvre de la responsabilité décennale des constructeurs aux seuls motifs que les désordres ne seraient pas généralisés, mais également, en l'état des éléments produits par l'appelante, que ces désordres n'étaient ni évolutifs ni de nature à compromettre la solidité de l'ouvrage ni ne porteraient atteinte à la sécurité des usagers ;

- comme l'a jugé le tribunal, si Bordeaux Métropole se prévaut de l'atteinte à la sécurité des personnes, elle n'apporte au soutien de ses affirmations aucun élément probant, ne fait état d'aucun incident en lien avec les désordres incriminés et ne justifie d'aucun lien de causalité entre les désordres et la circulation du tramway ; la cour pourra relever également que Bordeaux Métropole n'apporte pas davantage de précisions à ce propos en cause d'appel et elle pourra confirmer les conclusions du tribunal selon lesquelles les désordres ne peuvent être regardés comme de nature à rendre l'ouvrage impropre à sa destination ;

- contrairement à ce que soutient l'appelante, le tribunal n'a pas retenu un critère lié au caractère non apparent des désordres à la date de la réception ; Bordeaux Métropole ne rapporte pas la preuve de la connaissance par l'équipe de maîtrise d'oeuvre de l'existence de désordres avant la date de réception ; dans le cas d'une réception de l'ouvrage prononcée sans réserves, la responsabilité contractuelle des maîtres d'oeuvre ne peut être actionnée que pour une faute commise lors des opérations préalables à la réception ; en l'espèce la responsabilité des maîtres d'oeuvre ne peut plus être recherchée pour d'éventuelles fautes contractuelles dans l'exécution de la mission de direction des travaux dès lors que les travaux ont été réceptionnés sans réserves ;

- l'expert a identifié plusieurs causes à l'origine des désordres en distinguant une cause principale résultant d'un défaut de mise en oeuvre des mortiers et trois causes secondaires résultant de la non prise en compte des dilatations, de la circulation de poids lourds inadaptée au mode de pose retenu par le CCTP et de l'insuffisance de l'entretien des joints entre les dalles ;

- la non-conformité de la mise en oeuvre du mortier est exclusivement imputable aux sociétés adjudicataires du lot " Infra 09 ", soit initialement les sociétés Muller TP et Siorat, puis à compter de l'ouverture d'une procédure collective à l'encontre de la société Muller TP, la société Siorat uniquement ; sa responsabilité ne saurait être recherchée pour un défaut de mise en oeuvre des mortiers ; les désordres ne résultent ni de mauvaises préconisations édictées par le " GET " aux termes du CCTP qu'il a établi, ni d'une mauvaise qualité des matériaux utilisés ; le défaut de collage est la conséquence d'un " mauvais emploi du mortier de scellement ", que Siorat a fourni à son sous-traitant, et d'un défaut du suivi des travaux de pose réalisés par Centralpose qui n'est également imputable qu'à la seule entreprise Siorat ;

- le défaut de prise en compte des dilatations est imputable à la société Rocamat Pierres Naturelles, qui devait informer l'équipe de maîtrise d'oeuvre de l'ensemble des préconisations techniques relatives à la pose des dalles et, plus particulièrement, la nécessité d'intégrer des joints de dilatation, à l'agence Signes, qui a préconisé de modifier la planéité de la sous-face par empochements sans aucune planche d'essais et sans contrôle de résultat alors que la solution proposée n'était pas conforme à la réglementation et qu'il était possible d'améliorer la qualité des mortiers par adjonction de résine, et au groupement d'architectes, qui aurait dû produire des plans de calepinage ;

- la circulation des poids lourds est inadaptée et cette cause est exclusivement imputable au maître d'ouvrage, dont l'estimation de trafic était erronée ;

- l'insuffisance d'entretien des joints est imputable au maître d'ouvrage ;

- dès lors que le maître d'ouvrage a attendu près de cinq ans après le dépôt du rapport d'expertise avant d'introduire sa demande devant le tribunal administratif de Bordeaux, ses demandes tendant à la revalorisation de montants depuis 2008 doivent être écartées ;

- les préjudices relatifs à la place de la Comédie ne peuvent qu'être rejetés dès lors que la mission de l'expert n'a porté que sur le cours de l'Intendance ;

- s'agissant des travaux de dépose-repose des dalles, seul le montant hors taxes de 679 272,48 euros pourra être retenu, et pour les joints de dilatation la somme de 58 571,80 euros HT ; la nécessité d'acquérir de nouvelles dalles n'est pas établie alors que l'expert indiquait que les dalles pouvaient être récupérées ; l'actualisation n'est pas due au regard du retard à saisir le tribunal ; les charges indirectes liées seront indemnisées à hauteur de la somme de 132 580 euros relative aux pertes d'exploitation du délégataire, à l'exclusion des sommes correspondant à la surveillance, non justifiée, et à l'indemnisation des riverains et professionnels, purement hypothétique ;

- la cour prononcera une condamnation hors taxes sauf pour Bordeaux Métropole à prouver qu'elle ne peut récupérer la TVA ;

- le tableau produit par Bordeaux Métropole révèle que ses interventions ont été ponctuelles et non pas récurrentes ;

- l'entretien des joints n'est pas assuré par le seul balayage des voies ;

- les conditions du trafic urbain correspondent précisément aux données fournies par Bordeaux Métropole, seule à même de déterminer ses besoins en la matière.

Par des mémoires en défense enregistrés le 27 janvier 2017 et le 21 juin 2018, la SARL d'architecture Brochet-Lajus-Pueyo, représentée par MeJ..., conclut, à titre principal, au rejet de la requête en ce qu'elle est dirigée à son encontre, au rejet de tout appel en garantie dirigé à son encontre et à la mise à la charge de toute partie succombante de la somme de 6 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, à titre subsidiaire, à la condamnation des sociétés Signes, Ingerop, Systra et TDC SAS, venant aux droits de la société Thales d'une part, et de la société NGE venant aux droits de la société Siorat, d'autre part, à la relever solidairement indemne de toute condamnation qui pourrait être prononcée à son encontre.

Elle soutient que :

- le tribunal administratif a retenu, à juste titre, que Bordeaux Métropole, n'établissait pas la certitude de l'aggravation des désordres rencontrés et ce dans un délai prévisible, conditions requises pour permettre l'engagement de la responsabilité décennale des constructeurs ; l'appelante n'apporte pas davantage de preuve s'agissant du caractère évolutif ou de l'extension des désordres affectant le revêtement en dallage en cause d'appel ;

- aucune pièce du dossier ne vient démontrer une atteinte à la sécurité des usagers ;

- s'agissant de la responsabilité contractuelle, Bordeaux Métropole n'apporte aucune preuve de la connaissance qu'auraient pu avoir les constructeurs, avant réception, des désordres objet de la présente procédure ;

- aucune nouvelle expertise n'est nécessaire ;

- la conception des travaux, et particulièrement le contrôle de l'exécution des travaux, est régie par l'avenant n°4 ; le maître d'ouvrage a pris en compte un accroissement de la complexité consécutif aux modifications des conditions d'exécution du contrat et a procédé à une répartition très précise entre les fonctions techniques et les contrôles d'exécution, d'une part, et les choix architecturaux, d'autre part ;

- le " GET " s'est vu confier le contrôle de l'exécution des travaux en conformité aux prescriptions et aux contrats de travaux ; les rapports d'expertise sont révélateurs de l'origine des désordres qui ne résultent pas d'une erreur de préconisation dans les méthodes de pose ou le choix des matériaux ;

- les procès-verbaux de chantier qui s'étalent du mois de juillet 2003 au mois de novembre 2003 ne comportent aucune mention sur les difficultés rencontrées au regard des conditions de pose ; les conditions de pose ont donc été entièrement avalisées par la maîtrise d'oeuvre " GET " ; il n'y a eu aucune contestation de la part de la société Systra sur les principes de pose qui étaient intégrés dans le CCTP que cette société a avalisé ; il n'y a eu aucune réserve émise par le " GET " ;

- sa mise hors de cause s'impose ; elle s'est contentée d'assurer la fourniture et l'alimentation sur chantier des dalles et elle avait une mission qui s'intégrait dans l'architecture et l'aménagement urbain et qui ne se rapportait pas à la pose technique de dalles que seul le " GET " doit assumer ;

- contrairement à ce que soutient Bordeaux Métropole, le choix des matériaux ne peut lui être reproché ; un avenant n° 4 au marché de maîtrise d'oeuvre la liant au " GET " a modifié la répartition des missions confiées aux différents groupements de maîtrise d'oeuvre ; le " GET " s'est vu confier une mission de maîtrise d'oeuvre complète avec visa des plans d'exécution et contrôle de réalisation et il devait assurer la mission complète du contrôle de l'exécution ;

- Bordeaux Métropole ne peut pas imputer au groupement BLP la charge du contrôle de l'exécution des travaux et la validation du choix des matériaux proposés par les entreprises alors que par avenant, compte tenu de la nécessaire ventilation des fonctions entre le " GET " et BLP, le " GET " s'était vu confier l'intégralité de la maîtrise d'oeuvre d'exécution, avec une mission complète ;

- les conclusions des experts sont convergentes pour démontrer qu'il y a eu des erreurs d'exécution en raison de la température au mois d'août et des conséquences physico-chimiques sur les liants ;

- la société Siorat, aux droits de laquelle vient la société NGE, qui s'est vu confier l'intégralité de l'exécution du marché après la mise en redressement judiciaire de la société Muller, est responsable des dommages du fait d'erreurs dans le dosage des mortiers ;

- la société Signes a décidé de réaliser des empochements sous les dalles ; si cet élément devait être regardé comme ayant contribué aux désordres, sa responsabilité serait engagée ;

- le montant des indemnités réclamées est excessif ; le maître d'ouvrage se devait de procéder immédiatement aux travaux de remise en état, aucune difficulté technique, ni financière, ni juridique, ne pouvant l'autoriser à reporter la date d'évaluation des dommages ; les dalles existantes qui ne sont pas ou sont mal scellées peuvent être très majoritairement récupérées ; s'il y a eu endommagement de ces dalles postérieurement au dépôt du rapport d'expertise, ce ne peut être imputable qu'à la carence de Bordeaux Métropole qui n'a pas réalisé immédiatement les travaux de remise en état ;

- Bordeaux Métropole prétend obtenir la réparation de charges indirectes mais aucun élément, dans le principe et dans le quantum, ne paraît justifier la somme exorbitante réclamée de ce chef.

Par un mémoire en défense enregistré le 6 juin 2017, la société TDC SAS, venant aux droits de la société Thales Engeenering and Consulting, représentée par MeL..., conclut, à titre principal, au rejet de la requête et à la mise à la charge de tout succombant du versement à son profit de la somme de 10 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, à titre subsidiaire, à sa mise hors de cause, à titre infiniment subsidiaire, à la prise en compte des fautes de Bordeaux Métropole pour atténuer sa responsabilité et à la réduction des prétentions indemnitaires de Bordeaux Métropole à de plus justes proportions, et à la condamnation des sociétés Brochet-Lajus-Pueyo, Signes, Systra, Ingerop, NGE venant aux droits de la société Siorat, Rocamat et de Me B...ès qualité de liquidateur de la société Muller TP, à la garantir de toutes condamnations qui pourraient être prononcées à son encontre.

Elle soutient que :

- contrairement à ce que soutient Bordeaux Métropole, le tribunal n'a pas écarté la mise en oeuvre de la responsabilité décennale des constructeurs aux seuls motifs que les désordres ne sont pas généralisés ni ne portent atteinte à la sécurité des usagers, mais également, en l'état des éléments produits par Bordeaux Métropole dont il ressort que les désordres ne sont ni évolutifs ni de nature à compromettre la solidité de l'ouvrage ;

- l'expert indique que les éclats des dallages et les fissures étaient en nombre limité ; l'expert a dressé un tableau dont il ressort que les désordres n'affectent pas l'intégralité du cours de l'Intendance mais uniquement cinq zones dans lesquelles l'ensemble des dalles n'est pas affecté ; ni l'expert judiciaire ni Bordeaux Métropole n'ont déterminé la proportion des désordres affectant le cours de l'Intendance de sorte qu'il n'est pas démontré que ces désordres revêtiraient un caractère décennal ;

- Bordeaux Métropole tente de faire valoir que les désordres porteraient atteinte à la sécurité des usagers mais n'apporte aucune justification à cet égard ;

- la responsabilité contractuelle des maîtres d'oeuvre ne pourra être mise en cause car si en dépit de l'existence d'une réception de l'ouvrage, la responsabilité contractuelle du maître d'oeuvre est susceptible d'être retenue au motif que le maître d'oeuvre aurait pu manquer à son obligation de conseil vis-à-vis du maître d'ouvrage, notamment lors des opérations de réception, c'est à la condition que le maître d'oeuvre ait eu connaissance des désordres avant la date de réception, ce qui n'est pas le cas en l'espèce ; par ailleurs, Bordeaux Métropole ne démontre pas l'existence de vices apparents à la réception alors qu'elle était présente lors des opérations de réception ;

- la demande d'extension d'expertise formulée par Bordeaux Métropole n'est pas justifiée ;

- l'expert judiciaire a constaté un décollement et un basculement des dalles " qui sont pas ou sont mal scellées " ; il envisage plusieurs causes à ces désordres ; la cause principale est la mise en oeuvre des mortiers, plus précisément l'absence de mortier de résine en blocage des dalles de rive ; il ressort des analyses du bureau d'études CEBTP intervenu à la demande de l'expert judiciaire une non-conformité du mortier, laquelle résulte d'erreurs dans le dosage des différents composants ; aucun manquement ne lui est imputable au stade de la mise en oeuvre des mortiers ; le " GET " n'est jamais intervenu à quelque titre que ce soit pour établir une prescription technique quant au choix des dalles et à leur mise en oeuvre ;

- en ce qui concerne le prétendu manquement au contrôle des matériaux et la conformité des prescriptions du marché avec les règles de l'art, seul le groupement architectural avait une mission de direction et de suivi des travaux de pose des dalles ; la mission du groupement d'architectes était donc d'avertir le " GET " en cas de difficultés ou de défaut lors de la pose des dalles ; à aucun moment les membres du " GET " n'ont été informés de l'existence de quelques difficultés que ce soit ;

- l'expert relève des causes secondaires telles qu'une non prise en compte des dilatations, une circulation de poids lourds incompatible avec le mode de pose retenu par le CCTP et l'insuffisance d'entretien des joints entre les dalles ; aucune responsabilité du " GET " ne peut être retenue au titre de ces désordres ; le défaut d'entretien des joints relève de la responsabilité du maître d'ouvrage ;

- le " GET " est un groupement conjoint sans personnalité juridique propre, de sorte qu'il est nécessaire de démontrer la faute personnelle de chacun de ses membres ; Bordeaux Métropole ne démontre pas l'existence d'une faute individuelle qui lui serait imputable puisque seule la société Ingerop est intervenue au titre de " l'infra n ° 9 " ;

- le prétendu préjudice subi par Bordeaux Métropole devra être analysé à l'aune des montants de 2008 et sans aucune revalorisation, Bordeaux Métropole ayant attendu cinq ans avant d'introduire une procédure aux fins d'indemnisation ;

- l'ensemble des demandes de Bordeaux Métropole devront être ramenées à de plus justes proportions dès lors que des dalles peuvent être récupérées, que les demandes au titre des charges indirectes ne sont pas justifiées et que les travaux relatifs à la place de la Comédie ne sont pas en cause dans la présente procédure ;

- la condamnation devra être prononcée hors taxes ;

- si le tribunal devait retenir sa responsabilité, elle serait en droit d'être garantie de toutes condamnations par les membres du groupement d'architectes, les membres du groupement d'entreprises et la société Ingerop.

Par des mémoires enregistrés le 15 juin 2017 et le 12 juillet 2018, la société Signes, représentée par MeO..., conclut, à titre principal, au rejet de la requête et à la mise à la charge de toute partie succombante d'une somme de 15 000 euros au titre des frais irrépétibles et des entiers dépens, en ce compris les frais d'expertise judiciaire, à titre subsidiaire, à la limitation des condamnations susceptibles d'être prononcées à son encontre et à la condamnation in solidum de l'agence d'architecture Brochet-Lajus-Pueyo, de la société Ingerop Sud-Ouest, de la société Rocamat Pierres Naturelles, de la société Siorat, de la société Systra, de la société TDC SAS, et de Me E...B..., ès qualité de mandataire judiciaire de la société Muller TP, à la garantir de toutes condamnations prononcées à son encontre en principal, frais et accessoires.

Elle soutient que :

- le " GET " disposait d'une mission de maîtrise d'oeuvre générale, tandis que le groupement de maîtrise d'oeuvre des aménagements urbains, dont elle est membre, avait reçu une mission complète pour la fourniture et le stockage des pavés et des dalles, ainsi qu'une mission complémentaire concernant l'esthétique et la conformité au projet architectural ;

- il appartient à Bordeaux Métropole de démontrer que les désordres affectent la solidité de la totalité de l'ouvrage ou le rendent impropre à sa destination ; l'expert a indiqué lors de ses opérations d'expertise que les éclats des dallages et les fissures de carrelages, en nombre très limité, ne rendaient pas l'ouvrage impropre à sa destination ; en aucun cas la rupture de quelques dalles décoratives entre les voies ne compromet la circulation du tramway ni ne l'altère ; il n'est, par ailleurs, fait état d'aucune chute depuis la mise en service de ce véhicule ; il n'est pas davantage justifié de ce que la destination de l'ouvrage aurait été compromise ; ces désordres ne sauraient donc être regardés comme relevant des principes dont s'inspirent les articles 1792 et suivants du code civil ; les demandes dirigées contre elle sur ce fondement doivent donc être rejetées ;

- sa responsabilité contractuelle ne peut davantage être engagée dès lors que le " GET " disposait d'une mission de maîtrise d'oeuvre générale, tandis que le groupement de maîtrise d'oeuvre des aménagements urbains, dont elle est membre, avait reçu une mission complète pour la fourniture et le stockage des pavés et des dalles, ainsi qu'une mission complémentaire concernant l'esthétique et la conformité au projet architectural ; elle n'est pas intervenue au stade de l'exécution des travaux ; les rapports d'expertise démontrent que l'origine des désordres n'est pas liée à une erreur de préconisation dans les méthodes de pose ou dans le choix des matériaux ;

- il n'existe aucun élément permettant de rechercher la responsabilité du groupement de maîtrise d'oeuvre auquel elle appartient ; l'expert judiciaire a reconnu que le matériau choisi par le groupement de maîtrise d'oeuvre de l'aménagement urbain, le gabbro, répondait parfaitement, sur le plan technique, au cahier des charges ; les coûts des travaux de dépose-repose des dalles, ainsi que de la réalisation des joints de dilatation ne peuvent être supportés par les membres de ce groupement, qui n'est pas intervenu au stade de l'exécution des travaux ; le groupement de maîtrise d'oeuvre ne saurait être tenu pour responsable des éclats et épaufrures des dalles, ni être mis en cause pour avoir imposé des dalles à angles vifs et des joints en léger creux répondant à des motifs strictement architecturaux ; le format ainsi que les angles des dalles ont été validés par le " GET " et Bordeaux Métropole ;

- elle n'a commis aucun manquement à son devoir de conseil et seul le " GET " avait une mission d'assistance au titre des opérations de réception, exécutée par la société Systra ;

- la demande formulée par la société TDC à son encontre doit être rejetée ;

- le quantum des demandes de la communauté urbaine de Bordeaux est disproportionné ; la pose de goujons entre les dalles ne semble pas ressortir des méthodes de reprise préconisées par l'expert ;

- l'inaction de la communauté urbaine de Bordeaux après le dépôt du rapport d'expertise en 2008 ne saurait être imputée aux constructeurs ; la communauté urbaine de Bordeaux ajoute la fourniture de nouvelles dalles alors que l'évaluation des travaux établie lors des opérations d'expertise en 2008 prévoyait la récupération des dalles existantes ;

- le maître d'ouvrage ne verse aux débats aucun justificatif lié au prix des dalles, ni à la surface à reprendre ;

- les charges indirectes sont totalement injustifiées et n'ont pas été chiffrées par l'expert lors de ses opérations d'expertise ;

- Bordeaux Métropole ne justifie pas que les désordres étaient apparents à la date de réception des travaux et ne rapporte pas non plus la preuve de la connaissance de ces désordres par les entreprises avant les opérations de réception ; au demeurant l'expert n'avait pas constaté de décollement lors des opérations de référé constat ;

- si le groupement BLP fait valoir que les empochements sous les dalles ont contribué aux désordres, et que la responsabilité de la société Signes devrait alors être engagée au motif que cette modification a été décidée par cette dernière, l'expert n'a pas retenu cette cause pour expliquer le défaut d'accrochage des dalles au mortier ;

- la demande d'expertise nouvelle n'est pas justifiée.

Par un mémoire en défense enregistré le 9 octobre 2017, la société Systra, représentée par MeI..., conclut :

- à titre principal, au rejet de la requête, des conclusions de Bordeaux Métropole dirigées à son encontre et de toute demande en garantie formulée contre elle ;

- à titre subsidiaire, à la réduction à de plus justes proportions des prétentions indemnitaires de Bordeaux Métropole, à la condamnation in solidum de l'agence Brochet-Lajus-Pueyo, de l'agence Signes, de l'agence Elisabeth de Portzamparc et des sociétés Muller TP et Siorat à la garantir de toute condamnation pouvant intervenir à son encontre en principal, frais et accessoires et à la condamnation de la société Ingerop Conseil et Ingénierie à la garantir de toute condamnation prononcée à son encontre ;

- en tout état de cause, à la mise à la charge de tout succombant de la somme de 20 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la demande au titre de la garantie décennale est mal fondée ; les dalles sont des éléments dissociables de l'ouvrage et relèvent du régime de la garantie de bon fonctionnement de l'article 1792-3 du code civil, d'une durée de deux ans à compter de la réception ; la dépose des dalles posées sur un mortier ne détériore ni n'enlève de matière ; le revêtement de surface en dalles se situe sur la zone hors gabarit limite d'obstacle (GLO), zone délimitant l'emprise du tramway, si bien que sa dépose ne détériore pas l'ouvrage en cause, qui reste intact lors de cette opération ;

- les désordres ne sont définis ni dans leur nature ni dans leur importance et ne sont pas non plus localisés sur un plan général du cours de l'Intendance ;

- l'expert confond le phénomène de " soulèvement " des dalles et celui de " décollement " des dalles, en estimant que les désordres sont évolutifs ; cette notion juridique ne relève pas de la compétence de l'expert dont seul l'avis technique doit être pris en compte ;

- la jurisprudence exige que l'aggravation du dommage soit constatée avec certitude et aucun élément probant n'est produit par Bordeaux Métropole pour démontrer que cette évolution du soulèvement au décollement se produira de manière certaine ;

- les désordres peuvent être localisés en cinq zones et non sur la totalité du cours de l'Intendance ; ni l'expert ni Bordeaux Métropole n'ont déterminé la proportion des désordres sur le cours de l'Intendance si bien qu'à ce jour, il n'est pas démontré leur importance de manière suffisante pour mettre en jeu la garantie décennale ;

- les désordres de nature à rendre l'ouvrage impropre à sa destination sont ceux qui empêchent l'ouvrage de recevoir son affectation normale du fait de leur gravité ; le tramway continue de circuler même en cas de travaux de réparation puisque les désordres sont localisés sur le revêtement de surface se situant sur la zone hors gabarit limite d'obstacle (GLO) ;

- aucune plainte des usagers n'est produite par Bordeaux Métropole ; l'absence de sécurité ne peut être alléguée pour démontrer l'impropriété à leur destination des dalles hors plateforme ;

- le dommage ne lui est pas imputable ; l'expert a déposé son rapport de manière prématurée sans aller au bout de ses opérations d'expertise et sans avoir obtenu communication de nombreuses pièces permettant l'appréciation des responsabilités ;

- la fourniture et la méthode de pose des dalles ne relevaient pas de la mission de maîtrise d'oeuvre " GET " mais de celle de l'agence d'architecture BLP ;

- le dossier technique des dalles n'a jamais été remis au " GET " qui n'avait donc pour mission d'intervenir ni sur la vérification de la fourniture des dalles ni sur la vérification de leur méthode de pose ; le mode de pose est une pose scellée sur mortier sans résine, sauf pour les dalles de rives qui devaient être fixées avec un mortier de résine ;

- en ce qui concerne la direction et la surveillance des travaux de pose, le groupement BLP avait une mission dans le suivi desdits travaux ;

- le " GET " n'a commis aucun manquement au titre de la mise en oeuvre du mortier, mission qui relève des entreprises d'exécution sous contrôle du maître d'oeuvre BLP ;

- Bordeaux Métropole se fonde sur les dires de l'expert qui a constaté l'absence de joints de dilatation et considère cet évènement comme une cause secondaire des désordres ; cette question relève du marché de fourniture des dalles, passé directement entre Bordeaux Métropole, la société Cominex et le maître d'oeuvre BLP sans aucune intervention du " GET " ;

- l'expert confond la pose d'un carrelage, qui s'effectue avec joints de dilatation, et la pose d'un dallage urbain épais, qui se fait sans joints de dilatation ;

- le rapport d'expertise retient un problème de trafic urbain dont les données initiales ont été sous évaluées, mais ce manquement est imputable à Bordeaux Métropole ;

- il est également mentionné dans le rapport d'expertise un défaut d'entretien et de maintenance imputable à Bordeaux Métropole, laquelle n'a pas repris les joints abîmés entre les dalles contrairement aux règles de l'art ; cette carence entraîne un creusement progressif du joint qui expose le bord des dalles à des chocs latéraux répétés, lesquels provoquent le soulèvement des dalles ;

- sa responsabilité au sein du groupement " GET " ne peut être retenue ; le " GET " est un groupement conjoint sans personnalité juridique propre ; seuls ses membres pourraient être individuellement tenus pour responsables si une faute personnelle leur était reprochée ; en effet, pour obtenir la responsabilité de l'un des membres du groupement conjoint de maîtres d'oeuvre composé des sociétés Systra, Thales et Ingerop, Bordeaux Métropole doit démontrer l'implication de ce membre dans les désordres, soit en invoquant son intervention en tant que maître d'oeuvre sur le marché " Infra 09 " soit en démontrant un défaut de conseil imputable à l'une de ces sociétés ; Bordeaux Métropole ne le fait pas ; les trois sociétés membres du groupement " GET " ne sont pas intervenues ensemble sur tous les " Infras " ; la société Systra n'est pas intervenue sur le marché " Infra 09 " qui a relevé de prestations effectuées par la société Ingerop ;

- s'agissant de la responsabilité contractuelle après réception, il appartient à Bordeaux Métropole de rapporter la preuve d'une faute du " GET " et, en particulier, la preuve de l'apparence des vices, ce qu'elle ne fait pas ;

- la demande de Bordeaux Métropole à l'encontre de Systra sur le fondement de la responsabilité contractuelle après réception sera rejetée ; en tout état de cause, il appartiendra à Bordeaux Métropole de démontrer précisément le manquement de la société Systra à ses obligations au regard de sa mission au sein du groupement conjoint ;

- Bordeaux Métropole ne justifie pas de l'apparence des désordres au jour de la réception, alors que la charge de la preuve lui incombe ; le rapport d'expertise ne se prononce pas ;

- Bordeaux Métropole a contribué à l'existence et l'aggravation des désordres dont elle demande aujourd'hui réparation ; la faute de Bordeaux Métropole est démontrée concernant le choix des matériaux, un défaut dans sa mission de maintenance et un défaut dans son appréciation du trafic urbain ; le caractère insuffisant de l'attention de Bordeaux Métropole portée aux opérations de réception est également établi ;

- Bordeaux Métropole sollicite la réparation de désordres non actuels ni certains à ce jour et qui ne peuvent pas être qualifiés de " désordres futurs " ni de " désordres évolutifs ", faute de certitude de leur aggravation ; Bordeaux Métropole ne justifie pas que les décollements dont elle demande réparation se développeront de façon inéluctable avant le 18 décembre 2013 ; en tout état de cause, il conviendrait de n'indemniser que les soulèvements de dalles qui se traduisent de façon certaine en décollements de dalles avant le 18 décembre 2013, ce qui est matériellement impossible faute de certitude de ces désordres ;

- Bordeaux Métropole demande la réparation de " charges indirectes " qui ne pourront donc être admises, notamment le préjudice présenté par le délégataire du réseau de tramway au titre de pertes d'exploitation, or ce préjudice ne présente pas un caractère direct et personnel ;

- un abattement pour vétusté de l'ouvrage sera appliqué ainsi qu'un abattement pour les plus values apportées à l'ouvrage ; la demande formulée au titre des joints de dilatation, lesquels n'étaient pas prévus au marché, ne peut être admise ; il en va de même pour les goujons, réclamés pour la première fois en appel ;

- Bordeaux Métropole ne démontre pas qu'elle ne peut pas récupérer le montant de la TVA, si bien qu'elle sera déboutée de sa demande d'indemnisation toutes taxes comprises et seul le montant hors taxes sera retenu ;

- la demande au titre des travaux de dépose-repose des dalles sera rejetée ou à tout le moins réduite à de plus justes proportions, avec prise en compte du rejet de la majoration de 10%, soit un montant total de 679 272,48 euros HT, et d'un abattement pour plus-values à venir ; les dalles de la place de la Comédie ne font pas l'objet de la présente procédure ; aucune actualisation n'est due alors que le rapport de l'expert a été déposé en 2008 ;

- la demande au titre de la réalisation de joints de dilatation sera rejetée comme la demande au titre de l'acquisition de nouvelles dalles ; le préjudice lié aux charges indirectes, non justifié, sera également rejeté ;

- les fautes de Bordeaux Métropole justifient qu'elle conserve la charge des frais d'expertise ;

- si sa responsabilité était mise en cause, elle entend appeler en garantie toute partie déclarée responsable sur le fondement de la responsabilité quasi délictuelle ;

- les fautes de l'agence d'architecture Brochet-Lajus-Pueyo, de l'agence Signes et de l'agence Elisabeth de Portzamparc ont été démontrées en ce qui concerne le choix des dalles et du mode de pose des dalles, comme les fautes des sociétés Muller TP, Siorat et de leur sous-traitant Central Pose pour défaut d'exécution, notamment le défaut d'hydratation du mortier ; toutes ces sociétés seront condamnées in solidum à la garantir de toutes condamnations pouvant intervenir à son encontre ;

- elle entend également appeler en garantie son cotraitant maître d'oeuvre, la société Ingerop, seule responsable au sein du GET du marché Infra n° 9 ;

- concernant l'appel en garantie de la société Systra initié par les agences d'architecture, notamment, la SARL Brochet Lajus Pueyo, elles ne démontrent aucune faute imputable à la société Systra mais reprochent des manquements au groupement " GET " qui n'a pas de personnalité morale.

Par des mémoires en défense enregistrés le 31 juillet 2018 et le 5 septembre 2018, la société NGE venant aux droits de la société Siorat, représentée par MeC..., conclut titre principal, au rejet de la requête, à titre subsidiaire à l'exonération totale ou partielle de la responsabilité des constructeurs en général et de la société NGE en particulier, et à la condamnation de la société Systra, de la société TDC SAS, de l'agence Ingerop, de l'agence d'architecture Brochet-Lajus-Pueyo, de l'agence Signes, de l'agence Elisabeth De Portzamparc et de la société Rocamat Pierres Naturelles à la garantir à hauteur de 90 % de toute condamnation qui pourrait éventuellement être prononcée à son encontre et, en toute hypothèse, à la mise à la charge de Bordeaux Métropole de la somme de 3 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- l'impartialité de l'expert peut être mise en doute ; le déroulement des opérations d'expertise a confirmé les liens privilégiés entretenus entre l'expert et la communauté urbaine de Bordeaux ; l'expert s'est appuyé sur les résultats d'une auscultation par imagerie radar réalisée à la demande de Bordeaux Métropole et sans débat contradictoire sur les modalités techniques de la réalisation de cette analyse ; l'expert avait rencontré des agents de Bordeaux Métropole pour organiser des comptages de trafic avant d'évoquer cette hypothèse lors d'une réunion d'expertise ; il a évalué le coût du sinistre en reprenant l'estimation établie unilatéralement par Bordeaux Métropole ; il n'a laissé qu'un délai très court aux parties pour discuter les conclusions des techniciens dont il s'est adjoint les services, et a refusé de prendre en compte des analyses de la qualité des dalles qui lui seraient, selon lui, parvenues tardivement ; l'expert a rendu son rapport deux mois avant le terme du délai que le juge des référés lui avait accordé ; l'expertise a été réalisée dans des délais particulièrement brefs eu égard à la complexité, à la technicité des opérations et au nombre de parties en cause ; aucun constat contradictoire des lieux et de l'état des dalles n'a été réalisé dans le cadre de cette expertise ; l'expert a conclu au caractère évolutif des désordres sur la base des seules allégations de Bordeaux Métropole sans constater par lui-même la réalité des désordres allégués ; pour toutes ces raisons, le rapport d'expertise sera écarté des débats ;

- Bordeaux Métropole n'établit pas plus qu'en première instance que les désordres invoqués seraient de nature à compromettre la solidité de l'ouvrage ; les désordres relevés cours de l'Intendance en 2007 étaient d'une ampleur limitée et ne revêtaient pas un degré de gravité suffisant pour engager la responsabilité décennale des constructeurs ; aucun décollement des dalles n'a jamais été constaté ; les épaufrures, éclats et quelques fissures constatées ne compromettent nullement la solidité de l'ouvrage et ne remettent absolument pas en cause la destination d'un ouvrage destiné, initialement, principalement à la circulation des piétons ; si 1'expert évoquait, sans justification aucune, des " désordres évolutifs ", il est patent que 10 années après la remise du rapport final les quelques défectuosités constatées (épaufrures et éclats) ne sont pas généralisées à l'ensemble du cours de l'Intendance ;

- Bordeaux Métropole n'établit pas plus qu'en première instance que les désordres invoqués seraient de nature à rendre l'ouvrage impropre à sa destination, faute d'apporter aucun élément justificatif pour établir que la sécurité des piétons aurait été en cause ;

- Bordeaux Métropole ne démontre aucunement l'imputabilité des désordres à la société NGE ; les joints de dilatation n'étaient pas contractuellement prévus, ceux-ci n'étant pas requis pour la pose de dalles extérieures ; la carence du maître de l'ouvrage à entretenir les joints entre les dalles a directement contribué à la détérioration de celles-ci ; rien ne permet de conclure que la mise en oeuvre du mortier serait à l'origine des quelques défectuosités constatées en 2007 ; plus de 5 années après la pose de la dernière dalle, il est techniquement impossible de conclure avec certitude que les difficultés d'adhérence rencontrées à certains endroits du cours de l'Intendance seraient liées à un excès d'eau de gâchage lors de la mise en oeuvre du mortier, l'état hydrique des mortiers ayant pu être modifié durant cette période ; les mortiers utilisés par l'entreprise sous-traitante de la société Siorat étaient agréés, étaient parfaitement conformes aux prescriptions du marché et ont tous été proposés au maître d'oeuvre avant utilisation ; sans que la société Siorat n'ait été à un quelconque moment associée à cette décision, la maîtrise d'oeuvre a décidé, après validation du maître d'ouvrage, de réduire l'épaisseur des dalles de 12 cm à seulement 8 cm et les dalles fournies lors de la réalisation du lot n° 9 n'étaient pas en granit comme prévu par le CCTP, mais en dolérite à olivite, matériau peu poreux présentant de grandes difficultés d'adhérence à tout type de liant ; les désordres relevés sur les dalles proviennent principalement d'un défaut de conception lié à une sous évaluation du trafic des véhicules poids-lourds ; la fatigue du plan d'adhérence des dalles est uniquement due à des charges dynamiques lourdes qui n'étaient pas prévues et qui ont provoqué une légère désolidarisation des dalles de leur support ;

- la carence du maître de l'ouvrage à entretenir les joints entre les dalles a directement contribué à la détérioration de celles-ci ; les défectuosités constatées postérieurement à la remise du rapport de l'expert en 2008 sont ainsi exclusivement imputables à l'inertie du maître de l'ouvrage, celui-ci n'ayant pris aucune mesure pour y remédier ;

- compte-tenu des nombreux manquements du maître de l'ouvrage, elle est fondée à solliciter une exonération intégrale de sa responsabilité ou, à défaut, une exonération partielle qui ne saurait être inférieure à 90 % ;

- la demande indemnitaire qui n'est justifiée ni dans son principe, ni dans son quantum ne pourra qu'être rejetée ou au moins réduite dans une plus juste mesure ; pour tenir compte du temps écoulé et de l'inertie du maître de l'ouvrage, un abattement d'au moins 50% devra être appliqué sur le montant de l'indemnité qui pourra être allouée à Bordeaux Métropole ; aucune actualisation des prix ne sera pratiquée ;

- compte-tenu de son implication très limitée, voire nulle dans la survenance des désordres, elle sera garantie par les autres constructeurs à hauteur de 90 % de l'indemnité solidaire qui pourrait éventuellement être accordée à Bordeaux Métropole.

Par des mémoires en défense enregistrés le 31 juillet 2018 et le 6 septembre 2018, la société Rocamat Pierres Naturelles, représentée par MeP..., conclut au rejet de la requête, au rejet de toute demande en garantie formée à son encontre et à la mise à la charge de Bordeaux Métropole d'une somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la société Cominex, qui a fait l'objet d'une procédure de liquidation judiciaire, était une filiale à 95 % de la société Granit Industrie qui a déposé le bilan ; elle n'a repris ni l'activité ni le patrimoine de cette société, de sorte que la requête dirigée contre elle est irrecevable ;

- en tout état de cause, la responsabilité décennale ne peut être recherchée qu'à l'égard d'une société titulaire du marché, ce qu'elle n'a pas été ; une société qui appartient au même groupe que celle qui a signé le marché litigieux n'a pas à supporter les conséquences de la mise en oeuvre de la garantie décennale ;

- de façon plus générale, s'agissant des rapports d'une société mère avec sa filiale, la responsabilité de la société-mère ne peut pas être recherchée pour les faits de sa filiale et ce conformément au principe de l'autonomie de la personnalité morale prévu par l'article 1842 du code civil ;

- elle ne peut pas être regardée comme responsable des faits de ses filiales, dans la mesure où l'organisation du groupe Rocamat Pierres Naturelles ne comporte aucun système de mise en jeu des responsabilités en cascades ;

- les deux expertises qui n'ont pas été ordonnées à son contradictoire mais à celui de la société Cominex ne lui sont pas opposables ; au demeurant, les convocations n'ont pas été adressées à la société Cominex SA ;

- contrairement à ce que soutient Bordeaux Métropole, le tribunal ne s'est nullement contenté de fonder son argumentation sur l'absence de généralisation des désordres et le défaut d'atteinte à la sécurité des usagers, il a retenu qu'au moment de l'expertise les désordres affectant les dalles ont été localisés dans 5 zones différentes du cours de l'Intendance et non sur la totalité de l'ouvrage litigieux, moins de 10% des dalles devant ainsi être reprises pour collage ; Bordeaux Métropole n'apporte aucun élément permettant de déterminer la vitesse d'évolution ou d'extension des désordres ; même dans le cadre de la présente instance, soit 8 ans après le premier dépôt d'expertise, Bordeaux Métropole se trouve toujours dans l'impossibilité d'apporter le moindre élément de preuve s'agissant de l'évolution ou de l'extension des désordres incriminés ; les interventions correctives avancées par Bordeaux Métropole se révèlent épisodiques, certaines n'ont pas de lien avec les désordres en cause ;

- l'atteinte à la sécurité des usagers n'est pas davantage démontrée et l'appelante n'est pas en mesure 8 ans après le rapport d'expertise de produire la moindre pièce pour accréditer les arguments qu'elle fait valoir ; le rapport de M. H...qu'elle produit se rapporte à un périmètre étranger à l'objet de la présente instance ; le tramway n'a jamais cessé de circuler du fait des désordres reprochés, ce qui élimine tout grief d'une prétendue impropriété de l'ouvrage à sa destination ;

- aucune faute ne peut être reprochée à la société Cominex dans les désordres en cause ;

- dans son rapport définitif, l'expert retient que les désordres sont dus à un défaut d'accrochage des dalles au mortier ;

- l'expert judiciaire impute également la responsabilité des désordres au maître d'ouvrage car il a fait exécuter les travaux sans l'intervention d'un bureau de contrôle ; ces diverses fautes de conception et de surveillance sont étrangères à la mission qui a été dévolue au fournisseur des dalles ;

- si Bordeaux Métropole se prévaut de ce que la société Cominex a méconnu son devoir de conseil prévu à l'article 1.2 du CCTP, elle n'apporte aucune preuve d'une telle méconnaissance ; si elle estime que le fabricant des dalles aurait dû s'assurer que le matériau fourni correspondait bien à l'utilisation future qui devait en être faite et que la société Cominex aurait dû effectuer des préconisations sur la technique de pose, et notamment attirer l'attention du maître d'oeuvre sur des particularités rendant nécessaire la pose de joints de dilatation afin d'éviter les chocs entre les arêtes des dalles, ces derniers ayant conduit aux épaufrures constatées par l'expert, elle n'avait ni préconisations particulières à faire ni avis à donner dès lors que les conditions susceptibles de rendre nécessaires ces obligations n'étaient pas réunies ; le matériel fourni ne présentait pas de caractéristiques supérieures aux minima imposés et aucun avis sur sa mise en oeuvre n'a été sollicité ;

- il n'est pas nécessaire de réaliser une nouvelle expertise ;

- si la société Ingerop estime que la société Cominex n'a pas satisfait à ces engagements contractuels parce qu'elle aurait omis d'adresser à la maîtrise d'oeuvre l'ensemble des préconisations techniques relatives à la pose des dalles et, plus particulièrement, à la nécessité d'intégrer des joints de dilatation, l'expert ne dit pas que les dalles fournies possèderaient des caractéristiques inadaptées ; la société Cominex n'avait pas à préconiser un matériau avec des caractéristiques supérieures aux minima imposés ni à indiquer, dans sa proposition, des prescriptions particulières de mise en oeuvre ;

- les désordres incriminés ne sont nullement imputables à la société Cominex ;

- elle a fourni des dalles conformes à la norme requise et la circonstance qu'elles n'aient pas été en granit n'a pas empêché l'expert H...de considérer qu'elles étaient conformes à leur usage.

Un courrier du 7 septembre 2018, adressé aux parties en application des dispositions de l'article R. 611-11-1 du code de justice administrative, les a informées de la période à laquelle il est envisagé d'appeler l'affaire à l'audience et a précisé la date à partir de laquelle l'instruction pourra être close dans les conditions prévues par le dernier alinéa de l'article R. 613-1 et le dernier alinéa de l'article R. 613-2.

L'instruction a été close au 10 octobre 2018, date d'émission d'une ordonnance prise en application des dispositions combinées des articles R. 611-11-1 et R. 613-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code civil ;

- le code des marchés publics ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Jean-Claude Pauziès,

- les conclusions de Mme Cécile Cabanne, rapporteur public ;

- et les observations de MeM..., représentant Bordeaux Métropole, les observations de Me N...représentant la société Systra, les observations de MeD..., représentant la société TDC SAS venant aux droits de la société Thales Engeenering and Consulting, les observations de MeF..., représentant la société Brochet-Lajus-Pueyo, les observations de MeA..., représentant l'agence Signes, les observations de Me K...représentant la société NGE venant aux droits de la société Siorat et de MeP..., représentant la société Rocamat Pierres Naturelles.

Une note en délibéré présentée pour Bordeaux Métropole a été enregistrée le 30 novembre 2018.

Considérant ce qui suit :

1. Bordeaux Métropole, qui vient aux droits de la communauté urbaine de Bordeaux, est maître d'ouvrage d'une opération de construction d'un réseau urbain de tramway. La maîtrise d'oeuvre de l'opération a été répartie en deux marchés. La maîtrise d'oeuvre générale du projet a été confiée par un marché du 11 juillet 1997 au Groupement d'Etudes Tramway (GET), groupement conjoint composé des sociétés Systra, mandataire du groupement, Sogelerg Ingénierie devenue Thales et Seamp devenue Ingerop Conseil et Ingénierie. La maîtrise d'oeuvre en charge de la " réalisation de l'ensemble des aménagements urbains liés au système tramway " a été assurée, suivant un contrat du 9 novembre 1998, par un groupement conjoint constitué de l'agence d'architecture Brochet-Lajus-Pueyo (BLP), mandataire du groupement, de l'agence Elisabeth de Portzamparc et de l'agence Signes. La communauté urbaine de Bordeaux a également conclu quatorze marchés dits " d'infrastructure voirie " dénommés " Infra 01 à Infra 14 " avec des entreprises chargées " d'assurer la pose matérielle des ouvrages tramway en fonction des sections géographiques concernées ". Par le marché " Infra 09 " signé le 26 novembre 2001, la communauté urbaine de Bordeaux a confié les travaux de plateforme et de voirie du cours de l'Intendance et d'une partie de la Place de la Comédie au groupement d'entreprises solidaires Muller TP et Siorat. Ces travaux comportaient notamment la pose d'un revêtement en dallage de pierres naturelles noires fournies par la société Cominex en vertu d'un marché conclu avec la communauté urbaine de Bordeaux en mars 2002. La réception du marché " Infra 09 " a été signée le 8 janvier 2004 avec effet au 18 décembre 2003, sous des réserves qui ont été levées en décembre 2004. Le tramway a été mis en service en décembre 2003. Invoquant des désordres affectant les dalles du revêtement tant à l'intérieur qu'à l'extérieur de la plateforme du tramway sur le cours de l'Intendance à Bordeaux, l'établissement public de coopération intercommunale a saisi le juge des référés du tribunal administratif de Bordeaux d'une demande de constat des désordres. L'expert désigné par ordonnance du 23 mai 2007 a déposé son rapport de constat le 20 juin 2007. La communauté urbaine de Bordeaux a alors demandé au juge des référés d'ordonner une expertise pour le dallage situé hors de la plateforme du tramway sur le cours de l'Intendance afin de déterminer les causes de ces désordres. L'expert désigné par ordonnance du 12 septembre 2007 a déposé son rapport le 3 avril 2008. La communauté urbaine de Bordeaux a saisi le tribunal administratif de Bordeaux de conclusions tendant à ce que soit engagée la responsabilité des constructeurs à titre principal, sur le fondement de la garantie décennale et, à titre subsidiaire, à ce que la responsabilité des maîtres d'oeuvre soit engagée sur le fondement de leur responsabilité contractuelle, pour les désordres constitués par le descellement des dalles situées sur le cours de l'Intendance en dehors de l'emprise du tramway et sur la place de la Comédie. Bordeaux Métropole relève appel du jugement n° 1302032 du 25 juillet 2016 par lequel le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.

Sur la régularité de l'expertise :

2. La société NGE, venant aux droits de l'entreprise Siorat, réitère en appel, sans faire état d'éléments de fait ou de droit nouveaux, ou de critique utile du jugement attaqué, le moyen tiré de ce que le rapport d'expertise déposé le 3 avril 2008 devrait être écarté des débats dès lors que l'expert désigné pour réaliser les expertises ordonnées en référé les 23 mai et 12 septembre 2007 entretiendrait des relations privilégiées avec le maître d'ouvrage. Il convient donc d'écarter ce moyen par adoption des motifs pertinents retenus par les premiers juges.

3. La société Rocamat Pierres naturelles soutient également que les opérations d'expertise n'ont pas été réalisées au contradictoire de la société Cominex. Il résulte de l'instruction que la société Cominex n'a pas participé aux opérations d'expertise concernant les désordres survenus hors du " gabarit limite d'obstacles (GLO) ". Toutefois, ce rapport a été versé au dossier et soumis, de ce fait, au débat contradictoire des parties. La circonstance que la société Cominex n'ait pas participé aux opérations d'expertise ne fait pas obstacle à ce que ce rapport soit retenu à titre d'information par le juge administratif, lequel n'est jamais lié par les conclusions de l'expert.

Sur la responsabilité décennale des constructeurs :

4. En application des principes qui régissent la garantie décennale des constructeurs, des désordres apparus dans le délai d'épreuve de dix ans, de nature à compromettre la solidité de l'ouvrage ou à le rendre impropre à sa destination dans un délai prévisible, engagent de plein droit la responsabilité des constructeurs. Le constructeur dont la responsabilité est recherchée sur ce fondement ne peut en être exonéré, outre les cas de force majeure et de faute du maître d'ouvrage, que lorsque, eu égard aux missions qui lui étaient confiées, il n'apparaît pas que les désordres lui soient en quelque manière imputables.

5. En premier lieu, et d'une part, après avoir rappelé les principes gouvernant la mise en oeuvre de la responsabilité décennale des constructeurs, le tribunal a relevé que les désordres n'affectaient pas l'ouvrage dans son intégralité mais en cinq zones précisément délimitées du cours de l'Intendance et que la communauté urbaine de Bordeaux ne rapportait pas la preuve, plus de 5 ans après le dépôt du rapport d'expertise, du caractère évolutif des désordres. Les premiers juges ont également constaté que la communauté urbaine de Bordeaux ne justifiait ni de la nature ni des motifs de ses interventions sur l'ouvrage, avant de conclure que les désordres ne compromettaient pas la solidité de l'ouvrage et qu'aucune atteinte à la sécurité des usagers n'était établie. Par suite, et contrairement à ce que soutient Bordeaux Métropole, les premiers juges ne se sont pas bornés à constater que les désordres ne présentaient pas un caractère généralisé pour écarter l'application de la garantie décennale des constructeurs.

6. Il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise, que les désordres en cause se manifestent par le décollement et le basculement de dalles qui, selon l'expert, ne " sont pas ou sont mal scellées " et que ce défaut d'accrochage des dalles au mortier de pose a pour cause principale des défauts dans la mise en oeuvre des mortiers et l'absence de mortier de résine en blocage des dalles de rives. L'expert a relevé également des causes secondaires aux désordres, constituées par une absence de prise en compte suffisante des dilatations, par une circulation poids-lourds supérieure à 25 tonnes par jour, inadaptée au mode de pose retenu par le cahier des clauses techniques particulières du marché, et enfin par une insuffisance d'entretien des joints entre les dalles.

7. Bordeaux Métropole soutient que les désordres présentent un caractère évolutif généralisé et s'appuie sur le rapport de l'expert qui a préconisé le remplacement de toutes les dalles. Toutefois, et d'une part, les désordres affectant les dalles étaient localisés au moment de l'expertise en cinq zones délimitées du cours de l'Intendance, d'inégale importance, et non sur la totalité de la voie. L'expert indique que moins de 10% des dalles avaient été reprises pour collage. Par ailleurs, Bordeaux Métropole ne produit aucun élément permettant de démontrer que depuis l'expertise, les décollements de dalles se seraient étendus dans des proportions significatives. Si Bordeaux Métropole fait valoir qu'elle a mené très régulièrement sur le cours de l'Intendance et sur la place de la Comédie des actions correctives pour remplacer des dalles et si elle produit en appel une liste des interventions réalisées entre 2015 et 2018, liste qui comprend 15 interventions pour une période de trois ans, ces éléments, qui ne permettent pas de connaître les motifs de ses interventions sur le dallage, ne justifient pas du caractère évolutif des désordres ni de leur propagation sur le cours de l'Intendance et sur la place de la Comédie.

8. Par ailleurs, Bordeaux Métropole soutient que les désordres sont de nature à affecter la sécurité des usagers de la voie. Toutefois, pas plus en appel qu'en première instance, le maître d'ouvrage ne produit de documents, notamment photographiques, attestant de l'existence de risques particuliers ou retraçant des incidents mettant en cause la sécurité des usagers de la voie publique. De même, Bordeaux Métropole ne produit aucun élément démontrant que la circulation du tramway aurait été interrompue en raison de la réalisation de travaux sur les zones touchées par les décollements de dalles situées en dehors du " gabarit limite d'obstacle ". Dans ces conditions, ces désordres ne peuvent pas davantage être regardés comme de nature à rendre l'ouvrage impropre à sa destination. Par suite, c'est à bon droit que les premiers juges ont estimé que les désordres susvisés, compte tenu de leur nature et de leurs caractéristiques, ne pouvaient engager la responsabilité décennale des constructeurs. Il s'ensuit que Bordeaux Métropole n'est pas fondée à demander, sur ce fondement, la condamnation solidaire des sociétés Systra, TDC SAS, Ingerop Sud-Ouest, Brochet-Lajus-Pueyo, Signes, NGE, Rocamat Pierres Naturelles et Me B...es qualité de liquidateur de la société Muller TP .

Sur les conclusions subsidiaires tendant à ce que les constructeurs soient condamnés sur le fondement de leur responsabilité contractuelle :

9. D'une part, il résulte de l'instruction que les travaux du marché " Infra 09 " ont fait l'objet d'une réception avec réserves le 8 janvier 2004, avec effet au 18 décembre 2003. A cette décision prise par la personne responsable du marché, représentant le maître d'ouvrage, était annexée une liste des travaux et prestations manquantes et des malfaçons à corriger, qui ne concernaient pas les désordres de décollement et de soulèvement des dalles, seuls en litige dans la présente instance. Par suite, la réception des travaux à l'origine des désordres ayant été prononcée, elle a mis fin aux rapports contractuels entre le maître d'ouvrage et les participants à l'opération de construction en ce qui concerne la réalisation de ces travaux.

10. La responsabilité des maîtres d'oeuvre pour manquement à leur devoir de conseil peut être engagée, dès lors qu'ils se sont abstenus d'appeler l'attention du maître d'ouvrage sur des désordres affectant l'ouvrage et dont ils pouvaient avoir connaissance, en sorte que la personne publique soit mise à même de ne pas réceptionner l'ouvrage ou d'assortir la réception de réserves. Il importe peu, à cet égard, que les vices en cause aient ou non présenté un caractère apparent lors de la réception des travaux, dès lors que le maître d'oeuvre en avait eu connaissance en cours de chantier.

11. Il ne résulte de l'instruction ni que les maîtres d'oeuvre aient eu connaissance au cours du chantier des désordres en litige, ni que ces désordres étaient apparents au moment de la réception de l'ouvrage. Par suite, la responsabilité des maîtres d'oeuvre ne peut être engagée sur le fondement invoqué subsidiairement par Bordeaux Métropole.

Sur les frais d'expertise :

12. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de modifier la dévolution des frais d'expertise, taxés et liquidés à la somme de 29 291 euros, opérée par les premiers juges.

Sur les frais exposés par les parties à l'occasion du litige :

13. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a lieu de faire droit à aucune des conclusions des parties présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DECIDE :

Article 1er : La requête de Bordeaux Métropole est rejetée.

Article 2 : Le surplus des conclusions d'appel de l'ensemble des parties est rejeté.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Bordeaux Métropole, à la société Systra, à la SAS TDC venant aux droits de la société Thales Engeenering and Consulting, à la société Ingerop Sud-Ouest, à l'agence d'architecture Brochet-Lajus-Pueyo, à l'agence Signes, à l'agence Elisabeth de Portzamparc, à MeB..., liquidateur de la société Muller TP, à la société NGE venant aux droits de la société Siorat, et à la société Rocamat Pierres Naturelles qui a succédé à la société Cominex.

Délibéré après l'audience du 29 novembre 2018 à laquelle siégeaient :

Mme Catherine Girault, président,

M. Jean-Claude Pauziès, président-assesseur,

Mme Nathalie Gay-Sabourdy, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 20 décembre 2018.

Le rapporteur,

Jean-Claude PAUZIÈSLe président,

Catherine GIRAULT

Le greffier,

Virginie MARTY

La République mande et ordonne au préfet de la Gironde, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

No 16BX03232


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 1ère chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 16BX03232
Date de la décision : 20/12/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

39-06-01-04 Marchés et contrats administratifs. Rapports entre l'architecte, l'entrepreneur et le maître de l'ouvrage. Responsabilité des constructeurs à l'égard du maître de l'ouvrage. Responsabilité décennale.


Composition du Tribunal
Président : Mme GIRAULT
Rapporteur ?: M. Jean-Claude PAUZIÈS
Rapporteur public ?: Mme CABANNE
Avocat(s) : CABINET CABANES

Origine de la décision
Date de l'import : 01/01/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2018-12-20;16bx03232 ?
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