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26/01/2017 | FRANCE | N°15NC01911

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 3ème chambre - formation à 3, 26 janvier 2017, 15NC01911


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. E...A...a demandé au tribunal administratif de Besançon d'annuler la décision du 14 novembre 2012 par laquelle l'inspectrice du travail de la 2ème section de l'unité territoriale du Jura a autorisé la société CetK Components à le licencier, ainsi que la décision du ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social du 4 avril 2013 rejetant son recours hiérarchique contre cette décision.

Par un jugement n° 1300697 du 7 juillet 2015, le tribunal administrati

f de Besançon a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête e...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. E...A...a demandé au tribunal administratif de Besançon d'annuler la décision du 14 novembre 2012 par laquelle l'inspectrice du travail de la 2ème section de l'unité territoriale du Jura a autorisé la société CetK Components à le licencier, ainsi que la décision du ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social du 4 avril 2013 rejetant son recours hiérarchique contre cette décision.

Par un jugement n° 1300697 du 7 juillet 2015, le tribunal administratif de Besançon a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires complémentaires, enregistrés le 3 septembre 2015, le 17 octobre 2016, et le 23 décembre 2016, M.A..., représenté par MeD..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Besançon du 7 juillet 2015 ;

2°) d'annuler, pour excès de pouvoir, la décision de l'inspectrice du travail du 14 novembre 2012 et la décision du ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social du 4 avril 2013 ;

3°) de lui allouer la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le tribunal n'a pas suffisamment motivé sa réponse au moyen tiré de l'existence d'un lien direct entre son licenciement et ses mandats ;

- le principe du contradictoire n'a pas été respecté lors de la procédure préalable à son licenciement dans la mesure où, d'une part, l'inspectrice du travail ne lui a pas remis l'intégralité des pièces que son employeur avait annexées à sa demande de licenciement, d'autre part, les documents en nombre important lui ont été remis le jour même de son entretien, enfin, il n'a pas eu la possibilité de répondre aux éléments recueillis par l'inspectrice du travail lors de sa visite sur le lieu de travail le 7 novembre 2012 ; dans le cadre de son enquête, l'inspectrice du travail n'a pas entendu tous les témoins directs de l'altercation ;

- il n'a pas proféré les menaces et insultes retenues par son employeur et celles qu'il a prononcées devant un cercle restreint de personnes, qui n'étaient qu'une réponse aux provocations de la part des élus des autres organisations syndicales, ne présentent pas un degré de gravité tel qu'il justifie son licenciement ;

- l'altercation, qui a eu lieu dans le cadre de ses fonctions représentatives, est sans lien avec l'exécution du contrat de travail mais est en rapport direct avec ses mandats d'élu ;

- le manquement aux règles de sécurité qui lui est reproché n'est pas établi et ne présente pas un degré de gravité tel qu'il justifie son licenciement ;

- le grief relatif à la mauvaise utilisation des heures de délégation, qui ne peut concerner que des faits antérieurs à mars 2012, est prescrit ;

- ce grief est en lien direct avec ses mandats ;

- la procédure disciplinaire engagée à son encontre a pour origine l'exercice de ses mandats.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 24 février 2016, 1er mars 2016 et 29 novembre 2016, la société CetK Components, représentée par Me C..., conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 2 500 euros soit mise à la charge de M. A...au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que les moyens soulevés par M. A...ne sont pas fondés.

Une mise en demeure a été adressée le 6 janvier 2016 à la ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social, pour laquelle il n'a pas été présenté d'observations.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code du travail ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Dhiver,

- les conclusions de M. Collier, rapporteur public,

- et les observations de MmeB..., représentant la société CetK Components.

Une note en délibéré présentée pour la société CetK Components a été enregistrée le 9 janvier 2017.

1. Considérant que M. A...a été recruté le 1er juin 1989 par la société CetK Components, au sein de laquelle il occupait les fonctions de régleur conducteur ; qu'il exerçait les mandats représentatifs de membre titulaire du comité d'entreprise, de délégué du personnel titulaire, de délégué syndical CGT et de conseiller prud'homal ; que, par une décision du 14 novembre 2012, l'inspectrice du travail de la 2ème section de l'unité territoriale du Jura a autorisé la société CetK Components à licencier M. A...pour faute, ainsi que la société l'avait sollicité par une demande du 16 octobre 2012 ; que, saisi d'un recours hiérarchique, le ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social a confirmé, le 4 avril 2013, la décision de l'inspectrice du travail ; que M. A...relève appel du jugement du 7 juillet 2015 par lequel le tribunal administratif de Besançon a rejeté sa demande tendant à l'annulation des deux décisions des 14 novembre 2012 et 4 avril 2013 ;

2. Considérant qu'en vertu des dispositions du code du travail, le licenciement des salariés légalement investis de fonctions représentatives, qui bénéficient d'une protection exceptionnelle dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent, ne peut intervenir que sur autorisation de l'inspecteur du travail ; que, lorsque leur licenciement est envisagé, celui-ci ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou avec leur appartenance syndicale ; que, dans le cas où la demande de licenciement est motivée par un comportement fautif, il appartient à l'inspecteur du travail saisi et, le cas échéant, au ministre compétent, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si les faits reprochés au salarié sont d'une gravité suffisante pour justifier le licenciement, compte tenu de l'ensemble des règles applicables au contrat de travail de l'intéressé et des exigences propres à l'exécution normale du mandat dont il est investi ; qu'un agissement du salarié intervenu en-dehors de l'exécution de son contrat de travail ne peut motiver un licenciement pour faute, sauf s'il traduit la méconnaissance par l'intéressé d'une obligation découlant de ce contrat ;

3. Considérant que, pour autoriser le licenciement pour faute de M.A..., l'inspectrice du travail a retenu, dans sa décision du 14 novembre 2012, que l'intéressé avait proféré des injures et menaces à l'encontre de deux autres salariés de l'entreprise, qu'il n'avait pas respecté les consignes de sécurité de l'entreprise et qu'il s'était, à plusieurs reprises, attribué des heures de délégation au-delà du crédit dont il disposait au titre de ses différents mandats représentatifs ; que, dans sa décision du 4 avril 2013, le ministre a confirmé ces trois motifs de licenciement en ne faisant état, pour le premier, que des injures prononcées par M.A... ;

4. Considérant, en premier lieu, qu'aux termes de l'article L. 1332-4 du code du travail : " Aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l'engagement de poursuites disciplinaires au-delà d'un délai de deux mois à compter du jour où l'employeur en a eu connaissance, à moins que ce fait ait donné lieu dans le même délai à l'exercice de poursuites pénales " ;

5. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que le dernier dépassement de son crédit d'heures de délégation reproché à M. A...concerne le mois de juin 2012 ; que la société CetK Components a eu connaissance de ce dépassement au plus tard le 20 juillet 2012, date de son courrier à l'intéressé dans lequel elle lui signale l'anomalie ; que plus de deux mois s'étaient déjà écoulés lorsque la société CetK Components a engagé des poursuites disciplinaires en convoquant, le 27 septembre 2012, M. A...à un entretien préalable ; que ces faits ne relèvent pas d'un comportement fautif de même nature que les autres agissements non prescrits reprochés au requérant ; que, par suite, la société CetK Components ne pouvait pas fonder sa demande d'autorisation de licenciement sur des dépassements répétés et non justifiés de son crédit d'heures de délégation ;

6. Considérant, en deuxième lieu, que M.A..., élu CGT au comité d'entreprise, a eu, le 11 septembre 2012, une altercation d'abord avec le secrétaire du comité d'entreprise, élu CFDT, puis avec le trésorier du comité d'entreprise, élu CFTC ; qu'il ressort des pièces du dossier que ces événements se sont produits en dehors des heures de travail, alors que M. A...sortait d'une réunion syndicale avec trois autres élus CGT ;

7. Considérant, d'une part, que, dans sa demande d'autorisation de licenciement du 16 octobre 2012, la société CetK Components avait fait état d'un comportement injurieux réitéré de M. A... et évoquait des épisodes précédents au cours desquels l'intéressé s'en serait déjà pris verbalement à l'actuel secrétaire du comité d'entreprise ainsi qu'à son prédécesseur ; que, dans ses écritures, la société indique également qu'elle avait déjà infligé un avertissement au requérant, le 25 juillet 2011, pour avoir tenu des propos déplacés et " longuement vociféré " au cours d'une réunion du comité d'établissement ; que, toutefois, dans leurs décisions des 14 novembre 2012 et 4 avril 2013, l'inspectrice du travail et le ministre chargé du travail n'ont retenu que les altercations du 11 septembre 2012, qui constituent les seuls faits d'injures et de menaces verbales sur lesquels ils se sont fondés pour autoriser le licenciement de M.A... ;

8. Considérant, d'autre part, qu'aux termes de l'article L.1235-1 du code du travail, dans sa rédaction alors en vigueur : " En cas de litige, le juge, à qui il appartient d'apprécier la régularité de la procédure suivie et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties après avoir ordonné, au besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Si un doute subsiste, il profite au salarié " ; que M. A...conteste avoir, le 11 septembre 2012, tenu des paroles menaçantes envers le trésorier du comité d'entreprise ; que, pour établir la réalité de ces propos, la société CetK Components n'a été en mesure de produire qu'une attestation, émanant de la victime elle-même ; que, dans ces conditions, le doute devant profiter au salarié, l'exactitude matérielle des menaces verbales ne peut être tenue pour établie ;

9. Considérant, enfin, qu'il est en revanche établi que M. A...a, le 11 septembre 2012, successivement injurié le secrétaire du comité d'entreprise puis le trésorier du comité d'entreprise ; que, toutefois, il ressort des pièces du dossier que, depuis plusieurs années, les élus de la CGT, d'une part, les élus de la CFDT et de la CFTC, d'autre part, entretenaient des relations conflictuelles et que ces tensions ont été exacerbées après les élections professionnelles de mars 2012 ; qu'en outre, les altercations du 11 septembre 2012 sont intervenues à un moment où un différend opposait depuis plusieurs jours les élus CGT au secrétaire et au trésorier du comité d'entreprise quant à la commande de cartouches d'encre pour la photocopieuse du comité d'entreprise ; qu'il ressort également des pièces du dossier que les querelles, qui se sont déroulées d'abord dans l'espace détente de l'entreprise puis à l'extérieur du bâtiment, n'ont pas eu lieu en public et que les seules personnes qui y ont physiquement assisté étaient les deux élus CGT qui accompagnaient M.A... ; que si la société CetK Components fait état des conséquences de l'altercation sur l'état de santé du secrétaire du comité d'entreprise, il ne ressort pas des pièces du dossier que son hospitalisation et son arrêt de travail, liés à un lumbago aigu, seraient en lien direct avec les propos tenus par M.A... ; que, de même, il n'est pas établi que, comme le soutient la société CetK Components, l'attitude de M. A...à l'égard du trésorier du comité d'entreprise aurait porté atteinte à sa santé mentale ; que, dans ces conditions, eu égard à la nature et à la portée des propos de M. A... ainsi qu'au contexte de vive tension dans lequel ils ont été tenus, les injures proférées par celui-ci hors du temps de travail à l'encontre de deux élus du comité d'entreprise ne peuvent être regardées comme traduisant une méconnaissance par l'intéressé de l'une des obligations découlant de son contrat ; qu'il s'ensuit que l'inspectrice du travail et le ministre ne pouvaient pas légalement se fonder sur ces faits pour autoriser le licenciement pour faute de M. A... ;

10. Considérant, en troisième lieu, qu'il est aussi reproché à M. A...d'avoir, de façon répétée et délibérée, refusé d'emprunter le portillon sécurisé pour entrer dans l'entreprise et d'avoir utilisé la voie d'accès réservée aux voitures ; que ces faits ne sont pas contestés par le requérant ; que si ce refus de respecter les consignes de sécurité pour pénétrer sur le site de production constitue une faute, celle-ci ne présente pas un degré de gravité tel qu'il justifie un licenciement ; que d'ailleurs, ce manquement, qui s'était déjà produit à plusieurs reprises et était connu de l'employeur, n'avait encore donné lieu à aucun avertissement ; que, dans ces conditions, il ne suffisait pas, à lui seul, à justifier le licenciement pour faute de M. A...;

11. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que M. A...est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Besançon a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision de l'inspectrice du travail du 14 novembre 2012 et celle du ministre chargé du travail du 4 avril 2013 autorisant son licenciement pour faute ;

Sur les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

12. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de M.A..., qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme que la société CetK Components demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ; qu'en revanche, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros à verser à M. A... sur le fondement des mêmes dispositions ;

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement n° 1300697 du 7 juillet 2015 du tribunal administratif de Besançon ainsi que la décision du 14 novembre 2012 de l'inspectrice du travail de la 2ème section de l'unité territoriale du Jura et la décision du ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social du 4 avril 2013 sont annulés.

Article 2 : L'Etat versera à M. A...une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 4 : Les conclusions de la société CetK Components présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. E...A..., à la société CetK Components et à la ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social.

2

N° 15NC01911


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 3ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 15NC01911
Date de la décision : 26/01/2017
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

66-07-01-04-02 Travail et emploi. Licenciements. Autorisation administrative - Salariés protégés. Conditions de fond de l'autorisation ou du refus d'autorisation. Licenciement pour faute.


Composition du Tribunal
Président : Mme ROUSSELLE
Rapporteur ?: Mme Martine DHIVER
Rapporteur public ?: M. COLLIER
Avocat(s) : TERRYN - AITALI -ROBERT - MORDEFROY

Origine de la décision
Date de l'import : 07/02/2017
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2017-01-26;15nc01911 ?
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