Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. C... B...a demandé au tribunal administratif de Nancy de condamner le service départemental d'incendie et de secours de Meurthe-et-Moselle à lui verser la somme de 95 645,87 euros, à raison d'heures supplémentaires effectuées au cours des années 2009 à 2012, et la somme de 10 000 euros au titre des troubles dans ses conditions d'existence, et d'enjoindre à l'administration de reconstituer sa carrière au vu des heures supplémentaires non payées.
Par un jugement n° 1303018 du 7 avril 2015, le tribunal administratif de Nancy a rejeté ses demandes.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 11 juin 2015 et un mémoire en réplique enregistré le 26 septembre 2016, M. C... B..., représenté par MeD..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nancy du 7 avril 2015 ;
2°) de condamner le service départemental d'incendie et de secours de Meurthe-et-Moselle à lui verser la somme de 95 645,87 euros à raison d'heures supplémentaires effectuées au cours des années 2009 à 2012, ainsi que la somme de 10 000 euros au titre des troubles dans ses conditions d'existence ;
3°) d'enjoindre au service départemental d'incendie et de secours de Meurthe-et-Moselle de reconstituer sa carrière et de régulariser son compte épargne temps au vu des heures supplémentaires non payées, sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;
4°) de mettre la somme de 3 000 euros à la charge du service départemental d'incendie et de secours de Meurthe-et-Moselle sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- il résulte de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 que le temps de présence obligatoire sur le lieu de travail constitue du temps de travail ;
- l'article 6 de la directive précitée fixe la durée moyenne maximale de travail pour chaque période de sept jours à 48 heures, y compris les heures supplémentaires, soit une durée moyenne maximale de 2 256 heures par an ;
- l'article 4 du décret n° 2001-1382 du 31 décembre 2001 institue un régime d'équivalence horaire dans lequel un seuil annuel maximal de temps de travail est fixé à 2 400 heures, en méconnaissance de la directive du 4 novembre 2003 ;
- il a accompli 2311 heures de travail effectif en 2012, dépassant le seuil maximal prévu par la directive précitée, et en travaillant plus de 48 heures par semaine ;
- il a été contraint d'accomplir 2 735 heures supplémentaires forcées entre 2009 et 2012, pour lesquelles il n'a perçu aucune rémunération, en méconnaissance du décret du 12 juillet 2011 qui fixe la durée annuelle de travail à 1 607 heures ;
- l'Etat français a reconnu le caractère illégal de l'article 4 du décret du 31 décembre 2001 en prononçant son abrogation par un décret n° 2013-1186 du 18 décembre 2013 ;
- il n'a pu bénéficier des repos compensateurs prévus par l'article 5 de la directive précitée ;
- le régime d'équivalence horaire mis en place par le SDIS institue une discrimination entre les sapeurs-pompiers effectuant des gardes sur une amplitude horaire de 12 heures et ceux qui effectuent ces gardes sur une période de 24 heures, en méconnaissance de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen, de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article premier du protocole n° 12 à cette convention ;
- il a droit au paiement des heures supplémentaires accomplies au cours des années 2009 à 2012, pour un montant de 95 645,87 euros ;
- la réalisation de ces heures supplémentaires sans rémunération est à l'origine de troubles dans ses conditions d'existence évalués à 10 000 euros.
Par un mémoire en défense enregistré le 3 février 2016, le service départemental d'incendie et de secours de Meurthe-et-Moselle, représenté par MeF..., conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 3 000 euros soit mise à la charge du requérant au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Le service départemental d'incendie et de secours fait valoir que :
- les conclusions tendant à ce qu'il soit enjoint à l'administration de régulariser le compte épargne temps du requérant sont nouvelles en appel et, par suite, irrecevables ;
- les moyens de la requête ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;
- la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 ;
- la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 ;
- le décret n° 90-850 du 25 septembre 1990 ;
- le décret n° 2000-815 du 25 août 2000 ;
- le décret n° 2001-623 du 12 juillet 2001 ;
- le décret n° 2001-1382 du 31 décembre 2001 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Guérin-Lebacq,
- les conclusions de M. Collier, rapporteur public,
- et les observations de MeE..., pour M.B..., et de MeA..., pour le service départemental d'incendie et de secours de Meurthe-et-Moselle.
1. Considérant que M.B..., sapeur-pompier professionnel non logé du service départemental d'incendie et de secours (SDIS) de Meurthe-et-Moselle, a saisi le 21 août 2013 le président du conseil d'administration de ce service d'une demande tendant au paiement d'heures supplémentaires qu'il estime avoir effectuées au cours des années 2009 à 2012 et au versement d'une indemnité de 10 000 euros à raison des troubles subis dans ses conditions d'existence ; qu'en l'absence de réponse du SDIS de Meurthe-et-Moselle, M. B...a recherché la responsabilité de l'administration devant le tribunal administratif de Nancy qui, par un jugement du 7 avril 2015, a rejeté ses demandes d'indemnisation ; que M. B...relève appel de ce jugement ;
Sur les conclusions à fin d'indemnisation :
En ce qui concerne la responsabilité de l'administration :
2. Considérant, en premier lieu, d'une part, qu'aux termes de l'article 2 du décret du 25 août 2000 relatif à l'aménagement et à la réduction du temps de travail dans la fonction publique de l'Etat et dans la magistrature, rendu applicable aux agents des collectivités territoriales par l'article 1er du décret du 12 juillet 2001 pris pour l'application de l'article 7-1 de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 et relatif à l'aménagement et à la réduction du temps de travail dans la fonction publique territoriale : " La durée du travail effectif s'entend comme le temps pendant lequel les agents sont à la disposition de leur employeur et doivent se conformer à ses directives sans pouvoir vaquer librement à des occupations personnelles " ; qu'aux termes de l'article 1er du décret du 31 décembre 2001 relatif au temps de travail des sapeurs-pompiers professionnels : " La durée de travail effectif des sapeurs-pompiers professionnels est définie conformément à l'article 1er du décret du 25 août 2000 susvisé auquel renvoie le décret du 12 juillet 2001 susvisé et comprend : 1. Le temps passé en intervention ; 2. Les périodes de garde consacrées au rassemblement qui intègre les temps d'habillage et déshabillage, à la tenue des registres, à l'entraînement physique, au maintien des acquis professionnels, à des manoeuvres de la garde, à l'entretien des locaux, des matériels et des agrès ainsi qu'à des tâches administratives et techniques, aux pauses destinées à la prise de repas ; 3. Le service hors rang, les périodes consacrées aux actions de formation définies par arrêté du ministre de l'intérieur dont les durées sont supérieures à 8 heures, et les services de sécurité ou de représentation " ; qu'aux termes de l'article 2 de ce décret : " La durée de travail effectif journalier définie à l'article 1er ne peut pas excéder 12 heures consécutives. Lorsque cette période atteint une durée de 12 heures, elle est suivie obligatoirement d'une interruption de service d'une durée au moins égale " ; qu'aux termes de l'article 3 dudit décret, dans sa version applicable au litige : " Compte tenu des missions des services d'incendie et de secours et des nécessités de service, un temps de présence supérieur à l'amplitude journalière prévue à l'article 2 peut être fixé à 24 heures consécutives par le conseil d'administration du service départemental d'incendie et de secours après avis du comité technique (...) / Lorsque la durée du travail effectif s'inscrit dans un cycle de présence supérieur à 12 heures, la période définie à l'article 1er ne doit pas excéder 8 heures. Au-delà de cette durée, les agents ne sont tenus qu'à effectuer les interventions " ; qu'aux termes de l'article 4 du même décret, en vigueur au cours des années en litige : " Lorsqu'il est fait application de l'article 3 ci-dessus, une délibération du conseil d'administration après avis du comité technique paritaire fixe un temps d'équivalence au décompte annuel du temps de travail. La durée équivalente (...) [à] compter du 1er janvier 2005 (...) ne peut être inférieure à 2 160 heures ni excéder 2 400 heures " ;
3. Considérant que le régime d'horaire d'équivalence institué par les dispositions précitées de l'article 4 du décret du 31 décembre 2001 constitue un mode particulier de comptabilisation du travail effectif pour les sapeurs-pompiers astreints à des gardes de 24 heures qui consiste à prendre en compte la totalité des heures de présence, tout en leur appliquant un mécanisme de pondération tenant à la moindre intensité du travail fourni pendant les périodes d'inaction ; que, par une délibération du 17 décembre 2003 prise en application de ces dispositions, le conseil d'administration du SDIS de Meurthe-et-Moselle a prévu qu'à compter du 1er janvier 2004, le décompte du temps de travail d'un sapeur-pompier non logé serait réalisé sur la base " de 99 gardes de 24 heures ou équivalent ", ce qui correspond à 2 376 heures par an ;
4. Considérant, d'autre part, qu'aux termes de l'article 6 de la directive 2003/88/CE du 4 novembre 2003 : " Les États membres prennent les mesures nécessaires pour que, en fonction des impératifs de protection de la sécurité et de la santé des travailleurs : a) la durée hebdomadaire du travail soit limitée au moyen de dispositions législatives, réglementaires ou administratives ou de conventions collectives ou d'accords conclus entre partenaires sociaux ; b) la durée moyenne de travail pour chaque période de sept jours n'excède pas quarante-huit heures, y compris les heures supplémentaires " ; qu'aux termes de l'article 16 de cette directive : " Les États membres peuvent prévoir : (...) b) pour l'application de l'article 6 (durée maximale hebdomadaire de travail), une période de référence ne dépassant pas quatre mois. / Les périodes de congé annuel payé, accordé conformément à l'article 7, et les périodes de congé de maladie ne sont pas prises en compte ou sont neutres pour le calcul de la moyenne (...) " ;
5. Considérant que si les dispositions précitées de la directive 2003/88/CE du 4 novembre 2003 ne font pas obstacle à l'application de rapports d'équivalence aux durées maximales de travail fixées par le droit national, il ne saurait en résulter une inobservation des seuils et plafonds communautaires, pour l'appréciation desquels les périodes de travail effectif doivent être comptabilisées dans leur intégralité, sans possibilité de pondération ; qu'il résulte de l'instruction que le congé annuel des sapeurs-pompiers professionnels est de cinq semaines par an ; qu'il s'ensuit que le seuil maximal de 48 heures pour chaque période de sept jours, fixé par l'article 6 de la directive, doit s'apprécier, eu égard aux dispositions de l'article 16 de la même directive, sur les quarante-sept semaines de travail d'un sapeur-pompier et, par conséquent, correspond à un seuil de 2 256 heures par an ; qu'ainsi, en permettant une durée d'équivalence au décompte annuel du temps de travail supérieure à 2 256 heures et allant jusqu'à 2 400 heures, les dispositions précitées de l'article 4 du décret du 31 décembre 2001 méconnaissent le seuil communautaire de 48 heures hebdomadaires ; qu'au demeurant, ces dispositions ont été abrogées par un décret n° 2013-1186 du 18 décembre 2013 afin de rendre le régime horaire des sapeurs-pompiers astreints à des gardes de 24 heures compatible avec les dispositions de la directive 2003/88/CE du 4 novembre 2003 ; que, par suite, la délibération du conseil d'administration du SDIS de Meurthe-et-Moselle du 17 décembre 2003, prise sur le fondement de l'article 4 du décret du 31 décembre 2001 et fixant une durée d'équivalence correspondant à 2 376 heures, est entachée d'illégalité ;
6. Considérant, en deuxième lieu, que le requérant ne démontre pas qu'il se serait trouvé privé, dans des conditions irrégulières, de la possibilité de bénéficier du repos hebdomadaire prévu par l'article 5 de la directive du 4 novembre 2003 en application duquel " tout travailleur bénéficie, au cours de chaque période de sept jours, d'une période minimale de repos sans interruption de vingt-quatre heures ", alors qu'il peut être dérogé à ces dispositions, en application de l'article 17 de la même directive, " pour les activités caractérisées par la nécessité d'assurer la continuité du service (...), notamment lorsqu'il s'agit : des services (...) de sapeurs-pompiers ou de protection civile (...) " ;
7. Considérant, en dernier lieu, qu'il ne résulte pas de l'instruction, et notamment des termes de la délibération du 17 décembre 2003, que le SDIS de Meurthe-et-Moselle aurait, au cours des années en litige, institué un régime horaire sur la base de gardes de 12 heures pour certains sapeurs-pompiers du service et sur la base de gardes de 24 heures pour les autres ; que, dans ces conditions et en tout état de cause, M. B...ne saurait se prévaloir d'une prétendue discrimination à son égard ;
8. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. B...est seulement fondé à rechercher la responsabilité de l'administration à raison de l'illégalité dont la délibération du 17 décembre 2003 est entachée ;
En ce qui concerne l'évaluation du préjudice :
9. Considérant, en premier lieu, que M. B...ne peut utilement revendiquer aucun droit à rémunération ou à indemnité autre que ceux prévus par les textes légalement applicables ; qu'ainsi, il ne saurait tirer de l'illégalité entachant la délibération précitée un droit à rémunération d'heures supplémentaires au titre des années pendant lesquelles cette délibération s'est appliquée à sa situation ;
10. Considérant, en deuxième lieu, que M. B...est seulement fondé à obtenir la réparation des conséquences dommageables résultant de l'application de la délibération du 17 décembre 2003 ; que le requérant soutient, sans être sérieusement contredit, avoir accompli 2 142 heures en 2009, 2060 heures en 2010, 2 074 heures en 2011 et 2 311 heures en 2012 ; qu'ainsi, seules les heures réalisées au cours de l'année 2012 ont dépassé le seuil annuel de 2 256 heures qui aurait permis de respecter le plafond fixé, par l'article 6 de la directive du 4 novembre 2003, à 48 heures pour chaque période de sept jours ; qu'à cet égard, le requérant ne saurait se prévaloir des dispositions du décret du 12 juillet 2001 relatif à l'aménagement et à la réduction du temps de travail dans la fonction publique territoriale, qui fixent à 1 607 heures la durée annuelle maximale de travail effectif, alors qu'il est dérogé à ce plafond, ainsi que le permet ledit décret, afin de tenir compte des sujétions particulières dues à la spécificité des missions de sapeurs-pompiers ; que l'intéressé ne justifie pas qu'il se serait trouvé dans l'impossibilité de prendre l'ensemble de ses congés annuels ; qu'il s'ensuit que M. B... a seulement droit à l'indemnisation de l'ensemble des troubles qu'il a subis dans ses conditions d'existence en raison du surcroît de travail ayant résulté pour lui du dépassement du seuil annuel de 2 256 heures, incluant notamment la fatigue et les troubles de l'humeur qu'il dit éprouver ; que, dans les circonstances de l'espèce et au vu des conditions de rémunération de M.B..., il sera fait une juste appréciation de son préjudice en lui allouant une somme de 1 000 euros ;
11. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que M. B... est seulement fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nancy a rejeté l'intégralité de sa demande ;
Sur les conclusions à fin d'injonction :
12. Considérant que le présent arrêt, qui statue sur les conclusions indemnitaires présentées par M.B..., n'impliquent, en tout état de cause, aucune mesure d'exécution qui tendrait à une prétendue reconstitution de carrière ou à une régularisation du compte épargne temps de l'intéressé ; qu'il s'ensuit que les conclusions présentées à fin d'injonction ne peuvent qu'être rejetées ;
Sur les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
13. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de M.B..., qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme dont le SDIS de Meurthe-et-Moselle demande le versement au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ; qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du SDIS de Meurthe-et-Moselle une somme de 1 500 euros à verser à M. B... sur le fondement des mêmes dispositions ;
D E C I D E :
Article 1er : Le SDIS de Meurthe-et-Moselle est condamné à verser la somme de 1 000 (mille) euros à M. B... en réparation de ses préjudices.
Article 2 : Le jugement n°1303018 du 7 avril 2015 du tribunal administratif de Nancy est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 3 : Le SDIS de Meurthe-et-Moselle versera à M. B...une somme de 1 500 (mille cinq cents) euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... B...et au service départemental d'incendie et de secours de Meurthe-et-Moselle.
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N° 15NC01280