Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société SNIDARO a demandé au tribunal administratif de Rouen :
- d'annuler le marché de rénovation de certaines parties du complexe aquatique des Bains des Docks, conclu entre la communauté de l'agglomération havraise (CODAH) et la société SOGEA Nord Ouest ;
- de condamner la CODAH à lui verser la somme de 2 030 972,76 euros en réparation du préjudice correspondant au manque à gagner qu'elle subit ;
- de condamner la CODAH à lui verser la somme de 6 452,42 euros en réparation du préjudice qu'elle subit à raison des frais engagés pour présenter son offre ;
Par un jugement n° 1300610 du 23 juin 2015, le tribunal administratif de Rouen a annulé le marché conclu entre la CODAH et la société Sogéa Nord Ouest TP et a rejeté les demandes indemnitaires présentées par la société SNIDARO.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 24 août 2015, la société SNIDARO, représentée par Me D...F..., demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Rouen du 23 juin 2015 en tant qu'il a rejeté ses conclusions indemnitaires ;
2°) de condamner la CODAH à lui verser la somme de 2 030 972,76 euros en réparation du préjudice correspondant au manque à gagner qu'elle subit ;
3°) de condamner la CODAH à lui verser la somme de 14 432,42 euros en réparation du préjudice qu'elle subit à raison des frais engagés pour présenter son offre ;
4°) de mettre à la charge de la CODAH la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le fait que le marché ait été annulé dès lors que le recours à la procédure du dialogue compétitif n'était pas possible n'exclut pas tout droit à indemnisation ;
- il était parfaitement possible d'apprécier la valeur des offres remises ;
- la dévolution du marché est entachée d'irrégularité dès lors que treize offres ont été admises au lieu des quatre prévues par l'avis d'appel à la concurrence ;
- l'appréciation des offres au regard des trois premiers sous-critères a été faite de manière erronée par la commission d'appel d'offres ;
- l'appréciation des offres au regard du quatrième sous-critère, et du critère tenant au délai global d'exécution est entaché d'erreur manifeste d'appréciation ;
- le prix proposé par l'entreprise retenue est erroné et manifestement inférieur au coût réel des prestations ;
- son éviction irrégulière lui fait subir un préjudice tenant à un manque à gagner ;
- elle n'a été indemnisée des frais de candidature, par l'indemnité forfaitaire, qu'à hauteur de 7 000 euros, alors que ses frais réels sont de 14 432,42 euros.
Par un mémoire en défense, enregistré le 27 novembre 2015 la communauté d'agglomération havraise, représentée par Me E...C...conclut au rejet de la requête, par la voie de l'appel incident demande la réformation du jugement en tant qu'il a annulé le marché conclu avec la société SOGEA Nord Ouest et demande qu'une somme de 3 000 euros soit mise à la charge de la société SNIDARO au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la complexité de l'opération en litige justifiait le recours à la procédure du dialogue compétitif ;
- les moyens techniques pour résoudre les désordres constatés sur le centre aquatique n'étaient pas connus au jour du lancement de la procédure, les opérations d'expertise étant en cours ;
- être confrontée à une documentation technique lacunaire ;
- l'agence régionale de santé a relevé le risque sanitaire que représentait les installations en cause ;
- à supposer le marché irrégulier, cette irrégularité n'impliquait pas son annulation dès lors que le vice allégué n'est pas d'une particulière gravité et que l'annulation la priverait des garanties contractuelles liées à la réalisation des travaux ;
- il n'existe pas de lien de causalité entre l'irrégularité sanctionnée par les premiers juges et les préjudices invoqués par la requérante ;
- le choix de son cocontractant n'est pas entaché d'erreur manifeste d'appréciation ;
- elle pouvait admettre les quatre candidats et le dépôt de plusieurs offres ;
- l'existence des préjudices dont se prévaut la société requérante n'est pas établie.
Par un mémoire enregistré le 1er février 2016, la société SNIDARO conclut aux mêmes fins que dans sa requête par les mêmes moyens, porte ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative à la somme de 8 000 euros et ajoute en outre que le marché devait être alloti.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code des marchés publics ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Olivier Nizet, président-assesseur,
- les conclusions de M. Hadi Habchi, rapporteur public ;
- et les observations de Me D...F..., représentant la société SNIDARO et de Me A...B...substituant Me C...représentant la CODAH..
1. Considérant que par un avis d'appel à la concurrence publié le 6 juillet 2012, la communauté de l'agglomération havraise (CODAH) a lancé une procédure de dialogue compétitif, en vue de conclure un marché de travaux ayant pour objet la rénovation d'une partie du complexe aquatique des Bains des docks ; qu'à l'issue de cette procédure, le marché a été attribué à la société SOGEA Nord Ouest TP ; que la société SNIDARO, membre d'un groupement qui, suite à la phase de dialogue, avait été admis à présenter une offre, mais qui n'a pas été retenu, a demandé au tribunal administratif de Rouen d'annuler ce marché et de condamner la CODAH à lui verser la somme de 2 030 972,76 toutes taxes comprises au titre de son manque à gagner et de 6 452,42 euros au titre des frais de présentation de son offre ; que par un jugement du 23 juin 2015, le tribunal administratif de Rouen après avoir annulé le marché conclu entre la Sogea Nord Ouest et la CODAH a rejeté le surplus des conclusions de la demande ; que la société SNIDARO relève appel de ce jugement en tant qu'il rejette ses conclusions indemnitaires ; que la CODAH conclut au rejet de la requête et par la voie de l'appel incident, à la réformation du jugement en tant qu'il a prononcé l'annulation du marché en litige ;
Sur les conclusions d'appel incident :
En ce qui concerne la validité du marché :
2. Considérant qu'aux termes de l'article 36 du code de marchés publics alors applicable : " La procédure de dialogue compétitif est une procédure dans laquelle le pouvoir adjudicateur conduit un dialogue avec les candidats admis à y participer en vue de définir ou de développer une ou plusieurs solutions de nature à répondre à ses besoins et sur la base de laquelle ou desquelles les participants au dialogue seront invités à remettre une offre. / Le recours à la procédure de dialogue compétitif est possible lorsqu'un marché public est considéré comme complexe, c'est-à-dire lorsque l'une au moins des conditions suivantes est remplie : / 1° Le pouvoir adjudicateur n'est objectivement pas en mesure de définir seul et à l'avance les moyens techniques pouvant répondre à ses besoins ; / 2° Le pouvoir adjudicateur n'est objectivement pas en mesure d'établir le montage juridique ou financier d'un projet " ;
3. Considérant qu'il résulte de l'instruction et notamment de l'avis d'appel à la concurrence que le marché portant sur " la rénovation de certaines parties du complexe aquatique Bains des Docks " a pour objet la reprise des désordres affectant les plages, les fonds de bassins, les bajoyers, les murets, banquettes et refends, ainsi que la reprise ponctuelle des mosaïques ; que le titulaire devra également réparer le projecteur subaquatique, réaliser un accès à la toiture, et résorber les phénomènes de pont thermique, de condensation et de glissance ; que les désordres ainsi mentionnés par cet avis d'appel à la concurrence sont habituels et courants en matière de piscine et de centre aquatique, établissements dont, tant la conception que le fonctionnement, sont conditionnés par l'humidité ambiante ; que, d'une part, par une ordonnance du 10 juin 2009 le tribunal administratif de Rouen a missionné une expertise portant sur les désordres relatifs à l'exécution du marché d'édification du complexe aquatique ; que cette mission prévoyait à son point 11 que l'expert devait proposer des mesures susceptibles de mettre fin aux désordres ; que la circonstance que les solutions techniques ainsi proposées aient été repoussées par l'architecte ayant conçu le centre aquatique, ne permet pas d'établir que la CODAH, qui n'était pas tenue de suivre les propositions de l'expert, ne pouvait soit en régie, soit en ayant recours à l'assistance d'un maitre d'oeuvre, définir les moyens techniques permettant de résorber ces désordres ; que, d'autre part, les circonstances que l'agence régionale de santé ait alerté la CODAH sur les risques sanitaires que faisaient peser les désordres en cause sur les usagers du centre aquatique et que l'établissement public intercommunal, ne possède pas le dossier des ouvrages exécutés relatif au centre aquatique, ne sont pas de nature à établir que le pouvoir adjudicateur n'était objectivement pas en mesure de définir seul et à l'avance les moyens techniques pouvant répondre à ses besoins ; qu'enfin, le respect du principe de continuité du service public, n'impliquait pas plus le recours à la procédure de dialogue compétitif ; que, par suite, la CODAH, n'est pas fondée, en se prévalant de ces circonstances, à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Rouen a jugé qu'elle ne pouvait légalement avoir recours à la procédure de dialogue compétitif ;
En ce qui concerne les conséquences de l'irrégularité constatée sur le marché :
4. Considérant que, saisi de conclusions en contestation de la validité d'un contrat par un concurrent évincé, il appartient au juge, lorsqu'il constate l'existence de vices entachant la validité du contrat, d'en apprécier les conséquences ; qu'il lui revient, après avoir pris en considération la nature de l'illégalité éventuellement commise, soit de prononcer la résiliation du contrat ou de modifier certaines de ses clauses, soit de décider de la poursuite de son exécution, éventuellement sous réserve de mesures de régularisation par la collectivité contractante, soit d'accorder des indemnisations en réparation des droits lésés, soit enfin, après avoir vérifié si l'annulation du contrat ne porterait pas une atteinte excessive à l'intérêt général ou aux droits des cocontractants, d'annuler, totalement ou partiellement, le cas échéant avec un effet différé, le contrat ;
5. Considérant que l'irrégularité relevée au point 3 a déterminé, du fait de la nature même de la procédure de dialogue compétitif, les conditions par lesquelles les candidats étaient appelés à donner leur consentement ; que, par suite, un tel vice affectant le choix du cocontractant était d'une gravité telle qu'il n'était pas possible d'y remédier autrement qu'en annulant le contrat, alors même que cette annulation priverait l'établissement public intercommunal des garanties contractuelles liées à la réalisation des travaux ;
6. Considérant qu'il résulte ce que qui a été dit aux points 3 et 5 que l'appel incident de la CODAH ne peut être que rejeté ;
Sur l'appel principal :
7. Considérant que lorsqu'un candidat à l'attribution d'un contrat public demande la réparation du préjudice qu'il estime avoir subi du fait de l'irrégularité ayant, selon lui, affecté la procédure ayant conduit à son éviction, il appartient au juge, si cette irrégularité est établie, de vérifier qu'elle est la cause directe de l'éviction du candidat et, par suite, qu'il existe un lien direct de causalité entre la faute en résultant et le préjudice dont le candidat demande l'indemnisation ;
8. Considérant qu'il résulte de ce qui a été dit au point 3 que l'annulation du marché conclu avec la société SOGEA Nord Ouest TP, est justifiée par l'impossibilité dans laquelle se trouvait la CODAH de recourir à la procédure du dialogue compétitif ; que l'irrégularité ainsi sanctionnée, alors que le groupement dont faisait partie la société SNIDARO a été admis a présenter une offre finale, n'est pas la cause directe de l'éviction de la société requérante ;
9. Considérant que la circonstance alléguée que l'attribution du marché en litige serait intervenue à l'issue d'une procédure irrégulière dès lors que la CODAH a accepté treize offres au lieu des quatre initialement prévues, manque en fait ; qu'en outre, il ne résulte pas de l'instruction que ce vice, à le supposer établi, serait la cause directe de l'éviction de la société SNIDARO ;
10. Considérant que le vice allégué tenant au fait que le marché aurait du faire l'objet d'un allotissement, n'est pas plus en lien directe avec l'éviction de la société requérante ;
11. Considérant que les offres ont été appréciées au regard de critères tenant à leur valeur technique (30 %), à leur valeur méthodologique (20 %), au délai d'exécution (30 %) et au prix (20 %) ; que la valeur technique comportait des sous-critères relatifs à la prise en compte des contraintes fonctionnelles, à la qualité esthétique, à l'aptitude de la solution technique à résorber durablement les désordres affectant le bâtiment et le degré dans lequel la solution met en oeuvre les règles de l'art et les normes professionnelles impératives ;
12. Considérant, d'une part, que s'agissant de l'appréciation de la valeur technique des offres, l'offre remise par le groupement dont était membre la requérante a obtenu une appréciation identique à celle de l'offre retenue concernant le premier sous-critère, une appréciation supérieure à celle de l'offre retenue concernant le second sous-critère et une appréciation de moindre valeur que celle attribuée à l'offre retenue concernant le troisième sous-critère ; qu'il résulte de l'instruction que les deux offres présentaient l'une et l'autre des points forts et des faiblesses au regard des trois sous-critères précitées, ce qui a conduit la commission d'appel d'offres d'attribuer à l'offre retenue une note supérieure de seulement 1.5 point à celle présentée par le groupement comprenant l'entreprise SNIDARO ; que d'autre part, il ne résulte pas de l'instruction que l'offre retenue n'aurait pas été appréciée au regard du quatrième sous-critère ; que dans ces circonstances si la requérante insiste dans ses écritures sur les éléments de l'offre de sa concurrente qui ont été jugés insuffisants, elle n'établit pas pour autant que les notes ainsi attribuées seraient entachées d'erreur manifeste d'appréciation ;
13. Considérant que la circonstance que le délai d'exécution proposé par l'offre retenue ne détaille pas l'ensemble des prestations qui étaient exigées contractuellement, notamment le nettoyage, le désinfection et la remise en eau des bassins, ne permet pas d'établir que la commission d'appel d'offres en attribuant la note de 30/30 à la société Sogéa Nord Ouest TP qui a proposé un délai d'exécution de six mois et une notre de 25,71 au groupement dont était membre la société requérant, aurait commis une erreur manifeste d'appréciation ; qu'au demeurant le délai d'exécution proposé a été respecté ;
14. Considérant qu'il ne résulte pas de l'instruction que l'offre de la société Sogéa Nord Ouest TP impliquait la dépose et la repose de la couverture thermique existante ; que, dès lors, la requérante n'est pas fondée à soutenir que le montant de l'offre proposée par cette société aurait été erronée, faute de mentionner un tel poste, et que par suite, l'appréciation du critère " prix " entachée d'erreur manifeste d'appréciation ;
15 Considérant qu'il résulte de ce qui a été dit aux points 7 à 14 que la société SNIDARO ne peut se prévaloir d'une chance sérieuse d'obtenir le marché en litige ; que, par suite, elle n'est pas fondée à demander à être indemnisée du préjudice tenant au manque à gagner résultant de son éviction ; que pour les mêmes motifs les conclusions de la requête tendant à la condamnation de la CODAH à indemniser à la société SNIDARO du montant des frais qu'elle a engagé pour concourir doivent être rejetées ;
16. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la société SNIDARO n'est pas fondée à se plaindre de ce que par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rouen a rejeté ses conclusions indemnitaires ;
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
16. Considérant que dans les circonstances de l'espèce il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions réciproques de la société SNIDARO et de la CODAH présentées au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la société SNIDARO et les conclusions d'appel incident présentées par la communauté de l'agglomération havraise, sont rejetées.
Article 2 : Les conclusions de la communauté de l'agglomération havraise présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société SNIDARO, à la communauté de l'agglomération havraise et à la société SOGEA Nord Ouest TP.
Copie en sera adressée pour information à la préfète de la Seine-Maritime
Délibéré après l'audience publique du 11 mai 2017 à laquelle siégeaient :
- M. Paul-Louis Albertini, président de chambre,
- M. Olivier Nizet, président-assesseur,
- Jean-François Papin, premier conseiller.
Lu en audience publique le 24 mai 2017.
Le rapporteur,
Signé : O. NIZET Le président de chambre,
Signé : P.-L. ALBERTINI Le greffier,
Signé : I. GENOT
La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme
Le greffier,
Isabelle Genot
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N°15DA01436
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N°"Numéro"